Le papisme traité par Benoît XVI |
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Rome, le 15 avril 2008 -
(E.S.M.) - L'expression de « catholique romain » par
laquelle, sur le plan de la sociologie religieuse, la communauté de
croyants fidèles à l'évêque de Rome se distingue des autres «
catholicismes », renferme, exposait le cardinal Ratzinger/Benoît XVI, un paradoxe sémantique
qui, à son tour, est l'expression d'une considérable problématique
théologique.
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Saint Augustin -
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Le papisme traité par Benoît XVI
Rubrique : Théologie
LA PAROLE DE DIEU
Primauté, épiscopat et succession apostolique
L'expression de « catholique romain » par laquelle, sur le plan de la
sociologie religieuse, la communauté de croyants fidèles à l'évêque de Rome
se distingue des autres « catholicismes », renferme un paradoxe sémantique
qui, à son tour, est l'expression d'une considérable problématique
théologique. « Catholique » signifie, au même titre qu'« œcuménique », le
franchissement de toutes les frontières, la prétention de conquérir le monde
entier. Lorsque le terme « catholicus » est devenu synonyme de «
christianus », l'universalité ainsi visée devait permettre de s'élever
au-dessus des Églises sectaires, au rayonnement limité, et de créer une
unité de sens au point de vue de la sociologie religieuse
(La catholicité en tant que caractéristique concrète de la
véritable Église est particulièrement affirmée chez saint Augustin, cf. F.
HOFMANN, La conception de l'Église chez saint Augustin, Munich, 1933, J.
RATZINGER, Le Peuple et la Maison de Dieu dans la doctrine ecclésiastique de
saint Augustin, Munich, 1954). Le fait qu'un
autre
terme, « romanus », ait été apposé à « catholicus » ne met pas seulement en
évidence le scandale d'une scission au sein même de l'Église catholique qui
a, précisément, rendu nécessaire cet ajout de terme, mais ressemble aussi à
un repli du premier prédicat vers l'intérieur, en ce que son caractère à
l'origine illimité dans l'espace se retrouve, avec cette nouvelle
énonciation, désormais ramené à une localisation précise. La singulière
polarité dans laquelle les deux termes « romanus » et «
catholicus »
coexistent renferme, d'une façon propre à remuer les esprits, la relation
qu'entretiennent unité et plénitude, primauté et épiscopat. Si la formule «
catholique romain » renvoie d'abord au phénomène de la scission du
catholicisme lui-même, elle manifeste, plus profondément, les prémices de
cette scission en manifestant cette conception de l'unité et de la
catholicité qui a tant divisé et divise encore les esprits.
Le programme du Concile de Jean XXIII a replacé cette problématique au cœur
du questionnement théologique. Après les décennies de fixation sur le « Romanus » qui avaient suivi Vatican I, le regard était de nouveau tourné
vers l'autre côté de la balance, ce « catholicus » qui coexiste avec une
unité paradoxale en compagnie du « Romanus », au point que l'un détaché de
l'autre ne serait plus lui-même. La théologie s'apprêtait à réécrire les
traités De episcopo et De conciliis après avoir atteint un haut niveau de
clarté dans le traité De primatu. Dans le cadre d'une telle discussion, pour laquelle l'analyse
du concept de succession est une modeste contribution, il convient avant
tout d'éviter les faux problèmes ou les banalités pour se consacrer aux
questions dont la résolution peut faire progresser la connaissance de la
réalité ecclésiale, et ainsi rendre authentiquement service à la chrétienté
divisée.
La doctrine ecclésiastique du primat et de
l'épiscopat
Demandons-nous donc précisément quel est l'enseignement ecclésial intangible
qui peut et doit être posé comme donnée préalable tant dans le débat
intercatholique que dans la discussion théologique. Un des dogmes
ecclésiastiques affirme que le pape possède un pouvoir de juridiction direct
et ordinaire, c'est-à-dire un véritable pouvoir épiscopal, sur toute
l'Église. Le premier concile du Vatican qualifie le primat du pape d'«
apostolicus primatus » et le Saint-Siège de « sedes
apostolica ». Dans le domaine de la doctrine, il s'ensuit que
l'infaillibilité est attribuée au pape dans l'exercice de ses fonctions : ses
décisions ex cathedra sont irréformables « ex sese » et non pas seulement à
compter d'une ratification ultérieure opérée par l'Église. Pour ce qui est
de la communion, autre pilier de la réalité ecclésiale, seul celui qui est
en communion avec le pape vit dans la véritable communion avec le Corps du
Seigneur, c'est-à-dire dans la véritable Église. A ces certitudes au sujet
du pape s'oppose une série de certitudes au sujet de la fonction épiscopale.
Si, d'une part, le siège pontifical est appelé « sedes apostolica » et son
primat « apostolicus », on dit inversement des évêques, justement, qu'« in
Apostolorum locum successerunt, alors que l'on attribue au pape un pouvoir
épiscopal ordinaire sur toute l'Église, tandis que les évêques ne seraient
que les organes exécutifs du pape, on affirme d'un autre côté que les
évêques sont « désignés par le Saint-Esprit », qu'ils sont « de droit
divin » - c'est-à-dire non de droit pontifical, mais appartenant comme lui
à la structure divine de l'Église. Récemment, dom
Olivier Rousseau a rappelé aux théologiens un document oublié depuis bien
trop longtemps, qu'il considère à juste titre comme un commentaire
authentique de Vatican I - on peut même le considérer comme une sorte
d'addenda au De episcopo sur un sujet qui n'y avait pas été traité -, un
complément d'une importance primordiale dans la mesure où il permet de
comprendre enfin tout le sens des décisions issues du concile. Il s'agit de
la « Déclaration collective de l'épiscopat allemand au sujet de la
circulaire du chancelier allemand concernant la future élection papale »,
datant de 1875, déclaration qui avait rencontré l'approbation explicite et
sans réserve de Pie IX. Dom Rousseau résume le contenu de cet important
écrit en sept points, à savoir :
1) « Le pape ne peut pas réclamer pour lui seul les droits épiscopaux, ni
substituer son pouvoir à celui des évêques ;
2) La juridiction épiscopale n'est pas dissoute dans la juridiction papale ;
3) Les résolutions du concile du Vatican n'ont pas attribué au pape
l'intégralité des pouvoirs épiscopaux;
4) Celui-ci n'a pas, en principe, pris la place de quelque évêque que ce
soit;
5) II ne peut, à tout instant, se substituer aux évêques face aux
gouvernements ;
6) Les évêques ne sont pas devenus les instruments du pape;
7) Ils ne sont pas, face aux gouvernements, les fonctionnaires d'un
souverain étranger. »
Si l'on reconsidère les déclarations de Vatican I à cette lumière, il est
indéniable qu'elles sont beaucoup plus profondes et à vrai dire bien moins
faciles à comprendre que ne le laissent à penser les manuels de théologie.
Au fond, elles sont traversées par la même dialectique qui caractérise les
autres énoncés de ce concile au discours faussement simpliste et à la vérité
étonnamment nuancée. H. U. von Balthasar a relevé le caractère dialectique
de la première partie des résolutions de Vatican I, en indiquant que ce
concile n'a pas simplement défini l'existence d'une connaissance naturelle
de Dieu, mais qu'il a surtout mis en œuvre une dialectique sublime dans la
mesure où au « certo cognosci posse » s'oppose dans un autre passage le
constat univoque de l'absence de cette « firma certitude » qu'il serait
possible à tous les hommes d'atteindre sans grand effort et sans y mêler
d'erreur, ce qui donne le schéma suivant :
« Humana ratio per se
I
certo cognoscere potest tribuit
|
in praesenti generis humani conditione
I
firmam certitudinem revelatio omnibus hominibus expedite et nullo admixto
errore. » |
Le certo apparaît simultanément sous le signe du sic et du non; le concile
ne délivre pas de formule simple telle que le théologien les recherche
invariablement (à raison), mais semble de toute évidence croire pouvoir
énoncer l'ensemble du rapport des choses dans la simple tension dialectique
générée par l'unité du sic et du non. Cette même dialectique peut également
transparaître dans le passage suivant consacré à la perceptibilité de la
Révélation à travers le signe. Certes, on met l'accent sur le certo en le
transformant en « certis-sime » ; l'on accroît le problème en indiquant que
le détenteur de cette certitude n'est pas l'abstraite « raison humaine en
soi », mais la raison concrète de l'homme moyen tel qu'il est en réalité. On
oppose à ce sic renforcé un non renforcé par la précision concomitante que
cette connaissance équivaut à une « obéissance libre » à laquelle l'homme
peut résister et se soustraire. Ici aussi, le concile reste tributaire de la
réalité dans son ensemble, laquelle ne peut être illustrée qu'au moyen de
l'opposition dialectique de deux propositions, chacune étant à elle seule
insuffisante en elle-même. Si l'on réexamine à la lumière de la «
déclaration collective » des évêques le passage De R. Pontifias et
episcoporum iurisdictione (D 1828)
généralement négligé, à tort, on s'aperçoit que celui-ci introduit dans la
doctrine du primat la même dialectique que celle qui a marqué les concepts
de Révélation et de foi définis par le concile. En fin de compte, on
retrouve là aussi l'opposition entre deux séries de propositions impossibles
à faire coexister parfaitement et qui, par là même, ne peuvent
qu'approximativement exprimer la réalité telle qu'elle est, c'est-à-dire non
unilatérales. Pour reprendre les mots de Heribert Schauf, l'Église
n'apparaît pas comme un cercle à centre unique, mais comme une ellipse à
deux points focaux: le primat et l'épiscopat; ou, pour le dire dans les
termes de l'histoire du dogme : dans le cadre de la lutte séculaire du
conciliarisme-épiscopalisme contre le papisme, Vatican I ne représente
absolument pas une simple victoire de ce dernier, ainsi que les observateurs
superficiels semblent le croire. Pour le papisme classique du Moyen Âge, ce
qui était en vigueur était « la culmination hiérarchique du presbytérat dans
l'épiscopat, c'est-à-dire la primauté juridictionnelle de l'évêque » en tant
que « réglementation de l'Église »; cela est justifié par le fait que « le
pape n'est, en tout état de fait, pas en mesure d'être le pasteur de tous
les croyants »; il s'ensuit que « le pape peut à tout instant restreindre et
limiter, voire annuler, le pouvoir juridictionnel de l'évêque ». Vatican I
présente une condamnation du papisme aussi bien que de l'épiscopalisme. Dans
les faits, il qualifie les deux doctrines d'enseignement fautif et remplace
les solutions unilinéaires, issues d'une pensée théologique ou politique
tardive, par la dialectique de la réalité telle qu'elle est donnée en
exemple par le Christ, lequel affirme son obéissance à la Vérité en refusant
justement de recourir à une formule unique ayant pour seule fin de contenter
la raison. Qu'après Vatican I il faille considérer non
seulement l'épiscopalisme, mais aussi le papisme au sens étroit du terme
comme des doctrines condamnées est un fait qui doit être porté à la
connaissance des chrétiens plus largement que cela n'a été fait jusque-là.
Dans la grande lutte historique entre ces deux puissants courants, le concile ne prend parti ni pour l'un ni pour l'autre, mais
instaure une position nouvelle qui, au-delà de toute pensée spécifiquement
humaine, formule la particularité même de l'Église, qui est de ne pas être
l'émanation du bon plaisir humain, mais de surgir de
la Parole même de Dieu.
Après quoi, la question de savoir ce qui est établi nous a ainsi d'elle-même
menés au cœur de la problématique soulevée par ce qui justement est établi,
tout en nous montrant également les limites de cette problématique. Selon la
foi catholique, le primat et l'épiscopat sont des
structures de nature divine au sein de l'Église; pour le théologien
catholique, il n'est pas concevable de les faire jouer l'une contre l'autre;
il ne peut que s'essayer à comprendre plus profondément leur relation pleine
de vitalité, afin de mettre sa pensée au service de la réalisation des
prescriptions et des missions divines, qui s'est déjà opérée entre les
hommes et représente la forme donnée d'une sempiternelle et humaine
défaillance. K. Rahner a tenté d'expliquer cette relation de façon plus
précise, en partant du concept de la communio. (H.
SCHAUF, op. cit., a critiqué cette approche et propose de son côté une
solution partant de l'idée biblique de la multiplicité des témoins, ce qui
repose davantage sur une théologie du Verbe et va donc dans le sens de ce
que nous tentons de dire ici. Je maintiens pourtant, en opposition à Schauf,
que le développement du sujet à partir du concept de communio reste
possible et également justifié (et même prioritairement); il s'agit de deux
aspects qui, correspondant en cela à la double structuration de l'Église en
sacrement et Verbe, ne s'excluent pas, mais se complètent.)
C'est, et cela reste sans aucun doute le point de départ central, dans la
mesure où l'Église est, de par sa nature la plus intime, communio,
c'est-à-dire communion auprès et dans le Corps du Seigneur. La réflexion
mène à un aspect complémentaire, à savoir que l'Église du Verbe incarné est
à son tour Église du Verbe, et non pas seulement du sacrement : le sacrement
et le Verbe sont les deux piliers sur lesquels elle s'appuie - dans le
rapport entre ces deux dimensions, nous retrouvons une nouvelle fois cette
double monade irréductible, signe de la vitalité précédant les constructions
de la logique et qui ne saurait jamais être emprisonnée par celles-ci. Dans
le sujet que nous traitons, si nous partons du Verbe, nous nous retrouvons
alors face au concept de succession qui ne découle pas (du
moins pas au début) de la réalité de la communio, mais de
la dissension autour du « Verbe », où il a d'ailleurs sa place tout
indiquée, même si, du point de vue causal, il englobe nécessairement le
domaine de la communio. Le problème primat-épiscopat se reflète dans
le concept de succession dans la mesure où il est dit, d'un côté, que les
évêques sont les successeurs des apôtres, alors que, de l'autre, l'attribut
apostolicus est réservé de façon exclusive au pape. La question s'impose dans ces conditions de savoir s'il existe deux
sortes de succession, et donc, deux sortes d'apostolicité. Il est préférable
de se documenter tout d'abord au sujet de la nature même de la succession,
puis de tâcher de comprendre la signification du terme apostolicus en
relation avec le concept de succession.
à suivre :
Réflexions générales sur le concept de
successio apostolica
Sources : La Parole de Dieu, cardinal Ratzinger -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.04.08 -
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