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Le sacerdoce catholique selon Benoît XVI

Le 02 août 2023 - E.S.M. -  Vatican II nous a donné un beau texte sur le sacerdoce catholique, mais n'a pas traité la question fondamentale que la Réforme du XVIe siècle a posée au sacerdoce catholique. Cette question, exprime Benoît XVI, est une blessure qui, en silence, continue à se faire sentir et qui doit, à mon avis, être traitée une fois pour toutes en profondeur et ouvertement. C'est une tâche aussi importante que difficile, car ce qui est en jeu ici c'est tout le problème de l'exégèse, dont l'herméneutique est déterminée par celle de Luther.

70e anniversaire de sacerdoce de Benoît XVI  - Pour agrandir l'image ► Cliquer  

Benoît XVI : Le sacerdoce catholique1


Réflexion méthodologique préliminaire

     Vatican II nous a donné un beau texte sur le sacerdoce catholique, mais n'a pas traité la question fondamentale que la Réforme du XVIe siècle a posée au sacerdoce catholique. Cette question est une blessure qui, en silence, continue à se faire sentir et qui doit, à mon avis, être traitée une fois pour toutes en profondeur et ouvertement. C'est une tâche aussi importante que difficile, car ce qui est en jeu ici c'est tout le problème de l'exégèse, dont l'herméneutique est déterminée par celle de Luther. Le réformateur allemand part du fait que les ministères du Nouveau Testament, par rapport au sacerdoce de l'Ancienne Alliance, d'une nature différente. Dans l'Ancienne Alliance, la mission centrale du « prêtre » était d'offrir le sacrifice et ainsi de faire advenir la justice de la manière prescrite par la Torah, c'est-à-dire de rétablir la juste relation entre Dieu et l'homme par une action prescrite par Dieu lui-même. Saint Paul, au contraire, nous enseigne qu'aucune véritable justification de l'homme ne peut avoir lieu de cette manière, comme l'avait déjà clairement souligné la critique du culte par les prophètes de l'Ancien Testament. Selon Luther, cependant, le don salvifique de Jésus consiste à nous justifier sola fide, par la foi seule et par rien d'autre. L'acte fondamental de foi consiste à avoir la ferme conviction que je suis justifié. La certitude de foi se réfère essentiellement à moi-même : c'est la certitude de ma justification2. Pour cela, en dehors du baptême et de la cène, aucun sacrement n'est nécessaire, quelle que soit l'importance que Luther a personnellement accordée au sacrement de pénitence. Mais, pour lui, l'essence de ce sacrement ne consiste pas à remettre les péchés, mais à m'infuser la certitude de la rémission. Et le rôle du pasteur consiste essentiellement à ne cesser de rassurer chaque individu sur sa propre justification. C'est pourquoi le ministère issu du Nouveau Testament ne peut avoir de caractère sacerdotal ; contrairement au sacerdoce de l'Ancien Testament, il n'a rien à voir avec l'offrande d'un sacrifice, il est structuré d'une manière complètement différente. Il ne peut consister qu'à annoncer la foi aux hommes afin de les conduire à la foi et dans la foi.

     Au sacerdos de l'Ancienne Alliance s'opposent donc ces « pasteurs », ministres de la Nouvelle Alliance. Ce contraste radical entre sacerdos, ministère au service de la Loi, et service pastoral acquiert toute sa signification quand on saisit que la tentative d'obtenir la justification par une œuvre prescrite par la Loi (le sacrifice) égare l'homme d'une manière fondamentale. L'homme croit ainsi accomplir le vouloir de Dieu, qui jusqu'à présent semblait exiger de lui des sacrifices, mais qui en vérité, dans la Loi, parle ex contrario comme l'ennemi de lui-même. En réalité, l'homme serait justifié par la foi seule. Le rapport entre les deux Testaments est décrit comme dialectique de la Loi et de l'Évangile, une dialectique toutefois atténuée par le fait que dans l'Ancien Testament lui-même, à côté de la Loi, il y a la promissio (promesse) qui renvoie à l'Évangile à venir.
     Pour Luther, la grave erreur de la tradition catholique consistait à avoir ramené, au cours des premiers siècles, le ministère pastoral du Nouveau Testament au sacerdotium de l'Ancien, contre le sens originel néotestamentaire du mot Priester, germanisation de presbyter [ancien], qui signifie en fait maintenant sacerdos. L'Église catholique aurait ainsi radicalement falsifié le message du Nouveau Testament en abolissant le sola fide et en le remplaçant par la justification par la loi. C'est pourquoi Luther considérait que la messe catholique était aussi fausse que le sacrifice vétérotestamentaire, et qu'il fallait la combattre jusqu'à user d'actes de violence.
     II est donc tout à fait clair que « Cène » et « Messe » sont deux formes de culte complètement différentes, qui par leur nature même s'excluent mutuellement. Ceux qui prêchent aujourd'hui l'intercommunion devraient s'en souvenir.
     Toute la construction de Luther repose sur sa conception de la relation mutuelle entre les deux Testaments fondée sur le contraste entre la Loi et l'Évangile, entre la justification par les œuvres et la foi. Les catholiques perçoivent spontanément que cette conception ne peut être juste ; ils ne voient pas dans la Sainte Messe une rechute indue dans le culte sacrificiel de l'ancienne Alliance, mais bien notre inclusion dans le corps du Christ et donc dans le don qu'il fait de lui-même au Père, un acte qui nous fait tous un avec lui. Le décret conciliaire sur le sacerdoce, ainsi que la Constitution sur la liturgie du Concile Vatican II, sont portés par cette certitude, même si, dans la mise en œuvre concrète de la réforme liturgique, les thèses de Luther ont silencieusement joué un certain rôle au point que dans certains milieux, on a pu affirmer que le décret du Concile de Trente sur le sacrifice de la messe avait été tacitement abrogé. La dureté de l'opposition à l'ancienne liturgie était certainement en partie fondée sur le fait qu'on y voyait une conception du sacrifice et de l'expiation qui n'était plus acceptable.
L'exégèse historico-critique, de son côté, a montré que les ministères du Nouveau Testament n'avaient pas initialement un caractère sacerdotal, mais qu'ils étaient des services pastoraux. La fusion avec le sacerdotium de l'ancienne alliance s'est cependant faite étonnamment vite et n'a été critiquée par personne. Cela fut possible en s'appuyant sur une autre conception du rapport entre Ancien et Nouveau Testament. L'Église primitive n'a jamais conçu ce rapport comme opposition entre justification par les œuvres et justification par la foi seule. Dans l'Église primitive, la théologie de Luther n'a pour correspondant que Marcion, dont la théorie a toutefois été exclue très tôt dans l'Église primitive parce qu'elle était considérée comme hérétique. L'idée de la Loi, de la Torah, comme action de Dieu ex contrario est totalement étrangère à l'Église primitive, voire opposée à son rapport fondamental à l'Ancien Testament. C'est pourquoi le sola fide, au sens de Luther, n'a jamais été non plus enseigné dans l'Église primitive. Au contraire, le rapport entre les deux Testaments a été conçu comme un passage d'une compréhension matérielle à une compréhension pneumatologique (cf. 2Co 3).
     Vis-à-vis de l'Eucharistie, cela comporte deux aspects :
     1) La fin du « culte vétérotestamentaire » est avant tout causée par la destruction du temple de Jérusalem. En ce sens, il s'agit d'une faute humaine, la destruction du temple étant due tant aux Juifs qu'aux païens (Romains). Cette faute de l'homme, qui a conduit à la destruction finale, est transformée par Dieu en une voie nouvelle pour l'humanité : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » (Jn 2,19). La démolition du temple de pierre signifie en même temps la crucifixion de Jésus. À la place du temple de pierre il y a Jésus-Christ ressuscité le troisième jour dans son corps. En même temps que le temple est détruit pour toujours, l'ordre des sacrifices de l'Ancienne Alliance est également aboli. Contrairement aux destructions précédentes du temple, celle-ci est désormais définitive. Même aujourd'hui, alors que l'État d'Israël étend sa souveraineté sur le Mont du Temple, personne ne pense à le reconstruire. La dernière tension survenue avec Bar Kochba (en 135 apr. J.-C.) correspond à la perte définitive et irrévocable du temple de pierre. À la place du culte sacrificiel d'animaux on trouve Jésus crucifié. Le don qu'il fait de lui-même au Père dans l'amour est le véritable culte, comme le montre bien la Lettre aux Hébreux. C'est en même temps le culte définitif qui ne peut être remplacé par rien de plus élevé, parce qu'il n'y a rien de plus élevé que l'amour du Fils de Dieu fait homme, qui synthétise en lui et transforme tous les sacrifices du monde.
     2) Lors de la dernière Cène, Jésus a donné à son offrande sacrificielle au Père la forme pérenne dans laquelle l'Église, en tout lieu et en tout temps, peut depuis lors s'y associer. Dans les paroles de la Cène, il a uni la tradition du Sinaï à la tradition prophétique et a ainsi véritablement institué le « culte » de la Nouvelle Alliance, où culte et écoute aimante de la Parole de Dieu - qui devient service du prochain, amour du prochain - ne font qu'un. La rédemption de l'homme ne consiste pas en un sola fide de type marcioniste, mais en une incorporation toujours plus profonde à l'amour de Jésus-Christ. Ainsi, l'homme reste constamment interpellé et continuellement en chemin, et en même temps toujours déjà accueilli par l'amour toujours plus grand de Jésus-Christ.
     Il est évident que l'esprit de la modernité, et la méthode historico-critique qui en découle, est plus à l'aise avec la solution de Luther qu'avec la solution catholique, car une exégèse « pneumatologique », qui comprend l'Ancien Testament comme voie d'accès à Jésus-Christ, lui est presque inaccessible. Il est pourtant clair que Jésus ne pensait pas, dans son propre parcours et dans son être, à un sola fide radical mais à un accomplissement de la Loi et des Prophètes. Il appartient à la nouvelle génération de créer les conditions, y compris méthodologiques, d'une compréhension renouvelée de ce qui a été dit.

 La formation du sacerdoce néotestamentaire dans l'exégèse christologico-pneumatologique

     Le mouvement qui s'était formé autour de Jésus de Nazareth, au moins dans la période précédant Pâques, était un mouvement de laïcs. Il ressemblait en cela au mouvement des pharisiens, raison pour laquelle les premiers heurts eurent lieu avec lui. Ce n'est que lors de la dernière Pâque de Jésus à Jérusalem que l'aristocratie sacerdotale du temple - les sadducéens - s'est inquiétée de Jésus et de son mouvement, ce qui a conduit au procès, à la condamnation et à l'exécution de Jésus. Les ministères de la communauté qui se formait autour de Jésus ne pouvaient donc pas non plus appartenir au milieu du sacerdoce vétérotestamentaire. Le sacerdoce était héréditaire : qui ne venait pas d'une famille sacerdotale ne pouvait pas non plus devenir prêtre.
     Jetons maintenant un coup d'œil sur les ministères qui ont commencé à se former dans la communauté prépascale.
     Apôtre. Le ministère essentiel institué par Jésus est celui d'apôtre. Le mot apôtre, dans le langage des institutions politiques hellénistiques désigne celui à qui est confié un message3. Ce qui est important ici, c'est que le messager, dans le cadre du mandat qui lui est confié, est comme l'expéditeur lui-même. Le langage rabbinique entend le mot de manière analogue. Marc évoque l'institution des apôtres en des termes aussi concis que significatifs : « Et il en institua douze pour qu'ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle avec le pouvoir d'expulser les démons. » (Mc 3,14s). Par la suite, Marc reprend les paroles de l'institution : « il en établit Douze », en énumérant les noms des douze appelés (Mc 3,16s). En Matthieu 28,16s., Jésus ressuscité élargit le mandat en étendant la mission à toutes les nations.
     En ce qui concerne les paroles fondamentales d'institution de Marc 3, il convient toutefois de souligner qu'au départ le mot apôtre n'est pas utilisé mais il est dit : « II en établit Douze. » Ce n'est que plus tard qu'apparaît la mention: « que j'appelle Apôtres ». Et de même, en Matthieu 28,18s., il n'est pas question d'apôtres, mais de onze disciples. Comme on le sait, les onze estimaient le chiffre douze si important qu'ils l'ont rétabli par cooptation.
     En ce sens, les expressions « les douze » et « les apôtres » sont pratiquement équivalentes et furent très vite réunies dans la formulation « douze apôtres », de sorte que seuls ceux qui appartenaient au cercle des douze pouvaient également être appelés apôtres. Cela posait un problème pour saint Paul que l'on savait appartenir au cercle des douze apôtres et qui avait le même rang qu'eux.
     On peut supposer que le lien étroit entre les « douze » et les « apôtres » n'a mûri que progressivement, même s'il est apparu très tôt. Si nous considérons donc les douze comme une disposition voulue par Jésus lui-même, l'élément nouveau que Jésus entendait apporter apparaît très clairement. En fait, les douze renvoient aux douze fils de Jacob dont est issu le peuple d'Israël. Ils se distinguent des soixante-dix autres membres de la maison de Jacob, nombre qui correspond à celui des peuples de la terre. L'idée originelle de Jésus, par conséquent, était de se présenter, à travers l'appel des « douze », comme la racine du nouvel Israël. Une revendication qui allait au-delà de toutes les attentes salvifiques. Même si on ne parle pas directement de sacerdoce, on va bien au-delà de l'idée de collaborateurs laïcs.
Episkopos. En grec profane, ce terme désigne les fonctions de type technique et financier. Mais il a aussi un contenu religieux, car sont nommés episkopos en général des dieux, c'est-à-dire des patrons. « La Septante utilise le terme episkopos au même double sens qu'il a dans le grec profane, comme appellation pour Dieu et, à la manière plus générique de sa signification profane pour désigner des "surveillants de type varié4." »
     Presbyteros. Alors que le terme episkopos prévaut chez les chrétiens d'origine païenne pour désigner les ministres, le mot prèsbyteros est caractéristique des milieux judéo-chrétiens. La tradition juive des plus anciens compris comme une sorte d'organe constitutionnel, à Jérusalem, s'est évidemment rapidement développée en une première forme de ministère chrétien. C'est à partir de là, dans l'Église composée de juifs et de païens, qu'a commencé à prendre forme la triple forme du ministère : épiscopes, presbytres et diacres, qui, à la fin du premier siècle, se retrouve - déjà clairement développée - chez Ignace d'Antioche. Elle exprime depuis lors, sur la forme comme sur le fond, la structure ministérielle de l'Église de Jésus-Christ,
     II résulte clairement de ce que nous venons de dire que le caractère laïc du mouvement premier de Jésus et celui des ministères primitifs, compris en un sens qui n'est pas cultuel-sacerdotal, ne sont pas dus à un choix anti-cultuel et anti-juif, mais sont tout simplement la conséquence de la situation particulière du sacerdoce vétérotestamentaire, qui est lié à la tribu d'Aaron-Levi. Dans les deux autres « mouvements laïcs » de l'époque de Jésus, le rapport au sacerdoce est conçu différemment : les pharisiens semblent avoir vécu fondamentalement en harmonie avec la hiérarchie du temple, si on fait abstraction de la dispute sur la résurrection du corps. Chez les Esséniens, le mouvement de Qumran, la situation est plus complexe. En tout cas, une partie du mouvement de Qumran était marqué par le conflit avec le temple hérodien et le sacerdoce qui y servait : pas dans la perspective de nier le sacerdoce mais plutôt de le rétablir dans sa forme pure et correcte. Même dans le mouvement initié par Jésus, il n'est pas question de « désacralisation », de « délégalisation » et de refus du sacerdoce et de la hiérarchie. Au contraire, la critique du culte par les prophètes est reprise et liée de manière surprenante à une tradition du sacerdoce et du culte que nous devons essayer de comprendre. Dans mon livre Introduction à l'esprit de la liturgie, j'ai exposé la critique du culte par les prophètes telle que reprise par Étienne, et reliée par saint Paul à la nouvelle tradition cultuelle de la dernière Cène de Jésus. Jésus lui-même avait repris et approuvé les critiques des prophètes à l'égard du culte, notamment quant à la dispute sur l'interprétation juste du Shabbat (cf. Mt 12,7).
     Considérons tout d'abord la relation de Jésus avec le temple en tant qu'expression de la présence spéciale de Dieu au milieu du peuple élu et en tant que lieu de culte réglementé par Moïse. L'épisode de Jésus à douze ans dans le temple montre que sa famille était pratiquante et qu'il a manifestement fait sienne la dévotion des siens. Les paroles qu'il adresse à sa mère: « II me faut être chez mon Père » (Lc 2,49) expriment la conviction que le temple représente d'une manière particulière le lieu où Dieu habite et, par conséquent, le lieu juste du Fils. Même dans la période brève que fut sa vie publique, Jésus participe aux pèlerinages d'Israël au temple, et après sa résurrection, sa communauté se réunit en règle générale dans le temple pour l'enseignement et la prière.
     Et pourtant, en le purifiant, Jésus a mis un accent fondamentalement nouveau sur le temple (Mc 11,15s. ; Jn 2,13-22). L'interprétation selon laquelle Jésus aurait, par ce geste, seulement combattu les abus, confirmant ainsi le temple, est insuffisante. En Jean, nous trouvons des paroles qui interprètent cette action de Jésus comme la préfiguration de la destruction de l'édifice de pierre à la place duquel son corps apparaîtra comme le nouveau temple. Dans les Synoptiques cette interprétation des paroles de Jésus apparaît sur les lèvres des faux témoins dans le récit du procès (Mc 14,58). La version des témoins est déformée et ne peut servir pour conclure le procès. Il n'en demeure pas moins que Jésus a prononcé des paroles similaires, même si la lettre n'a pu être déterminée avec suffisamment de certitude pour le procès. L'Eglise naissante a donc supposé à juste titre que la version johannique reflétait authentiquement la pensée de Jésus. Cela signifie que Jésus considère la destruction du temple comme conséquence de l'attitude fausse de la hiérarchie sacerdotale au pouvoir. Mais Dieu, ici, comme à chaque tournant de l'histoire du salut, se sert de l'attitude fausse des hommes comme un modus operandi de son plus grand amour. À ce niveau, il est évident que Jésus considère finalement la destruction du temple alors existant comme une étape de l'œuvre d'assainissement opéré par Dieu et l'interprète comme la formation d'un cadre nouveau et définitif du culte. En ce sens, la purification du temple est l'annonce d'une nouvelle forme d'adoration de Dieu et concerne donc la nature du culte et du sacerdoce en général.
     Pour comprendre ce que Jésus voulait et ce qu'il ne voulait pas concernant le culte, la Cène, avec l'offrande du corps et du sang de Jésus-Christ, est bien sûr décisive. Ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans la dispute qui s'est développée plus tard sur l'interprétation correcte de cet événement et des paroles de Jésus. Ce qui est important, c'est que Jésus, d'une part, reprend la tradition du Sinaï et se présente ainsi comme le nouveau Moïse ; mais, d'autre part, il reprend l'espérance de la Nouvelle Alliance formulée d'une manière particulière par Jérémie, annonçant ainsi un dépassement de la tradition du Sinaï au centre de laquelle il se trouve lui-même comme sacrifiant et sacrifié. Il est également important de considérer que ce Jésus qui se tient au milieu des disciples est le même qui se donne à eux dans sa chair et son sang et anticipe ainsi la Croix et la résurrection. Sans la résurrection, tout cela n'aurait aucun sens. La crucifixion de Jésus n'est pas en soi un acte de culte et les soldats romains ne sont pas des prêtres. Ils procèdent à une exécution, mais ils n'imaginent pas, même de loin, accomplir un acte de culte. Le fait que Jésus se donne pour toujours en nourriture au cénacle, à la dernière Cène, signifie l'anticipation de sa mort et de sa résurrection et la transformation d'un acte de cruauté humaine en un acte de don de soi et d'amour. De cette façon, Jésus lui-même accomplit le renouvellement fondamental du culte qui restera toujours valide et contraignant : il transforme le péché de l'humanité en un acte de pardon et d'amour dans lequel les futurs disciples peuvent entrer par leur participation à ce que Jésus a institué. De cette façon, nous comprenons aussi ce qu'Augustin appelait le passage, dans l'Église, de la Cène au sacrifice du matin. La Cène est le don de Dieu pour nous dans l'amour miséricordieux de Jésus-Christ et permet à l'humanité d'accueillir à son tour l'acte d'amour de Dieu et de le Lui rendre.
     Dans tout cela, rien n'est dit directement sur le sacerdoce. Et pourtant, il est clair que l'ancien ordre d'Aaron est supprimé et que Jésus lui-même se présente comme le grand prêtre. Il est d'ailleurs important que, de cette manière, la critique du culte par les prophètes et la tradition cultuelle depuis Moïse se rejoignent : amour et sacrifice. Dans mon livre sur Jésus5, j'ai montré comment cette nouvelle fondation du culte et, avec lui, du sacerdoce, est déjà entièrement achevée chez Paul. Il s'agit d'une unité de base, fondée sur la médiation opérée par la mort et la résurrection de Jésus, qui était clairement partagée même par les opposants à la prédication paulinienne.
     La destruction des murs du temple causée par l'homme est assumée positivement par Dieu : il n'y a plus de murs, le Christ ressuscité est devenu pour l'homme le lieu du culte rendu à Dieu. Ainsi, l'effondrement du temple hérodien signifie également ceci : que rien ne sépare plus l'espace linguistique et existentiel de la législation mosaïque, d'un côté, et celui du mouvement rassemblé autour de Jésus, de l'autre. Les ministères chrétiens (episkopos, presbyteros, diakonos) et ceux régis par la loi mosaïque (grands prêtres, prêtres, lévites) se côtoient désormais ouvertement et peuvent donc aussi, avec une clarté nouvelle, être identifiés les uns aux autres. En fait, l'équivalence terminologique apparaît relativement tôt (episkopos = grand prêtre, presbytères = prêtre, diakonos = lévite). Nous la retrouvons à l'évidence dans les catéchèses de saint Ambroise sur le baptême, qui s'inspirent certainement de modèles et de documents plus anciens. Ce qui se passe ici n'est rien d'autre que l'interprétation christologique de l'Ancien Testament, que l'on peut aussi appeler interprétation pneumatologique, qui montre comment l'Ancien Testament a pu devenir et rester la Bible des chrétiens. Si, d'un côté, on peut qualifier « d'allégorique » cette interprétation christologico-pneumatologique d'un point de vue à la fois littéraire et historique, de l'autre, on voit bien la profonde nouveauté et la claire motivation de la nouvelle interprétation chrétienne de l'Ancien Testament. Ici, l'allégorie n'est pas un expédient littéraire pour rendre le texte utilisable à de nouvelles fins, mais elle est l'expression d'un passage historique qui correspond à la logique interne du texte.
     La Croix de Jésus Christ est l'acte d'amour radical par lequel s'accomplit réellement la réconciliation entre Dieu et le monde pécheur. C'est la raison pour laquelle un tel événement, qui en soi n'a rien de cultuel, se présente en fait comme culte suprême rendu à Dieu. Dans la Croix, la ligne « catabasique » de la descente de Dieu et la ligne « anabasique » de l'offrande de l'humanité à Dieu deviennent un acte unique, rendu possible par le nouveau temple de son corps dans la résurrection. Dans la célébration de l'Eucharistie, l'Église, voire l'humanité, est à nouveau entraînée et impliquée dans ce processus. Dans la Croix du Christ, la critique du culte par les prophètes atteint définitivement son but. En même temps, est institué le nouveau culte. L'amour du Christ, toujours présent dans l'Eucharistie, est le nouvel acte de culte. Les ministères sacerdotaux d'Israël sont par conséquent « annulés » dans l'office de l'amour, qui signifie en même temps toujours culte de Dieu. Cette nouvelle unité de l'amour et du culte, de critique du culte et de glorification de Dieu comme office d'amour est certainement une mission inédite confiée à l'Église et qui doit être renouvelée à chaque génération.
     Dans la Nouvelle Alliance, le dépassement pneumatique de la lettre de l'Ancien Testament concernant le culte nécessite donc en permanence de passer de la lettre à l'esprit. Au XVIe siècle, Luther, sur la base d'une lecture complètement différente de l'Ancien Testament, ne pouvait plus faire ce passage. Il n'interprétait donc plus le culte de l'Ancien Testament, et le sacerdoce qui lui était ordonné que comme une expression de la Loi, qui pour lui ne concordait pas avec la grâce de Dieu mais s'y opposait. Il ne pouvait donc que relever une opposition radicale entre les ministères du Nouveau Testament et le sacerdoce en tant que tel. Avec Vatican II, cette question est devenue absolument inéluctable pour l'Église catholique également. L'« allégorie » comme passage pneumatique de l'Ancien au Nouveau Testament était devenue incompréhensible. Et, si le décret sur le sacerdoce ne traite guère de la question, celle-ci s'est imposée à nous après le Concile avec une urgence sans précédent et s'est transformée en cette crise durable du sacerdoce dans l'Église que nous connaissons aujourd'hui.
     Deux notes personnelles peuvent contribuer à illustrer ce propos. J'ai gardé en mémoire comment, lors de sa conversion de luthérien convaincu en catholique convaincu, un de mes amis, le grand indologue Paul Hacker, a abordé cette question avec sa passion habituelle et impétueuse.
     Il considérait les « prêtres » comme une catégorie dépassée une fois pour toutes par le Nouveau Testament et, avec une indignation passionnée, il reprochait au mot allemand Priester, qui vient du mot grec presbyter, de continuer à véhiculer le sens de sacerdos. Je ne sais plus comment il a finalement réussi à résoudre l'affaire.
     Moi-même, dans une conférence sur le sacerdoce de l'Eglise donnée immédiatement après le Concile, j'ai cru devoir présenter le prêtre du Nouveau Testament comme auditeur de la parole et non comme « artisan du culte ». Or, la médiation de la Parole de Dieu est bien une tâche grande et fondamentale du prêtre de Dieu dans la nouvelle alliance. Mais cette Parole s'est faite chair, et la méditer signifie toujours aussi se nourrir de la chair qui, comme pain du ciel, nous est donnée dans la Très Sainte Eucharistie. La méditation de la Parole dans l'Église de la Nouvelle Alliance est aussi un abandon toujours nouveau à la chair de Jésus-Christ, et cet abandon est en même temps s'exposer à la transformation de nous-mêmes par la croix.
     J'y reviendrai plus tard. Reprenons pour l'instant quelques étapes du développement concret de l'histoire de l'Eglise. Une première étape apparaît dans l'établissement d'un nouveau ministère. Les Actes des Apôtres nous parlent de la surcharge de travail des Apôtres qui, en plus d'assurer la proclamation et la prière de l'Église, devaient assumer la responsabilité du soin des pauvres. Cela eut pour conséquence que la partie helléniste de l'Église naissante se sentit négligée. Les Apôtres décidèrent donc de se concentrer sur la prière et le service de la Parole. Pour les tâches caritatives, ils créèrent le ministère des sept, identifié plus tard au diaconat. L'exemple de saint Etienne montre que ce ministère n'exigeait pas seulement une action caritative purement matérielle, mais nécessitait aussi esprit et foi, et donc la capacité de servir la Parole.
     Un problème qui est resté crucial jusqu'à nos jours vient du fait que les nouveaux ministères ne reposent pas sur l'hérédité, mais sur l'élection et la vocation. Alors que, pour la hiérarchie sacerdotale d'Israël, la continuité était assurée par Dieu lui-même, parce qu'en fin de compte c'était lui qui donnait des enfants aux parents, les nouveaux ministères n'étaient pas fondés sur la famille, mais sur une vocation donnée par Dieu et à reconnaître par l'homme. C'est pourquoi la question de la vocation s'est posée dès le début dans la communauté issue du Nouveau Testament : « Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson. » (Mt 9,38) A chaque génération, l'Église espère et prie pour trouver des appelés. Nous ne savons que trop bien à quel point cette préoccupation occupe l'Église aujourd'hui.
     Il existe un autre problème directement lié à cette question. Très vite, nous ne savons pas exactement quand, mais en tout cas très vite, la célébration régulière, voire quotidienne, de l'Eucharistie s'est imposée comme essentielle pour l'Église. Le pain « supersubstantiel » est en même temps le pain « quotidien » de l'Église. Cela aura toutefois de nos jours pour l'Église une conséquence importante6.
     Dans la conscience commune d'Israël, il était évident que les prêtres devaient s'abstenir sexuellement pendant les périodes où ils célébraient le culte et étaient ainsi en contact avec le mystère divin ; la relation entre abstinence sexuelle et culte divin était absolument claire. À titre d'exemple, rappelons simplement l'épisode où David, fuyant Saül, supplie le prêtre Achimélech de lui donner du pain. « Le prêtre répondit à David : "Je n'ai pas de pain ordinaire sous la main, mais il y a le pain consacré. Les hommes pourront en manger s'ils se sont gardés de rapports avec les femmes." David répondit au prêtre : "Assurément, les femmes nous ont été interdites." » (1S 21,5s) Du fait que les prêtres de l'Ancien Testament n'exerçaient le culte qu'à des périodes déterminées de l'année, le mariage et la prêtrise étaient conciliables.
     De par la célébration régulière, voire souvent quotidienne, de l'Eucharistie, la situation avait radicalement changé pour les prêtres de l'Eglise de Jésus-Christ. C'est leur vie entière qui est en contact avec le mystère divin et qui exige donc une exclusivité pour Dieu excluant un autre lien, comme peut l'être le mariage, qui embrasse toute la vie. La célébration quotidienne de l'Eucharistie et le service de Dieu qui en découle entraînent de fait l'impossibilité d'un lien matrimonial. On pourrait dire que l'abstinence fonctionnelle s'est muée en abstinence ontologique. Ainsi, sa motivation et sa signification avaient changé de l'intérieur et en profondeur. Aujourd'hui, on objecte immédiatement à cela qu'il s'agirait d'un jugement négatif sur la corporéité et la sexualité. L'accusation selon laquelle le célibat des prêtres serait à la base d'une vision manichéenne du monde a déjà été formulée au IVe siècle, mais elle a été immédiatement rejetée de manière décisive par les Pères, puis abandonnée pendant un certain temps. Cette accusation était déjà erronée du simple fait que, dès l'origine, pour l'Église, le mariage provient d'un don de Dieu au paradis. Du fait que le mariage requiert l'homme dans sa totalité, et que le service du Seigneur l'exige tout autant, les deux vocations ne semblaient pas pouvoir se conjuguer. C'est ainsi que la capacité de renoncer au mariage pour se mettre totalement à la disposition du Seigneur est devenue un critère pour le ministère sacerdotal.
     En ce qui concerne la forme concrète du célibat dans l'Église antique, il convient de noter que les prêtres mariés pouvaient recevoir le sacrement de l'ordre s'ils s'engageaient à l'abstinence sexuelle, c'est-à-dire à contracter ce qu'on appelle un « mariage joséphin ». Cela semble avoir été tout à fait normal au cours des premiers siècles. De toute évidence, ce mode de vie dans le don de soi au Seigneur était considéré comme raisonnable et praticable par un nombre suffisant de personnes7.

Trois explications de textes

     Les réflexions précédentes ont clairement montré combien, sur la base d'une lecture christologique de l'Ancien Testament, Jésus de Nazareth est aussi prêtre au sens propre. Il ne pouvait cependant pas porter le titre associé à la lignée d'Aaron-Lévi, puisque Jésus appartenait à la lignée de Juda. C'est ce sur quoi a réfléchi la Lettre aux Hébreux. L'exégèse allemande l'a toujours considéré comme une bâtarde, parce qu'elle nous permet de comprendre comment Jésus est purement et simplement grand prêtre, une perspective incompatible avec l'herméneutique de Luther. D'un côté le cardinal jésuite français Albert Vanhoye, professeur de longue date à l'Institut biblique pontifical de Rome, a consacré toute sa vie à l'étude de la Lettre aux Hébreux, nous permettant de nous réapproprier ce document vraiment précieux. Du côté allemand aussi, les choses ont commencé à bouger. Je me réfère en particulier à l'excellent commentaire de la Lettre aux Hébreux de Knut Backhaus pour le Regensburger Neues Testament8.
      L'auteur de la Lettre aux Hébreux, qui a vécu entièrement de la théologie du culte décrite par saint Étienne et développée dans toute sa profondeur par saint Paul, découvre dans la Genèse 14,17-20 et dans le psaume 110 la réponse à la question du sacerdoce de Jésus. Lorsqu'Abraham libère son neveu Lot de la captivité et lui rend tous ses biens, on voit d'abord venir à lui le roi de Sodome, à qui il ne prête cependant aucune attention. C'est alors qu'entre en scène la figure mystérieuse de Melchisédech, roi de Salem : « II fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il le bénit en disant : "Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu Très-Haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains." Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu'il avait pris » (Gn 14,18s). Juste quelques mots pour décrire un personnage puissant. Melchisédech, dont le nom signifie roi de justice, est roi de Salem, c'est-à-dire de Jérusalem. D'un côté, il se rattache ainsi à la tradition de Jérusalem, de l'autre, on approfondit la tradition locale par ce qui est le centre authentique du discours : il est roi de paix. Mieux encore, il est un prêtre du Dieu très-haut. Tout aussi mystérieuse est la référence au pain et au vin, offrandes qui sont interprétées comme préfigurant l'offrande eucharistique. Enfin, il est dit de lui qu'il était prêtre du Dieu Très-Haut et qu'il bénissait offrandes. En offrant la dîme, Abraham le reconnaît comme détenteur des prérogatives de grand prêtre.
     Le judaïsme primitif et avec lui les Pères de l'Église ont interprété avec prédilection cette figure, qui, pour les Pères, préfigurait de diverses manières Jésus-Christ.
     Alors qu'au début de l'histoire du salut, Melchisédech apparaît défini par la loi et ses dispositions, dans le psaume 110, il est présenté comme promesse pour l'avenir. Le psaume 110 est le psaume messianique le plus fréquemment cité dans le Nouveau Testament. Il se caractérise par l'absence des mots fondamentaux « roi » et « trône », qui reviennent dans les autres psaumes messianiques. Il est dit ici de lui qu'il a été conçu mystérieusement « avant l'étoile du matin », « dès le sein de l'aurore ». Il s'agit d'images mythiques qui ont ensuite servi à préfigurer le mystère du Fils. Ils sont suivis par les mots fondamentaux de la promesse qui font écho à la vision de Genèse 14 et deviennent un aspect central du salut futur : « Le Seigneur l'a juré dans un serment irrévocable : "Tu es prêtre à jamais selon l'ordre du roi Melkisédech." » (Ps 110,4) La figure que nous rencontrons à côté d'Abraham au début de l'histoire du salut renvoie ainsi au futur: le sauveur à venir est avant tout un prêtre, et précisément « à la manière de Melchisédech ». À partir de l'alliance au Sinaï, il y a en Israël le grand prêtre à la manière d'Aaron. Le psaume 110 nous apprend qu'à l'avenir, il y aura un autre grand prêtre « à la manière de Melchisédech », ce qui résout le problème découlant de la limitation du sacerdoce aux descendants charnels d'Aaron et de Lévi. « L'ordre de Melchisédech » ouvre une nouvelle voie pour le ministère des grands prêtres. Jésus est véritablement grand prêtre, mais pas à la manière d'Aaron. Dans le paragraphe précédent, nous avons vu que ce sacerdoce est entièrement nouveau et différent de celui d'Aaron, et qu'il assume cependant tout le sens de sacerdotium, c'est-à-dire le ministère du sacrifice devant Dieu. On clarifiait ainsi le caractère sacerdotal des ministères qui, avant la découverte de « l'ordre de Melchisédech », n'avait pu être défini comme sacerdotium.
     Je voudrais montrer maintenant la dimension sacerdotale des nouveaux ministères à l'aide de quelques exemples. II est clair qu'en recourant aux concepts de sacerdos et sacerdotium, on risquait de mal comprendre la transformation radicale qu'avait connu avec la croix du Christ le ministère du sacrifice. En ce sens, la crainte initiale de Luther était tout à fait justifiée, même si ses conclusions le conduisirent à l'erreur. Je voudrais maintenant interpréter trois textes qui m'ont beaucoup aidé dans mon cheminement vers le sacerdoce. Ce choix est lié à mon histoire personnelle, et donc parfaitement subjectif. Parmi eux, figure la nouvelle conception du sacerdoce dans la Lettre aux Hébreux, surtout telle que présentée aux pages 38-39 des Exercices que le cardinal Albert Vanhoye9 nous a prêches au Vatican en 2008.

     1) Psaume 15 (16),5 : Les paroles pour l'admission à l'état clérical avant le concile
     II y a d'abord l'interprétation de la parole d'un psaume qui m'a été donnée la veille de mon admission à l'état clérical en mai 1948. C'est le psaume 15,5. Ces paroles du psaume ont été dites par l'évêque, puis répétées par le candidat : « Dominus pars hereditatis meae et calicis mei tu es qui restitues hereditatem meam mihi, Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j'ai même le plus bel héritage! » (Ps 15 (16),5-6). En fait, le psaume exprime exactement, pour l'Ancien Testament, ce que veut dire maintenant dans l'Église l'admission dans la communauté sacerdotale.
     Ce passage fait référence au fait que toutes les tribus d'Israël, chaque famille même, faisait partie de l'héritage promis par Dieu à Abraham. La promesse se concrétisait dans le fait que chaque famille héritait, en propriété, d'une portion de la terre promise. La possession d'une portion de la terre sainte donnait à chacun la certitude de partager la promesse et signifiait en pratique un moyen concret de subsistance. Chaque individu devait obtenir autant de terre que nécessaire pour vivre. L'importance de cet héritage concret apparaît clairement dans l'histoire de Naboth (1R 21,1-29), qui ne veut absolument pas céder sa vigne au roi Achab, même si ce dernier est prêt à le dédommager entièrement. Pour Naboth, la vigne est plus qu'un précieux lopin de terre : c'est sa participation à la promesse de Dieu à Israël. Si, d'un côté, chaque Israélite disposait ainsi de la terre qui lui assurait les nécessités de la vie, de l'autre, la particularité de la tribu de Lévi tenait à ce qu'elle était la seule tribu à ne pas hériter de terre. Le lévite restait sans terre et donc privé en cela de moyen de subsistance. Il ne vivait que par Dieu et pour Dieu. Concrètement, cela signifie qu'il ne pouvait vivre, grâce à une réglementation précise, que des offrandes sacrificielles qu'Israël réservait à Dieu.
     Cette figure de l'Ancien Testament se réalise dans les prêtres de l'Église d'une manière nouvelle et plus profonde : ils doivent vivre uniquement de Dieu et pour lui. Ce que cela signifie concrètement est clairement énoncé surtout chez Paul. Il vit désormais de ce que les hommes lui donnent, car il leur donne la Parole de Dieu, qui est notre vrai pain, notre vraie vie. En fait, dans cette transformation néotestamentaire, qui voit disparaître la terre des lévites, transparaît la renonciation au mariage et à la famille, conséquence du don radical de sa vie à Dieu. L'Église a interprété le mot « clergé » (communion héréditaire) dans ce sens. Entrer dans le clergé signifie renoncer à être le centre de sa vie et n'accepter que Dieu comme soutien et garant de sa vie.
     Je garde toujours vivant dans ma mémoire le souvenir du moment où, méditant ce verset du psaume à la veille de ma tonsure, j'ai compris ce que le Seigneur voulait de moi à ce moment-là : il voulait lui-même disposer entièrement de ma vie et en même temps et de la même manière se confier entièrement à moi. J'ai donc pu considérer les paroles du psaume vraiment comme miennes : « Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j'ai même le plus bel héritage ! »

     2) Deutéronome 10,8 (repris en Dt 18,58), cité dans la deuxième prière eucharistique : la tâche de la tribu de Lévi réinterprétée christologiquement et pneumatologiquement pour les prêtres de l'Église.
Ce fut une nouveauté enthousiasmante de la réforme liturgique post-conciliaire de pouvoir choisir entre quatre prières eucharistiques. Jusqu'alors, la liturgie romaine, contrairement aux liturgies orientales, n'en connaissait qu'une : la première, le canon romain. Une deuxième prière eucharistique apparaît alors, tirée de la Traditio apostolica de saint Hippolyte (mort v. 235), datant donc de la première moitié du IIIe siècle. Outre la version latine, le texte est attesté dans diverses régions de l'Eglise primitive, notamment en Egypte. En 1962, Bernard Botte nous a fourni une excellente présentation des textes et une histoire de leur transmission. La Traditio n'a jamais été un texte liturgique officiel. Hippolyte entendait proposer avec elle les critères d'une prière eucharistique orthodoxe. La réforme liturgique, pour diverses raisons, en a fait une partie officielle de la liturgie romaine rénovée. Il entendait évidemment faire connaître de cette manière une prière eucharistique dans sa structure fondamentale ainsi que ses contenus essentiels. Quoi qu'il en soit, dans les premières années de la réforme liturgique, le canon d'Hyppolyte fut en fait la prière eucharistique la plus utilisée de la liturgie rénovée.
     J'ai été particulièrement ému par la phrase illustrant la place du prêtre : « [...] Domine, panem vitae et calicem salutis offerimus, grattas agentes quia nos dignes habuisti astare coram te et tibi ministrare », « nous t'offrons, Seigneur, le pain de la vie et la coupe du salut, et nous te rendons grâce, car tu nous as estimés dignes de nous tenir devant toi pour te servir ». Cette phrase ne signifie pas, comme certains liturgistes voudraient le faire croire, que pendant la Prière eucharistique, les prêtres et les fidèles doivent rester debout et non s'agenouiller1. Pour bien comprendre cette phrase il faut se reporter à Deutéronome 10,8 (repris en Dt 18,5-8), d'où elle est tirée littéralement et où elle décrit la mission cultuelle essentielle de la tribu de Lévi : « En ce temps-là, le Seigneur mit à part les descendants de Lévi, pour porter l'arche de son Alliance, se tenir en sa présence, assurer le service divin, et bénir le peuple au nom du Seigneur. » (Dt 10,8) « Car c'est lui, le prêtre, que le Seigneur ton Dieu a choisi parmi toutes les tribus pour se tenir en sa présence et servir en son nom, lui et ses fils, tous les jours. » (Dt 18,5) Ces paroles, qui dans le Deutéronome ont pour tâche de définir l'essence du service sacerdotal, ont ensuite été reprises dans la Prière eucharistique de l'Église de Jésus-Christ, de la Nouvelle Alliance, exprimant ainsi la continuité et la nouveauté du sacerdoce. Ce qui était dit alors de la tribu de Lévi et lui était exclusivement réservé s'applique maintenant aux prêtres et aux évêques de l'Église.
     Il ne s'agit pas, pour la nouvelle communauté de Jésus Christ, d'une régression vers un sacerdoce cultuel dépassé et à rejeter, comme serait peut-être enclin à l'affirmer une conception inspirée de la Réforme. Le sacerdoce n'est plus une question d'appartenance familiale, mais est ouvert à l'immensité de l'humanité. Il ne s'agit plus de l'administration du sacrifice dans le temple, mais de l'inclusion de l'humanité dans l'amour de Jésus-Christ qui embrasse le monde entier : le culte et la critique du culte, le sacrifice liturgique et le service d'amour du prochain sont devenus un seul et même élément. Cette phrase ne parle donc pas d'une attitude extérieure; au contraire, en tant que point d'unité le plus fondamental entre l'Ancien et le Nouveau Testament, elle décrit la nature même du sacerdoce, qui à son tour ne se réfère pas à une classe particulière de personnes, mais se réfère finalement à notre position à tous devant Dieu.
     J'ai tenté d'interpréter ce texte dans une homélie prononcée à Saint-Pierre le Jeudi saint 2008, que je cite ici : Lire également l'homélie de Benoît XVI lors de la Messe Chrismale.  Dans le même temps, le Jeudi Saint est pour nous une occasion de nous demander toujours à nouveau: À quoi avons-nous dit « oui » ? Que signifie « être prêtre de Jésus Christ » ? Le canon II de notre Missel, qui fut probablement rédigé à la fin du IIe siècle à Rome, décrit l'essence du ministère sacerdotal avec les paroles par lesquelles, dans le Livre du Deutéronome (18,5.7), était décrite l'essence du sacerdoce vétérotestamentaire : astare coram te et tibi ministrare. Ce sont par conséquent deux tâches qui définissent l'essence du ministère sacerdotal : en premier lieu le fait de « se tenir devant le Seigneur ». Dans le Livre du Deutéronome cela doit être lu dans le contexte de la disposition précédente, selon laquelle les prêtres ne reçoivent pas de portion de terrain de la Terre Sainte - ils vivent de Dieu et pour Dieu. Ils n'étaient pas tenus aux travaux habituels nécessaires pour assurer la vie quotidienne. Leur profession était de « se tenir devant le Seigneur » - de veiller sur Lui, d'être là pour Lui. Ainsi, en définitive, la parole indiquait une vie en présence de Dieu ainsi qu'un ministère en représentation des autres. De même que les autres cultivaient la terre, de laquelle vivait également le prêtre, il maintenait quant à lui le monde ouvert vers Dieu, il devait vivre avec le regard tourné vers Lui. Si ces paroles se trouvent à présent dans le Canon de la Messe immédiatement après la consécration des dons, après l'entrée du Seigneur dans l'assemblée en prière, alors cela signifie pour nous qu'il faut nous tenir devant le Seigneur présent, c'est-à-dire que cela indique l'Eucharistie comme le centre de la vie sacerdotale. Mais ici aussi la portée est bien supérieure. Dans l'hymne de la Liturgie des Heures qui, au cours du Carême, introduit l'Office des lectures - l'Office qui, chez les moines, était jadis récité pendant l'heure de veillée nocturne devant Dieu et pour les hommes - l'une des tâches du Carême est décrite avec l'impératif : arctius perstemus in custodia - veillons de manière plus intense. Dans la tradition du monachisme syriaque, les moines étaient qualifiés comme « ceux qui sont debout » ; être debout était l'expression de la vigilance. Dans ce qui était ici considéré comme le devoir des moines, nous pouvons avec raison voir également l'expression de la mission sacerdotale et la juste interprétation de la parole du Deutéronome : le prêtre doit être quelqu'un qui veille. Il doit être vigilant face aux pouvoirs menaçants du mal. Il doit garder le monde en éveil pour Dieu. Il doit être quelqu'un qui reste debout : droit face au courant du temps. Droit dans la vérité. Droit dans l'engagement au service du bien. Se tenir devant le Seigneur doit toujours, également, signifier profondément une prise en charge des hommes auprès du Seigneur qui, à son tour, nous prend tous en charge auprès du Père. Et cela doit signifier prendre en charge le Christ, sa parole, sa vérité, son amour. Le prêtre doit être droit, courageux et même disposé à subir des outrages pour le Seigneur, comme le rapportent les Actes des Apôtres : ils étaient « joyeux d'avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le nom de Jésus » (5,41).

     Passons à présent à la seconde phrase, que le Canon II reprend du texte de l'Ancien Testament - se tenir devant toi et te servir ». Le prêtre doit être une personne pleine de rectitude, vigilante, qui se tient droite. À tout cela s'ajoute ensuite la nécessité de servir. Dans le texte vétérotestamentaire cette phrase a une signification essentiellement rituelle : c'est aux prêtres que revenaient toutes les actions de culte prévues par la Loi. Mais ce devoir d'agir selon le rite était ensuite classé comme relevant du service, d'une charge de service, et ainsi s'explique dans quel esprit ces activités devaient être accomplies. Avec l'adoption du mot « servir » dans le Canon, cette signification liturgique du terme est en un certain sens adoptée - conformément à la nouveauté du culte chrétien. Ce qu'accomplit le prêtre à ce moment-là, dans la célébration de l'Eucharistie, est servir, accomplir un service à Dieu et un service aux hommes. Le culte que le Christ a rendu au Père a été un don de soi jusqu'au bout pour les hommes. C'est dans ce culte, dans ce service, que le prêtre doit s'inscrire. Ainsi la parole « servir » comporte-t-elle plusieurs dimensions. Bien sûr l'une d'elles est avant tout la célébration digne de la Liturgie et des Sacrements en général, accomplie avec une participation intérieure. Nous devons apprendre à comprendre toujours davantage la Liturgie sacrée dans toute son essence, développer une familiarité vivante avec celle-ci, afin qu'elle devienne l'âme de notre vie quotidienne. En célébrant de manière juste, Vars celebrandi, l'art de célébrer, s'impose de lui-même. Dans cet art, il ne doit y avoir rien d'artificiel. Si la Liturgie est un devoir central du prêtre, cela signifie également que la prière doit être une réalité prioritaire qu'il faut apprendre toujours à nouveau et toujours plus profondément à l'école du Christ et des saints de tous les temps. Puisque la Liturgie chrétienne, par nature, est toujours aussi annonce, nous devons être des personnes qui entretiennent une familiarité avec la Parole de Dieu, qui l'aiment, et qui la vivent : c'est seulement alors que nous pourrons l'expliquer de manière appropriée. « Servir le Seigneur » - le service sacerdotal signifie précisément aussi apprendre à connaître le Seigneur dans sa Parole et à Le faire connaître à tous ceux qu'il nous confie.
     Enfin, il y a encore deux autres aspects des diverses dimensions du « service ». Personne n'est aussi proche de son seigneur que le serviteur qui a accès à la dimension privée de sa vie. En ce sens, « servir » signifie proximité, exige de la familiarité. Cette familiarité comporte également un danger : que le sacré avec lequel nous sommes quotidiennement en contact devienne pour nous une habitude. Ainsi s'affaiblit la crainte révérencielle. Conditionnés par les habitudes, nous ne percevons pas le fait le plus nouveau, le plus surprenant, qu'il soit lui-même présent, qu'il nous parle, qu'il se donne à nous. Contre cette accoutumance à la réalité extraordinaire, contre l'indifférence du cœur nous devons lutter sans trêve, en reconnaissant toujours davantage notre insuffisance et la grâce qu'il y a dans le fait qu'il se remette entre nos mains. Servir signifie proximité, mais cela signifie surtout aussi obéissance. Le serviteur se place sous les paroles : « Que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne qui se fasse » (Lc 22,42). Par ces mots, Jésus au Jardin des Oliviers a résolu la bataille décisive contre le péché, contre la rébellion du cœur qui a connu la chute. Le péché d'Adam consistait, justement, dans le fait qu'il voulait réaliser sa volonté et non celle de Dieu. La tentation de l'humanité est toujours celle de vouloir être totalement autonome, de suivre uniquement sa propre volonté et d'estimer que ce n'est que de cette manière que nous serions libres ; que ce n'est que grâce à une semblable liberté sans limites que l'homme serait complètement homme. Mais précisément ainsi, nous allons à l'encontre de la vérité. Puisque la vérité est que nous devons partager notre liberté avec les autres et que nous ne pouvons être libres qu'en communion avec eux. Cette liberté partagée ne peut être liberté véritable que si à travers elle nous entrons dans ce qui constitue la mesure même de la liberté, si nous entrons dans la volonté de Dieu. Cette obéissance fondamentale qui fait partie de l'essence de l'homme, un être qui n'est pas par lui-même et uniquement pour lui-même, devient encore plus concrète chez le prêtre : nous ne nous annonçons pas nous-mêmes, mais nous annonçons Dieu et sa Parole, que nous ne pouvions pas élaborer seuls. Nous annonçons la Parole du Christ de manière juste uniquement dans la communion de son Corps. Notre obéissance est une manière de croire avec l'Église, de penser et de parler avec l'Église, de servir avec elle. Cela recouvre également toujours ce que Jésus a prédit à Pierre : « Tu seras conduit où tu ne voulais pas. » Cette manière de se faire porter là où nous ne voulions pas est une dimension essentielle de notre service, et c'est précisément ce qui nous rend libres. Ainsi guidés, même de manière contraire à nos idées et à nos projets, nous faisons l'expérience d'une chose nouvelle - la richesse de l'amour de Dieu. « Se tenir devant Lui et Le servir » : Jésus Christ en tant que véritable Grand Prêtre du monde a conféré à ces paroles une profondeur jusqu'alors inimaginable. Lui, qui comme Fils de Dieu était et est le Seigneur, a voulu devenir ce serviteur de Dieu que la vision du Livre du prophète Isaïe avait prévu. Il a voulu être le serviteur de tous. Il a représenté l'ensemble de son souverain sacerdoce dans le geste du lavement des pieds. À travers le geste de l'amour jusqu'à la fin, II lave nos pieds sales, avec l'humilité de son service il nous purifie de la maladie de notre orgueil. Ainsi nous rend-il capables de devenir des commensaux de Dieu. Il est descendu, et la véritable ascension de l'homme se réalise à présent dans notre descente avec Lui et vers Lui. Son élévation est la Croix. C'est la descente la plus profonde et, comme l'amour poussé jusqu'au bout, elle est dans le même temps le sommet de l'ascension, la véritable « élévation » de l'homme. « Se tenir devant Lui et Le servir » - cela signifie à présent entrer dans son appel de serviteur de Dieu. L'Eucharistie comme présence de la descente et de l'ascension du Christ renvoie ainsi toujours, au-delà d'elle-même, aux multiples manières dont nous disposons pour servir l'amour du prochain. Demandons au Seigneur, en ce jour, le don de pouvoir à nouveau prononcer en ce sens notre « oui » à son appel : « Me voici. Envoie-moi, Seigneur » (Is 6,8). Amen2.

     3) Jean 17,17s: prière sacerdotale de Jésus, interprétation de l'ordination sacerdotale.
     Enfin, je voudrais réfléchir un instant sur quelques paroles tirées de la prière sacerdotale de Jésus (Jn 17), qui, à la veille de mon ordination sacerdotale, ont résonné de manière particulière dans mon cœur. Alors que les Synoptiques rapportent essentiellement la prédication de Jésus en Galilée, Jean, qui semble avoir été lié à l'aristocratie du temple, s'intéresse surtout à la proclamation de Jésus à Jérusalem et aux questions concernant le temple et le culte. Dans ce contexte, la prière sacerdotale de Jésus (Jn 17) prend une signification particulière. Je n'ai pas l'intention de reprendre ici chacun des éléments que j'ai analysés dans mon livre sur Jésus3, mais seulement de mentionner le fait que Jean assume le mouvement spirituel de la Lettre aux Hébreux et l'achève à sa manière. En ce sens et malgré toutes les différences d'exposition, saint Jean et la Lettre aux Hébreux ont la même intention, à savoir montrer Jésus comme véritable grand prêtre de la nouvelle alliance. Même l'exégèse protestante la plus récente s'accorde largement à dire que Jésus, en particulier dans la prière sacerdotale, assume en acte le ministère de grand prêtre et le transforme. En ce sens, la Lettre aux Hébreux et l'Évangile de saint Jean sont en définitive des manières équivalentes de présenter Jésus comme le grand prêtre de la nouvelle alliance.
     Je voudrais me limiter aux versets 17 et 18, qui m'ont particulièrement frappé à la veille de mon ordination. On y lit : « Consacre-les (sanctifie-les) dans la vérité. Ta parole est vérité. De même que tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. » Le terme « saint » exprime la nature particulière de Dieu. Lui seul est le saint. L'homme devient saint dans la mesure où il commence à être avec Dieu. Être avec Dieu signifie décentrement du moi pur et son union avec la volonté de Dieu dans sa totalité. Cette libération par rapport à l'ego peut cependant être très douloureuse et n'est jamais accomplie une fois pour toutes. Cependant, le terme « sanctifie » peut aussi indiquer très concrètement l'ordination sacerdotale, qui signifie précisément que le Dieu vivant revendique l'homme pour son service. Lorsque le texte dit « Consacre-les (sanctifie-les) dans la vérité », le Seigneur prie le Père d'inclure les Douze dans sa mission, de les ordonner prêtres.
« Consacre-les (sanctifie-les) dans la vérité. » Le rite de l'ordination sacerdotale vétérotestamentaire semble également être indiqué ici. L'ordinand était purifié physiquement par un bain complet afin qu'il puisse revêtir ensuite les vêtements sacrés. Les deux rites signifient qu'ainsi l'envoyé doit devenir un homme nouveau. Mais ce qui est dans le rituel vétérotestamentaire figure symbolique, devient réalité dans la prière de Jésus. Le seul bain qui peut vraiment purifier les hommes est la vérité, c'est le Christ lui-même. Et il est aussi la nouvelle robe évoquée par la vêture cultuelle extérieure. « Consacre-les (sanctifie-les) dans la vérité. ». Cela signifie : les immerge-les complètement en Jésus-Christ afin que s'applique à eux ce que Paul a indiqué comme l'expérience fondamentale de son apostolat : « Ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20)
Ainsi, lors de cette vigile, s'est gravé au plus profond de mon âme ce que signifie vraiment l'ordination sacerdotale au-delà de tout aspect cérémoniel : c'est ne cesser d'être purifié et imprégné par le Christ pour que ce soit lui qui parle et agisse en nous, et nous de moins en moins. Et il m'est devenu clair que ce processus d'union à lui et d'abolition de ce qui n'est que nôtre dure toute une vie et exige aussi toujours de douloureuses libérations et rénovations. En ce sens, les paroles de Jean 17,17ss ont été un repère pour toute ma vie.

Benoît XVI
Cité du Vatican, Monastère Mater Ecclesiæ
17 septembre 2019


Notes du texte :
1 Ce texte a été achevé en 2018 et publié dans Robert SARAH avec Joseph RATZINGER -BENOÎT XVI, Des profondeurs de notre cœur, cité, p. 23-56. Le texte, revu et augmenté par la suite, est inédit dans la nouvelle version présentée ici.
2. Cf. Paul HACKER, Das Ich im Glauben bei Martin Luther, Graz-Wien-Köln, Verlag Styria, 1966.
3. Theologisches Worterbuch zum Neuen Testament, 11 vol., Darmstadt, WBG Académie, nouvelle édition 2019, vol. I, p. 397-448.
4. Ibid, vol. II, p. 610, lignes 619.
5. Joseph RATZINGER,  Jésus de Nazareth , in Opéra Omnia, vol. VI/1, op; cit., pp. 488-490.
6. Sur le sens du terme epioúsios (supersubstantialis), cf. Eckhard NORDHOFEN, « Was für ein Brot ? », in Internationale Katholische Zeitschrift Communio, 46, l, 2017, p. 322; Gerd NEUHAUS, Möglichkeiten und Grenzen einer Gottesprasenz im menschlichen "Fleisch", Anmerkungen zu Eckhard Nordhofens Relektüre der vierten Vaterunser-Bitte, ibid., p. 23-32
7. De nombreuses informations sur l'histoire du célibat au cours des premiers siècles peuvent être trouvées dans Stefan HEID, Zölibat in der frühen Kirche. Die Anfänge einer Enthaltsamkeitspflicht für Kleriker in Ost und West, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 1997.
8. Knut BACKHAUS, Der Hebräerbrief, in Regensburger Neues Testament, Regensburg, Verlag Friedrich Pustet, 2009.
9 Cardinal Albert VANHOYE, Accueillons le Christ notre grand prêtre. Exercices spirituels avec Benoît XVI,  Cité du Vatican, LEV, 2008. Exercices spirituels prêches au Vatican, 10-16 février 2008
 

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1 Alors que la traduction officielle allemande de la deuxième prière eucharistique dit correctement « vor dir zu stehen und dir zu dienen » (se tenir devant toi et te servir), la traduction italienne simplifie le texte en omettant l'image de la position debout devant Dieu et dit « [...] nous te remercions de nous avoir admis en ta présence pour accomplir le service sacerdotal ».
2. Traduction disponible sur ESM Benoît XVI demande aux prêtres de tenir le monde éveillé pour Dieu
3. Joseph RATZINGER, Jésus de Nazareth, in Opera Omnia, vol. VI/1, op.cit., pp. 517-539.


          

 

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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -  E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 02.08.2023

 

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