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19 Avril 2005
 

Pour beaucoup, il est normal que Dieu déverse sur eux sa miséricorde alors qu'ils demeurent dans le péché...

Le 22 novembre 2023 - E.S.M. - Beaucoup de fidèles se réjouissent d'entendre parler de la miséricorde divine, et ils espèrent que la radicalité de l'Evangile pourrait s'assouplir même en faveur de ceux qui ont fait le choix de vivre en rupture avec l'amour crucifié de Jésus. Ils ne mesurent pas le prix payé par lui sur la Croix, qui a délivré chacun de nous du joug du péché et de la mort. Ils estiment qu'à cause de l'infinie bonté du Seigneur tout est possible, écrit le cardinal Sarah, même en décidant de ne rien changer de leur vie.

Saint Thomas d'Aquin  - Pour agrandir l'image ► Cliquer  

    Nicolas Diat : A une époque où le relatif est la règle, comment l'Eglise peut-elle encore faire comprendre les dogmes qui constituent un de ses soubassements les plus importants ?

     Le subjectivisme est un des traits les plus significatifs de notre temps. Le sentiment et le désir personnel constituent la seule norme. Souvent, l'homme moderne considère les valeurs traditionnelles comme des archéologismes.
    Depuis les révolutions sociales des années I960 et 1970, il est d'usage d'opposer la liberté individuelle et l'autorité. Dans ce cadre, même chez les fidèles, il peut sembler que l'expérience personnelle devient plus importante que les règles établies par l'Église. Si l'individu est le centre de référence, chacun peut interpréter la parole de l'Eglise à sa manière, en la mettant en accord avec ses propres idées. Je regrette que de nombreux chrétiens se laissent influencer par cet individualisme ambiant ; ils peuvent parfois avoir du mal à se retrouver dans leur maison à l'intérieur de l'Église catholique, dans sa forme traditionnelle, avec ses dogmes, son enseignement, ses lois, ses exhortations et son magistère. Bien sûr, le décalage est encore plus important pour les questions morales.
    Désormais, il n'est pas faux de considérer qu'il existe une forme de refus des dogmes de l'Église, ou une distance croissante entre les hommes, les fidèles et les dogmes. Sur la question du mariage, il existe un fossé entre un certain monde et l'Eglise. La question devient donc fort simple : le monde doit-il changer d'attitude ou l'Église sa fidélité à Dieu ? La distance entre ces deux réalités est-elle tenable dans le temps, au risque de voir les incompréhensions se creuser ? Car si les fidèles aiment encore l'Église et le pape, mais qu'ils n'appliquent pas sa doctrine, en ne changeant rien dans leurs vies, même après être venus écouter le successeur de Pierre à Rome, comment envisager l'avenir ?

    Beaucoup de fidèles se réjouissent d'entendre parler de la miséricorde divine, et ils espèrent que la radicalité de l'Evangile pourrait s'assouplir même en faveur de ceux qui ont fait le choix de vivre en rupture avec l'amour crucifié de Jésus. Ils ne mesurent pas le prix payé par lui sur la Croix, qui a délivré chacun de nous du joug du péché et de la mort. Ils estiment qu'à cause de l'infinie bonté du Seigneur tout est possible, même en décidant de ne rien changer de leur vie. Pour beaucoup, il est normal que Dieu déverse sur eux sa miséricorde alors qu'ils demeurent dans le péché...

    Or le péché m'annihile : comment peut-on greffer des énergies de vie divine sur du néant ? Malgré les multiples rappels de saint Paul, ils n'imaginent pas que la lumière et les ténèbres ne peuvent coexister : « Que dire alors ? Qu'il nous faut rester dans le péché, pour que la grâce se multiplie ? Certes non ! Si nous sommes morts au péché, comment continuer de vivre en lui ? Ou bien ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que tous nous avons été baptisés? [...] Quoi donc? Allons-nous pécher parce que nous ne sommes pas sous la Loi, mais sous la grâce ? Certes non!» (Rm 6, 1-3, 15).
    Cette confusion demande des réponses rapides. L'Église ne peut plus avancer comme si la réalité n'existait pas ; elle ne peut plus se contenter d'enthousiasmes éphémères, qui durent l'espace de grandes rencontres ou d'assemblées liturgiques, si belles et riches soient-elles. Nous ne pourrons pas longtemps faire l'économie d'une réflexion pratique sur le subjectivisme en tant que racine de la majeure partie des erreurs actuelles. À quoi sert-il de savoir que le compte Twitter du pape est suivi par des centaines de milliers de personnes si les hommes ne changent pas concrètement leurs vies ? À quoi sert-il d'aligner les chiffres mirifiques des foules qui se pressent devant les papes si nous ne sommes pas certains que les conversions sont réelles et profondes, et si nous ignorons combien Jésus et son Évangile sont la référence et le guide de nos fidèles ? Cela étant, les Journées mondiales de la jeunesse ont aussi permis de belles et généreuses réponses à l'appel de Dieu.
    Face à la vague du subjectivisme qui semble emporter le monde, les hommes d'Église doivent prendre garde de nier la réalité en s'enivrant d'apparences et de gloire trompeuses. Certes, des événements peuvent provoquer des retournements intimes et de véritables conversions. Par exemple, je suis certain que les obsèques de Jean-Paul II et les cérémonies de sa canonisation, en même temps que celle de Jean XXIII, ont donné beaucoup d'élan à de nombreux fidèles ; cette foule immense réunie autour de l'autel du Seigneur a pu approfondir le message de Karol Wojtyia et l'appel universel à la sainteté suscité par le concile Vatican II que les deux papes ont incarné dans leur vie quotidienne. Pour engager un changement radical de la vie concrète, l'enseignement de Jésus et de l'Église doit atteindre le cœur de l'homme. Il y a deux millénaires, les apôtres ont suivi le Christ. Ils ont tout quitté et leur existence n'a plus jamais été la même. Aujourd'hui encore, le chemin des apôtres est un modèle.
    L'Église doit retrouver une vision. Si son enseignement n'est pas compris, elle ne doit pas craindre de remettre cent fois son métier sur l'ouvrage. Il ne s'agit pas d'amollir les exigences de l'Évangile ou de changer la doctrine de Jésus et des apôtres pour s'adapter aux modes évanescentes, mais de nous remettre radicalement en cause sur la manière dont nous-mêmes vivons l'Évangile de Jésus et présentons le dogme.

    L'incompréhension semble atteindre un tel niveau que l'héritage philosophique même du christianisme est nié. Par exemple, peu de penseurs rappellent l'apport fondamental de l'Eglise à la construction de l'humanisme. D'ailleurs, n'assistons-nous pas désormais à l'émergence d'un humanisme qui ne connaît plus le Christ ?

    Effectivement, la religion chrétienne a mis l'homme au centre de toutes ses préoccupations, au contraire des croyances païennes qui la précédèrent. L'espérance du salut annoncée par le Christ s'adresse à l'humanité entière. Mais c'est uniquement le Christ Jésus, l'Homme-Dieu, qui manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. Et s'il est vrai que le Christ révèle pleinement l'homme, alors il est aussi juste que si nous rejetons le Christ, ou si nous obscurcissons son visage, les conséquences se manifestent au centuple dans la confusion de ce qu'est l'homme.
    Le péché brouille le visage de l'homme. Or le Christ n'est pas venu seulement pour sauver l'homme, mais pour réparer ce que le péché a cassé, pour arracher l'homme à tout ce qui le défigure, afin de donner à la destinée humaine toute son ampleur et son achèvement.
   À la suite de saint Irénée et de saint Athanase d'Alexandrie, saint Thomas d'Aquin affirme que le Fils unique de Dieu a pris notre nature afin de diviniser les hommes. Athanase dit « pour nous faire Dieu ». A contrario, la philosophie des Lumières a voulu déchristianiser l'humanisme. Mais dès l'instant où Dieu n'est plus créateur, l'homme est rabaissé. Dans la Genèse, il est dit que Dieu a un plan pour l'homme, auquel celui-ci doit être fidèle. Si l'homme veut se libérer de Dieu, il perd sa structure trinitaire et se déshumanise. L'humanisme qui veut ignorer le Christ se vide de sa substance et devient simplement un matérialisme.
    En conservant quelques pauvres racines spirituelles, le matérialisme peut faire illusion parfois. Mais il n'a plus rien en commun avec un humanisme façonné par le christianisme, qui place au centre de toute chose le visage de l'homme, reflet unique de Dieu. Sans un véritable humanisme fondé sur le Christ, l'homme ne se comprend plus. Il ne peut même pas aimer véritablement, ou s'il aime, il le fera avec beaucoup d'égoïsme et de dureté.
    L'homme, pour se réaliser pleinement, est comme ontologiquement lié à Dieu par Jésus Christ. Il existe en relation vitale avec Dieu. L'impossibilité de séparer désormais l'homme de Jésus, l'Homme-Dieu, faisait dire à Paul VI, en conclusion du deuxième concile du Vatican : « Le chemin vers Dieu passe par l'homme. La découverte de Dieu passe par la découverte de l'homme. Le service de Dieu passe par le service de l'homme. »

    Qu'entendez-vous par l'expression « structure trinitaire » de l'homme ?

    Comment définir la Trinité C'est un seul Dieu en trois personnes. Le Fils est du Père, et l'Esprit est avec le Père et le Fils ; il est le Vinculum caritatis entre le Père et le Fils, le lien d'amour entre le Père et le Fils. La Trinité est une communion de connaissance et d'amour. Précisément, l'homme est un être de relation. Il est poussé vers Dieu et vers son semblable. Si l'homme perd cette orientation, il n'a plus qu'à se regarder lui-même à l'infini, dans un égotisme qui peut prendre différentes formes.
    En dehors de sa nature trinitaire, où il réalise pleinement sa vocation d'union à Dieu, l'homme se renferme sur lui-même. L'autre devient un problème et non plus un prolongement de soi. La conséquence ultime de l'abandon de la Trinité se produit lorsque l'homme cherche à diviniser sa nature propre, dans une quête éperdue et désespérée de lui-même, loin de Jésus Christ.
    Saint Irénée, dans son Traité contre les hérésies, développe une anthropologie chrétienne proche de celle de saint Paul. On y retrouve comme dans un miroir le dessein divin, afin de refaçonner l'homme à son image. Pour Irénée de Lyon, l'homme est modelé à la ressemblance divine par l'Esprit-Saint : « Nous recevons présentement une part de l'Esprit qui nous perfectionne et nous prépare à l'incorruptibilité et nous accoutume peu à peu à recevoir Dieu. » Et le Christ est Archétype de l'homme nouveau. Aussi Irénée peut-il écrire : « La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu. Si la révélation de Dieu par la création donne la vie à tout être vivant sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe donne-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu ! »
    En s'éloignant du Dieu-Trinité, l'homme oublie le véritable ordre des choses, car Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu. En fait, l'élimination de Dieu provoque une grande violence. Sans le Père, l'homme se trouve exclusivement contingenté à de petits marchés personnels, lesquels induisent une grande solitude. Sans le Christ, l'homme devient un loup pour l'homme, et il ne sait plus aimer comme Jésus. Sans l'Esprit, l'intelligence de l'homme se contemple toujours plus elle-même et finit par reculer ; avec l'Esprit, la raison est dans l'espérance et la joie.

    Benoît XVI n 'a cessé d'appeler à un dialogue fructueux entre la fides et la ratio, la foi et la raison. Aujourd'hui, une grande partie de la réflexion philosophique semble se couper de toute transcendance. Comment jugez-vous cette évolution ?

    La rencontre de la philosophie grecque et du christianisme a été un moment unique dans l'histoire de l'humanité. Ce dialogue si puissant a été voulu par Dieu.
    Comment définir la philosophie ? Je pense qu'il ne s'agit pas uniquement de l'amour de la sagesse, mais surtout d'une quête incessante de la vérité, et d'une connaissance contemplative des causes profondes des choses par l'intelligence humaine. Cette recherche a connu de nombreux écueils, et elle s'est vraiment affermie avec Socrate, pour atteindre un très haut niveau avec Platon et Aristote.
    En rencontrant la foi chrétienne, avec saint Augustin, saint Thomas d'Aquin, et d'autres encore, l'intelligence humaine façonnée par des penseurs non chrétiens va aimer non plus seulement la sagesse naturelle mais la sagesse éternelle, la sagesse incarnée, le Christ qui a déclaré : « Je suis la Vérité. » Ainsi, la philosophie grecque va recevoir le baptême chrétien, et elle sera purifiée pour devenir dans l'Église la servante de la théologie.
    Incontestablement, saint Thomas d'Aquin est l'homme qui a donné sa vie pour préparer cette rencontre providentielle. C'est lui qui bénira les consentements de l'union entre la sagesse grecque et la sagesse éternelle...
    Au bout d'une longue recherche, belle, honnête et patiente, les philosophes grecs, comme Aristote, ont compris l'essence de la nature, de la matière, de la vie et de l'esprit. Malgré la perfection de la pensée qu'il a pu élaborer, avec une vision ordonnée de l'univers et de l'homme, Aristote, qui a joué un des plus grands rôles dans l'histoire de la réflexion philosophique, reconnaît ses limites. Dans l'Éthique à Nicomaque, Aristote s'écrit : « Ô mes amis... il n'y a pas d'amis ! » Cet aveu amer pourrait se traduire en d'autres termes : « II n'y a pas de communion ! » C'est là une reconnaissance douloureuse que la soif de l'homme n'est jamais étanchée par la seule intelligence humaine. La philosophie, à elle seule, est incapable de conduire l'homme jusqu'à son achèvement total, jusqu'à sa rencontre avec la vérité éternelle, même si « ce qu'il a d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence» (Rm 1, 20).
    L'idée même d'une création « à partir de rien » n'effleure pas l'esprit d'Aristote. Ainsi, la sagesse grecque nous a fait avancer bien près de la vérité. Pourtant, dans sa plus haute expression, elle reste loin de concevoir un Dieu qui s'abaisserait à s'occuper de l'homme. Sa pensée continue de ne pas comprendre les fondements de la personne humaine. Cette ignorance explique l'incapacité à percevoir l'égalité radicale de tous les hommes, et à deviner la grâce ineffable de l'adoption filiale divine qui est surnaturelle. Nous devenons tous frères, non par nature, mais par la grâce de Dieu. La sagesse grecque ne peut pas expliquer le mal, ni la souffrance, ni le rachat, ni l'espérance. Mais cette soif de l'amitié divine demeure cependant une merveilleuse attente, et une préparation à la Révélation, au logos.
    Alors que plusieurs textes aristotéliciens semblaient s'éloigner frontalement de la doctrine chrétienne, et malgré toutes les lacunes de la sagesse grecque, saint Thomas d'Aquin va essayer de comprendre Aristote, pour accueillir sa pensée avec la volonté de l'améliorer en vue de l'enseignement, car la démarche du philosophe lui semble épouser la méthode correcte de recherche de la vérité. En outre, saint Thomas considérait cette méthode comme un instrument utile à l'étude de la doctrine de la foi. Il n'a pas voulu, comme d'autres théologiens de son époque, rejeter la sagesse païenne à cause de ses carences ou de ses expressions philosophiques partiellement erronées, mais il s'en est servi après les avoir purifiées de leur saveur païenne...
    Avant lui, saint Basile, dans sa lutte contre la culture grecque de son temps, s'est vu confronté à une tâche semblable. Dans ses catéchèses consacrées aux Pères de l'Église, Benoît XVI évoque un passage de l'auteur du Traité du Saint-Esprit où il s'attache à reprendre une présentation que le prophète Amos donne de lui-même : « Amos répondit et dit à Amasias : "Je n'étais ni prophète, ni fils de prophète ! J'étais bouvier, je traitais les sycomores" (Am 7, 14). La traduction grecque de ce livre du prophète, la Septante, rend la dernière expression plus concrète de la manière suivante : "J'étais un bouvier qui fend les fruits du sycomore." Cette traduction repose sur le fait que les fruits du sycomore doivent être fendus avant leur récolte, ainsi ils mûrissent au bout de peu de jours. Dans son commentaire, Basile présuppose cette pratique, puisqu'il écrit : "Le sycomore est un arbre qui porte beaucoup de fruits. Ils n'ont cependant aucun goût à moins de les fendre avec soin et de laisser écouler leur jus, par quoi ils obtiennent un bon goût. L'écoulement du jus semble suggérer le processus de purification, de transformation totale, la transformation ne détruisant pas la substance, mais lui donnant la qualité qui lui manque. C'est pourquoi nous pensons que le sycomore est le symbole pour l'ensemble des païens : il y en a en abondance, mais c'est fade. Cela vient de la vie dans les habitudes païennes. Quand on arrive à la fendre par le logos, il se transforme et devient savoureux et utile." Ainsi, le logos lui-même doit fendre nos cultures et leurs fruits, afin que l'immangeable soit purifié et devienne bon. Car c'est le logos seul et son Évangile qui peuvent conduire nos cultures à leurs maturités véritables ; le logos se sert de ses serviteurs, ceux qui traitent les sycomores. » 
    Ce texte symbolise en quelque sorte le rôle de l'Évangile dans l'espace de la culture et de la pensée philosophique. L'Évangile n'est pas seulement tourné vers l'individu ; il irradie la culture en accompagnant la croissance et le développement de la personne, sa façon de penser, sa fécondité pour Dieu et le monde. L'Évangile est une « entaille », une purification qui amène la maturation et la guérison. Il est évident que cette « entaille » n'est pas l'affaire d'un moment, mais d'une rencontre patiente entre le logos et la culture.
    Aujourd'hui, après des rencontres si fertiles, comme celle de la Grèce antique et de l'Évangile, la soif de la philosophie n'est pas étanchée. La philosophie, même sans la Révélation, peut atteindre la transcendance et arriver à Dieu comme cause créatrice et finale. Mais le refus de Dieu enferme à nouveau la philosophie dans un questionnement sur la seule matière. Jésus Christ, l'homme parfait, vient magnifier toute recherche sur la nature de l'homme. Pourquoi vouloir à tout prix s'engager dans une forme de régression et refuser une découverte de l'homme ? La philosophie contemporaine s'intéresse à lui de manière très superficielle. Cette nouvelle sagesse ne touche finalement que les phénomènes extérieurs à l'homme. Souvent, il s'agit plus d'une sociologie que d'une philosophie ! Le temps n'est-il pas venu de remettre à leur place certaines s      ciences humaines ?

    Laissons de coté la question culturelle pour aborder la politique au sens large du terme. Diriez-vous également que la démocratie est une invention du christianisme ?

    Incontestablement, il existe une conception chrétienne de l'égalité entre les hommes. Le Christ accorde une égale dignité à chacun ; son salut ne connaît aucune barrière. Seul le Christ garantit le respect et la protection des droits fondamentaux de toute personne humaine. Lui seul exige de tout homme et de toute femme le devoir d'assurer pleinement ses responsabilités vis-à-vis de sa conscience et de la société, pour promouvoir la justice, la liberté et le bien commun. Le Christ met au cœur des sociétés le primat de l'amour fraternel et du service des autres. Ce sont là quelques éléments qui doivent entrer en ligne de compte dans la constitution d'une vraie démocratie.
    Cette dernière n'est pas exactement le gouvernement de la majorité, mais elle s'en rapproche. Une majorité mérite-t-elle encore ce nom lorsqu'elle écrase, à l'aide de lois oppressives, les minorités raciales, religieuses et politiques ? Dans Deus caritas est, Benoît XVI rappelait que « l'ordre juste de la société et de l'État est le devoir essentiel du politique. Un État qui ne serait pas dirigé selon la justice se réduirait à une grande bande de vauriens, comme l'a dit un jour saint Augustin : "Remota itaque iustitia quid sunt régna nisi magna latrocinia ?" ». Ce sont des situations et des réalités qui ne sont pas rares aujourd'hui. Il est bon que tout pouvoir soit équilibré par des contre-pouvoirs. Aussi la démocratie, qui est un idéal et une pratique, est-elle reconnue comme le système politique le moins mauvais. Mais si la démocratie exclut la religion, explicitement ou non, elle n'est plus un bien pour le peuple ; dès lors, l'État de droit n'est plus.
    Le message chrétien est révolutionnaire : tous les hommes sont frères et possèdent un même Père. Nous sommes égaux en dignité, car tous à l'image de Dieu. Pourtant, la vraie démocratie ne peut pas être le règne arbitraire de la majorité. Car la majorité est-elle forcément juste ? Il est évident que la réponse est négative. Parfois, ce sont les minorités qui détiennent la vérité...
    Je suis convaincu qu'une démocratie qui contribue au développement intégral de l'homme ne peut subsister sans Dieu. Lorsqu'un chef d'État sait que Dieu est au-dessus de lui, il est plus facilement appelé par sa conscience à l'humilité et au service. Sans référence chrétienne, dans l'ignorance de Dieu, une démocratie devient une sorte d'oligarchie, un régime élitiste et inégalitaire. Comme toujours, l'éclipsé du divin signifie l'abaissement de l'humain.

    Le lundi 18 avril 2005, lors de la Missa pro eligendo Romano Pontifice, quelques heures avant son élection sur le trône de Pierre, le cardinal Ratzinger avait choisi de dénoncer la dictature du relativisme. Vous semblez considérer que ce discours a gardé toute son acuité.

    Oui, et je voudrais d'abord citer un long passage de cette homélie. Le cardinal Joseph Ratzinger déclarait alors : « Combien de vents de la doctrine avons-nous connus au cours des dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de la pensée... La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens a été souvent ballottée par ces vagues — jetée d'un extrême à l'autre : du marxisme au libéralisme, jusqu'au libertinisme ; du collectivisme à l'individualisme radical ; de l'athéisme à un vague mysticisme religieux ; de l'agnosticisme au syncrétisme, et ainsi de suite. Chaque jour naissent de nouvelles sectes et se réalise ce que dit saint Paul à propos de l'imposture des hommes, de l'astuce qui tend à les induire en erreur (Ep 4, 14). Posséder une foi claire, selon le Credo de l'Église, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c'est-à-dire se laisser entraîner "à tout vent de la doctrine", apparaît comme l'unique attitude à la hauteur de l'époque actuelle. On est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Nous possédons, en revanche, une autre mesure : le Fils de Dieu, l'homme véritable. C'est lui la mesure du véritable humanisme. Une foi "adulte" ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés ; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans l'amitié avec le Christ. C'est cette amitié qui nous ouvre à tout ce qui est bon et qui nous donne le critère permettant de discerner entre le vrai et le faux, entre imposture et vérité. Cette foi adulte doit mûrir en nous, c'est vers cette foi que nous devons guider le troupeau du Christ. Et c'est cette foi — cette foi seule — qui crée l'unité et qui se réalise dans la charité. Saint Paul nous offre à ce propos — en contraste avec les tribulations incessantes de ceux qui sont comme des enfants ballottés par les flots - une belle parole : faire la vérité dans la charité, comme formule fondamentale de l'existence chrétienne. Dans le Christ, vérité et charité se retrouvent. Dans la mesure où nous nous rapprochons du Christ, la vérité et la charité se confondent aussi dans notre vie. La charité sans vérité serait aveugle ; la vérité sans charité serait comme "cymbale qui retentit" (1 Co 13, 1). »
    Aujourd'hui, le relativisme apparaît comme l'assise philosophique des démocraties occidentales refusant de considérer que la vérité chrétienne puisse être supérieure à toute autre. De manière parfaitement assumée, elles nient la phrase du Christ : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi » (Jn 14, 6).

    Dans un système relativiste, tous les chemins sont possibles, comme les fragments multiples d'une marche du progrès. Le bien commun serait le fruit d'un dialogue continu de tous, une rencontre des différentes opinions privées, une tour de Babel fraternelle où chacun possède une parcelle de la vérité. Le relativisme moderne va jusqu'à prétendre qu'il est l'incarnation de la liberté. En ce sens, cette dernière devient l'obligation agressive de croire qu'il n'existe aucune vérité supérieure ; dans ce nouvel éden, si l'homme refuse la vérité révélée par le Christ, il devient libre. Le vivre-ensemble prend la forme d'un horizon indépassable, où chaque individu peut disposer de sa vision morale, philosophique et religieuse. En conséquence, le relativisme pousse l'homme à créer sa propre religion, peuplée de divinités multiples, plus ou moins pathétiques, qui naissent et meurent au gré des pulsions, dans un monde qui n'est pas sans rappeler les religions païennes antiques.
    Dans ce carcan totalitaire, l'Église perd son caractère absolu ; ses dogmes, son enseignement et ses sacrements sont quasiment prohibés ou abaissés dans leur rigueur et leur exigence. L'Épouse du Fils de Dieu est marginalisée, dans un mépris qui engendre la christianophobie, car elle est un obstacle permanent. L'Église devient une parmi d'autres, et l'objectif final du relativisme philosophique reste sa mort par dilution progressive ; les relativistes attendent avec impatience ce grand soir, et le prince de ce monde avec eux. Ils travaillent à l'avènement du règne des ténèbres

    Jean-Paul II et Joseph Ratzinger, comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avaient saisi l'importance du péril mortifère des théories relativistes. La déclaration Dominus Jesus est en grande partie une réponse au relativisme. Dans l'introduction, qui n'a rien perdu de son acuité, Joseph Ratzinger écrit avec justesse : « La pérennité de l'annonce missionnaire de l'Église est aujourd'hui mise en péril par des théories relativistes, qui entendent justifier le pluralisme religieux, non seulement de facto mais aussi de iure (ou en tant que principe). Elles retiennent alors comme dépassées des vérités, comme par exemple le caractère définitif et complet de la révélation de Jésus Christ, la nature de la foi chrétienne vis-à-vis des autres religions, l'inspiration des livres de la Sainte Écriture, l'unité personnelle entre le Verbe éternel et Jésus de Nazareth, l'unité de l'économie du Verbe incarné et du Saint-Esprit, l'unicité et l'universalité salvifique du mystère de Jésus Christ, la médiation salvifique universelle de l'Église, la non-séparation, quoique dans la distinction, entre le Royaume de Dieu, le Royaume du Christ et l'Église, la subsistance de l'unique Église du Christ dans l'Église catholique. Ces théories s'appuient sur certains présupposés de nature philosophique ou théologique qui rendent difficiles la compréhension et l'accueil de la vérité révélée. On en signalera quelques-uns : la conviction que la vérité sur Dieu est insaisissable et ineffable, même par la révélation chrétienne ; l'attitude relativiste vis-à-vis de la vérité, entraînant que ce qui est vrai pour certains ne le serait pas pour d'autres ; l'opposition radicale qu'on établit entre la mentalité logique occidentale et la mentalité symbolique orientale ; le subjectivisme de qui, tenant la raison comme seule source de connaissance, devient "incapable d'élever son regard vers le haut pour oser atteindre la vérité de l'être" ; la difficulté à percevoir et à comprendre dans l'histoire la présence d'événements définitifs et eschatologiques ; la privation de sa dimension métaphysique de l'incarnation historique du Logos éternel et sa réduction à une simple apparition de Dieu dans l'histoire ; l'éclectisme qui, dans la recherche théologique, prend des idées dans différents contextes philosophiques et religieux, sans se soucier ni de leur cohérence systématique ni de leur compatibilité avec la vérité chrétienne ; la tendance finalement à lire et à interpréter la Sainte Ecriture en dehors de la Tradition et du magistère de l'Église. Sur la base de ces présupposés adoptés sans uniformité, comme des affirmations pour certains, comme des hypothèses pour d'autres, des propositions théologiques sont élaborées qui font perdre leur caractère de vérité absolue et d'universalité salvifique à la révélation chrétienne et au mystère de Jésus Christ et de l'Église, ou y jettent au moins une ombre de doute et d'incertitude. »
    Le relativisme est un mal diffus et il n'est pas aisé de le combattre. La tâche devient d'autant plus complexe qu'il constitue arbitrairement une forme de charte d'un mode de vie communautaire. Le relativisme tente d'achever le processus de la disparition sociale de Dieu. Il oriente l'homme dans une logique attrayante qui se révèle un système totalitaire pervers. L'Église poursuit aujourd'hui la lutte de Benoît XVI contre la liquidation de Dieu. Et c'est une lutte en faveur de l'homme.

Suite de ce texte :
L'idéologie du genre

Sur le même sujet :
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Discours de Benoît XVI aux Académies pontificales -  02.02.2010
 

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Sources : Extraits de la deuxième partie  "Dieu ou rien" - Entretien du cardinal SARAH avec Nicolas Diat -  E.S.M
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.11.2023

 

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