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Le sacerdoce catholique selon
Benoît XVI
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Le 02 août 2023 -
E.S.M.
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Vatican II nous a donné un beau texte sur le sacerdoce
catholique, mais n'a pas traité la question fondamentale que la
Réforme du XVIe siècle a posée au sacerdoce catholique. Cette
question, exprime Benoît XVI, est une blessure qui, en silence,
continue à se faire sentir et qui doit, à mon avis, être traitée une
fois pour toutes en profondeur et ouvertement. C'est une tâche aussi
importante que difficile, car ce qui est en jeu ici c'est tout le
problème de l'exégèse, dont l'herméneutique est déterminée par celle
de Luther.
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70e anniversaire de sacerdoce de
Benoît XVI -
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Benoît XVI : Le sacerdoce catholique1
Réflexion méthodologique préliminaire
Vatican II nous a donné un beau texte sur le sacerdoce
catholique, mais n'a pas traité la question fondamentale que la Réforme du
XVIe siècle a posée au sacerdoce catholique. Cette question est une blessure
qui, en silence, continue à se faire sentir et qui doit, à mon avis, être
traitée une fois pour toutes en profondeur et ouvertement. C'est une tâche
aussi importante que difficile, car ce qui est en jeu ici c'est tout le
problème de l'exégèse, dont l'herméneutique est déterminée par celle de
Luther. Le réformateur allemand part du fait que les ministères du Nouveau
Testament, par rapport au sacerdoce de l'Ancienne Alliance, d'une nature
différente. Dans l'Ancienne Alliance, la mission centrale du « prêtre »
était d'offrir le sacrifice et ainsi de faire advenir la justice de la
manière prescrite par la Torah, c'est-à-dire de rétablir la juste relation
entre Dieu et l'homme par une action prescrite par Dieu lui-même. Saint
Paul, au contraire, nous enseigne qu'aucune véritable justification de
l'homme ne peut avoir lieu de cette manière, comme l'avait déjà clairement
souligné la critique du culte par les prophètes de l'Ancien Testament. Selon
Luther, cependant, le don salvifique de Jésus consiste à nous justifier
sola fide, par la foi seule et par rien d'autre. L'acte fondamental de
foi consiste à avoir la ferme conviction que je suis justifié. La certitude
de foi se réfère essentiellement à moi-même : c'est la certitude de ma
justification2. Pour cela,
en dehors du baptême et de la cène, aucun sacrement n'est nécessaire, quelle
que soit l'importance que Luther a personnellement accordée au sacrement de
pénitence. Mais, pour lui, l'essence de ce sacrement ne consiste pas à
remettre les péchés, mais à m'infuser la certitude de la rémission. Et le
rôle du pasteur consiste essentiellement à ne cesser de rassurer chaque
individu sur sa propre justification. C'est pourquoi le ministère issu du
Nouveau Testament ne peut avoir de caractère sacerdotal ; contrairement au
sacerdoce de l'Ancien Testament, il n'a rien à voir avec l'offrande d'un
sacrifice, il est structuré d'une manière complètement différente. Il ne
peut consister qu'à annoncer la foi aux hommes afin de les conduire à la foi
et dans la foi.
Au sacerdos de l'Ancienne Alliance s'opposent
donc ces « pasteurs », ministres de la Nouvelle Alliance. Ce contraste
radical entre sacerdos, ministère au service de la Loi, et service
pastoral acquiert toute sa signification quand on saisit que la tentative
d'obtenir la justification par une œuvre prescrite par la Loi (le sacrifice)
égare l'homme d'une manière fondamentale. L'homme croit ainsi accomplir le
vouloir de Dieu, qui jusqu'à présent semblait exiger de lui des sacrifices,
mais qui en vérité, dans la Loi, parle ex contrario comme l'ennemi de
lui-même. En réalité, l'homme serait justifié par la foi seule. Le rapport
entre les deux Testaments est décrit comme dialectique de la Loi et de
l'Évangile, une dialectique toutefois atténuée par le fait que dans l'Ancien
Testament lui-même, à côté de la Loi, il y a la promissio (promesse)
qui renvoie à l'Évangile à venir.
Pour Luther, la grave erreur de la tradition catholique
consistait à avoir ramené, au cours des premiers siècles, le ministère
pastoral du Nouveau Testament au sacerdotium de l'Ancien, contre le
sens originel néotestamentaire du mot Priester, germanisation de
presbyter [ancien], qui signifie en fait maintenant sacerdos.
L'Église catholique aurait ainsi radicalement falsifié le message du Nouveau
Testament en abolissant le sola fide et en le remplaçant par la
justification par la loi. C'est pourquoi Luther considérait que la messe
catholique était aussi fausse que le sacrifice vétérotestamentaire, et qu'il
fallait la combattre jusqu'à user d'actes de violence.
II est donc tout à fait clair que « Cène » et « Messe »
sont deux formes de culte complètement différentes, qui par leur nature même
s'excluent mutuellement. Ceux qui prêchent aujourd'hui l'intercommunion
devraient s'en souvenir.
Toute la construction de Luther repose sur sa
conception de la relation mutuelle entre les deux Testaments fondée sur le
contraste entre la Loi et l'Évangile, entre la justification par les œuvres
et la foi. Les catholiques perçoivent spontanément que
cette conception ne peut être juste ; ils ne voient pas dans la Sainte Messe
une rechute indue dans le culte sacrificiel de l'ancienne Alliance, mais
bien notre inclusion dans le corps du Christ et donc dans le don qu'il fait
de lui-même au Père, un acte qui nous fait tous un avec lui. Le
décret conciliaire sur le sacerdoce, ainsi que la Constitution sur la
liturgie du Concile Vatican II, sont portés par cette certitude, même si,
dans la mise en œuvre concrète de la réforme liturgique, les thèses de
Luther ont silencieusement joué un certain rôle au point que dans certains
milieux, on a pu affirmer que le décret du Concile de Trente sur le
sacrifice de la messe avait été tacitement abrogé. La dureté de l'opposition
à l'ancienne liturgie était certainement en partie fondée sur le fait qu'on
y voyait une conception du sacrifice et de l'expiation qui n'était plus
acceptable.
L'exégèse historico-critique, de son côté, a montré que les ministères du
Nouveau Testament n'avaient pas initialement un caractère sacerdotal, mais
qu'ils étaient des services pastoraux. La fusion avec le sacerdotium
de l'ancienne alliance s'est cependant faite étonnamment vite et n'a été
critiquée par personne. Cela fut possible en s'appuyant sur une autre
conception du rapport entre Ancien et Nouveau Testament. L'Église primitive
n'a jamais conçu ce rapport comme opposition entre justification par les
œuvres et justification par la foi seule. Dans l'Église primitive, la
théologie de Luther n'a pour correspondant que Marcion, dont la théorie a
toutefois été exclue très tôt dans l'Église primitive parce qu'elle était
considérée comme hérétique. L'idée de la Loi, de la Torah, comme action de
Dieu ex contrario est totalement étrangère à l'Église primitive,
voire opposée à son rapport fondamental à l'Ancien Testament. C'est pourquoi
le sola fide, au sens de Luther, n'a jamais été non plus enseigné
dans l'Église primitive. Au contraire, le rapport entre les deux Testaments
a été conçu comme un passage d'une compréhension matérielle à une
compréhension pneumatologique (cf. 2Co 3).
Vis-à-vis de l'Eucharistie, cela comporte deux aspects
:
1) La fin du « culte vétérotestamentaire » est avant
tout causée par la destruction du temple de Jérusalem. En ce sens, il s'agit
d'une faute humaine, la destruction du temple étant due tant aux Juifs
qu'aux païens (Romains). Cette faute de l'homme, qui a conduit à la
destruction finale, est transformée par Dieu en une voie nouvelle pour
l'humanité : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. »
(Jn 2,19). La démolition du temple de pierre signifie en même temps
la crucifixion de Jésus. À la place du temple de pierre il y a Jésus-Christ
ressuscité le troisième jour dans son corps. En même temps que le temple est
détruit pour toujours, l'ordre des sacrifices de l'Ancienne Alliance est
également aboli. Contrairement aux destructions précédentes du temple,
celle-ci est désormais définitive. Même aujourd'hui, alors que l'État
d'Israël étend sa souveraineté sur le Mont du Temple, personne ne pense à le
reconstruire. La dernière tension survenue avec Bar Kochba (en 135 apr.
J.-C.) correspond à la perte définitive et irrévocable du temple de pierre.
À la place du culte sacrificiel d'animaux on trouve Jésus crucifié. Le don
qu'il fait de lui-même au Père dans l'amour est le véritable culte, comme le
montre bien la Lettre aux Hébreux. C'est en même temps le culte définitif
qui ne peut être remplacé par rien de plus élevé, parce qu'il n'y a rien de
plus élevé que l'amour du Fils de Dieu fait homme, qui synthétise en lui et
transforme tous les sacrifices du monde.
2) Lors de la dernière Cène, Jésus a donné à son
offrande sacrificielle au Père la forme pérenne dans laquelle l'Église, en
tout lieu et en tout temps, peut depuis lors s'y associer. Dans les paroles
de la Cène, il a uni la tradition du Sinaï à la tradition prophétique et a
ainsi véritablement institué le « culte » de la Nouvelle Alliance, où culte
et écoute aimante de la Parole de Dieu - qui devient service du prochain,
amour du prochain - ne font qu'un. La rédemption de l'homme ne consiste pas
en un sola fide de type marcioniste, mais en une incorporation
toujours plus profonde à l'amour de Jésus-Christ. Ainsi, l'homme reste
constamment interpellé et continuellement en chemin, et en même temps
toujours déjà accueilli par l'amour toujours plus grand de Jésus-Christ.
Il est évident que l'esprit de la modernité, et la
méthode historico-critique qui en découle, est plus à l'aise avec la
solution de Luther qu'avec la solution catholique, car une exégèse «
pneumatologique », qui comprend l'Ancien Testament comme voie d'accès à
Jésus-Christ, lui est presque inaccessible. Il est pourtant clair que Jésus
ne pensait pas, dans son propre parcours et dans son être, à un sola fide
radical mais à un accomplissement de la Loi et des Prophètes. Il appartient
à la nouvelle génération de créer les conditions, y compris méthodologiques,
d'une compréhension renouvelée de ce qui a été dit.
La formation du sacerdoce
néotestamentaire dans l'exégèse christologico-pneumatologique
Le mouvement qui s'était formé autour de Jésus de
Nazareth, au moins dans la période précédant Pâques, était un mouvement de
laïcs. Il ressemblait en cela au mouvement des pharisiens, raison pour
laquelle les premiers heurts eurent lieu avec lui. Ce n'est que lors de la
dernière Pâque de Jésus à Jérusalem que l'aristocratie sacerdotale du temple
- les sadducéens - s'est inquiétée de Jésus et de son mouvement, ce qui a
conduit au procès, à la condamnation et à l'exécution de Jésus. Les
ministères de la communauté qui se formait autour de Jésus ne pouvaient donc
pas non plus appartenir au milieu du sacerdoce vétérotestamentaire. Le
sacerdoce était héréditaire : qui ne venait pas d'une famille sacerdotale ne
pouvait pas non plus devenir prêtre.
Jetons maintenant un coup d'œil sur les ministères qui
ont commencé à se former dans la communauté prépascale.
Apôtre. Le ministère essentiel institué par
Jésus est celui d'apôtre. Le mot apôtre, dans le langage des institutions
politiques hellénistiques désigne celui à qui est confié un message3.
Ce qui est important ici, c'est que le messager, dans le cadre du mandat qui
lui est confié, est comme l'expéditeur lui-même. Le langage rabbinique
entend le mot de manière analogue. Marc évoque l'institution des apôtres en
des termes aussi concis que significatifs : « Et il en institua douze pour
qu'ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle avec
le pouvoir d'expulser les démons. » (Mc 3,14s). Par la suite, Marc
reprend les paroles de l'institution : « il en établit Douze », en énumérant
les noms des douze appelés (Mc 3,16s). En Matthieu 28,16s.,
Jésus ressuscité élargit le mandat en étendant la mission à toutes les
nations.
En ce qui concerne les paroles fondamentales
d'institution de Marc 3, il convient toutefois de souligner qu'au
départ le mot apôtre n'est pas utilisé mais il est dit : « II en établit
Douze. » Ce n'est que plus tard qu'apparaît la mention: « que j'appelle
Apôtres ». Et de même, en Matthieu 28,18s., il n'est pas question
d'apôtres, mais de onze disciples. Comme on le sait, les onze estimaient le
chiffre douze si important qu'ils l'ont rétabli par cooptation.
En ce sens, les expressions « les douze » et « les
apôtres » sont pratiquement équivalentes et furent très vite réunies dans la
formulation « douze apôtres », de sorte que seuls ceux qui appartenaient au
cercle des douze pouvaient également être appelés apôtres. Cela posait un
problème pour saint Paul que l'on savait appartenir au cercle des douze
apôtres et qui avait le même rang qu'eux.
On peut supposer que le lien étroit entre les « douze »
et les « apôtres » n'a mûri que progressivement, même s'il est apparu très
tôt. Si nous considérons donc les douze comme une disposition voulue par
Jésus lui-même, l'élément nouveau que Jésus entendait apporter apparaît très
clairement. En fait, les douze renvoient aux douze fils de Jacob dont est
issu le peuple d'Israël. Ils se distinguent des soixante-dix autres membres
de la maison de Jacob, nombre qui correspond à celui des peuples de la
terre. L'idée originelle de Jésus, par conséquent, était de se présenter, à
travers l'appel des « douze », comme la racine du nouvel Israël. Une
revendication qui allait au-delà de toutes les attentes salvifiques. Même si
on ne parle pas directement de sacerdoce, on va bien au-delà de l'idée de
collaborateurs laïcs.
Episkopos. En grec profane, ce terme désigne les fonctions de type
technique et financier. Mais il a aussi un contenu religieux, car sont
nommés episkopos en général des dieux, c'est-à-dire des patrons. « La
Septante utilise le terme episkopos au même double sens qu'il a dans
le grec profane, comme appellation pour Dieu et, à la manière plus générique
de sa signification profane pour désigner des "surveillants de type varié4."
»
Presbyteros. Alors que le terme episkopos
prévaut chez les chrétiens d'origine païenne pour désigner les ministres, le
mot prèsbyteros est caractéristique des milieux judéo-chrétiens. La
tradition juive des plus anciens compris comme une sorte d'organe
constitutionnel, à Jérusalem, s'est évidemment rapidement développée en une
première forme de ministère chrétien. C'est à partir de là, dans l'Église
composée de juifs et de païens, qu'a commencé à prendre forme la triple
forme du ministère : épiscopes, presbytres et diacres, qui, à la fin du
premier siècle, se retrouve - déjà clairement développée - chez Ignace
d'Antioche. Elle exprime depuis lors, sur la forme comme sur le fond, la
structure ministérielle de l'Église de Jésus-Christ,
II résulte clairement de ce que nous venons de dire que
le caractère laïc du mouvement premier de Jésus et celui des ministères
primitifs, compris en un sens qui n'est pas cultuel-sacerdotal, ne sont pas
dus à un choix anti-cultuel et anti-juif, mais sont tout simplement la
conséquence de la situation particulière du sacerdoce vétérotestamentaire,
qui est lié à la tribu d'Aaron-Levi. Dans les deux autres « mouvements laïcs
» de l'époque de Jésus, le rapport au sacerdoce est conçu différemment : les
pharisiens semblent avoir vécu fondamentalement en harmonie avec la
hiérarchie du temple, si on fait abstraction de la dispute sur la
résurrection du corps. Chez les Esséniens, le mouvement de Qumran, la
situation est plus complexe. En tout cas, une partie du mouvement de Qumran
était marqué par le conflit avec le temple hérodien et le sacerdoce qui y
servait : pas dans la perspective de nier le sacerdoce mais plutôt de le
rétablir dans sa forme pure et correcte. Même dans le mouvement initié par
Jésus, il n'est pas question de « désacralisation », de « délégalisation »
et de refus du sacerdoce et de la hiérarchie. Au contraire, la critique du
culte par les prophètes est reprise et liée de manière surprenante à une
tradition du sacerdoce et du culte que nous devons essayer de comprendre.
Dans mon livre Introduction à l'esprit de la liturgie, j'ai exposé la
critique du culte par les prophètes telle que reprise par Étienne, et reliée
par saint Paul à la nouvelle tradition cultuelle de la dernière Cène de
Jésus. Jésus lui-même avait repris et approuvé les critiques des prophètes à
l'égard du culte, notamment quant à la dispute sur l'interprétation juste du
Shabbat (cf. Mt 12,7).
Considérons tout d'abord la relation de Jésus avec le
temple en tant qu'expression de la présence spéciale de Dieu au milieu du
peuple élu et en tant que lieu de culte réglementé par Moïse. L'épisode de
Jésus à douze ans dans le temple montre que sa famille était pratiquante et
qu'il a manifestement fait sienne la dévotion des siens. Les paroles qu'il
adresse à sa mère: « II me faut être chez mon Père » (Lc 2,49)
expriment la conviction que le temple représente d'une manière particulière
le lieu où Dieu habite et, par conséquent, le lieu juste du Fils. Même dans
la période brève que fut sa vie publique, Jésus participe aux pèlerinages
d'Israël au temple, et après sa résurrection, sa communauté se réunit en
règle générale dans le temple pour l'enseignement et la prière.
Et pourtant, en le purifiant, Jésus a mis un accent
fondamentalement nouveau sur le temple (Mc 11,15s. ; Jn 2,13-22).
L'interprétation selon laquelle Jésus aurait, par ce geste, seulement
combattu les abus, confirmant ainsi le temple, est insuffisante. En Jean,
nous trouvons des paroles qui interprètent cette action de Jésus comme la
préfiguration de la destruction de l'édifice de pierre à la place duquel son
corps apparaîtra comme le nouveau temple. Dans les Synoptiques cette
interprétation des paroles de Jésus apparaît sur les lèvres des faux témoins
dans le récit du procès (Mc 14,58). La version des témoins est
déformée et ne peut servir pour conclure le procès. Il n'en demeure pas
moins que Jésus a prononcé des paroles similaires, même si la lettre n'a pu
être déterminée avec suffisamment de certitude pour le procès. L'Eglise
naissante a donc supposé à juste titre que la version johannique reflétait
authentiquement la pensée de Jésus. Cela signifie que Jésus considère la
destruction du temple comme conséquence de l'attitude fausse de la
hiérarchie sacerdotale au pouvoir. Mais Dieu, ici, comme à chaque tournant
de l'histoire du salut, se sert de l'attitude fausse des hommes comme un
modus operandi de son plus grand amour. À ce niveau, il est évident que
Jésus considère finalement la destruction du temple alors existant comme une
étape de l'œuvre d'assainissement opéré par Dieu et l'interprète comme la
formation d'un cadre nouveau et définitif du culte. En ce sens, la
purification du temple est l'annonce d'une nouvelle forme d'adoration de
Dieu et concerne donc la nature du culte et du sacerdoce en général.
Pour comprendre ce que Jésus voulait et ce qu'il ne
voulait pas concernant le culte, la Cène, avec l'offrande du corps et du
sang de Jésus-Christ, est bien sûr décisive. Ce n'est pas le lieu ici
d'entrer dans la dispute qui s'est développée plus tard sur l'interprétation
correcte de cet événement et des paroles de Jésus. Ce qui est important,
c'est que Jésus, d'une part, reprend la tradition du Sinaï et se présente
ainsi comme le nouveau Moïse ; mais, d'autre part, il reprend l'espérance de
la Nouvelle Alliance formulée d'une manière particulière par Jérémie,
annonçant ainsi un dépassement de la tradition du Sinaï au centre de
laquelle il se trouve lui-même comme sacrifiant et sacrifié. Il est
également important de considérer que ce Jésus qui se tient au milieu des
disciples est le même qui se donne à eux dans sa chair et son sang et
anticipe ainsi la Croix et la résurrection. Sans la résurrection, tout cela
n'aurait aucun sens. La crucifixion de Jésus n'est pas en soi un acte de
culte et les soldats romains ne sont pas des prêtres. Ils procèdent à une
exécution, mais ils n'imaginent pas, même de loin, accomplir un acte de
culte. Le fait que Jésus se donne pour toujours en nourriture au cénacle, à
la dernière Cène, signifie l'anticipation de sa mort et de sa résurrection
et la transformation d'un acte de cruauté humaine en un acte de don de soi
et d'amour. De cette façon, Jésus lui-même accomplit le renouvellement
fondamental du culte qui restera toujours valide et contraignant : il
transforme le péché de l'humanité en un acte de pardon et d'amour dans
lequel les futurs disciples peuvent entrer par leur participation à ce que
Jésus a institué. De cette façon, nous comprenons aussi ce qu'Augustin
appelait le passage, dans l'Église, de la Cène au sacrifice du matin. La
Cène est le don de Dieu pour nous dans l'amour miséricordieux de
Jésus-Christ et permet à l'humanité d'accueillir à son tour l'acte d'amour
de Dieu et de le Lui rendre.
Dans tout cela, rien n'est dit directement sur le
sacerdoce. Et pourtant, il est clair que l'ancien ordre d'Aaron est supprimé
et que Jésus lui-même se présente comme le grand prêtre. Il est d'ailleurs
important que, de cette manière, la critique du culte par les prophètes et
la tradition cultuelle depuis Moïse se rejoignent : amour et sacrifice. Dans
mon
livre sur Jésus5, j'ai
montré comment cette nouvelle fondation du culte et, avec lui, du sacerdoce,
est déjà entièrement achevée chez Paul. Il s'agit d'une unité de base,
fondée sur la médiation opérée par la mort et la résurrection de Jésus, qui
était clairement partagée même par les opposants à la prédication
paulinienne.
La destruction des murs du temple causée par l'homme
est assumée positivement par Dieu : il n'y a plus de murs, le Christ
ressuscité est devenu pour l'homme le lieu du culte rendu à Dieu. Ainsi,
l'effondrement du temple hérodien signifie également ceci : que rien ne
sépare plus l'espace linguistique et existentiel de la législation mosaïque,
d'un côté, et celui du mouvement rassemblé autour de Jésus, de l'autre. Les
ministères chrétiens (episkopos, presbyteros, diakonos) et ceux régis
par la loi mosaïque (grands prêtres, prêtres, lévites) se côtoient désormais
ouvertement et peuvent donc aussi, avec une clarté nouvelle, être identifiés
les uns aux autres. En fait, l'équivalence terminologique apparaît
relativement tôt (episkopos = grand prêtre, presbytères =
prêtre, diakonos = lévite). Nous la retrouvons à l'évidence dans les
catéchèses de saint Ambroise sur le baptême, qui s'inspirent certainement de
modèles et de documents plus anciens. Ce qui se passe ici n'est rien d'autre
que l'interprétation christologique de l'Ancien Testament, que l'on peut
aussi appeler interprétation pneumatologique, qui montre comment l'Ancien
Testament a pu devenir et rester la Bible des chrétiens. Si, d'un côté, on
peut qualifier « d'allégorique » cette interprétation christologico-pneumatologique
d'un point de vue à la fois littéraire et historique, de l'autre, on voit
bien la profonde nouveauté et la claire motivation de la nouvelle
interprétation chrétienne de l'Ancien Testament. Ici, l'allégorie n'est pas
un expédient littéraire pour rendre le texte utilisable à de nouvelles fins,
mais elle est l'expression d'un passage historique qui correspond à la
logique interne du texte.
La Croix de Jésus Christ est l'acte d'amour radical par
lequel s'accomplit réellement la réconciliation entre Dieu et le monde
pécheur. C'est la raison pour laquelle un tel événement, qui en soi n'a rien
de cultuel, se présente en fait comme culte suprême rendu à Dieu. Dans la
Croix, la ligne « catabasique » de la descente de Dieu et la ligne «
anabasique » de l'offrande de l'humanité à Dieu deviennent un acte unique,
rendu possible par le nouveau temple de son corps dans la résurrection. Dans
la célébration de l'Eucharistie, l'Église, voire l'humanité, est à nouveau
entraînée et impliquée dans ce processus. Dans la Croix du Christ, la
critique du culte par les prophètes atteint définitivement son but. En même
temps, est institué le nouveau culte. L'amour du Christ, toujours présent
dans l'Eucharistie, est le nouvel acte de culte. Les ministères sacerdotaux
d'Israël sont par conséquent « annulés » dans l'office de l'amour, qui
signifie en même temps toujours culte de Dieu. Cette nouvelle unité de
l'amour et du culte, de critique du culte et de glorification de Dieu comme
office d'amour est certainement une mission inédite confiée à l'Église et
qui doit être renouvelée à chaque génération.
Dans la Nouvelle Alliance, le dépassement pneumatique
de la lettre de l'Ancien Testament concernant le culte nécessite donc en
permanence de passer de la lettre à l'esprit. Au XVIe siècle, Luther, sur la
base d'une lecture complètement différente de l'Ancien Testament, ne pouvait
plus faire ce passage. Il n'interprétait donc plus le culte de l'Ancien
Testament, et le sacerdoce qui lui était ordonné que comme une expression de
la Loi, qui pour lui ne concordait pas avec la grâce de Dieu mais s'y
opposait. Il ne pouvait donc que relever une opposition radicale entre les
ministères du Nouveau Testament et le sacerdoce en tant que tel.
Avec Vatican II, cette question est devenue absolument
inéluctable pour l'Église catholique également. L'« allégorie » comme
passage pneumatique de l'Ancien au Nouveau Testament était devenue
incompréhensible. Et, si le décret sur le sacerdoce ne traite guère de la
question, celle-ci s'est imposée à nous après le Concile avec une urgence
sans précédent et s'est transformée en cette crise durable du sacerdoce dans
l'Église que nous connaissons aujourd'hui.
Deux notes personnelles peuvent contribuer à illustrer
ce propos. J'ai gardé en mémoire comment, lors de sa conversion de luthérien
convaincu en catholique convaincu, un de mes amis, le grand indologue Paul
Hacker, a abordé cette question avec sa passion habituelle et impétueuse.
Il considérait les « prêtres » comme une catégorie
dépassée une fois pour toutes par le Nouveau Testament et, avec une
indignation passionnée, il reprochait au mot allemand Priester, qui
vient du mot grec presbyter, de continuer à véhiculer le sens de
sacerdos. Je ne sais plus comment il a finalement réussi à résoudre
l'affaire.
Moi-même, dans une conférence sur
le sacerdoce de l'Eglise donnée immédiatement après le Concile, j'ai cru
devoir présenter le prêtre du Nouveau Testament comme auditeur de la parole
et non comme « artisan du culte ». Or, la médiation de la Parole de Dieu est
bien une tâche grande et fondamentale du prêtre de Dieu dans la nouvelle
alliance. Mais cette Parole s'est faite chair, et la méditer signifie
toujours aussi se nourrir de la chair qui, comme pain du ciel, nous est
donnée dans la Très Sainte Eucharistie. La méditation de la Parole dans
l'Église de la Nouvelle Alliance est aussi un abandon toujours nouveau à la
chair de Jésus-Christ, et cet abandon est en même temps s'exposer à la
transformation de nous-mêmes par la croix.
J'y reviendrai plus tard. Reprenons pour l'instant
quelques étapes du développement concret de l'histoire de l'Eglise. Une
première étape apparaît dans l'établissement d'un nouveau ministère. Les
Actes des Apôtres nous parlent de la surcharge de travail des Apôtres qui,
en plus d'assurer la proclamation et la prière de l'Église, devaient assumer
la responsabilité du soin des pauvres. Cela eut pour conséquence que la
partie helléniste de l'Église naissante se sentit négligée. Les Apôtres
décidèrent donc de se concentrer sur la prière et le service de la Parole.
Pour les tâches caritatives, ils créèrent le ministère des sept, identifié
plus tard au diaconat. L'exemple de saint Etienne montre que ce ministère
n'exigeait pas seulement une action caritative purement matérielle, mais
nécessitait aussi esprit et foi, et donc la capacité de servir la Parole.
Un problème qui est resté crucial jusqu'à nos jours
vient du fait que les nouveaux ministères ne reposent pas sur l'hérédité,
mais sur l'élection et la vocation. Alors que, pour la hiérarchie
sacerdotale d'Israël, la continuité était assurée par Dieu lui-même, parce
qu'en fin de compte c'était lui qui donnait des enfants aux parents, les
nouveaux ministères n'étaient pas fondés sur la famille, mais sur une
vocation donnée par Dieu et à reconnaître par l'homme. C'est pourquoi la
question de la vocation s'est posée dès le début dans la communauté issue du
Nouveau Testament : « Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des
ouvriers pour sa moisson. » (Mt 9,38) A chaque génération, l'Église
espère et prie pour trouver des appelés. Nous ne savons que trop bien à quel
point cette préoccupation occupe l'Église aujourd'hui.
Il existe un autre problème directement lié à cette
question. Très vite, nous ne savons pas exactement quand, mais en tout cas
très vite, la célébration régulière, voire quotidienne, de l'Eucharistie
s'est imposée comme essentielle pour l'Église. Le pain « supersubstantiel »
est en même temps le pain « quotidien » de l'Église. Cela aura toutefois de
nos jours pour l'Église une conséquence importante6.
Dans la conscience commune d'Israël, il était évident
que les prêtres devaient s'abstenir sexuellement pendant les périodes où ils
célébraient le culte et étaient ainsi en contact avec le mystère divin ; la
relation entre abstinence sexuelle et culte divin était absolument claire. À
titre d'exemple, rappelons simplement l'épisode où David, fuyant Saül,
supplie le prêtre Achimélech de lui donner du pain. « Le prêtre répondit à
David : "Je n'ai pas de pain ordinaire sous la main, mais il y a le pain
consacré. Les hommes pourront en manger s'ils se sont gardés de rapports
avec les femmes." David répondit au prêtre : "Assurément, les femmes nous
ont été interdites." » (1S 21,5s) Du fait que les prêtres de l'Ancien
Testament n'exerçaient le culte qu'à des périodes déterminées de l'année, le
mariage et la prêtrise étaient conciliables.
De par la célébration régulière, voire souvent
quotidienne, de l'Eucharistie, la situation avait radicalement changé pour
les prêtres de l'Eglise de Jésus-Christ. C'est leur vie entière qui est en
contact avec le mystère divin et qui exige donc une exclusivité pour Dieu
excluant un autre lien, comme peut l'être le mariage, qui embrasse toute la
vie. La célébration quotidienne de l'Eucharistie et le service de Dieu qui
en découle entraînent de fait l'impossibilité d'un lien matrimonial. On
pourrait dire que l'abstinence fonctionnelle s'est muée en abstinence
ontologique. Ainsi, sa motivation et sa signification avaient changé de
l'intérieur et en profondeur. Aujourd'hui, on objecte immédiatement à cela
qu'il s'agirait d'un jugement négatif sur la corporéité et la sexualité.
L'accusation selon laquelle le célibat des prêtres serait à la base d'une
vision manichéenne du monde a déjà été formulée au IVe siècle, mais elle a
été immédiatement rejetée de manière décisive par les Pères, puis abandonnée
pendant un certain temps. Cette accusation était déjà erronée du simple fait
que, dès l'origine, pour l'Église, le mariage
provient d'un don de Dieu au paradis. Du fait que le mariage requiert
l'homme dans sa totalité, et que le
service du Seigneur l'exige tout autant, les deux vocations ne semblaient
pas pouvoir se conjuguer. C'est ainsi que la capacité de renoncer au mariage
pour se mettre totalement à la disposition du Seigneur est devenue un
critère pour le ministère sacerdotal.
En ce qui concerne la forme concrète du célibat dans
l'Église antique, il convient de noter que les prêtres mariés pouvaient
recevoir le sacrement de l'ordre s'ils s'engageaient à l'abstinence
sexuelle, c'est-à-dire à contracter ce qu'on appelle un « mariage joséphin
». Cela semble avoir été tout à fait normal au cours des premiers siècles.
De toute évidence, ce mode de vie dans le don de soi au Seigneur était
considéré comme raisonnable et praticable par un nombre suffisant de
personnes7.
Trois explications de textes
Les réflexions précédentes ont clairement montré combien, sur la base d'une
lecture christologique de l'Ancien Testament, Jésus de Nazareth est aussi
prêtre au sens propre. Il ne pouvait cependant pas porter le titre associé à
la lignée d'Aaron-Lévi, puisque Jésus appartenait à la lignée de Juda. C'est
ce sur quoi a réfléchi la Lettre aux Hébreux. L'exégèse allemande l'a
toujours considéré comme une bâtarde, parce qu'elle nous permet de
comprendre comment Jésus est purement et simplement grand prêtre, une
perspective incompatible avec l'herméneutique de Luther. D'un côté le
cardinal jésuite français Albert Vanhoye, professeur de longue date à
l'Institut biblique pontifical de Rome, a consacré toute sa vie à l'étude de
la Lettre aux Hébreux, nous permettant de nous réapproprier ce document
vraiment précieux. Du côté allemand aussi, les choses ont commencé à bouger.
Je me réfère en particulier à l'excellent commentaire de la Lettre aux
Hébreux de Knut Backhaus pour le Regensburger Neues Testament8.
L'auteur de
la Lettre aux Hébreux, qui a vécu entièrement de la théologie du culte
décrite par saint Étienne et développée dans toute sa profondeur par saint
Paul, découvre dans la Genèse 14,17-20 et dans le psaume 110 la réponse à la
question du sacerdoce de Jésus. Lorsqu'Abraham libère son neveu Lot de la
captivité et lui rend tous ses biens, on voit d'abord venir à lui le roi de
Sodome, à qui il ne prête cependant aucune attention. C'est alors qu'entre
en scène la figure mystérieuse de Melchisédech, roi de Salem : « II fit
apporter du pain et du vin : il était
prêtre du Dieu très-haut. Il le bénit en disant : "Béni soit Abram par le
Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu
Très-Haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains." Et Abram lui donna le
dixième de tout ce qu'il avait pris » (Gn 14,18s). Juste quelques mots pour
décrire un personnage puissant. Melchisédech, dont le nom signifie roi de
justice, est roi de Salem, c'est-à-dire de Jérusalem. D'un côté, il se
rattache ainsi à la tradition de Jérusalem, de l'autre, on approfondit la
tradition locale par ce qui est le centre authentique du discours : il est
roi de paix. Mieux encore, il est un prêtre du Dieu très-haut. Tout aussi
mystérieuse est la référence au pain et au vin, offrandes qui sont
interprétées comme préfigurant l'offrande eucharistique. Enfin, il est dit
de lui qu'il était prêtre du Dieu Très-Haut et qu'il bénissait offrandes. En
offrant la dîme, Abraham le reconnaît comme détenteur des prérogatives de
grand prêtre.
Le judaïsme primitif et avec lui les Pères de l'Église ont interprété avec
prédilection cette figure, qui, pour les Pères, préfigurait de diverses
manières Jésus-Christ.
Alors qu'au début de l'histoire du salut, Melchisédech apparaît défini par
la loi et ses dispositions, dans le psaume 110, il est présenté comme
promesse pour l'avenir. Le psaume 110 est le psaume messianique le plus
fréquemment cité dans le Nouveau Testament. Il se caractérise par l'absence
des mots fondamentaux « roi » et « trône », qui reviennent dans les autres
psaumes messianiques. Il est dit ici de lui qu'il a été conçu
mystérieusement « avant
l'étoile du matin », « dès le sein de l'aurore ». Il s'agit d'images
mythiques qui ont ensuite servi à préfigurer le mystère du Fils. Ils sont
suivis par les mots fondamentaux de la promesse qui font écho à la vision de
Genèse 14 et deviennent un aspect central du salut futur : « Le Seigneur l'a
juré dans un serment irrévocable : "Tu es prêtre à jamais selon l'ordre du
roi Melkisédech." » (Ps 110,4) La figure que nous rencontrons à côté
d'Abraham au début de l'histoire du salut renvoie ainsi au futur: le sauveur
à venir est avant tout un prêtre, et précisément « à la manière de
Melchisédech ». À partir de l'alliance au Sinaï, il y a en Israël le grand
prêtre à la manière d'Aaron. Le psaume 110 nous apprend qu'à l'avenir, il y
aura un autre grand prêtre « à la manière de Melchisédech », ce qui résout
le problème découlant de la limitation du sacerdoce aux descendants charnels
d'Aaron et de Lévi. « L'ordre de Melchisédech » ouvre une nouvelle voie pour
le ministère des grands prêtres. Jésus est véritablement grand prêtre, mais
pas à la manière d'Aaron. Dans le paragraphe précédent, nous avons vu que ce
sacerdoce est entièrement nouveau et différent de celui d'Aaron, et qu'il
assume cependant tout le sens de sacerdotium, c'est-à-dire le ministère du
sacrifice devant Dieu. On clarifiait ainsi le caractère sacerdotal des
ministères qui, avant la découverte de « l'ordre de Melchisédech », n'avait
pu être défini comme sacerdotium.
Je voudrais montrer maintenant la dimension sacerdotale des nouveaux
ministères à l'aide de quelques exemples.
II est clair qu'en recourant aux concepts de sacerdos et sacerdotium, on
risquait de mal comprendre la transformation radicale qu'avait connu avec la
croix du Christ le ministère du sacrifice. En ce sens, la crainte initiale
de Luther était tout à fait justifiée, même si ses conclusions le
conduisirent à l'erreur. Je voudrais maintenant interpréter trois textes qui
m'ont beaucoup aidé dans mon cheminement vers le sacerdoce. Ce choix est lié
à mon histoire personnelle, et donc parfaitement subjectif. Parmi eux,
figure la nouvelle conception du sacerdoce dans la Lettre aux Hébreux,
surtout telle que présentée aux pages 38-39 des Exercices que le cardinal
Albert Vanhoye9 nous a prêches au Vatican en 2008.
1) Psaume 15 (16),5 : Les paroles pour l'admission à l'état clérical avant
le concile
II y a d'abord l'interprétation de la parole d'un psaume qui m'a été donnée
la veille de mon admission à l'état clérical en mai 1948. C'est le psaume
15,5. Ces paroles du psaume ont été dites par l'évêque, puis répétées par le
candidat : « Dominus pars hereditatis meae et calicis mei tu es qui
restitues hereditatem meam mihi, Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi
dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j'ai même le plus
bel héritage! » (Ps 15 (16),5-6). En fait, le psaume exprime
exactement, pour l'Ancien Testament, ce que veut dire maintenant dans
l'Église l'admission dans la communauté sacerdotale.
Ce passage fait référence au fait que toutes les tribus d'Israël, chaque
famille même, faisait partie de l'héritage promis par Dieu à Abraham. La
promesse se concrétisait dans le fait que chaque famille héritait, en
propriété, d'une portion de la terre promise. La possession d'une portion de
la terre sainte donnait à chacun la certitude de partager la promesse et
signifiait en pratique un moyen concret de subsistance. Chaque individu
devait obtenir autant de terre que nécessaire pour vivre. L'importance de
cet héritage concret apparaît clairement dans l'histoire de Naboth (1R
21,1-29), qui ne veut absolument pas céder sa vigne au roi Achab, même si ce
dernier est prêt à le dédommager entièrement. Pour Naboth, la vigne est plus
qu'un précieux lopin de terre : c'est sa participation à la promesse de Dieu
à Israël. Si, d'un côté, chaque Israélite disposait ainsi de la terre qui
lui assurait les nécessités de la vie, de l'autre, la particularité de la
tribu de Lévi tenait à ce qu'elle était la seule tribu à ne pas hériter de
terre. Le lévite restait sans terre et donc privé en cela de moyen de
subsistance. Il ne vivait que par Dieu et pour Dieu. Concrètement, cela
signifie qu'il ne pouvait vivre, grâce à une réglementation précise, que des
offrandes sacrificielles qu'Israël réservait à Dieu.
Cette figure de l'Ancien Testament se réalise dans les prêtres de l'Église
d'une manière nouvelle et plus profonde :
ils doivent vivre uniquement de Dieu et pour lui. Ce que cela signifie
concrètement est clairement énoncé surtout chez Paul. Il vit désormais de ce
que les hommes lui donnent, car il leur donne la Parole de Dieu, qui est
notre vrai pain, notre vraie vie. En fait, dans cette transformation
néotestamentaire, qui voit disparaître la terre des lévites, transparaît la
renonciation au mariage et à la famille, conséquence du don radical de sa
vie à Dieu. L'Église a interprété le mot « clergé » (communion héréditaire)
dans ce sens. Entrer dans le clergé signifie renoncer à être le centre de sa
vie et n'accepter que Dieu comme soutien et garant de sa vie.
Je garde toujours vivant dans ma mémoire le souvenir du moment où, méditant
ce verset du psaume à la veille de ma tonsure, j'ai compris ce que le
Seigneur voulait de moi à ce moment-là : il voulait lui-même disposer
entièrement de ma vie et en même temps et de la même manière se confier
entièrement à moi. J'ai donc pu considérer les paroles du psaume vraiment
comme miennes : « Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon
sort. La part qui me revient fait mes délices ; j'ai même le plus bel
héritage ! »
2) Deutéronome 10,8 (repris en Dt 18,58), cité dans la deuxième prière
eucharistique : la tâche de la tribu de Lévi réinterprétée christologiquement et pneumatologiquement pour les prêtres de l'Église.
Ce fut une nouveauté enthousiasmante de la réforme liturgique
post-conciliaire de pouvoir choisir entre quatre
prières eucharistiques. Jusqu'alors, la liturgie romaine, contrairement aux
liturgies orientales, n'en connaissait qu'une : la première, le canon
romain. Une deuxième prière eucharistique apparaît alors, tirée de la
Traditio apostolica de saint Hippolyte (mort v. 235), datant donc de la
première moitié du IIIe siècle. Outre la version latine, le texte est attesté
dans diverses régions de l'Eglise primitive, notamment en Egypte. En 1962,
Bernard Botte nous a fourni une excellente présentation des textes et une
histoire de leur transmission. La Traditio n'a jamais été un texte
liturgique officiel. Hippolyte entendait proposer avec elle les critères
d'une prière eucharistique orthodoxe. La réforme liturgique, pour diverses
raisons, en a fait une partie officielle de la liturgie romaine rénovée. Il
entendait évidemment faire connaître de cette manière une prière
eucharistique dans sa structure fondamentale ainsi que ses contenus
essentiels. Quoi qu'il en soit, dans les premières années de la réforme
liturgique, le canon d'Hyppolyte fut en fait la prière eucharistique la plus
utilisée de la liturgie rénovée.
J'ai été particulièrement ému par la phrase illustrant la place du prêtre :
« [...] Domine, panem vitae et calicem salutis offerimus, grattas agentes
quia nos dignes habuisti astare coram te et tibi ministrare », « nous
t'offrons, Seigneur, le pain de la vie et la coupe du salut, et nous te
rendons grâce, car tu nous as estimés dignes de nous tenir devant toi pour
te servir ». Cette phrase ne signifie pas, comme certains liturgistes
voudraient le faire croire, que pendant
la Prière eucharistique, les prêtres et les fidèles doivent rester debout et
non s'agenouiller1. Pour bien comprendre cette phrase il faut se reporter à
Deutéronome 10,8 (repris en Dt 18,5-8), d'où elle est tirée littéralement et
où elle décrit la mission cultuelle essentielle de la tribu de Lévi : « En
ce temps-là, le Seigneur mit à part les descendants de Lévi, pour porter
l'arche de son Alliance, se tenir en sa présence, assurer le service divin,
et bénir le peuple au nom du Seigneur. » (Dt 10,8) « Car c'est lui, le
prêtre, que le Seigneur ton Dieu a choisi parmi toutes les tribus pour se
tenir en sa présence et servir en son nom, lui et ses fils, tous les jours.
» (Dt 18,5) Ces paroles, qui dans le Deutéronome ont pour tâche de définir
l'essence du service sacerdotal, ont ensuite été reprises dans la Prière
eucharistique de l'Église de Jésus-Christ, de la Nouvelle Alliance,
exprimant ainsi la continuité et la nouveauté du sacerdoce. Ce qui était dit
alors de la tribu de Lévi et lui était exclusivement réservé s'applique
maintenant aux prêtres et aux évêques de l'Église.
Il ne s'agit pas, pour la nouvelle communauté de Jésus Christ, d'une
régression vers un sacerdoce cultuel dépassé et à rejeter, comme serait
peut-être enclin à l'affirmer une conception inspirée de la Réforme. Le
sacerdoce n'est plus une question d'appartenance familiale, mais est ouvert
à l'immensité de l'humanité. Il ne s'agit plus de l'administration du
sacrifice dans le temple, mais de l'inclusion de l'humanité dans l'amour de
Jésus-Christ qui embrasse le monde entier : le culte et la critique du
culte, le sacrifice liturgique et le service d'amour du prochain sont
devenus un seul et même élément. Cette phrase ne parle donc pas d'une
attitude extérieure; au contraire, en tant que point d'unité le plus
fondamental entre l'Ancien et le Nouveau Testament, elle décrit la nature
même du sacerdoce, qui à son tour ne se réfère pas à une classe particulière
de personnes, mais se réfère finalement à notre position à tous devant Dieu.
J'ai tenté d'interpréter ce texte dans une
homélie prononcée à Saint-Pierre le Jeudi saint 2008, que je cite ici
:
Lire également l'homélie de Benoît XVI lors de la
Messe Chrismale.
Dans le même temps, le Jeudi Saint est pour nous une occasion de nous
demander toujours à nouveau: À quoi avons-nous dit « oui » ? Que signifie «
être prêtre de Jésus Christ » ? Le canon II de notre Missel, qui fut
probablement rédigé à la fin du IIe siècle à Rome, décrit l'essence du
ministère sacerdotal avec les paroles par lesquelles, dans le Livre du
Deutéronome (18,5.7), était décrite l'essence du sacerdoce
vétérotestamentaire : astare coram te et tibi ministrare. Ce sont par
conséquent deux tâches qui définissent l'essence du ministère sacerdotal :
en premier lieu le fait de « se tenir devant le Seigneur ». Dans le Livre du
Deutéronome cela doit être lu dans le contexte de
la disposition précédente, selon laquelle les prêtres ne reçoivent pas de
portion de terrain de la Terre Sainte - ils vivent de Dieu et pour Dieu. Ils
n'étaient pas tenus aux travaux habituels nécessaires pour assurer la vie
quotidienne. Leur profession était de « se tenir devant le Seigneur » - de
veiller sur Lui, d'être là pour Lui. Ainsi, en définitive, la parole
indiquait une vie en présence de Dieu ainsi qu'un ministère en
représentation des autres. De même que les autres cultivaient la terre, de
laquelle vivait également le prêtre, il maintenait quant à lui le monde
ouvert vers Dieu, il devait vivre avec le regard tourné vers Lui. Si ces
paroles se trouvent à présent dans le Canon de la Messe immédiatement après
la consécration des dons, après l'entrée du Seigneur dans l'assemblée en
prière, alors cela signifie pour nous qu'il faut nous tenir devant le
Seigneur présent, c'est-à-dire que cela indique l'Eucharistie comme le
centre de la vie sacerdotale. Mais ici aussi la portée est bien supérieure.
Dans l'hymne de la Liturgie des Heures qui, au cours du Carême, introduit
l'Office des lectures - l'Office qui, chez les moines, était jadis récité
pendant l'heure de veillée nocturne devant Dieu et pour les hommes - l'une
des tâches du Carême est décrite avec l'impératif : arctius perstemus in
custodia - veillons de manière plus intense. Dans la tradition du monachisme
syriaque, les moines étaient qualifiés comme « ceux qui sont debout » ; être
debout était l'expression de la
vigilance. Dans ce qui était ici considéré comme le devoir des moines, nous
pouvons avec raison voir également l'expression de la mission sacerdotale et
la juste interprétation de la parole du Deutéronome : le prêtre doit être
quelqu'un qui veille. Il doit être vigilant face aux pouvoirs menaçants du
mal. Il doit garder le monde en éveil pour Dieu. Il doit être quelqu'un qui
reste debout : droit face au courant du temps. Droit dans la vérité. Droit
dans l'engagement au service du bien. Se tenir devant le Seigneur doit
toujours, également, signifier profondément une prise en charge des hommes
auprès du Seigneur qui, à son tour, nous prend tous en charge auprès du
Père. Et cela doit signifier prendre en charge le Christ, sa parole, sa
vérité, son amour. Le prêtre doit être droit, courageux et même disposé à
subir des outrages pour le Seigneur, comme le rapportent les Actes des
Apôtres : ils étaient « joyeux d'avoir été jugés dignes de subir des
outrages pour le nom de Jésus » (5,41).
Passons à présent à la seconde phrase, que le Canon II reprend du texte de
l'Ancien Testament - se tenir devant toi et te servir ». Le prêtre doit être
une personne pleine de rectitude, vigilante, qui se tient droite. À tout
cela s'ajoute ensuite la nécessité de servir. Dans le texte
vétérotestamentaire cette phrase a une signification essentiellement
rituelle : c'est aux prêtres que revenaient toutes les actions
de culte prévues par la Loi. Mais ce devoir d'agir selon le rite était
ensuite classé comme relevant du service, d'une charge de service, et ainsi
s'explique dans quel esprit ces activités devaient être accomplies. Avec
l'adoption du mot « servir » dans le Canon, cette signification liturgique
du terme est en un certain sens adoptée - conformément à la nouveauté du
culte chrétien. Ce qu'accomplit le prêtre à ce moment-là, dans la
célébration de l'Eucharistie, est servir, accomplir un service à Dieu et un
service aux hommes. Le culte que le Christ a rendu au Père a été un don de
soi jusqu'au bout pour les hommes. C'est dans ce culte, dans ce service, que
le prêtre doit s'inscrire. Ainsi la parole « servir » comporte-t-elle
plusieurs dimensions. Bien sûr l'une d'elles est avant tout la célébration
digne de la Liturgie et des Sacrements en général, accomplie avec une
participation intérieure. Nous devons apprendre à comprendre toujours
davantage la Liturgie sacrée dans toute son essence, développer une
familiarité vivante avec celle-ci, afin qu'elle devienne l'âme de notre vie
quotidienne. En célébrant de manière juste, Vars celebrandi, l'art de
célébrer, s'impose de lui-même. Dans cet art, il ne doit y avoir rien
d'artificiel. Si la Liturgie est un devoir central du prêtre, cela signifie
également que la prière doit être une réalité prioritaire qu'il faut
apprendre toujours à nouveau et toujours plus profondément à l'école du
Christ et des saints de tous les temps. Puisque la Liturgie chrétienne, par
nature, est toujours aussi annonce, nous devons être des personnes qui
entretiennent une familiarité avec la Parole de Dieu, qui l'aiment, et qui
la vivent : c'est seulement alors que
nous pourrons l'expliquer de manière appropriée. « Servir le Seigneur » - le
service sacerdotal signifie précisément aussi apprendre à connaître le
Seigneur dans sa Parole et à Le faire connaître à tous ceux qu'il nous
confie.
Enfin, il y a encore deux autres aspects des diverses dimensions du «
service ». Personne n'est aussi proche de son seigneur que le serviteur qui
a accès à la dimension privée de sa vie. En ce sens, « servir » signifie
proximité, exige de la familiarité. Cette familiarité comporte également un
danger : que le sacré avec lequel nous sommes quotidiennement en contact
devienne pour nous une habitude. Ainsi s'affaiblit la crainte révérencielle.
Conditionnés par les habitudes, nous ne percevons pas le fait le plus
nouveau, le plus surprenant, qu'il soit lui-même présent, qu'il nous parle,
qu'il se donne à nous. Contre cette accoutumance à la réalité
extraordinaire, contre l'indifférence du cœur nous devons lutter sans trêve,
en reconnaissant toujours davantage notre insuffisance et la grâce qu'il y a
dans le fait qu'il se remette entre nos mains. Servir signifie proximité,
mais cela signifie surtout aussi obéissance. Le serviteur se place sous les
paroles : « Que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne qui se fasse » (Lc 22,42). Par ces mots, Jésus au Jardin des Oliviers a résolu la bataille
décisive contre le péché, contre la rébellion du cœur qui a connu la chute.
Le péché d'Adam consistait, justement, dans le fait qu'il voulait réaliser
sa volonté et non celle de Dieu. La tentation de l'humanité est toujours
celle de vouloir être totalement
autonome, de suivre uniquement sa propre volonté et d'estimer que ce n'est
que de cette manière que nous serions libres ; que ce n'est que grâce à une
semblable liberté sans limites que l'homme serait complètement homme. Mais
précisément ainsi, nous allons à l'encontre de la vérité. Puisque la vérité
est que nous devons partager notre liberté avec les autres et que nous ne
pouvons être libres qu'en communion avec eux. Cette liberté partagée ne peut
être liberté véritable que si à travers elle nous entrons dans ce qui
constitue la mesure même de la liberté, si nous entrons dans la volonté de
Dieu. Cette obéissance fondamentale qui fait partie de l'essence de l'homme,
un être qui n'est pas par lui-même et uniquement pour lui-même, devient
encore plus concrète chez le prêtre : nous ne nous annonçons pas nous-mêmes,
mais nous annonçons Dieu et sa Parole, que nous ne pouvions pas élaborer
seuls. Nous annonçons la Parole du Christ de manière juste uniquement dans
la communion de son Corps. Notre obéissance est une manière de croire avec
l'Église, de penser et de parler avec l'Église, de servir avec elle. Cela
recouvre également toujours ce que Jésus a prédit à Pierre : « Tu seras
conduit où tu ne voulais pas. » Cette manière de se faire porter là où nous
ne voulions pas est une dimension essentielle de notre service, et c'est
précisément ce qui nous rend libres. Ainsi guidés, même de manière contraire
à nos idées et à nos projets, nous faisons l'expérience d'une chose nouvelle
- la richesse de l'amour de Dieu.
« Se tenir devant Lui et Le servir » : Jésus Christ en tant que véritable
Grand Prêtre du monde a conféré à ces paroles une profondeur jusqu'alors
inimaginable. Lui, qui comme Fils de Dieu était et est le Seigneur, a voulu
devenir ce serviteur de Dieu que la vision du Livre du prophète Isaïe avait
prévu. Il a voulu être le serviteur de tous. Il a représenté l'ensemble de
son souverain sacerdoce dans le geste du lavement des pieds. À travers le
geste de l'amour jusqu'à la fin, II lave nos pieds sales, avec l'humilité de
son service il nous purifie de la maladie de notre orgueil. Ainsi nous
rend-il capables de devenir des commensaux de Dieu. Il est descendu, et la
véritable ascension de l'homme se réalise à présent dans notre descente avec
Lui et vers Lui. Son élévation est la Croix. C'est la descente la plus
profonde et, comme l'amour poussé jusqu'au bout, elle est dans le même temps
le sommet de l'ascension, la véritable « élévation » de l'homme. « Se tenir
devant Lui et Le servir » - cela signifie à présent entrer dans son appel de
serviteur de Dieu. L'Eucharistie comme présence de la descente et de
l'ascension du Christ renvoie ainsi toujours, au-delà d'elle-même, aux
multiples manières dont nous disposons pour servir l'amour du prochain.
Demandons au Seigneur, en ce jour, le don de pouvoir à nouveau prononcer en
ce sens notre « oui » à son appel : « Me voici. Envoie-moi, Seigneur » (Is
6,8). Amen2.
3) Jean 17,17s: prière sacerdotale de Jésus, interprétation de l'ordination
sacerdotale.
Enfin, je voudrais réfléchir un instant sur quelques paroles tirées de la
prière sacerdotale de Jésus (Jn 17), qui, à la veille de mon ordination
sacerdotale, ont résonné de manière particulière dans mon cœur. Alors que
les Synoptiques rapportent essentiellement la prédication de Jésus en
Galilée, Jean, qui semble avoir été lié à l'aristocratie du temple,
s'intéresse surtout à la proclamation de Jésus à Jérusalem et aux questions
concernant le temple et le culte. Dans ce contexte, la prière sacerdotale de
Jésus (Jn 17) prend une signification particulière. Je n'ai pas l'intention
de reprendre ici chacun des éléments que j'ai analysés dans mon livre sur
Jésus3, mais seulement de mentionner le fait que Jean assume le mouvement
spirituel de la Lettre aux Hébreux et l'achève à sa manière. En ce sens et
malgré toutes les différences d'exposition, saint Jean et la Lettre aux
Hébreux ont la même intention, à savoir montrer Jésus comme véritable grand
prêtre de la nouvelle alliance. Même l'exégèse protestante la plus récente
s'accorde largement à dire que Jésus, en particulier dans la prière
sacerdotale, assume en acte le ministère de grand prêtre et le transforme.
En ce sens, la Lettre aux Hébreux et l'Évangile de saint Jean sont en
définitive des manières équivalentes de présenter Jésus comme le grand
prêtre de la nouvelle alliance.
Je voudrais me limiter aux versets 17 et 18, qui m'ont particulièrement
frappé à la veille de mon ordination. On y lit : « Consacre-les
(sanctifie-les) dans la vérité. Ta parole est vérité. De même que tu m'as
envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. » Le terme
« saint » exprime la nature particulière de Dieu. Lui seul est le saint.
L'homme devient saint dans la mesure où il commence à être avec Dieu. Être
avec Dieu signifie décentrement du moi pur et son union avec la volonté de
Dieu dans sa totalité. Cette libération par rapport à l'ego peut cependant
être très douloureuse et n'est jamais accomplie une fois pour toutes.
Cependant, le terme « sanctifie » peut aussi indiquer très concrètement
l'ordination sacerdotale, qui signifie précisément que le Dieu vivant
revendique l'homme pour son service. Lorsque le texte dit « Consacre-les
(sanctifie-les) dans la vérité », le Seigneur prie le Père d'inclure les
Douze dans sa mission, de les ordonner prêtres.
« Consacre-les (sanctifie-les) dans la vérité. » Le rite de l'ordination
sacerdotale vétérotestamentaire semble également être indiqué ici.
L'ordinand était purifié physiquement par un bain complet afin qu'il puisse
revêtir ensuite les vêtements sacrés. Les deux rites signifient qu'ainsi
l'envoyé doit devenir un homme nouveau. Mais ce qui est dans le rituel
vétérotestamentaire figure symbolique, devient réalité dans la prière de
Jésus. Le seul bain qui peut vraiment purifier les hommes est la vérité,
c'est le Christ lui-même. Et il est aussi la nouvelle robe évoquée par la
vêture cultuelle extérieure. « Consacre-les (sanctifie-les) dans la vérité.
». Cela signifie : les immerge-les complètement en Jésus-Christ afin que
s'applique à eux ce que Paul a indiqué comme l'expérience fondamentale de
son apostolat : « Ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi.
» (Ga 2,20)
Ainsi, lors de cette vigile, s'est gravé au plus profond de mon âme ce que
signifie vraiment l'ordination sacerdotale au-delà de tout aspect cérémoniel
: c'est ne cesser d'être purifié et imprégné par le Christ pour que ce soit
lui qui parle et agisse en nous, et nous de moins en moins. Et il m'est
devenu clair que ce processus d'union à lui et d'abolition de ce qui n'est
que nôtre dure toute une vie et exige aussi toujours de douloureuses
libérations et rénovations. En ce sens, les paroles de Jean 17,17ss ont été
un repère pour toute ma vie.
Benoît XVI
Cité du Vatican, Monastère Mater Ecclesiæ
17 septembre 2019
Notes du texte :
1 Ce texte a été achevé en 2018 et publié dans Robert SARAH avec Joseph
RATZINGER -BENOÎT XVI, Des profondeurs de notre cœur, cité, p. 23-56.
Le texte, revu et augmenté par la suite, est inédit dans la nouvelle version
présentée ici.
2. Cf. Paul HACKER, Das Ich im Glauben bei Martin Luther, Graz-Wien-Köln,
Verlag Styria, 1966.
3. Theologisches Worterbuch zum Neuen Testament, 11 vol., Darmstadt, WBG
Académie, nouvelle édition 2019, vol. I, p. 397-448.
4. Ibid, vol. II, p. 610, lignes 619.
5. Joseph RATZINGER,
Jésus de Nazareth , in Opéra Omnia, vol. VI/1, op; cit.,
pp. 488-490.
6. Sur le sens du terme epioúsios (supersubstantialis), cf. Eckhard
NORDHOFEN, « Was für ein Brot ? », in Internationale Katholische Zeitschrift
Communio, 46, l, 2017, p. 322; Gerd NEUHAUS, Möglichkeiten und Grenzen einer
Gottesprasenz im menschlichen "Fleisch", Anmerkungen zu Eckhard Nordhofens
Relektüre der vierten Vaterunser-Bitte, ibid., p. 23-32
7. De nombreuses informations sur l'histoire du célibat au cours des
premiers siècles peuvent être trouvées dans Stefan HEID, Zölibat in
der frühen Kirche. Die Anfänge einer Enthaltsamkeitspflicht für Kleriker in
Ost und West, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 1997.
8. Knut BACKHAUS, Der Hebräerbrief, in Regensburger Neues Testament, Regensburg,
Verlag Friedrich Pustet, 2009.
9 Cardinal Albert VANHOYE, Accueillons le Christ notre grand prêtre.
Exercices spirituels avec Benoît XVI, Cité du Vatican, LEV, 2008.
Exercices spirituels prêches au Vatican, 10-16 février 2008
***
1 Alors que la traduction officielle allemande de la deuxième prière
eucharistique dit correctement « vor dir zu stehen und dir zu dienen » (se
tenir devant toi et te servir), la traduction italienne simplifie le texte
en omettant l'image de la position debout devant Dieu et dit « [...] nous te
remercions de nous avoir admis en ta présence pour accomplir le service
sacerdotal ».
2. Traduction disponible sur ESM
►
Benoît XVI demande aux prêtres de tenir le monde éveillé pour Dieu
3. Joseph RATZINGER,
Jésus de Nazareth, in Opera Omnia, vol. VI/1, op.cit.,
pp. 517-539.

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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.)
02.08.2023
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