Benoît XVI rappelle que la Tradition
a son organe dans l'autorité de l'Église
Le 28 août 2008 -
(E.S.M.)
- La Tradition existe concrètement comme présence
dans la foi, qui, en tant qu'habitation par le Christ, passe avant
toutes les autres révélations explicitées, affirme Benoît XVI, et qui
traverse les siècles, vivante, portant ses fruits, et par conséquent
s'explicitant elle-même.
L'Église
une et indivise -
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Benoît XVI rappelle que la Tradition a son organe dans l'autorité de
l'Église
LA PAROLE DE DIEU Rubrique : Théologie
Chapitre
II : Essai sur la question du concept de
Tradition
La réalité événementielle de la Révélation chrétienne n'est rien moins que
le Christ lui-même. Il est la Révélation dans tout son sens : « Celui qui me
voit, voit le Père », dit le Christ en saint Jean (14,9). Il faut donc en
déduire que recevoir la Révélation signifie entrer dans la réalité-Christ,
d'où jaillit cette double relation que saint Paul décrit dans les
expressions « Christ en nous » et « nous dans le Christ ».
Tout le reste prend sens comme explication du mystère du Christ. Dès lors,
la question de la suffisance du contenu de l'Écriture s'éclaire, cette
question qui, depuis les travaux de Geiselmann, fait l'objet de tant de
discussions. La question qui s'impose ici est la suivante : que peut bien
pouvoir dire, s'agissant du Christ, « suffisance de contenu » ? La réalité-Christ est uniquement « suffisante ». Elle peut plus ou moins
s'expliquer « matériellement », là n'est pas l'essentiel, précise Benoît
XVI, et de ce fait, il
peut aussi bien y avoir des explications « matérielles » d'après l'Écriture,
ce dont il s'agira plus loin.
On peut aussi considérer cet état de fait sous un autre angle, pour avancer
un peu. L'accueil de la Révélation, par laquelle nous est accordée la
réalité du Christ, s'appelle, en langage biblique, la «
foi». On peut à
partir de là mieux comprendre que dans le Nouveau Testament
avoir la foi
signifie la même chose qu'être habité par le Christ. Et nous avancerons
encore si nous constatons que, pour l'Écriture, la présence de la Révélation
est synonyme de la présence du Christ. La présence du Christ se caractérise
de deux façons dans l'Écriture. Elle apparaît d'une part comme identique à
la Foi (Ep 3,17), par laquelle l'homme rencontre le Christ et entre dans le
champ de sa puissance salvatrice. Mais elle se cache aussi dans l'expression
paulinienne de « Corps du Christ », qui caractérise l'assemblée des croyants
- l'Église -, « l'être-là » du Christ dans notre monde, dans
lequel il vient rassembler l'humanité, et par lequel il la rend participante
de sa présence Toute-Puissante.
Ces deux dimensions signifient que la foi est l'entrée dans l'être présent
du Christ, dans la réalité du Christ présent, dont témoigne l'Écriture mais
qui n'est pas l'Écriture elle-même. Il s'ensuit donc, souligne Benoît XVI, que la présence de la
Révélation est essentiellement en rapport avec les réalités «
foi » et «
Église », qui sont toutes deux dans leur substance en étroite relation. Ceci
nous ramène à la première thèse de ce propos, selon laquelle la Révélation
surpasse l'Écriture en un double mouvement - en allant vers Dieu, et en
allant vers l'homme qui l'accueille. Cette notion, restée encore un peu
floue au début de ce propos, se trouve essentiellement concrétisée au regard
des réalités effectives du Christ.
La nature de la Tradition
L'explication de la réalité du Christ qu'est la Révélation, qui a sa
présence unique sous les deux formes de la foi et de l'Église, se fait dans
l'annonce de l'Évangile. L'annonce de l'Évangile est par conséquent, en
raison de sa nature, interprétation (explication) et, en fonction de la
forme dualiste de la Révélation dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament,
elle se fait sous deux aspects :
a- Elle est interprétation de l'Ancien Testament à partir de l'Événement du
Christ et en regard de l'Événement du Christ.
b- Elle est interprétation de l'Événement du Christ lui-même, à partir du
Pneuma et en même temps à partir de Sa présence dans l'Église. Ce dernier
point est uniquement possible en ce sens que le Christ n'est pas mort, mais
qu'il est vivant, et qu'il est non pas simplement le Christ d'hier, mais
tout aussi intensément le Christ d'aujourd'hui et de demain. Vivant et
présent, il l'est précisément dans son Église qui est son Corps, et dans
laquelle son Esprit agit. Cet état de fait nécessite encore un certain
éclaircissement sous l'angle de la nature de l'Église. Comme le Nouveau
Testament nous le fait entendre, le message de Jésus est d'abord et avant
tout un message eschatologique, dont l'objectif est le Royaume de Dieu, non
l'Église. Le fait que l'Église existe n'est certes pas en contradiction avec
ce message, mais il n'arrive qu'en deuxième place dans les étapes
successives des Révélations du Christ. De même que tout le ministère des
Douze après la Pentecôte ne vise pas d'abord l'Église, mais le Royaume de
Dieu, ce que nous pouvons retenir de plus marquant dans les Actes des
Apôtres est le fait que les Douze n'envisagèrent pas en premier lieu
d'évangéliser les nations, mais qu'ils tentèrent d'abord de convertir Israël
et de créer ainsi les conditions de la venue du Royaume. C'est seulement
après toute une série de revers historiques, parmi lesquels il faudrait
citer en particulier la lapidation d'Étienne, l'exécution de Jacques, et
finalement l'arrestation puis la fuite de Pierre, que la
première communauté fut contrainte de constater l'échec de sa tentative
d'évangélisation d'Israël. Elle décida alors d'aller chez les païens et de
construire l'Église plutôt que le Royaume. En agissant ainsi - cela ressort
clairement du chapitre 15 -, elle prend une décision en union avec l'Esprit
Saint. Les apôtres inaugurent ainsi cette nouvelle interprétation du message
du Christ, sur laquelle repose l'Église dans son essence même.
Que l'Église soit fondée sur une décision prise « en union avec l'Esprit
Saint » justifie une interprétation ecclésiale du Nouveau Testament, comme
il y a une interprétation christologique de l'Ancien Testament. Nous avons à
examiner les deux points suivants, avec ce qu'ils ont de différences, mais
de liens aussi, dans l'analogia fidei :
a - Il y a une théologie vétérotestamentaire de l'Ancien Testament, que
l'historien puise à l'intérieur de cette source et qui se développe en une
quantité de couches superposées, où des textes anciens se relisent et se
réinterprètent sous l'éclairage d'événements nouveaux. Le phénomène de la
continuation de textes en situations nouvelles, de la continuation de la
Révélation à partir d'une nouvelle interprétation de l'Ancien Testament
structure déjà, de manière tout à fait essentielle, le cœur même de l'Ancien
Testament.
b - Il y a une théologie néotestamentaire de
l'Ancien Testament, qui ne se
recoupe pas avec la théologie propre et interne à l'Ancien Testament, mais
qui est reliée à elle dans l'unité de l'analogia fidei. De ce point de vue,
remarque Benoît XVI, on peut peut-être dire d'une autre manière ce que signifie
l'analogia fidei
entre les deux Testaments. La théologie néotestamentaire de l'Ancien
Testament n'est certes pas identique à la théologie vétérotestamentaire, qui
lui est propre et qui dans son contenu est historiquement vérifiable, mais
elle est une nouvelle interprétation à la lumière de l'événement du Christ.
Cette interprétation ne ressort pas seulement d'une considération purement
historique de l'Ancien Testament. En accomplissant un tel bouleversement
dans l'interprétation., elle ne fait cependant rien qui soit totalement
étranger à l'essence même de l'Ancien Testament, qui lui parviendrait de
l'extérieur; au contraire, elle donne une suite à la structure interne de
l'Ancien Testament, qui vit et croît à travers de tels bouleversements
d'interprétation.
c - II y a une théologie néotestamentaire du Nouveau Testament,
correspondant à la théologie vétérotestamentaire de l'Ancien Testament, une
théologie donc, que l'historien peut puiser à l'intérieur du Nouveau
Testament ; elle se caractérise et se structure d'ailleurs encore grâce à la
nouvelle compréhension de l'Ancien en situation nouvelle.
d - II y a une théologie ecclésiale du Nouveau Testament, que nous appelons
dogmatique. Elle se comporte vis-à-vis de la théologie néotestamentaire du
Nouveau Testament comme la théologie néotestamentaire de l'Ancien Testament
se comporte vis-à-vis de la théologie vétérotestamentaire de l'Ancien
testament. Ce « plus » caractéristique, qui différencie donc la dogmatique
de la théologie biblique, nous l'appelons dans un sens très précis
la
Tradition. Ici aussi il faudrait constater que la théologie ecclésiale du
Nouveau Testament n'est pas purement identique à la théologie
néotestamentaire du Nouveau Testament au contenu historiquement
compréhensible, mais qu'elle la transcende sans cependant lui être purement
extérieure. Car là encore commence déjà, au sein du Nouveau Testament même,
le début de l'interprétation ecclésiale du transmis. La théologie ecclésiale
du Nouveau Testament pénètre, en tant que processus, au cœur du Nouveau
Testament même, et c'est dans l'histoire de la transmission synoptique que
cela pourrait se voir le plus clairement.
Une petite remarque s'impose encore. Si nous mettons d'emblée sur le même
plan la théologie ecclésiale du Nouveau Testament et la dogmatique, il faut,
en regardant de plus près, faire une différence. La dogmatique en tant que
science inclut toujours, par-delà l'interprétation ecclésiale du Nouveau
Testament, la théologie personnelle de chaque théologien. On pourrait dans
cette mesure, et dans un sens bien précis, ne qualifier que le dogme
lui-même de théologie ecclésiale du Nouveau Testament. De toute façon, ce
schéma n'est bien sûr qu'une ébauche grossière, et pour plus d'exactitude,
il faudrait préciser certains détails. Les gros traits suffisent pour notre
problématique. Si nous résumons tout ce que nous venons de voir, nous
constatons plusieurs fondements à la réalité « Transmission de la Révélation
», ainsi que plusieurs éléments à l'intérieur même de celle-ci.
1re racine : la transcendance de la réalité «
Révélation » par rapport à l'« Écriture ».
2e racine : le caractère spécifique de la Révélation
néotestamentaire en tant que pneuma en opposition au gramma,
et par là, ce que dans la langue de Bultmann, on pourrait appeler sa non
objectivabilité. La praxis de l'Église, et la théorie médiévale qui lui fit
suite, a exprimé cet état de fait en affirmant la primauté de la fides
sur la scriptura, c'est-à-dire de la profession de foi comme règle de
foi prévalant sur les détails de l'Écrit. La profession de foi apparaît
comme la clé herméneutique qui fait entrer dans l'Écriture, cette dernière
étant, sans l'herméneutique, vouée au silence.
3e racine : le caractère de présent de l'événement du
Christ et la présence souveraine de l'Esprit du Christ dans son Corps,
l'Église. En lien avec cela, la souveraineté de l'explication du fait du
Christ d'hier allant jusqu'au Christ d'aujourd'hui, qui nous a été donnée à
l'origine par les apôtres avec leur recentrage sur l'Église du message du
Royaume.
Conformément à ces trois fondements de la notion de Tradition
(ou mieux, de la réalité de la Tradition) on peut
déduire différents moments dans la transmission de la foi :
a- À l'origine de toute la Tradition, il y a le fait que Dieu le Père envoie
son Fils dans le monde et qu'à son tour le Fils se livre (napaôiôotai)
- en signe -, à toutes les « nations ». Ce processus de Tradition,
paradosis, avec son caractère salvifique, se poursuit dans la présence
permanente du Christ, dans son Corps : l'Église. En ce
sens, c'est tout le mystère de la présence du Christ qui constitue en
premier lieu l'ensemble de la réalité transmise par la Tradition.
Cette réalité fondamentale, qui passe avant toutes les autres révélations
explicitées, y compris celles de l'Écriture, indique Benoît XVI, représente
ce qui est effectivement à transmettre.
b- La Tradition existe donc concrètement comme
présence dans la foi, qui, en tant qu'habitation par le Christ, passe avant
toutes les autres révélations explicitées, et qui traverse les siècles,
vivante, portant ses fruits, et par conséquent s'explicitant elle-même.
c- La Tradition a son organe dans l'autorité de
l'Église, c'est-à-dire chez ceux qui, en son sein, ont l'autorité.
d- Mais la Tradition s'exprime déjà dans ce qui, émanant de la suprématie de
la foi, est déjà devenu règle de foi (Symbole, fides
quae). La question de savoir si d'autres paroles prononcées
furent transmises dans le même temps et parallèlement à l'Écriture, si donc
il y a eu dès le début un principe matériel autre que l'Écriture, paraît ici
bien secondaire; il faudra y répondre probablement par la négative.
Sources:
La Parole de Dieu, cardinal
Ratzinger/Benoît XVI - Traduit de l'allemand par Monique Guisse -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 28.08.08 -
T/Théologie