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19 Avril 2005
 
 

Benoît XVI : A la marée immonde du mal s'oppose l'obéissance du Fils

Le 28 janvier 2023 - (E.S.M.) - Sa fidélité réside dans le fait que maintenant lui-même n'agit pas seulement comme Dieu à l'égard des hommes, mais aussi comme homme à l'égard de Dieu, fondant ainsi l'Alliance de manière irrévocablement stable. Par conséquent, la figure du Serviteur de Dieu, qui porte le péché de la multitude (cf. Is 53,12), va avec la promesse de la Nouvelle Alliance fondée de manière indestructible. Cette greffe désormais indestructible de l'Alliance dans le cœur de l'homme, de l'humanité elle-même, se réalise dans la souffrance vicaire du Fils qui s'est fait serviteur. Depuis lors, à la marée immonde du mal s'oppose l'obéissance du Fils, en qui Dieu lui-même a souffert et dont, en conséquence, l'obéissance est toujours infiniment plus grande que la masse croissante du mal (cf. Rm 5,16-20).

Benoît XVI et le saint Calice - Pour agrandir l'image ► Cliquer   

Benoît XVI : A la marée immonde du mal s'oppose l'obéissance du Fils

3. La théologie des paroles de l'institution


    Après toutes ces réflexions sur le cadre historique et sur la crédibilité historique des paroles de l'institution de Jésus, il est temps de porter notre attention sur le contenu de leur message. Et il faut rappeler avant tout que dans les quatre exposés sur l'Eucharistie, nous rencontrons deux types de tradition qui ont des différences caractéristiques, et que nous ne pouvons pas examiner ici en détail. Nous devons toutefois mentionner brièvement les différences les plus importantes.

    Alors qu'en Marc (14,22) et en Matthieu (26,26) la parole sur le pain est seulement : « Ceci est mon corps », chez Paul nous lisons : « Ceci est mon corps, qui est pour vous » (1 Co 11,24), et Luc complète selon le sens en écrivant : « Ceci est mon corps, donné pour vous » (22,19). Chez Luc et Paul vient immédiatement après le commandement de la répétition : « Faites cela en mémoire de moi », qui manque chez Matthieu et Marc. La parole sur le calice, selon Marc, dit: « Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude » (14,24); Matthieu ajoute encore : « ... pour une multitude en rémission des péchés » (26,28). Selon Paul, par contre, Jésus a dit: « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi » (1 Co 11,25). Luc formule de la même manière, mais avec de petites différences : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, versé pour vous » (22,20). Il manque le deuxième ordre de répétition.

    Cependant, deux différences nettes entre Paul/Luc, d'une part, et Marc/Matthieu, de l'autre sont importantes: chez Marc et Matthieu le « sang » est sujet: « Ceci est mon sang », alors que Paul et Luc disent : Ceci est « la nouvelle alliance en mon sang ». Beaucoup y voient un égard vis-à-vis des Juifs et de leur dégoût pour l'ingestion de sang : ce n'est pas « le sang » qui est indiqué comme contenu direct il est temps de porter notre attention sur le contenu de leur message. Et il faut rappeler avant tout que dans les quatre exposés sur l'Eucharistie, nous rencontrons deux types de tradition qui ont des différences caractéristiques, et que nous ne pouvons pas examiner ici en détail. Nous devons toutefois mentionner brièvement les différences les plus importantes.
Alors qu'en Marc (14,22) et en Matthieu (26,26) la parole sur le pain est seulement : « Ceci est mon corps », chez Paul nous lisons : « Ceci est mon corps, qui est pour vous » (1Co 11,24), et Luc complète selon le sens en écrivant : « Ceci est mon corps, donné pour vous » (22,19). Chez Luc et Paul vient immédiatement après le commandement de la répétition : « Faites cela en mémoire de moi », qui manque chez Matthieu et Marc. La parole sur le calice, selon Marc, dit: « Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude » (14,24); Matthieu ajoute encore : « ... pour une multitude en rémission des péchés » (26,28). Selon Paul, par contre, Jésus a dit: « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi » (1Co  11,25). Luc formule de la même manière, mais avec de petites différences : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, versé pour vous » (22,20). Il manque le deuxième ordre de répétition.

    Cependant, deux différences nettes entre Paul/Luc, d'une part, et Marc/Matthieu, de l'autre sont importantes: chez Marc et Matthieu le « sang » est sujet: « Ceci est mon sang », alors que Paul et Luc disent : Ceci est « la nouvelle alliance en mon sang ». Beaucoup y voient un égard vis-à-vis des Juifs et de leur dégoût pour l'ingestion de sang : ce n'est pas « le sang » qui est indiqué comme contenu direct de ce qui doit être bu, mais la « nouvelle alliance ». Ainsi, nous sommes déjà arrivés à la deuxième différence: alors que Marc et Matthieu parlent simplement de « sang de l'alliance », faisant allusion par là à Exode 24,8, c'est-à-dire à la conclusion de l'Alliance au Sinaï, Paul et Luc parlent de la Nouvelle Alliance, se référant ainsi à Jérémie 31,31 -chaque fois apparaît donc un arrière-plan vétérotestamentaire différent. En outre, Marc et Matthieu parlent du sang répandu « pour une multitude », faisant allusion par là à Iaïe 53,12, alors que Paul et Luc disent « pour vous », laissant ainsi penser immédiatement à la communauté des disciples.

    Il existe donc naturellement dans l'exégèse une vaste discussion pour savoir quelles sont les paroles originaires de Jésus. Rudolf Pesch a fait ressortir, dans un premier temps, quarante-six possibilités qui peuvent être encore doublées en échangeant entre elles chaque introduction (cf. Das Evangelium in Jérusalem, p. 134s.). Ces efforts ont leur importance, mais ils ne peuvent entrer dans la visée de ce livre.

    Nous partons du présupposé que la transmission des paroles de Jésus n'existe pas sans leur réception de la part de l'Église naissante, qu'elle se savait rigoureusement engagée à la fidélité à l'essentiel, mais qu'elle était aussi consciente que le spectre de résonance des paroles de Jésus avec leurs allusions subtiles relatives à des textes de l'Écriture permettait quelque ajustement dans les nuances. Ainsi pouvait-on entendre résonner dans les paroles de Jésus aussi bien Exode 24 que Jérémie 31 et accentuer un peu plus l'un ou l'autre contenu, sans par là manquer de fidélité à ces paroles qui, presque imperceptiblement et cependant sans équivoque, accueillaient en elles-mêmes la Loi et les Prophètes. Mais ce disant, nous sommes désormais passés à l'interprétation des paroles du Seigneur.

    Les récits de l'institution dans les quatre textes commencent par deux affirmations concernant l'agir de Jésus, qui ont acquis une signification essentielle dans leur réception par l'ensemble de l'Église. Il nous est dit que Jésus prit le pain, prononça la prière de bénédiction et d'action de grâce et ensuite le rompit. Au commencement il y a l'eucharistia (Paul/Luc) ou bien l'eulogia (Marc/Matthieu) : les deux termes indiquent la berakha, la grande prière d'action de grâce et de bénédiction de la tradition juive, qui fait partie aussi bien du rituel pascal que d'autres banquets. On ne mange pas sans remercier Dieu pour le don qu'il offre: pour le pain, qu'il fait pousser et croître de la terre, comme aussi pour le fruit de la vigne.

    Les deux paroles différentes que Marc/Matthieu, d'une part, et Paul/Luc, de l'autre, utilisent, indiquent les deux directions intrinsèques de cette prière: elle est action de grâce et louange pour le don de Dieu. Cette louange, cependant, renvoie la bénédiction sur le don, comme on lit en 1 Tm 4,4s. : « Tout ce que Dieu a créé est bon et aucun aliment n'est à proscrire, si on le prend avec action de grâce (eucharistia) ; la parole de Dieu et la prière le sanctifient. » Dans la dernière Cène, Jésus (comme déjà dans la multiplication des pains, Jn 6,11) a accueilli cette tradition. Les paroles de l'institution sont dans ce contexte de prière : en elles, l'action de grâce devient bénédiction et transformation.

    Depuis ses tout débuts, l'Église a compris les paroles de consécration non pas simplement comme une sorte de commandement presque magique, mais comme faisant partie de la prière faite avec Jésus ; comme partie centrale de la louange teintée de gratitude, par laquelle le don terrestre nous est de nouveau offert par Dieu comme corps et sang de Jésus, comme don de soi de Dieu dans l'amour accueillant du Fils. Louis Bouyer a cherché à décrire le développement de l'eucharistia chrétienne - du « canon » -à partir de la berakha juive. On comprend ainsi que « Eucharistie » soit devenue la dénomination de l'ensemble du nouvel événement cultuel donné par Jésus. Nous devrons encore revenir sur ce sujet dans la quatrième section de ce chapitre.


    En second lieu, il est dit que Jésus « rompit le pain ». Rompre le pain pour tous est avant tout la fonction du père de famille, qui représente par là, et de quelque manière aussi, Dieu le Père qui, par la fertilité de la terre, nous distribue à tous ce qui est nécessaire pour vivre. Et c'est aussi le geste de l'hospitalité, par lequel on fait participer l'étranger à ses propres biens, l'accueillant dans la communion conviviale. Rompre et partager: le fait de partager crée justement une communion. Ce geste humain essentiel de donner, de partager et d'unir, trouve dans la dernière Cène de Jésus une profondeur toute nouvelle : il se donne lui-même. La bonté de Dieu, qui se manifeste à travers le fait de distribuer, devient tout à fait radicale au moment où le Fils, dans le pain, se communique et se distribue lui-même.

    Le geste de Jésus est devenu ainsi le symbole de tout le mystère de l'Eucharistie : dans les Actes des Apôtres et dans le christianisme primitif en général, « rompre le pain » désigne l'Eucharistie. Nous bénéficions en elle de l'hospitalité de Dieu qui, en Jésus Christ crucifié et ressuscité, se donne à nous. Rompre le pain et le distribuer - l'acte d'attention aimante pour celui qui a besoin de moi - est donc une dimension intrinsèque de l'Eucharistie elle-même.

    La « Caritas », le souci de l'autre, n'est pas un domaine secondaire du christianisme à côté du culte, mais elle est enracinée en lui et en fait partie. Dans l'Eucharistie, dans le « fait de rompre le pain », la dimension horizontale et la dimension verticale sont reliées inséparablement. Dans cette double affirmation sur le fait de rendre grâce et sur le fait de partager, au commencement du récit de l'institution, la nature du nouveau culte fondé par le Christ à la dernière Cène, sur la Croix et à la Résurrection est rendue évidente : par là, l'ancien culte du Temple est aboli et en même temps il est porté à son accomplissement.

    Venons-en maintenant à la parole prononcée sur le pain. Selon Marc et Matthieu elle dit simplement : « Ceci est mon corps », Paul et Luc ajoutent: « donné pour vous ». Ils mettent ainsi en évidence ce qui, en soi, est contenu dans le geste de distribuer. Quand Jésus parle de son corps, cela, évidemment, ne veut pas dire le corps distinct de l'âme et de l'esprit, mais la personne entière en chair et en os. En ce sens Rudolf Pesch commente avec justesse : Jésus « dans son interprétation du pain suppose la signification particulière de sa personne. Les disciples peuvent comprendre : Je suis cela, le Messie » (Markusevangelium II, p. 357).

    Mais comment cela peut-il se réaliser ? De fait, Jésus se trouve au milieu de ses disciples — qu'est-il en train de faire ? Il accomplit ce qu'il avait dit dans le discours du bon Pasteur: « Personne n'enlève ma vie, mais je la dépose de moi-même » (Jn 10,18). La vie lui sera enlevée sur la Croix, mais déjà maintenant il l'offre lui-même. Il transforme sa mort violente en un acte libre de don de soi pour les autres et aux autres.

    Et il sait: « J'ai pouvoir de la déposer, et j'ai pouvoir de la reprendre » (ibid.). Il donne sa vie en sachant que de cette façon il la reprend de nouveau. Dans l'acte de donner sa vie, la Résurrection est incluse. Par conséquent, de façon anticipée, il peut se distribuer lui-même dès maintenant, parce que dès maintenant il offre sa vie, il s'offre lui-même, et par là dès maintenant il la reprend. Il peut ainsi instituer maintenant le Sacrement dans lequel il devient le grain de blé qui meurt et dans lequel, à travers tous les temps, il se distribue lui-même aux hommes dans la vraie multiplication des pains.


    La phrase concernant le calice, à laquelle nous prêtons maintenant attention, est d'une extraordinaire densité théologique. Comme déjà indiqué plus haut, dans le petit nombre de mots de cette phrase sont entrelacés trois textes vétérotestamentaires, si bien que toute l'histoire précédente du salut y est résumée et rendue à nouveau présente.

    Nous avons tout d'abord Exode 24,8 - la conclusion de l'Alliance au Sinaï; puis Jérémie 31,31 - la promesse de la Nouvelle Alliance au milieu de la crise de l'histoire de l'Alliance, une crise dont les manifestations les plus importantes étaient la destruction du Temple et l'exil à Babylone ; et enfin, il y a Isaïe 53,12 - la promesse mystérieuse du Serviteur de Dieu, qui porte le péché de la multitude et de cette façon obtient pour elle le salut.

    Cherchons maintenant à comprendre ces trois textes, chacun dans sa propre signification et dans son nouveau contexte. L'Alliance du Sinaï, selon la description d'Exode 24, se fondait sur deux éléments : d'une part, sur le « sang de l'alliance », le sang d'animaux sacrifiés, avec lequel était aspergé l'autel - comme symbole de Dieu - et le peuple et, d'autre part, sur la parole de Dieu et sur la promesse de l'obéissance d'Israël : « Ceci est le sang de l'Alliance que le Seigneur a conclue avec vous moyennant toutes ces clauses », avait dit solennellement Moïse après le rite de l'aspersion. Juste avant, le peuple avait répondu à la lecture du livre de l'Alliance : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons et nous y obéirons » (Ex 24,7s.)

    Cette promesse d'obéissance, qui était constitutive pour l'Alliance, fut rompue immédiatement après par l'adoration du veau d'or alors que Moïse se trouvait sur la montagne. Toute l'histoire qui suit est une histoire de violations toujours nouvelles de la promesse d'obéissance, comme le montrent aussi bien les livres historiques de l'Ancien Testament que les livres des prophètes. La rupture semble irrémédiable au moment où Dieu abandonne son peuple à l'exil et le Temple à la destruction.

    À ce moment-là surgit l'espérance de la « Nouvelle Alliance », non plus fondée sur la fidélité toujours fragile de la volonté humaine, mais inscrite indestructiblement dans les cœurs eux-mêmes (cf. Jr 31,33). En d'autres termes, la Nouvelle Alliance doit se fonder sur une obéissance qui soit irrévocable et inviolable. Cette obéissance, qui fonde maintenant la racine de l'humanité, est l'obéissance du Fils qui s'est fait serviteur et qui prend sur lui, par son obéissance jusqu'à la mort, toute désobéissance humaine. Il la supporte jusqu'au bout et la surmonte.

    Dieu ne peut pas tout simplement ignorer l'ensemble de la désobéissance des hommes, tout le mal de l'histoire, il ne peut pas le traiter comme une chose de peu d'importance et insignifiante. Une telle sorte de « miséricorde », de « pardon inconditionnel » serait cette « grâce à bon marché », contre laquelle Dietrich Bonhoeffer s'est élevé avec raison face à l'abîme du mal de son temps. L'injustice, le mal comme réalité, ne peut pas être simplement ignoré, ne peut être laissé là. Il doit être éliminé, vaincu. C'est là seulement la vraie miséricorde. Et puisque les hommes n'en sont pas capables, Dieu lui-même s'en charge maintenant - c'est là la bonté « inconditionnelle » de Dieu, une bonté qui ne peut jamais être en contradiction avec la vérité et la justice qui lui est liée. « Si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même » (2 Tm 2,13).

    Sa fidélité réside dans le fait que maintenant lui-même n'agit pas seulement comme Dieu à l'égard des hommes, mais aussi comme homme à l'égard de Dieu, fondant ainsi l'Alliance de manière irrévocablement stable. Par conséquent, la figure du Serviteur de Dieu, qui porte le péché de la multitude (cf. Is 53,12), va avec la promesse de la Nouvelle Alliance fondée de manière indestructible. Cette greffe désormais indestructible de l'Alliance dans le cœur de l'homme, de l'humanité elle-même, se réalise dans la souffrance vicaire du Fils qui s'est fait serviteur. Depuis lors, à la marée immonde du mal s'oppose l'obéissance du Fils, en qui Dieu lui-même a souffert et dont, en conséquence, l'obéissance est toujours infiniment plus grande que la masse croissante du mal (cf. Rm 5,16-20).

    Le sang des animaux n'avait pu ni « expier » le péché, ni relier Dieu et les hommes. Il pouvait seulement être un signe de l'espérance et de l'attente d'une obéissance plus grande et vraiment salvifique. Dans la parole de Jésus sur le calice, tout cela est réuni et est devenu réalité : il donne « la nouvelle alliance dans son sang ». « Son sang » - c'est-à-dire le don total de lui-même, dans lequel il souffre jusqu'au bout tout le mal de l'humanité, et il élimine toute trahison en l'absorbant dans sa fidélité inconditionnelle. C'est cela le culte nouveau, qu'il institue à la dernière Cène: attirer l'humanité dans son obéissance vicaire. Cette participation au corps et au sang du Christ signifie qu'il est « pour une multitude » - pour nous - et dans le Sacrement, il nous accueille dans cette multitude.


    Maintenant, il reste encore à expliquer, dans les paroles d'institution de Jésus, une expression qui a suscité récemment de multiples discussions. Selon Marc et Matthieu, Jésus a dit que son sang serait versé « pour une multitude », faisant ainsi allusion justement à Isaïe 53, alors que chez Paul et Luc il est question de donner ou plutôt de verser « pour vous ».

    La théologie récente a souligné avec raison le mot « pour » commun aux quatre récits, un mot qui peut être considéré comme un mot-clé non seulement dans les récits de la dernière Cène, mais pour la figure même de Jésus en général. Sa nature tout entière est qualifiée par le mot « existence-pour » - une existence non pour elle-même mais pour les autres, et cela non dans une dimension quelconque de cette existence, mais dans ce qui en constitue l'aspect le plus profond et le plus totalisant. Son être est dans un « être pour ». Si nous réussissons à comprendre cela, alors nous nous serons véritablement approchés du mystère de Jésus, alors nous saurons aussi ce que signifie marcher à sa suite.

    Mais que veut dire « versé pour une multitude » ? Dans son œuvre fondamentale Die Abendmahlsworte Jesu (1935), Joachim Jeremias a cherché à montrer que le mot « multitude » dans les récits sur l'institution serait un sémitisme et qu'il devrait donc être lu non pas à partir de la signification du mot grec, mais selon les textes vétérotestamentaires correspondants. Il cherche à montrer que le mot « multitude » dans l'Ancien Testament signifie « la totalité » et donc qu'en réalité il faudrait le traduire par « tous ». Cette thèse s'est alors vite affirmée et est devenue une conviction théologique commune. Selon celle-ci, dans les paroles de la consécration, la « multitude » a été traduite en diverses langues par « tous ». « Versé pour vous et pour tous », c'est ainsi que, dans divers pays, les fidèles entendent aujourd'hui les paroles de Jésus durant la célébration eucharistique.

    Entre-temps, toutefois, ce consensus entre les exégètes s'est de nouveau brisé. L'opinion dominante tend aujourd'hui à soutenir que « multitude » en Isaïe 53 et aussi en d'autres endroits, tout en signifiant une totalité, ne peut pas être simplement assimilée à « tous ». En s'appuyant sur le langage de Qumran, on suppose généralement maintenant que « multitude » en Isaïe et chez Jésus signifie la « totalité » d'Israël (cf. Pesch, Abendmahl, p. 99; Wilckens 1/2, p. 84). C'est seulement avec le passage de l'Évangile aux païens qu'aurait été rendu évident l'horizon universel de la mort de Jésus et de son expiation, qui comprend également Juifs et païens.

    Dernièrement, le jésuite viennois Norbert Baumert, avec Maria-Irma Seewann, a présenté une interprétation de « pour une multitude », que Jean Pascher avait déjà développée en 1947, pour l'essentiel, dans son livre Eucharistia. Le noyau de la thèse est celui-ci: selon la structure linguistique du texte, l'« être versé » ne se réfère pas au sang, mais au calice; « il s'agirait donc d'un actif "verser" du sang du calice, un acte dans lequel la vie divine elle-même est donnée abondamment, sans aucune allusion à l'agir de bourreaux » (Gregorianum 89, p. 507). La parole sur le calice ne ferait donc pas allusion à l'événement de la mort en Croix et à son effet, mais à l'acte sacramentel, et ainsi s'éclairerait aussi le mot « multitude » : alors que la mort de Jésus vaut « pour tous », la portée du Sacrement est plus limitée. Il rejoint une multitude, mais pas tous (cf. en particulier p. 511).

    Sous l'aspect strictement philologique, cette solution peut être vraie pour le texte de Marc 14,24. Si on n'attribue aucune originalité au texte de Matthieu à l'égard de Marc, pour les paroles de la dernière Cène la solution pourrait être convaincante. Le fait de souligner la différence entre le rayonnement de l'Eucharistie et le rayonnement universel de la mort en Croix de Jésus est en tout cas précieux et peut faire avancer la recherche. Mais le problème du mot « multitude » n'en est toutefois que partiellement expliqué.

    Reste, en effet, l'interprétation fondamentale que Jésus donne de sa mission en Marc 10,45, où justement revient le mot « multitude »: « Le Fils de l'homme lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. » Ici on parle clairement du don de la vie comme tel, et il est ainsi évident que par là Jésus reprend la prophétie sur le Serviteur de Dieu en Isaïe 53 et la relie à la mission du Fils de l'homme qui, en conséquence, prend une nouvelle signification.

    Que devons-nous donc dire ? Il me semble présomptueux et sot de vouloir scruter la conscience de Jésus et de vouloir expliquer à partir de celle-ci ce que, selon notre connaissance de ces temps-là et des conceptions théologiques d'alors, il peut avoir pensé ou ne pas avoir pensé. Nous pouvons seulement dire qu'il savait que dans sa personne s'accomplissait la mission du Serviteur de Dieu et celle du Fils de l'homme - c'est pourquoi la relation entre les deux motifs comporte en même temps un dépassement de la limitation de la mission du Serviteur de Dieu, une universalisation qui indique une nouvelle ampleur et profondeur.

    Nous pouvons encore noter comment, dans le cheminement de l'Église naissante, grandit en même temps et lentement la compréhension de la mission de Jésus et comment les disciples, dans leur remémoration sous la mouvance de l'Esprit de Dieu (Jn 14,26), commencent peu à peu à percevoir tout le mystère présent derrière les paroles de Jésus. 1 Tm 2,6 parle de Jésus comme de l'unique médiateur entre Dieu et les hommes, « qui s'est livré en rançon pour tous ». La signification salvifique universelle de la mort de Jésus est ici exprimée avec une clarté cristalline.

    Chez Paul et Jean, nous pouvons trouver des réponses historiquement différenciées et en substance pleinement concordantes à la question concernant le rayonnement de l'œuvre salvifique de Jésus — réponses indirectes au problème « multitude/tous ». Paul écrit aux Romains que les païens « dans leur totalité » (plèromd) doivent atteindre le salut et que tout Israël sera sauvé (cf. 11,25s.). Jean dit que Jésus serait mort « pour le peuple » (les Juifs), cependant « non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés »
(11,50s.). La mort de Jésus vaut pour les Juifs et pour les païens, pour l'humanité dans son ensemble.

    Si la « multitude » en Isaïe pouvait signifier essentiellement la totalité d'Israël, dans la réponse croyante que l'Église donne au nouvel usage du mot de la part de Jésus, il est toujours plus évident que, de fait, il est mort pour tous.


    En 1921, le théologien protestant Ferdinand Kattenbusch a cherché à montrer que les paroles de l'institution de Jésus durant la dernière Cène constitueraient l'acte authentique de fondation de l'Église. Par là, Jésus aurait donné à ses disciples cette nouveauté qui les unissait et faisait d'eux une communauté. Kattenbusch avait raison : avec l'Eucharistie, l'Église elle-même a été instituée. Elle devient une unité, elle devient elle-même à partir du Corps du Christ et en même temps, à partir de sa mort, elle devient capable de s'ouvrir à l'étendue du monde et de l'histoire.

    L'Eucharistie est le processus visible du fait de se réunir, un processus qui, à partir d'un lieu et à travers tous les lieux, est une entrée en communion avec le Dieu vivant qui, de l'intérieur, rapproche les hommes les uns des autres. L'Église se forme à partir de l'Eucharistie. Elle en reçoit son unité et sa mission. L'Église vient de la dernière Cène, mais justement pour cela elle vient de la mort et de la Résurrection du Christ, anticipées par lui dans le don de son corps et de son sang.

Chapitre 5
La dernière Cène   Benoît XVI
1. La date de la dernière Cène Benoît XVI
2. L'institution de l'Eucharistie
Benoît XVI
3. La théologie des paroles de l'institution
Benoît XVI
4. De la Cène à l'Eucharistie du dimanche matin

 
 

Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -  E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 28.01.2023

 
 

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