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Benoît XVI : L'unité engendrée par l'amour
est plus réelle que l'unité de l'atome
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Le 28 mai 2023 -
E.S.M.
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Pour celui qui croit au Dieu un et trine, l'unité suprême
n'est pas celle de l'uniformité rigide. Le type d'unité idéal,
auquel il faut aspirer, n'est donc pas celui de l'indivisibilité de
l'atome, de l'unité la plus petite, qui n'est plus divisible ; la
forme suprême et normative de l'unité, c'est l'unité créée par
l'amour. L'unité multiple engendrée par l'amour, est une unité plus
radicale et plus réelle que l'unité de l' « atome ».
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Benoît XVI : Les échappatoires, voies sans issue
II. POUR UNE INTELLIGENCE POSITIVE DU MYSTÈRE
Cependant, la limitation interne de la doctrine trinitaire dans le sens
d'une théologie négative, telle que nous venons de la faire ressortir, ne
saurait signifier qu'il faille regarder ses formules comme une phraséologie
impénétrable et vide. Elles peuvent et doivent même être comprises comme des
énoncés qui ont un sens, bien qu'elles ne soient que des indications sur
l'ineffable et ne puissent prétendre intégrer celui-ci dans nos catégories
de pensée. Nous essayerons donc d'expliciter ce caractère
« indicatif » des
formules de la foi, en trois thèses, qui concluront nos réflexions sur la
doctrine trinitaire.
PREMIÈRE THÈSE :
Le paradoxe « Una essentia tres
personæ » « une essence en trois personnes
» se rapporte à la
question du sens originel de l'unité et de la multiplicité.
Pour comprendre le sens de cet énoncé, le mieux est de jeter un coup d'œil
sur l'arrière-fond de la pensée grecque pré-chrétienne, sur lequel se
détache la foi au Dieu un et trine. Pour la pensée antique, seule l'unité
est divine ; la multiplicité apparaît comme secondaire, comme la
désagrégation de l'unité. Elle provient de cette désagrégation et tend vers
elle. La confession de foi chrétienne en Dieu un et trine, en un Dieu qui
est à la fois la « Monade » et la « Triade », l'unité absolue et
l'abondance, traduit la conviction que la divinité est au-delà de nos
catégories de l'unité et de la multiplicité. Autant la divinité est pour
nous une et unique, l'unique divin en face de tout ce qui n'est pas divin,
autant elle est pourtant en elle-même véritablement abondance et
multiplicité, de sorte que l'unité et la multiplicité créées sont toutes
deux image et participation du divin. Ce n'est pas seulement l'unité qui est
divine, la multiplicité aussi est quelque chose d'originel, trouvant en Dieu
son principe intrinsèque. La multiplicité n'est pas simplement
désagrégation, qui surviendrait en dehors de la divinité ; elle n'est pas
produite seulement par l'intervention de la « dyade », de la division ;
elle
n'est pas le résultat du dualisme de deux puissances opposées ; elle
correspond, au contraire, à la plénitude créatrice de Dieu qui, transcendant
multiplicité et unité, les englobe toutes deux. Ainsi en fin de compte,
c'est la foi trinitaire qui, en reconnaissant la pluralité dans l'unité de
Dieu, a évincé définitivement le dualisme comme principe d'explication de la
multiplicité à côté de l'unité; c'est grâce à elle seulement que la
valorisation positive du multiple a trouvé une base définitive. Dieu est
au-delà du singulier et du pluriel. Il fait éclater les deux.
Il en résulte une autre conséquence importante. Pour celui qui croit au Dieu
un et trine, l'unité suprême n'est pas celle de l'uniformité rigide. Le type
d'unité idéal, auquel il faut aspirer, n'est donc pas celui de
l'indivisibilité de l'atome, de l'unité la plus petite, qui n'est plus
divisible ; la forme suprême et normative de l'unité,
c'est l'unité créée par l'amour.
L'unité multiple engendrée par l'amour, est une unité plus radicale
et plus réelle que l'unité de l' « atome ».
DEUXIÈME THÈSE
:
Le paradoxe « Una essentia tres
personæ » est fonction du concept de la personne et doit être
compris comme une implication interne du concept de « personne ».
En reconnaissant Dieu, le Sens créateur, comme personne, la foi chrétienne
le confesse comme connaissance, parole et amour. Reconnaître Dieu comme
personne, c'est donc nécessairement le reconnaître comme exigence de
relations, comme « communicativité », comme fécondité. Un être absolument
un, qui ne serait ni origine ni terme de relation ne pourrait être une
personne. La personne au singulier absolu n'existe pas. Cela ressort déjà
des mots qui ont donné naissance au concept de personne : le mot grec prosopon signifie littéralement « regard vers » ; le préfixe
pros (= dirigé
vers) implique la relation comme élément constitutif. De même, pour le mot
latin persona : résonner à travers ; à nouveau le préfixe per (= à travers...
vers) exprime la relation, mais cette fois comme relation de parole.
Autrement dit, si l'Absolu est une personne, il ne saurait être un singulier
absolu. De la sorte, dans le concept de la personne, est nécessairement
impliqué le dépassement du singulier. Toutefois, il faut le dire en même
temps, en confessant un Dieu personnel, dans le sens d'une trinité de
personnes, la foi fait éclater un concept naïf et anthropomorphe de la
personne. Elle affirme, de façon énigmatique, qu'il existe une différence
infinie entre l'être personnel de Dieu et l'être personnel de l'homme. Notre
concept de personne, en dépit de l'éclairage qu'il apporte, s'avère lui
aussi comme une comparaison inadéquate.
TROISIÈME THÈSE :
« Una essentia
tres personnæ » se rapporte au problème de
l'absolu et du relatif, et met en relief le caractère
absolu du relatif, du relationnel.
a) Le dogme comme réglementation du langage.
Essayons de nous introduire au sens de cette thèse par la
réflexion suivante. Si la foi, pour affirmer l'unité et la trinité de Dieu,
se sert depuis le IVe siècle de la formule « une essence en trois
personnes », cette répartition des concepts constitue d'abord une simple «
réglementation du langage
26
». La seule chose sûre au départ, c'est qu'il fallait trouver une expression
à la fois pour l'élément unité et pour l'élément trinité ainsi que pour la
totale simultanéité des deux, dans la prédominance englobante de l'unité.
Que l'on ait réparti, comme cela s'est produit, les deux éléments entre les
concepts de substance et de personne, cela, en un certain sens, est
accidentel; car, en fin de compte, il importe seulement que les deux
choses soient formulées, pour ne pas les laisser à l'appréciation arbitraire
du particulier. Celui-ci risquerait de volatiliser et de ruiner à nouveau
avec le mot, la chose elle-même. Il ne faut donc pas aller jusqu'à
considérer ces formules comme les seules possibles, jusqu'à déduire que
c'est là l'unique manière d'exprimer la réalité : ce serait méconnaître le
caractère négatif du langage théologique, son caractère approximatif.
b) Le concept de la personne.
Il est certain, d'autre part, que cette réglementation du
langage représente plus que le simple choix de telle ou telle lettre, à
laquelle on s'arrête finalement : en luttant pour le langage de la
profession de foi, on luttait pour la chose elle-même, de sorte que, dans ce
langage, si inadéquat soit-il, la réalité est quand même touchée. Du point
de vue de l'histoire de la pensée, nous pouvons dire que la réalité de la «
personne » a été examinée ici vraiment pour la première fois ;
le concept et l'idée de « personne »
sont nés dans l'esprit humain à travers la lutte pour
l'image chrétienne de Dieu et pour l'interprétation de la figure de Jésus de
Nazareth. Ces réserves étant faites, si nous essayons maintenant
d'expliquer notre formule sous le rapport de sa convenance interne, nous
pouvons constater qu'elle s'imposait à deux points de vue. Tout d'abord, il
était évident que Dieu, pris absolument, est unique ; il ne saurait exister
plusieurs principes divins. Cela admis, il était clair, en outre, que cette
unité doit se situer sur le plan de la substance ; en conséquence, la
trinité, dont il faut parler également, ne saurait être cherchée sur ce
plan. Elle se situera donc forcément sur un autre
plan, celui de la relation, du « relatif ».
La même conclusion s'imposait à la lecture de la Bible. On y
trouvait un Dieu, qui semble entretenir un dialogue avec lui-même. Il y a un
« Nous » en Dieu ; les Pères le découvrirent déjà à la première page de la
Bible : « Faisons l'homme » (Gn 1, 26) ; il y a
un « Je » et un
« Tu » en Dieu, que les
Pères trouvèrent dans les psaumes (« Le Seigneur a dit à mon Seigneur
» PS 110, 1), sans oublier le dialogue de Jésus avec le Père. La découverte
du dialogue en Dieu même, conduisit naturellement à admettre en Dieu un «
Je » et un « Tu »,
un élément de relation, de distinction, de réciprocité, pour lequel le
concept de « personne » s'imposait formellement; par là ce concept acquit,
au-delà de sa signification théâtrale et littéraire, un nouveau degré de
réalité et de profondeur, sans perdre son caractère indéterminé, qui le
rendait propre à une telle utilisation
27
Cette découverte d'un Dieu qui est unique dans sa substance, mais en qui
existe le phénomène du dialogue, de la conversation avec ce qu'elle implique
de distinction et de relation, a conféré à la catégorie de la relation une
signification toute nouvelle dans la pensée chrétienne. Pour Aristote, elle
faisait partie des « accidents », des déterminations secondaires et
fortuites de l'être, distincte de la substance, seule forme subsistante du
réel. L'expérience du Dieu qui dialogue, du Dieu qui n'est pas seulement
logos, mais dia-logos, pas seulement Pensée
et Sens, mais conversation et parole dans la relation entre interlocuteurs,
cette expérience fait éclater l'ancienne division de la réalité en
substance, être proprement dit, et accident, être secondaire et fortuit. Il
devient clair à présent qu'à côté de la substance, le dialogue, la relation
représentent une forme de l'être pareillement originelle.
Par là était déjà donné, au fond, le
langage du dogme. Il exprime la perception que
Dieu, en tant que substance, en tant qu' « essence »,
est absolument un.
S'il faut également lui appliquer la catégorie « trinité », il ne saurait
être question d'une multiplication des substances.
Cela revient à dire qu'en Dieu un et indivisible, il existe le phénomène du
dialogue, de l'inter-relation de parole et d'amour; les « trois personnes »
qui subsistent en Dieu, sont, dans leurs relations internes réciproques, la
réalité de la parole et de l'amour. Elles ne sont pas des substances,
des personnalités au sens moderne, mais être relatif, dont la pure actualité
(paquet d'ondes !) ne supprime pas l'unité de l'Être
suprême, mais la constitue. Augustin a formulé cette idée de la
manière suivante : « Le Père est appelé ainsi, non par
rapport à lui-même, mais par rapport au Fils, par rapport à lui-même il est
simplement Dieu
28.
» L'élément déterminant est bien mis en relief ici. « Père
» est un pur
concept de relation. Il n'est Père que dans la relation à l'autre, en tant
que subsistant en lui-même il est simplement Dieu. La personne, c'est la
relation, rien d'autre. La relation n'est pas quelque chose qui survient à
la personne, comme c'est le cas chez nous, la personne ne subsiste que comme
être relationnel.
Suivant les images de la tradition chrétienne, l'on dira :
la première personne n'engendre pas le Fils en ce sens que l'acte de
génération s'ajouterait à la personne constituée, elle
est au contraire l'acte de
génération, l'acte de se donner, de se répandre. Elle
est identique avec l'acte de se donner. C'est cet acte uniquement qui la
constitue comme personne ; elle n'est donc pas celui qui se donne, mais
l'acte lui-même de donation, « onde » non « corpuscule »... Dans
cette idée de l'être relationnel de parole et d'amour, indépendant du
concept de substance, et non intégrable dans la série des « accidents »,
la pensée chrétienne a trouvé le noyau du concept de
« personne », qui exprime tout autre chose et
infiniment plus que la simple idée d' «
individu ». Écoutons encore Augustin : « En Dieu il n'y a pas
d'accidents, il n'y a que substance et relation
29.
» C'est toute une révolution de l'image du monde : le règne solitaire de la
catégorie substance est brisé, on découvre la «
relation » comme une forme originelle de
l'être, de même rang que la substance. Dès lors il devient possible
de triompher de ce que nous appelons aujourd'hui la « pensée objectivante »,
un nouveau palier de l'être apparaît. Ne faut-il pas reconnaître que la
mission de la pensée philosophique, telle qu'elle résulte de ces données,
est loin d'être remplie, bien que la pensée moderne dépende des possibilités
ainsi ouvertes et ne soit pas concevable sans elles.
Notes :
26. Cf. l'étude de K. RAHNER mentionnée dans la note
20 (Introduction).
27. Cf. C. ANDRESEN, « Zur Entstehung und Geschichte des trinitarischen
Personbegriffs, » dans Zeitschrlƒt für
die neutestamentliche Wissenschaƒt, 52 (1961),
pp. 1-38 ; - J. RATZINGER, Zum Persomerständnis
in der Dogmatik dans J. SPECK, Das Personenverständnls
in der Pädagogik und ihren
Nachbarwissenschaƒten, Münster,
1966, pp. 157-171.
28 AUGUSTIN, Enarratlones in Psalmos, 68, I, 5, dan» CChr 39, 905 (Patrologla
Latlna (PL) 36, 845).
29. Cf. De tritnitate, V 5, 6 (PL 42, 913 s.) : «... In Deo autem nihll
quidem secundum accidens dicitur, quia nihil In eo mutabile est ; nec tamen
omne quod dicitur, secundum substantlam dicitur... quod tamen relativum non
est accidens, quia non est mutabile. »
A suivre : Retour à la Bible et problème de l'existence
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 28.05.2023
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