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Benoît XVI et le concept « peuple de Dieu »
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Le 14 janvier 2025 -
E.S.M.
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Dans cet extrait d'un entretien de Peter Seewald avec le
Cardinal Ratzinger/Benoît XVI, le Saint-Père est interrogé sur le
concept « peuple de Dieu » et nous rappelle la manière dont la Bible
l'utilise et qui doit nous servir de norme quand nous l'utilisons
nous aussi. Il figure tout d'abord et essentiellement dans l'Ancien
Testament.
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Le chapitre qui suit est le prolongement d'un entretien de Peter Seewald avec
le Cardinal Ratzinger/Benoît XVI, alors préfet de
la congrégation pour la doctrine de la foi et traduit de
l'allemand par Nicole Cazanova
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4) Nous sommes le peuple de Dieu
Le concept « peuple de Dieu » est entendu aujourd'hui comme une volonté
d'autonomie envers l'institution de l'Église, selon le slogan « Nous sommes
le peuple » et ce que dit le peuple doit se réaliser. D'autre part, un
proverbe dit aussi : « La voix du peuple est la voix de Dieu. » Que
pensez-vous de ce concept ?
Si nous sommes des théologiens et des croyants, nous
écoutons d'abord ce que dit la Bible. Nous ne pouvons certes pas inventer
nous-mêmes les grands concepts « Qui est Dieu », « Qu'est-ce que l'Église ?
», « la grâce », etc. Le don de la foi consiste précisément en ceci qu'il y
a un don préalable.
Le concept « peuple de Dieu » est biblique. La
manière dont la Bible l'utilise doit nous servir de norme quand nous
l'utilisons nous aussi. Il figure tout d'abord et essentiellement dans
l'Ancien Testament, où le concept de « peuple » apparaît bien avant l'ère
des nations et se rapporte davantage à la tribu, la famille.
Mais c'est avant toute chose un concept de relation. La nouvelle exégèse l'a
très nettement établi. Israël, quand il agit uniquement en tant que nation
politique, n'est pas le peuple de Dieu. Il devient le peuple de Dieu quand
il se tourne vers Dieu. Il n'est le peuple de Dieu que dans sa relation avec
Dieu, quand il se tourne vers lui, et cette relation consiste en Israël en
la soumission à la Thora. Dans l'Ancien Testament, le concept de « peuple de
Dieu » inclut d'abord le fait que Dieu a élu Israël non pour ses mérites
particuliers et bien que ce ne soit pas un grand peuple, un peuple
important, mais l'un des plus petits, Dieu l'a élu par amour et afin que son
amour s'y pose. D'autre part, ce concept inclut aussi l'acceptation de cet
amour, c'est-à-dire concrètement la soumission à la Thora. C'est seulement
dans cette soumission qui le met en relation avec Dieu qu'Israël est le
peuple de Dieu.
Dans le Nouveau Testament, le concept de « peuple de Dieu » (à une ou deux
exceptions près peut-être) ne se rapporte qu'à Israël, au peuple de
l'ancienne Alliance, ce n'est pas un concept qui désigne directement
l'Église. L'Église est toutefois comprise comme la continuation d'Israël,
bien que les chrétiens ne descendent pas d'Abraham et n'appartiennent pas au
sens propre à ce peuple. Ils y entrent, dit le Nouveau Testament, par le
fait qu'ils descendent du Christ et de cette façon deviennent aussi les
enfants d'Abraham. Donc, appartient au peuple de Dieu celui qui appartient
au Christ. On pourrait dire que le concept de « Thora »
est remplacé par la
personne du Christ, et dans cette mesure la catégorie « peuple de Dieu »,
dont ne fait pas directement partie le nouveau
peuple, désigne aussi la communauté du Christ et la vie à l'imitation du
Christ et avec lui, ou comme le dit saint Paul : «
Ayez entre vous les mêmes
sentiments qui furent dans le Christ Jésus » (Phil., II, 5). Les
« sentiments qui furent dans le Christ Jésus
», il les décrit ainsi : II a été
obéissant jusqu'à la mort sur une croix. C'est seulement quand on reprend le
concept « peuple de Dieu » dans son acception biblique qu'on l'utilise
chrétiennement. Tous les autres emplois sont des constructions hors
christianisme, qui négligent l'essentiel. À mon avis, ce sont aussi des
produits de l'orgueil. Qui peut dire de soi « nous sommes le peuple de Dieu
» — déclarant ainsi que les autres ne le seraient peut-être pas.
À propos de cette formule « Nous sommes le peuple », je voudrais ajouter une
considération purement pratique. Du « Nous sommes le peuple »
on déduit
aussi : « C'est nous qui déterminons. » Si, par exemple, aujourd'hui en
Allemagne tous les membres d'une certaine association se réunissaient et
disaient : « Nous sommes le peuple et en conséquence nous décidons que
maintenant les choses seront ainsi », les gens ne feraient qu'en rire.
Chaque peuple a ses institutions, chacun sait que ce n'est pas le conseil
municipal qui vote les lois fédérales, mais le Bundestag, le parlement, donc
un organe qui représente vraiment l'ensemble de la population. Et, de même,
n'importe qui ne peut pas représenter le « nous » exhaustif de l'Église et
être ensuite habilité à prendre des décisions : elles ne peuvent être prises
que par tout le monde ensemble, ou par un groupe particulier dans la mesure
où il vit dans cet ensemble. Rien que du point de vue démocratique, déjà, ce
serait absurde si des groupes eux-mêmes décidaient de l'ensemble.
Une
communauté paroissiale ou un forum diocésain devraient prendre en main leurs
affaires. Mais en tant que tels, ils ne peuvent vouloir décider des affaires
de l'Église.
Dans l'Église s'ajoute encore à ces données du droit public (et qui ont
aussi de l'importance pour l'Église) le fait qu'elle ne vit pas en
synchronisme mais en diachronisme. C'est-à-dire que
tous les êtres humains vivent toujours — même les morts — et qu'ils sont toute l'Église, que tous,
ils appartiennent toujours à une majorité dans l'Église. Dans un État, nous
avions, par exemple, hier une administration Reagan, aujourd'hui une
administration Clinton, et chacune se débarrasse de ce que la précédente a
fait et déclare que c'est aujourd'hui que tout commence.
Cela n'existe pas
dans l'Église. L'Église vit précisément de l'identité de toutes les
générations, de leur identité qui envahit le temps, et les saints forment sa
majorité proprement dite.
Chaque génération tente de prendre place parmi les saints et apporte sa contribution. Mais elle ne peut le faire qu'en
acceptant cette grande continuité et en se familiarisant avec elle.
Mais naturellement, il y a aussi une continuité de l'État qui est
indépendante de chaque Président.
C'est juste, c'était dit un peu rapidement. Dans un État non plus, chaque
gouvernement ne doit pas tout reprendre depuis le commencement. Il reste
inclus dans la grande tradition nationale et, lié à la Constitution, ne peut
pas reconstruire l'Etat à partir de zéro. Ce qui vaut dans un État vaut
aussi dans l'Église, mais de façon encore plus stricte et plus profonde.
Il y a à présent des mouvements qui s'intitulent « Nous sommes le peuple » ;
ils ne se soucient plus des réglementations traditionnelles, des lois, des
parlements, et sautent tout simplement par-dessus les grilles.
Dans l'État, vous voulez dire ? Oui, oui. Dans cette mesure le phénomène n'a
rien non plus de particulier quand il touche l'Église. Mais que cela ne
puisse pas fonctionner dans l'État, les mouvements démocratiques fondés
uniquement sur la base nous le prouvent. L'Union soviétique a commencé
ainsi. À travers les « conseils », la « base » devait prendre les décisions,
tous devaient participer activement au gouvernement. Cette prétendue
démocratie directe, que l'on opposait à la démocratie représentative
(parlementaire), est devenue dans la réalité un pur mensonge. Il n'en irait
pas autrement dans une Église faite de conseils.
Le slogan « Nous sommes le peuple » séduit aussi
parce que, dans notre passé très récent, il a obtenu un immense succès quand
les mouvements contestataires de l'ancienne République démocratique
allemande l'ont adopté.
C'est exact. Mais dans ce cas, le peuple tout entier était
uni derrière lui. Entre-temps, ce consensus s'est dégradé à nouveau. Ce
slogan suffisait pour rassembler un vaste mouvement de contestation, mais ce
n'est pas ainsi que l'on peut diriger une communauté de manière positive.
5) Autorité sacrée et amour fraternel
Pourquoi l'Église doit-elle opérer aujourd'hui
encore avec des méthodes autoritaires et être organisée selon des structures
pour ainsi dire « totalitaires » ? Nombre de gens imaginent que dans
l'Église aussi des modèles démocratiques seraient possibles. On ne peut pas
exiger dans la société, disent-ils, démocratie et droits de l'homme, et les
laisser ensuite devant la porte de sa propre boutique. On ne peut pas
prêcher l'amour du prochain et agir essentiellement avec des mises en
accusation, des lois, et l'index continuellement levé.
Voyons d'abord le mot « hiérarchie ». La bonne traduction
n'est vraisemblablement pas « autorité sacrée », mais «
origine sacrée ». Si
en grec ieros signifie « sacré », le mot arché a les deux sens, « origine »
ou « autorité ». Mais la signification la plus vraisemblable est « origine
sacrée ».
C'est la force d'une origine qui est ainsi transmise, et cette force
originelle, qui est sacrée, se perpétue à l'arrivée de chaque génération
dans l'Église. Elle ne vit pas de la seule continuité des générations, mais
de la source elle-même, toujours réactualisée et transmise par le sacrement.
Il faut donc procéder d'abord, je crois, à un important changement d'optique
: la catégorie où entre le sacerdoce n'est pas celle de l'autorité.
Le
sacerdoce doit au contraire être passage, rappel d'un commencement, et mise
à la disposition de ce service. Voir essentiellement une autorité dans le
sacerdoce, la dignité épiscopale et le pontificat est réellement absurde et
faux.
Nous savons par l'Évangile qu'il y eut des conflits de
préséance parmi les disciples, que la tentation de considérer le fait d'être
disciple comme un signe d'autorité fut là dès le premier instant et dure
encore. Il est donc indiscutable que cette tentation existe dans chaque
génération, même dans celle d'aujourd'hui. Mais en même temps il y a le
geste du Seigneur qui lave les pieds des disciples et les rend ainsi dignes
de prendre place à la table commune avec Lui, avec Dieu. Par ce geste, II
dit : C'est cela, le sacerdoce. Si cela ne vous plaît pas, alors vous n'êtes
pas des prêtres. Ou encore, comme II le dit à la mère de Zébédée : La
condition préalable, c'est de boire le calice, c'est-à-dire de souffrir avec
le Christ. Qu'ils soient ensuite assis à droite ou à gauche ou n'importe où,
là n'est pas la question. Et cela signifie aussi qu'être disciple, c'est
boire le calice, entrer en communauté de destin avec le Seigneur, être un
laveur de pieds, souffrir avant et avec les autres. Le premier point, donc,
c'est que l'origine, le sens propre de la hiérarchie, n'est pas
l'établissement d'une structure pourvue d'autorité, mais le maintien de
quelque chose qui ne dépend pas du seul individu. Personne ne peut remettre
des péchés de sa propre autorité, ni transmettre l'Esprit Saint, ni changer
le pain en le corps du Christ ou l'y garder présent. Il s'agit donc de
rendre un service, au sein d'une Église qui n'est pas une entreprise
auto-administrée, mais vit toujours en référence à son origine.
Une seconde remarque générale : le mot «
fraternité » est
beau, certes, mais il ne faudrait pas oublier son ambiguïté. Le premier
couple de frères, selon la Bible, est Caïn et Abel, et l'un des deux a tué
l'autre. C'est une représentation que l'on retrouve souvent dans l'histoire
de la religion. La mythologie originelle de Rome a Romulus et Remus. Tout
commence aussi avec deux frères, et l'un des deux tue l'autre. Donc, des
frères ne sont pas forcément l'archétype de l'amour et de l'égalité. De même
que la paternité peut dégénérer en tyrannie, nous avons suffisamment
d'exemples de fraternité négative dans l'Histoire. La fraternité elle aussi
doit pour ainsi dire être sauvée et passer par la croix, afin de trouver sa
juste forme.
Voyons maintenant les questions pratiques.
Peut-être
commande-t-on et régit-on trop en ce moment dans l'Église. En réalité,
l'institution devrait, selon sa nature, assurer la célébration des
sacrements, permettre la venue du Christ et faire que la parole de Dieu soit
proclamée. Tout le reste est subordonné à cela. Elle ne devrait pas avoir
constamment pour fonction de commander, mais revenir à l'obéissance envers
son origine et revivre avec elle. L'homme revêtu de cette fonction
devrait veiller à ne pas se proclamer et se produire lui-même, mais à être
lieu de passage pour l'autre et rester lui-même en retrait — nous en avons
déjà parlé. Il devrait ainsi être tout d'abord un homme qui obéit, qui ne
dit pas « maintenant je voudrais dire cela », mais demande ce que dit le
Christ et ce qu'est notre foi, et s'y soumet. Il devrait enfin être un
servant, à la disposition des gens et à la suite du Christ, prêt à laver des
pieds.
Chez saint Augustin, on peut merveilleusement voir tout cela. Nous avons déjà dit
qu'il était constamment occupé par des broutilles quotidiennes, à laver des pieds pour ainsi dire, et prêt à gâcher sa grande vie
pour d'humbles besognes, si l'on veut, mais en sachant qu'ainsi il ne la
gâchait pas.
Voilà à quoi devrait ressembler vraiment le sacerdoce.
S'il est
bien vécu, cela ne signifie nullement que l'on arrive enfin aux guichets du
pouvoir, mais que l'on renonce à ses propres projets de vie et que l'on se
voue à servir.
Cela entraîne aussi la nécessité, je cite de nouveau saint
Augustin, de réprimander, de blâmer et donc de s'attirer des ennuis.
Augustin l'explique ainsi dans un sermon : Tu veux, toi, vivre mal, tu veux
courir à ta perte. Mais moi, je ne dois pas le vouloir, répond-il. Je dois
malgré tout te blâmer, même si cela ne te convient pas. Il utilise ensuite
l'exemple du père qui a la maladie du sommeil, et que son fils réveille tout
le temps parce que c'est la seule chance de le guérir. Le père dit :
Laisse-moi donc dormir, je suis mort de fatigue. Et le fils dit : Non, je ne
dois pas te laisser dormir. Et c'est exactement là, dit saint Augustin, la
fonction d'un évêque. Je ne dois pas vous laisser dormir. Je sais que vous
aimeriez bien dormir, mais c'est justement cela que je ne peux pas
permettre. Et c'est en ce sens que l'Église doit aussi lever l'index et
devenir importune. Mais il faut que l'on sente toujours qu'elle ne veut pas
brimer les hommes, que le bien est sa grande inquiétude. Je ne dois pas vous
laisser dormir, parce que le sommeil serait mortel. Et elle doit, dans
l'exercice de cette autorité, prendre aussi sur elle la souffrance du
Christ. Ce qui, pour parler à présent d'un point de vue purement humain,
authentifie le Christ, c'est bien qu'il a souffert. Et c'est cela aussi qui
authentifie l'Église. Voilà pourquoi c'est là où elle a des martyrs et des
confesseurs qu'elle est le plus authentique. Et là où tout est facile, elle
perd son authenticité.
A suivre ...
6) Le célibat des prêtres
7) La contraception
8) L'avortement
9) Les divorcés remariés
10) L'ordination des femmes
Les
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Sources :Texte original des pensées du Cardinal J.
Ratzinger-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 14.01.2025
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