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Humanae vitae, une encyclique audacieuse et prophétique : sa
pertinence aujourd’hui
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Le 30 mai 2023 -
E.S.M. - Le cardinal Luis Ladaria Ferrer, préfet du dicastère pour la
doctrine de la foi, est intervenu le 19 mai 2023 à Rome au congrès
organisé par la Chaire internationale de bioéthique Jérôme Lejeune.
Voici le texte intégral de son intervention.
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Paul VI -
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Humanae vitae, une encyclique audacieuse et prophétique : sa
pertinence aujourd’hui
Le 30 mai 2023 -
E.S.M. -
Le cardinal Luis Ladaria Ferrer, préfet du dicastère pour la
doctrine de la foi, est intervenu le 19 mai 2023 à Rome au congrès
organisé par la Chaire internationale de bioéthique Jérôme Lejeune.
Voici le texte intégral de son intervention.
Je tiens à saluer cordialement la présidente de la Fondation en
Espagne, le Dr. Mónica López Barahona, et à la remercier pour son
invitation à participer à ce Congrès international sur Humanae Vitae
organisé par la Chaire internationale de bioéthique Jérôme Lejeune.
Je salue également tous les participants et leur souhaite un
agréable séjour à Rome.
Introduction
L’encyclique
Humanae Vitae aborde les questions de la sexualité, de
l’amour et de la vie, qui sont intimement liées. Ces questions
concernent tous les êtres humains, à toutes les époques. C’est
pourquoi son message reste pertinent et d’actualité aujourd’hui. Le
pape Benoît XVI l’a exprimé en ces termes : « Ce qui était vrai hier
reste vrai aujourd’hui. La vérité exprimée dans Humanae Vitae ne
change pas ; en effet, précisément à la lumière des nouvelles
découvertes scientifiques, sa doctrine devient plus actuelle et nous
incite à réfléchir sur sa valeur intrinsèque »[1]. Le pape François
lui-même nous a invités, dans son Exhortation post-synodale Amoris
Laetitiae, à « redécouvrir le message de l’encyclique Humanae Vitae
» [2] de Paul VI comme une doctrine que nous devons non seulement
préserver, mais qui nous est proposée pour être vécue. Une norme qui
transcende la sphère de l’amour conjugal et qui est une référence
pour vivre la vérité du langage de l’amour dans toutes les relations
interpersonnelles.
L’audace d’Humanae vitae
On a souligné l’audace de Paul VI qui a résisté aux pressions visant
à approuver l’utilisation de contraceptifs hormonaux dans les
relations sexuelles au sein du mariage catholique. Toutefois, à mon
humble avis, la véritable audace de l’encyclique est bien plus
profonde. Elle est de nature anthropologique et c’est en ce sens que
cette encyclique peut nous aider aujourd’hui à faire face aux défis
anthropologiques qui se posent dans notre société.
L’encyclique, en répondant au problème de l’utilisation des
contraceptifs, place son jugement moral dans une large perspective
anthropologique, avec une vision intégrale de l’homme et de sa
vocation divine[3]. L’encyclique fonde sa doctrine sur la vérité de
l’acte d’amour conjugal sur « le lien inséparable que Dieu a voulu
et que l’homme ne peut rompre de sa propre initiative, entre les
deux significations de l’acte conjugal : la signification unitive et
la signification procréative de l’acte conjugal »[4]. Sur cette
base, l’anthropologie dominante, qui considère l’être humain comme
constructeur de sens par ses actes, est combattue. Cela se traduit,
dans le domaine de la sexualité, par l’affirmation que l’homme ne
peut se limiter à être un sujet passif des lois de son propre corps,
mais qu’il doit être celui qui donne un sens à sa propre sexualité.
C’est l’anthropologie qui place la liberté avant la nature, comme
s’il s’agissait de deux éléments inconciliables. Cependant, Paul VI
avertit qu’avant la liberté, il y a des significations,
compréhensibles par la raison, que l’homme n’a pas choisies, et qui
orientent et règlent son comportement. Si l’homme est capable de
reconnaître et d’interpréter les significations unitives et
procréatives de l’acte conjugal, il pourra réaliser correctement sa
propre existence et la mener à son terme. Pour l’encyclique, la
nature n’est pas en tension avec la liberté, mais elle donne à la
liberté les significations qui rendent possible la vérité de l’acte
d’amour conjugal et lui permettent de se réaliser pleinement. C’est
là, à mon avis, la véritable audace d’Humanae vitae et la radicale
actualité de l’encyclique.
Rejeter l’encyclique ne signifie pas seulement accepter la morale de
la contraception, mais aussi accepter une anthropologie dualiste qui
voit dans la nature une menace pour la liberté et qui considère
qu’en manipulant le corps, on peut changer les conditions de vérité
de l’acte conjugal. La possibilité d’un amour avec sexe mais sans
enfant aboutira à la réalité d’un sexe sans amour, ce qui a non
seulement produit une banalisation de la sexualité humaine, mais a
également conduit à une transformation de la compréhension de ce
qu’est l’intimité sexuelle et de ce que sont les relations sexuelles
au niveau social.
C’est la seule façon d’expliquer l’incapacité des sociétés
occidentales actuelles à reconnaître les différences morales entre
l’union sexuelle d’un homme et d’une femme et l’union sexuelle entre
deux personnes du même sexe. Si c’est la personne qui doit donner un
sens à sa sexualité, à travers ses actes libres, alors il n’y a
aucun problème à admettre, par exemple, des relations sexuelles
entre personnes du même sexe, puisque la seule chose qui compte est
que cette « union affective » soit librement consentie. Ainsi, selon
cette perspective, c’est la liberté qui détermine la vérité de
l’action. On considère qu’il n’est pas nécessaire que l’acte humain,
en l’occurrence l’acte d’amour conjugal, réponde à un sens
préexistant, naturel ou établi par Dieu, mais qu’il s’agit
simplement d’un acte libre. L’encyclique s’est opposée à cette
anthropologie et a su aborder les problèmes qui en découlent avec
une vision prophétique [5].
L’aspect prophétique d’Humanae vitae :
le corps comme problème
Le rejet de l’encyclique n’a pas seulement affecté la vision de
l’amour et de la sexualité, il a aussi affecté la perception du
corps lui-même. L’anthropologie contraceptive est une anthropologie
dualiste qui tend à considérer le corps comme un bien instrumental
et non comme une réalité personnelle. L’expression qui donne son
titre à cette conférence, « Mon corps m’appartient », reflète ce
caractère instrumental du corps, ce dualisme, où le corps est réduit
à une pure matérialité et, par conséquent, à un objet susceptible
d’être manipulé.
Cette réification du corps entraîne non seulement la perte de la
vérité de l’amour humain et de la famille, mais a également conduit
à une diminution alarmante du nombre de naissances et à une
multiplication du nombre d’avortements. Le rejet de
l’indissolubilité des deux significations, qui proclamait la
régulation de la natalité par l’utilisation de contraceptifs, s’est
transformé en une manipulation artificielle de la transmission de la
vie, par le biais des techniques de procréation assistée. On a
d’abord accepté la sexualité sans enfant, puis la production
d’enfants sans acte sexuel. La vie fabriquée n’est plus considérée,
en soi, comme un « don », mais comme un « produit » et devient
valorisée en termes d’utilité. Cette utilité, mesurée par des
fonctions concrètes, est désormais appelée « qualité de vie ». La
qualité de vie devient ainsi un concept discriminant entre les vies
dignes d’être vécues et les vies indignes d’être vécues et qui
peuvent donc être supprimées : avortements eugéniques, élimination
des personnes handicapées, euthanasie des malades en phase
terminale, etc. Le tout agrémenté d’une certaine « compassion »
envers les personnes qui se trouvent dans ces situations
(élimination de la personne malade), envers leurs proches et envers
une société à qui l’on épargnera des coûts inutiles[6].
Cette manipulation du corps, typique du relativisme moral et
présente dans l’anthropologie contraceptive, est présente dans deux
idéologies actuelles : l’idéologie du genre et le transhumanisme.
Toutes deux partent du principe qu’il n’y a pas de vérité qui puisse
limiter la mise en œuvre de leurs postulats idéologiques. Une fois
de plus, la liberté est opposée à la nature. Cette exaltation de la
liberté, sans lien avec la vérité, fait que les deux idéologies
présentent le désir et la volonté comme les garants ultimes des
décisions humaines. C’est pourquoi la suite de la phrase « Mon corps
m’appartient » sera… « et j’en fais ce que je veux ». Ce « ce que je
veux » est l’expression du seul désir comme garant de la décision
morale. Mais c’est précisément le corps humain lui-même qui apparaît
comme un obstacle, comme une limite, à la réalisation du désir.
Si l’idéologie du genre prétend que les citoyens construisent
socialement leur propre sexe, sur la base d’une supposée neutralité
sexuelle, alors elle doit nier une vérité anthropologique
fondamentale comme le dimorphisme sexuel (mâle et femelle) inhérent
à l’espèce humaine. C’est pourquoi l’idéologie du genre nie que
l’identité d’une personne soit liée à son corps biologique : une
personne n’est pas identifiée par son corps (sexe) mais par son
orientation. Elle efface toute relation au genre binaire pour
proclamer la diversité sexuelle.
De même, dans le transhumanisme, la personne est réduite à son
esprit, ou plutôt à ses connexions neuronales comme support de sa
singularité. La singularité est désormais l’essence de la personne,
sans le corps qui l’identifie et qui peut être transféré dans un
autre corps humain, dans un corps animal, dans un cyborg ou dans un
simple fichier mémoire.
L’idéologie du genre et le transhumanisme sont des expressions de
cette anthropologie, rejetée par
Humanae Vitae, qui nie au corps son
caractère personnel et le réduit à un simple objet manipulable.
L’identité culturelle, sociale et juridique de la personne n’est pas
intrinsèquement liée à sa masculinité ou à sa féminité. Son identité
personnelle est désormais fondée sur son orientation, c’est-à-dire
sans rapport avec son propre corps et sans rapport avec le corps de
« l’autre », du sexe opposé. Il s’agit d’une anthropologie qui a
séparé la vocation à l’amour de la vocation à la fécondité. En ce
sens, il s’agit fondamentalement d’une anthropologie a-historique,
qui ne recherche que le moment présent, une anthropologie du carpe
diem.
Dans cette anthropologie, le cyborg apparaît comme sa pleine
réalisation. C’est par le cyborg que se réalisera la véritable
émancipation biologique :
a) parce qu’il rendra possible la construction du corps et du sexe
par la biotechnologie ;
b) parce que le cyborg permet un monde sans reproduction sexuelle
humaine, un monde sans maternité, le rêve du féminisme radical.
Le cyborg projette l’idéologie du genre vers un avenir post-genre et
le transhumanisme veut, à travers le cyborg, que cet avenir soit
également post-humain.
La seule réponse[7] possible à ces idéologies est la redécouverte
d’une anthropologie intégrale de la personne, comme le propose
Humanae vitae, en tant qu’unité du corps et de l’âme ; une
anthropologie capable de comprendre la plénitude de la liberté dans
l’intégration avec la nature humaine. Ce n’est qu’ainsi que les
êtres humains parviendront à être eux-mêmes. Benoît XVI l’a exprimé
ainsi dans l’encyclique
Deus Caritas Est : « L’homme est vraiment
lui-même quand le corps et l’âme forment une unité intime […] c’est
l’homme, la personne, qui aime en tant que créature unitaire, dont
le corps et l’âme font partie. Ce n’est que lorsque les deux se
fondent vraiment en une unité que l’homme est pleinement lui-même.»
Conclusion
À l’occasion du vingtième anniversaire de la publication de
l’encyclique Humanae vitae, Jean-Paul II relevait déjà son caractère
prophétique : « Les années qui ont suivi l’encyclique, disait
Jean-Paul II, malgré la persistance de critiques injustifiées et de
silences inacceptables, ont pu démontrer avec une clarté croissante
que le document de Paul VI a toujours été non seulement d’une grande
actualité, mais aussi d’une riche signification prophétique » [8].
Le sens prophétique de l’encyclique trouve son fondement dans la
conception anthropologique intégrale de ce que signifie la vérité de
l’amour, de la sexualité et de la vie. Une anthropologie intégrale
qui rejette, d’une part, le réductionnisme biologique du
transhumanisme et, d’autre part, la négation du corps par
l’idéologie du genre. L’encyclique reste valable parce qu’elle est
la réponse correcte du Magistère aux anthropologies dualistes qui
veulent instrumentaliser le corps et qui ne sont pas de nouveaux
humanismes, postmodernes et séculiers, mais de véritables
anti-humanismes. L’encyclique propose une anthropologie de la
personne entière, une anthropologie capable d’unir la liberté à la
nature.
Aujourd’hui encore, ce que l’encyclique avait déjà annoncé sur
elle-même se réalise : « On peut prévoir que ces enseignements ne
seront peut-être pas facilement acceptés par tous : trop de voix –
amplifiées par les moyens modernes de propagande – s’opposent à
celle de l’Église. À vrai dire, l’Église ne craint pas d’être, comme
son Divin Fondateur, « un signe de contradiction » (cf. Lc 2, 34) ;
mais elle ne cesse pas pour autant de proclamer avec une humble
fermeté toute la loi morale, tant naturelle qu’évangélique « [9].
Nous aussi, au milieu de notre monde, nous sommes appelés à être un
« signe de contradiction », en proclamant avec humilité et fermeté
la vérité de l’être humain, de l’amour, de la sexualité et de la
vie.
J’espère que ce Congrès contribuera à témoigner de cette vérité. Je
vous remercie de votre attention.
Cardinal Luis Ladaria Ferrer
[1] Benoit XVI, Discours aux
participants d’un Congrès international sur l’actualité de
l’Encyclique Humanae vitae (10 mai 2008).
[2] François, Exhortation apostolique post-synodale Amoris Laetitiae,
sur l’amour dans la famille (19 mars 2016), n.82.
[3] Cf. Paul VI, Lettre encyclique Humanae vitae, sur la régulation
des naissances (25 juillet 1968), n. 7.
[4] Ibidem, n. 12.
[5] Ibidem, n. 17
[6] Cf. Congrégation pour la doctrine de la foi, Lettre Samaritanus
Bonus sur le soin des personnes en phases critiques et terminales de
la vie (22 septembre 2020).
[7] Benoît XVI, Lettre encyclique
Deus Caritas Est, sur l’amour
chrétien, (25 décembre 2005), n. 5.
[8] Jean Paul II, Discours aux représentants des Conférences
Episcopales à l’occasion du XXe anniversaire de l’encyclique Humanae
vitae, (7 novembre 1988).
[9] Paul VI, Lettre encyclique Humanae vitae, sur la régulation des
naissances, (25 juillet 1968), n. 18.
© LA NEF pour la traduction en français de l’espagnol original
réalisée par Arnaud Imatz, mis en ligne le 23 mai 2023
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Sources
: lanef.net
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 30.05.2023
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