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Benoît XVI : Jésus a renversé l'histoire
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Le 30 janvier 2023 -
(E.S.M.)
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ici Jésus a fait l'expérience de la solitude ultime, et de toute la
tribulation de l'être homme. Ici, l'abîme du péché et du mal dans
tous ses aspects a pénétré dans les profondeurs de son âme. Ici, il
a été frappé par le bouleversement de la mort imminente. Ici, le
traître l'a embrassé. Ici, tous les disciples l'ont abandonné.
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Benvenuto di Giovanni (1436-1509/1517) Le Christ au jardin des oliviers
, 1491 -
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Benoît XVI : Jésus a
renversé l'histoire
1. En marche vers le Mont des Oliviers
« Après le chant des psaumes, ils partirent pour le Mont des Oliviers » -
par ces mots, Matthieu et Marc concluent leur récit de la dernière Cène (Mt
26,30; Mc 14,26). Le dernier repas de Jésus — qu'il s'agisse d'un
repas pascal ou non - est avant tout un événement cultuel. La prière
d'action de grâce et de louange y occupe une place centrale, et il se
termine encore dans la prière. Tout en priant, Jésus sort avec les siens
dans la nuit, nuit qui rappelle celle où les premiers-nés de l'Egypte ont
été frappés et où Israël fut sauvé par le sang de l'agneau (cf. Ex
12) - il sort dans cette nuit où il doit prendre sur lui le destin de
l'agneau.
On peut penser que Jésus, dans le contexte de la Pâque
qu'il avait célébrée à sa manière, aura chanté
sans doute quelques psaumes du hallel (113 - 118 et 136), dans
lesquels Dieu est remercié d'avoir libéré Israël de l'Egypte; psaumes aussi
où est évoquée la pierre rejetée par les constructeurs,
devenue maintenant, de manière prodigieuse, pierre
d'angle. Dans ces psaumes, l'histoire passée devient toujours à
nouveau un moment présent. L'action de grâce pour la libération est en même
temps une invocation pour demander de l'aide au milieu de tribulations et de
menaces toujours nouvelles; en outre, par l'évocation de la pierre rejetée
sont rendues présentes à la fois l'obscurité et la promesse de cette nuit.
Jésus récite avec ses disciples les psaumes d'Israël. Ceci
est une donnée fondamentale pour la compréhension de la figure de Jésus,
d'une part, mais aussi, d'autre part, pour celle de ces psaumes eux-mêmes
qui, d'une certaine manière, reçoivent en lui un nouveau sujet, un nouveau
mode de présence avec un élargissement au-delà d'Israël, vers
l'universalité.
Nous verrons qu'en cela également apparaît une nouvelle
vision de la figure de David : dans le Psautier canonique, David est
considéré comme l'auteur principal des psaumes. Il apparaît ainsi comme
celui qui guide et inspire la prière d'Israël, celui qui résume en lui
toutes les souffrances et les espérances d'Israël, qui les porte en lui et
les transforme en prière. Israël peut donc continuellement prier avec lui et
s'exprimer par les psaumes desquels il reçoit aussi toujours une nouvelle
espérance au milieu de toutes les obscurités. Dans l'Église naissante, Jésus
a été considéré très rapidement comme le nouveau et véritable David, et
c'est sans rupture mais cependant d'une manière nouvelle, que les psaumes
ont pu être récités comme prière en communion avec Jésus Christ. Cette
manière chrétienne de prier avec les psaumes - une manière qui s'est
développée très rapidement - a été expliquée à la perfection par
Augustin
qui dit que, dans les psaumes,
c'est toujours le Christ qui parle, tour à tour
comme Chef, ou comme Corps (cf. par ex.
En. in
PS .,
60,1s.; 61,4; 85,1.5). Mais, par lui, Jésus Christ, nous sommes maintenant
un unique sujet et nous pouvons ainsi, avec lui, parler véritablement avec
Dieu.
Ce processus de l'assomption et de la transposition, qui
commence par la prière des psaumes de la part de Jésus, est caractéristique
pour l'unité des deux Testaments comme lui-même nous l'enseigne. Jésus prie
en parfaite communion avec Israël, et pourtant il est lui-même Israël d'une
manière nouvelle: l'antique Pâque apparaît maintenant comme un grand
avant-projet. La nouvelle Pâque, toutefois, c'est Jésus lui-même et la
véritable « libération » s'accomplit maintenant dans son amour qui embrasse
l'humanité tout entière.
Cette compénétration de fidélité et de nouveauté, que nous
avons pu remarquer dans la figure de Jésus au long de tous les chapitres de
ce livre, est également rendue évidente par un autre détail du récit du Mont
des Oliviers. Au cours des nuits précédentes, Jésus s'était retiré à
Béthanie. En cette nuit qu'il célèbre comme sa nuit de Pâque, il suit la
prescription de ne pas quitter le territoire de la ville de Jérusalem, dont
les limites avaient été élargies pour cette nuit-là afin de donner à tous
les pèlerins la possibilité d'être fidèles à cette loi. Jésus respecte cette
norme et en cela justement il va consciemment au-devant du traître et vers
l'heure de la Passion.
Si, arrivés à ce point, nous jetons encore un regard
rétrospectif sur tout le parcours de Jésus, nous voyons ici aussi le même
mélange de fidélité et de nouveauté totale : Jésus est un « observant ». Il
célèbre avec les autres les fêtes juives. Il prie dans le Temple. Il se
conduit selon Moïse et les prophètes. Mais, en même temps, tout devient
nouveau : de son explication sur le sabbat (cf. Mc 2,27; à ce sujet
cf. aussi p.
128-135 dans la première partie) aux prescriptions sur la pureté
rituelle (cf. Mc 7), à la nouvelle interprétation du Décalogue dans
le Discours sur la montagne (cf. Mt 5,17-48), jusqu'à la purification du
Temple (cf. Mt 21,12s. et par.), qui anticipe la fin du temple de
pierre et annonce le Temple nouveau, l'adoration nouvelle « en esprit et
vérité » (Jn 14,24).
Nous avons vu que cela est en parfaite continuité avec la
volonté de Dieu depuis les origines et qu'il y a en même temps un tournant
décisif de l'histoire des religions, tournant qui, avec la Croix, devient
réalité. C'est justement cette intervention - la purification du Temple -
qui a contribué essentiellement à sa condamnation à la mort en Croix. Ainsi
s'est vraiment accomplie sa prophétie et commence le culte nouveau.
« Ils parviennent à un domaine du nom de Gethsémani, et il
dit à ses disciples: "Restez ici tandis que je prierai" » (Mc 14,32).
À ce propos, Gerhard Kroll note: « Au temps de Jésus, sur ce territoire, sur
les pentes du Mont des Oliviers, se trouvait une ferme avec un pressoir où
les olives étaient pressées... Il a donné le nom de Gethsémani à la ferme...
Dans le voisinage, il y avait une grande caverne naturelle qui pouvait
offrir à Jésus et à ses disciples un abri sûr, même s'il n'était pas très
confortable, pour passer la nuit » (p. 404). Déjà à la fin du IVe
siècle, la pèlerine Éthérie trouvait en cet endroit une « église magnifique
» qui, à la suite de périodes mouvementées, est tombée en ruines, mais qui a
été redécouverte au XXe siècle par les franciscains. « L'actuelle église de
l'Agonie de Jésus, achevée en 1924, réunit ensemble l'espace correspondant à
la "ecclesia elegans" [l'église d'Éthérie] et, de nouveau, la roche
sur laquelle selon la tradition,... Jésus a prié » (Kroll, p. 410).
C'est un des lieux les plus vénérables de la chrétienté.
Certes, les arbres ne remontent pas au temps de Jésus; durant le siège de
Jérusalem, Titus fit abattre tous les arbres sur un vaste espace autour de
la ville. Le Mont des Oliviers demeure toutefois identique à ce qu'il était
alors. Celui qui s'arrête en ce lieu, se trouve devant un sommet dramatique
du mystère de notre Rédempteur: ici Jésus a fait
l'expérience de la solitude ultime, et de toute la tribulation de l'être
homme. Ici, l'abîme du péché et du mal dans tous ses aspects a pénétré dans
les profondeurs de son âme. Ici, il a été frappé par le bouleversement de la
mort imminente. Ici, le traître l'a embrassé. Ici, tous les disciples l'ont
abandonné. Ici, il a combattu aussi pour moi.
Saint Jean reprend toutes ces expériences et donne à ce lieu
une interprétation théologique quand il dit: « ... de l'autre côté du
torrent du Cédron. Il y avait là un jardin » (Jn
18,1). Le même mot-clé revient à la fin du récit de la
Passion : « Or il y avait un jardin au lieu où il avait été crucifié,
et, dans ce jardin, un tombeau neuf, dans
lequel personne n'avait encore été mis » (19,41). Il est évident que Jean,
avec ce mot « jardin » fait allusion au récit
du Paradis et du péché originel. Il veut nous
dire qu'ici cette histoire est reprise. C'est dans le « jardin » qu'a eu
lieu la trahison, mais le jardin est aussi le lieu de
la Résurrection. Dans le jardin, en effet, Jésus a accepté jusqu'au
bout la volonté du Père, il l'a faite sienne et ainsi
il a renversé l'histoire.
Après la prière commune des psaumes, encore en route vers le
lieu du repos nocturne, Jésus fait trois prophéties. Il applique à lui-même
la prophétie de Zacharie qui avait dit que le «
pasteur serait frappé - c'est-à-dire qu'il serait mis à mort - et que
par conséquent les brebis seraient dispersées (cf. Za 13,7; Mt
26,31). Zacharie, dans une vision mystérieuse, avait annoncé un Messie qui
subirait la mort avec pour conséquence une nouvelle dispersion d'Israël.
C'est en passant à travers ces tribulations extrêmes qu'il attendait de Dieu
le salut. À cette vision qui demeure en soi obscure et qui se réfère à un
avenir inconnu, Jésus donne une forme concrète : oui, le Berger est frappé.
Jésus lui-même est le Pasteur d'Israël, le Pasteur de l'humanité. Et il
prend sur lui l'injustice, le poids destructeur de la faute. Il se laisse
frapper. Il se met du côté des perdants de l'histoire. Maintenant, à cette
heure-ci, cela signifie aussi que la communauté des disciples se disperse,
que cette nouvelle famille de Dieu, à peine née, se défait avant même
d'avoir commencé à exister vraiment. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses
brebis » (Jn 10,11). Cette parole de Jésus, en référence à Zacharie,
apparaît dans une lumière nouvelle: l'heure est venue où elle s'accomplit.
La prophétie annonciatrice de malheur est toutefois
immédiatement suivie d'une promesse de salut: « Mais
après ma Résurrection, je vous précéderai en Galilée » (Mc
14,28). « Précéder » est un mot typique du langage des bergers. Jésus,
passant à travers la mort, vivra de nouveau. Comme Ressuscité, il est en
plénitude ce Pasteur qui, à travers la mort, conduit sur le chemin de la
vie. Les deux éléments sont constitutifs du Bon Pasteur : donner sa vie et
précéder. Ou mieux : le fait de donner sa vie entraîne celui de précéder.
C'est précisément parce qu'il donne sa vie qu'il nous guide. Précisément à
travers ce « donner », il ouvre la porte vers l'immensité de la réalité. À
travers la dispersion se réalise le rassemblement définitif des brebis. Au
début de la nuit sur le Mont des Oliviers, retentit donc la parole
mystérieuse des coups portés et de la dispersion mais aussi la promesse que
Jésus, précisément ainsi se manifestera comme le vrai Pasteur, qu'il
rassemblera ceux qui sont dispersés et les mènera vers Dieu en les faisant
entrer dans la vie.
La troisième prophétie
représente un nouvel aspect des discussions qui se sont déroulées avec
Pierre au moment de la dernière Cène. Pierre ne fait pas attention à la
prophétie de la Résurrection. Il n'appréhende que
l'annonce de la mort et de la dispersion, et cela lui donne
l'occasion de mettre en avant son courage intrépide et sa fidélité radicale
à l'égard de Jésus. Parce qu'il s'oppose à la Croix, il ne peut pas entendre
la parole sur la Résurrection et il voudrait - comme précédemment près de
Césarée de Philippe - le succès sans la Croix. Il met sa confiance dans ses
propres forces.
Qui ne pourrait voir dans son attitude un reflet de la
tentation constante des chrétiens, et même de l'Église : obtenir le succès
sans la Croix ? C'est pourquoi il a besoin d'entendre l'annonce de sa
faiblesse, de son triple reniement. Personne n'a assez de force en soi pour
parcourir jusqu'au bout la voie du salut. Tous ont
péché, tous ont besoin de la miséricorde du Seigneur, de l'amour du Crucifié
(cf. Rm 3,22).
Chapitre 5
La dernière Cène ►
Benoît XVI
1. La date de la dernière Cène
►
Benoît XVI
2. L'institution de l'Eucharistie ►
Benoît XVI
3. La théologie des paroles de l'institution ►Benoît
XVI
4. De la Cène à l'Eucharistie du dimanche matin
►
Benoît XVI
Chapitre 6
1. En marche vers le Mont des Oliviers ►
Benoît XVI
2. La prière du Seigneur ►
►
Jésus de Nazareth Tome II
Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 30.01.2023
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