Le cœur et la grâce chez saint Augustin par le
cardinal Scola |
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Rome, le 04 mars 2008 - La référence du Pape Benoît XVI à l’humilité
d’Augustin nous conduit directement au centre de l’enseignement de
l’évêque d’Hippone sur “le cœur et la grâce”.
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Le cardinal
Angelo Scola
Le coeur et la grâce chez saint Augustin. Distinction et correspondance
par le cardinal Angelo Scola
patriarche de Venise
Humilité : la voie maîtresse
Il y a quelques mois, pendant la célébration eucharistique sur l’esplanade
des Orti de l’Almo Collegio Borromeo de Pavie, Sa Sainteté Benoît XVI – dont
le lien avec saint Augustin est bien connu et transparaît dans son magistère
–, parcourant le chemin de conversion du saint évêque, en a décrit la
dernière étape définitive en ces termes: « Augustin avait appris un
dernier degré d’humilité – non seulement l’humilité d’inscrire sa grande
pensée dans l’humble foi de l’Église, non seulement l’humilité de traduire
ses grandes connaissances dans la simplicité de l’annonce, mais également
l’humilité de reconnaître qu’à lui-même et à toute l’Église en pèlerinage,
était et demeure continuellement nécessaire la bonté miséricordieuse d’un
Dieu qui pardonne chaque jour. Et nous – ajoutait-il –, nous nous rendons
semblables au Christ, l’unique Parfait, dans la plus grande mesure possible,
lorsque nous devenons comme Lui des personnes de miséricorde »
(Benoît XVI,
Homélie dans la célébration eucharistique, sur l’esplanade des Orti de
l’Almo Collegio Borromeo, Pavie, 22 avril 2007).
La référence du Pape Benoît XVI à l’humilité
d’Augustin nous conduit directement au centre de l’enseignement de l’évêque
d’Hippone sur “le cœur et la grâce”. Le mot
humilité exprime bien en effet et de façon synthétique, ce qui se produit
chez l’homme qui, par pure grâce, rencontre la miséricorde vivante de Dieu.
Don Giacomo Tantardini écrit, à juste titre, dans le livre que nous
présentons ce soir: « Augustin dit que c’est seulement dans la rencontre
entre le cœur, c’est-à-dire l’intériorité, et la grâce, c’est-à-dire la
présence du Seigneur, que l’intériorité redevient elle-même, que le cœur
redevient cœur, c’est-à-dire redevient un cœur d’enfant […]. L’humilité de
Jésus est la vertu que nous pouvons imiter. Nous ne pouvons l’imiter dans
les miracles qu’il accomplit, mais dans Sa façon d’être doux, petit, humble
nous pouvons tous l’imiter » (G. Tantardini, Il cuore e
la grazia in sant’Agostino. Distinzione e corrispondenza, Città Nuova,
Rome 2006, p. 343-344).
Volonté et grâce : une lectio augustinienne
J’ai choisi dans l’immense patrimoine des œuvres de saint Augustin une
“page” du De libero arbitrio pour “la lire” avec vous, ce soir.
Comme on le sait, ce dialogue est né d’une discussion qui s’est déroulée à
Rome, entre l’automne 387 – Augustin avait été baptisé à Milan par saint
Ambroise, dans la nuit du 24 au 25 avril, vigile de Pâques de cette année-là
– et l’été 388 (Cf. D. Gentili, Introduction, in
Dialoghi II. Opere di Sant’Agostino III/2, Città Nuova, Rome 1976, p.
137-151). L’œuvre fut terminée en Afrique après l’ordination
sacerdotale de l’auteur, durant les premiers mois de 391. Devenu évêque
coadjuteur d’Hippone par volonté de son évêque Valère en 395
(selon certains en 396), Augustin envoya les trois
livres de son œuvre à Paulin de Nole (poète chrétien et
évêque, 355-431) (Cf. Epistolae 31, 4.7)
Le dialogue s’ouvre sur une question qu’Evodius pose à Augustin: « Dic
mihi, quaeso te, utrum Deus non sit auctor mali / Dis-moi, je t’en prie, si
Dieu n’est pas le principe du mal » (I, 1, 1).
Le thème n’est donc pas directement la liberté de
l’homme mais la responsabilité de Dieu à
l’égard du mal. Selon Madec, en effet, «le dialogue pourrait très
bien avoir pour titre celui de l’œuvre de Leibniz : Essais de théodicée
sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal »
(G. Madec, Saint Augustin et la philosophie. Notes critiques,
Paris 1996, p. 61). Dans le dialogue entre Evodius et Augustin
arrive à un certain moment la question qui, d’une façon plus ou moins
explicite, sous une forme plus ou moins lancinante, est de tous temps
présente dans le cœur des hommes: pourquoi le mal ? Une interrogation qui
révèle toute sa capacité à blesser notre humanité, si, plus concrètement
encore, elle est ainsi formulée: pourquoi
m’arrive-t-il d’accomplir le mal ?
On sait dès les premières pages que l’on a à faire à un auteur “classique” –
et Augustin l’est plus qu’éminemment – lorsque, dans l’œuvre de cet auteur,
toute distance temporelle ou culturelle s’effaçant, on rencontre
immédiatement les questions profondes des lecteurs de toutes les époques.
Mais il y a une autre raison qui m’a poussé ce soir à choisir de lire avec
vous un passage du De libero arbitrio. C’est qu’Augustin a relu et
interprété lui-même cette œuvre. En effet, comme le note don Giacomo, « en
388, Augustin écrit le De libero arbitrio contre les manichéens.
C’est une œuvre intéressante, entre autres parce que les pélagiens s’en
serviront par la suite pour dire qu’Augustin, qui venait de se convertir,
n’acceptait ni la doctrine du péché originel ni la doctrine de la grâce,
dont il allait par la suite devenir le défenseur. Augustin écrira les
Retractationes, pour démontrer notamment que sont présentes aussi dans
le De libero arbitrio – qui défend la liberté de l’homme – la
doctrine du péché originel (que saint Ambroise surtout lui
avait enseignée) et la doctrine de la grâce»
(G. Tantardini, op. cit., p. 47). Ainsi, le De libero arbitrio
nous offre la possibilité de rencontrer Augustin interprète de lui-même.
Nous pouvons de la sorte connaître la première forme de sa pensée
authentique sur un point, lié au problème du mal, si décisif pour la vie de
tous les hommes, à savoir le rôle de la volonté humaine dans le rapport
entre la grâce (Jésus-Christ) et la liberté (homme).
Parcourons ensemble un bref passage de ce dialogue. Il est tiré du livre III,
3, 7: « Ev.– Mihi si esset potestas ut essem beatus, iam profecto essem:
volo enim etiam nunc, et non sum, quia non ego, sed ille me beatum fecit
/ : E. – Si j’avais le pouvoir d’être heureux, je le serais sûrement déjà.
Je voudrais l’être dès aujourd’hui et je ne le suis pas, parce que ce
bonheur ne dépend pas de moi, mais de Lui ».
En quelques mots, le texte d’Augustin introduit deux questions fondamentales
pour l’homme d’aujourd’hui, celui que l’on appelle l’homme
post-moderne. Avant tout, la question du
bonheur: il faut se rappeler la prégnance qu’a dans le latin chrétien le
terme beatus: il s’agit de ce bonheur accompli et définitif qui n’est pas
directement à la portée de l’homme mais qui engendre un plaisir durable qui
n’est pas destiné à s’évanouir comme les plaisirs purement mondains. Eh
bien, de même que les questions de vérité et de justice ont été les plus
débattues par l’homme moderne (jusqu’à la chute du mur, pour être clair),
aujourd’hui les questions de bonheur et de liberté sont devenues l’emblème
principal du monde post-moderne. J’ai vu dans la liberté le second grand
thème du passage que j’ai choisi. Augustin en parle à travers deux termes de
grande profondeur anthropologique: volonté (volo) et pouvoir (potestas).
Nous reviendrons plus tard sur ces catégories.
« Aug. – Optime de te veritas clamat / A. – Le cri de la vérité sort
fort bien de toi! » (« La vérité se manifeste et se crie
elle-même remarquablement bien à partir de ton expérience »),
répond Augustin à Evodius.
Le saint évêque nous indique ainsi que l’expérience humaine, considérée en
elle-même, ouvre à l’homme la question de la vérité de soi-même. En quoi
consiste cette expérience élémentaire de l’homme à laquelle se réfère
Augustin ? Elle consiste en deux éléments: Le désir de bonheur – premier
élément – et la conscience du fait que l’homme ne peut atteindre par
lui-même ce bonheur. C’est un Autre qui peut accomplir ce désir – seconde
donnée essentielle.
Se référant au bonheur ainsi conçu, le saint affronte le thème qu’il
m’intéresse d’examiner directement: le rôle de la volonté.
« Non enim posses aliud sentire esse in potestate nostra, nisi quod cum
volumus facimus. Quapropter nihil tam in nostra potestate, quam ipsa
voluntas est. Ea enim prorsus nullo intervallo, mox ut volumus presto est/
Tu peux en effet avoir conscience que rien n’est en notre pouvoir que ce que
nous faisons quand nous le voulons; et, par conséquent, rien n’est autant en
notre pouvoir que la volonté même. Elle est en effet à nos ordres, sans
aucun délai, dès que nous voulons ».
C’est là l’une des affirmations que Pélage et ses disciples utilisèrent pour
diminuer le poids du péché originel et de la grâce dans la controverse avec
Augustin. Le père Agostino Trapè note qu’après avoir dépassé l’illusion
manichéenne qui permettait à l’homme de ne pas se considérer comme
responsable du mal accompli, parce qu’elle expliquait le péché non pas à
partir de la libre volonté mais en vertu de la présence simultanée en
l’homme de deux principes (bien et mal), Augustin écrivit le De libero
arbitrio précisément « pour démontrer que la volonté humaine est
essentiellement libre, c’est-à-dire qu’elle a en son pouvoir ses propres
actes » (A. Trapè, Introduzione generale a sant’Agostino,
Città Nuova, Rome 2006, p. 112-113). Et en effet, quelques lignes
plus bas par rapport au passage que nous avons cité, Augustin déclare: «
Voluntas igitur nostra nec voluntas esset, nisi esset in nostra potestate.
Porro, quia est in potestate, libera est nobis / Notre volonté ne serait
donc pas volonté si elle n’était pas en notre pouvoir. Effectivement parce
qu’elle est en notre pouvoir, elle est pour nous libre»
(III, 3, 8). C’est cette affirmation d’Augustin que les pélagiens
utilisèrent contre Augustin lui-même. Comment le saint réagit-il à cette
interprétation ?
Écoutons-le directement en lisant un texte des Retractationes
(I, 9, 3) que je cite seulement en traduction: «
Que les nouveaux hérétiques, disciples de Pélage, ne s’exaltent pas trop.
Si, dans ces livres, nous nous sommes laissés aller à faire de nombreuses
déclarations favorables au libre arbitre, comme l’exigeait la nature de
cette discussion, cela ne signifie pas que nous ayons eu l’intention de nous
mettre sur le même plan que des gens comme eux, qui affirment le
libre-arbitre de la volonté au point de ne plus laisser place à la grâce de
Dieu et de considérer que celle-ci nous est concédée selon nos mérites ».
Et plus loin il déclare: « Les pélagiens estiment ou peuvent estimer que
nous professons les mêmes idées qu’eux. Mais c’est une supposition sans
fondement. C’est bien sûr la volonté qui nous fait pécher ou mener une vie
droite, et c’est cette idée que nous avons développée dans les passages
cités [Augustin se réfère aux passages du De libero arbitrio qu’il
cite dans les Retractationes]. Si donc la grâce divine n’intervient pas pour
libérer la volonté de la condition servile qui la rend esclave du péché et
si elle ne l’aide pas à surmonter ses défauts, les mortels ne peuvent vivre
selon la piété et la justice. Et si ce bienfait divin qui délivre la volonté
ne la précédait pas, il faudrait le considérer comme une récompense accordée
à ses mérites; alors ce ne serait plus la grâce car l’on entend par grâce ce
qui est donné gratuitement » (I, 9, 4).
En tenant compte de ces précisions fournies directement par Augustin, nous
pouvons retourner au passage du De libero arbitrio qui est l’objet de
notre lectio, pour approfondir le rapport entre vouloir et pouvoir et
donc, pour finir, entre liberté humaine et liberté divine, c’est-à-dire
entre le “cœur et la grâce”.
Augustin part de données indiscutables qui font partie de la vie de tous les
hommes et sur lesquelles leur volonté est sans pouvoir. « Et ideo recte
possumus dicere: “Non voluntate senescimus, sed necessitate”; aut “non
voluntate infirmamur, sed necessitate”; aut : “non voluntate morimur,
sed necessitate”; et si quid aliud hujusmodi / Et on peut bien dire: “Ce
n’est pas volontairement mais nécessairement que nous vieillissons, ce n’est
pas volontairement mais nécessairement que nous tombons malade, ce n’est pas
volontairement mais nécessairement que nous mourons”, et ainsi de suite pour
des cas de ce genre ».
Augustin prend en considération avec une grande perspicacité la vieillesse,
la maladie et surtout la mort. Ce sont des faits qui arrivent necessitate,
sans que la volonté de l’homme puisse les dominer. Et, de plus, ils mettent
en relief le contraste entre le désir de beatitudo et l’impossibilité
d’y parvenir par nous-mêmes. La mort, qui plus est, semble contredire
radicalement ce désir de bonheur et de liberté dont nous avons parlé tout à
l’heure. Elle semble en effet réduire l’homme à ce qui arrive necessitate.
Mais ici, Augustin déploie de façon foudroyante sa puissante argumentation.
Même devant ces données incontestables: « ”Non voluntate autem volumus”,
quis vel delirus audeat dicere ? / Mais qui, serait-il fou, oserait
avancer: “Ce n’est pas volontairement que nous voulons ?” ».
Nous pouvons reconnaître dans notre expérience un point duquel cette
necessitas est radicalement exclue: la possibilité de vouloir qui est au
cœur de l’expérience de la liberté.
Augustin poursuit: « Quamobrem, quamvis presciat Deus nostras voluntates
futuras, non ex eo tamen conficitur ut non voluntate aliquid velimus. Nam et
de beatitudine quod dixisti, non abs teipso beatum fieri, ita dixisti, quasi
hoc ego negaverim: sed dico, cum futurus es beatus, non te invitum, sed
volentem futurum. Cum igitur praescius Deus sit futurae beatitudinis tuae,
nec aliter aliquid fieri possit qua mille praescivit, alioquin nulla
praescientia est, non tamen ex eo cogimur sentire, quod absurdissimum est et
longe a veritate seclusum, non te volentem beatum futurum / Aussi,
quoique Dieu sache d’avance quelles seront nos volontés, il n’en résulte pas
que nous voulions quelque chose sans notre volonté. Quand tu as dit à propos
de ton bonheur que tu ne deviens pas heureux par toi-même, tu l’as dit comme
si je niais cela; en fait ce que je dis, c’est que, si tu deviens heureux,
ce ne sera pas sans que tu le veuilles, ce sera parce que tu le veux; et
quoique Dieu connaisse quel sera pour toi ce bonheur, quoique rien ne puisse
arriver en dehors de ses prévisions, autrement il ne faudrait plus parler de
prescience, nous ne sommes pas contraints d’admettre, pour ce motif, que tu
seras heureux sans que tu le veuilles: car y aurait-il rien de plus absurde,
de plus étranger à la vérité ? ».
Avec une acuité toute particulière Augustin déclare que le bonheur,
c’est-à-dire cette béatitude qu’il n’est pas en
notre pouvoir d’atteindre et qui est donnée par Dieu, a quelque chose à voir
(et comment!) avec notre volonté. Personne, en
effet, dit le saint évêque, ne deviendra heureux sans
qu’il le veuille. Non pas que la volonté soit capable de mettre en
acte nécessairement ce qu’elle décide – elle n’est pas capable de réaliser
le bonheur accompli qu’elle désire pourtant ardemment –
mais la volonté vraiment et définitivement libre a le
pouvoir de vouloir ce qui nous est donné.
Je peux vouloir le don (grâce). Mieux, je suis
vraiment libre et je décide pour la plénitude de mon existence du moment où
je prends la décision d’adhérer au don de la grâce. C’est cette dignité de
la liberté humaine qui fait du cœur le véritable interlocuteur de la grâce.
Et ainsi la grâce, absolument et toujours gratuite, devient vraiment
efficace (non comme quelque chose d’automatique qui s’impose à l’homme)
quand la liberté dit “oui”; elle n’annule pas la liberté mais l’appelle à
s’impliquer et de cette façon l’exalte. Le père Trapè dit à ce sujet: « Dans
la controverse pélagienne, ensuite, Augustin prit constamment soin
d’affirmer la liberté de l’homme et en même temps la nécessité de la grâce
[…], il prit soin aussi de recommander, sans se lasser, de conserver
fermement les deux vérités (sans la première on subvertit toute la vie
humaine, sans la seconde toute la vie chrétienne), même si l’on ne comprend
pas comment elles peuvent aller ensemble. On a tort quand on soutient qu’Augustin
a sacrifié la liberté pour défendre la grâce. La grâce, écrit avec force le
docteur de la grâce, aide la volonté à ne pas disparaître devant les
faiblesses de sa nature, elle ne la supprime pas […]. “Le libre arbitre
n’est pas supprimé parce qu’il est aidé, mais il est aidé justement parce
qu’il n’est pas supprimé” (Ep.157, 10) »
( Ibid., p. 113).
Augustin a splendidement résumé cette idée dans une expression célèbre du
Sermo 169, 11, 13: « Qui t’a créé sans toi ne te justifie pas sans toi:
il a créé qui ne savait pas, il ne justifie pas qui ne veut pas». Dans le
sillage de cette tradition, Dante, avec l’acuité propre au génie littéraire,
déclare avec décision: «Le plus grand don que Dieu dans sa largesse/ fit en
créant, le plus conforme à sa bonté,/ et celui qu’il estime le plus,/ fut la
liberté de la volonté » (Paradis, V, 19-22). Et
le Concile de Trente reprendra cette idée avec une formule géniale,
expression de l’équilibre du catholicisme, qui pour décrire le dynamisme de
la liberté, toujours animée par la grâce rédemptrice, parle du fait de
coopérer en acquiesçant: « Si quis dixerit liberum hominis arbitrium a
Deo motum et excitatum nihil cooperari assentiendo Deo excitanti atque
vocanti quo ad obtinendam iustificationis gratiam se disponat ac praeparet,
neque posse dissentire, si velit, sed velut inanime quoddam nihil omnino
agere mereque passive se habere: anathema sit »
(Concile de Trente, Décret De iustificatione (13 janvier 1547), can. 4 : «
Si quelqu’un dit que le libre arbitre de l’homme mû et stimulé par Dieu, ne
coopère en rien en exprimant son assentiment à Dieu qui le meut et le
prépare à obtenir la grâce de la Justification, et qu’il ne peut, s’il le
veut, refuser son consentement, mais qu’il reste, comme quelque chose
d’inanimé, sans rien faire et purement passif: qu’il soit anathème »).
Le cœur, donc, est appelé à vouloir librement le bonheur qui ne peut être
que le fruit du don de la grâce. Quelles sont les expressions privilégiées
de sa volonté libre à l’égard de la grâce? Le désir et l’accueil
reconnaissant du don. En effet « qui demande le salut sauve son âme: qui le
demande, qui le désire: et cela vaut pour tous les hommes. Seul le Mystère
connaît le cœur de l’homme. Il suffit d’un instant de désir »
(G. Tantardini, op. cit., p. 208).
Le “travail” de la liberté
Les pages d’Augustin que nous avons parcourues ensemble ont-elles quelque
chose à nous apprendre, à nous hommes et femmes d’aujourd’hui, qui sommes
assoiffés de bonheur et de liberté ?
Nous ne pouvons pas nier en effet que, dans les démocraties avancées, en
Occident surtout, la technoscience domine assez fortement notre vie
personnelle et sociale. Pour la question des origines de la vie, de son
déroulement et de sa fin, la technoscience semble, dans la mentalité
courante, se substituer aux religions, aux philosophies. À bien y regarder,
le phénomène lui-même de la globalisation est étroitement dépendant du fait
que l’Occident est en train d’imposer au monde entier
une conception du bonheur comme pur produit progressif de la technoscience.
Il semble, à première vue, que la culture contemporaine nie tout
l’enseignement d’Augustin contenu dans l’affirmation d’Evodius dont nous
sommes partis: « Si j’avais le pouvoir d’être heureux, je le serais sûrement
déjà. Je voudrais l’être dès aujourd’hui et je ne le suis pas, parce que ce
bonheur ne dépend pas de moi, mais de Lui ». Aujourd’hui, la technoscience
semble donner à l’homme le pouvoir d’être heureux.
Non seulement de vouloir le bonheur mais de pouvoir
le réaliser par soi-même, directement, sans le recevoir d’aucune façon comme
un don.
Ce qui s’exprime ainsi, c’est la prétention à jouir d’une
liberté inconditionnée. Une liberté qui a tout
en son pouvoir: “je peux et donc je dois”, tel est l’impératif catégorique
de la technoscience.
Descartes avait peut-être déjà identifié la justification historique et
culturelle du pouvoir du savoir scientifique: la promesse de rendre l’homme
« maître et possesseur de la nature ». Le
pouvoir du savoir scientifique repose, d’une part, sur son
universalisme théorique et pratique
(en opposition à la multiplicité et à la conflictualité des
religions), de l’autre sur l’immense accroissement des
possibilités que la science à travers la technique,
met à la disposition du monde. Ainsi la technoscience incite-t-elle de fait
la raison à renoncer à poser les questions qui portent sur les fondements
(“Et moi, qui suis-je ? Qui, finalement, m’assure de mon
être, au-delà de la mort, par son amour ?”). Et elle pousse la
liberté à s’engager presque exclusivement dans les réalisations confiées à
un technicisme toujours plus puissant qui, donc, pour finir, se justifie
toujours davantage lui-même.
On entrevoit ici une forme post-moderne d’utopie qui ne va pas sans lourdes
conséquences au niveau social. En effet, tout ce qui ne rentre pas dans
l’optique de cette forme d’“universalisme scientifique”
est, au mieux, relégué dans une sorte de réserve indienne qui ne peut
aspirer à avoir une importance publique universelle.
Que faut-il opposer à cette mentalité ? Certainement pas les plaintes ni la
recherche obsessive du coupable, mais la foi entendue comme réponse
humainement accomplie. La foi vive qui témoigne la vérité, la beauté et la
bonté du don gratuit de la rencontre avec le Christ. La voie de la rencontre
entre le cœur et la grâce. Entre la capacité de
vouloir, qui ne disparaît jamais, et le don qui accomplit le désir de
bonheur. Et ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui encore, après la Bible,
Les Confessions d’Augustin sont l’œuvre la plus imprimée du monde.
Dans un commentaire du passage évangélique du jeune homme riche, Don
Giussani, dont les “lectures” augustiniennes de don Giacomo sont nourries,
voit dans la description de la tâche de la liberté dans la rencontre avec la
grâce, la voie royale pour parler à l’homme d’aujourd’hui: « Pensez au jeune
homme riche – qui se fraie un chemin à travers les gens et reste, bouche
bée, à écouter Jésus – et à Jésus qui le regarde. Le jeune homme lui dit
alors: “Maître bon, comment dois-je faire pour entrer dans ce que tu
appelles le Royaume des Cieux, dans la vérité de la réalité, dans la vérité
de l’être ?”. Et Jésus le fixa et lui dit: “Observe les commandements”.
“Mais je les ai toujours observés”. Et “Jésus, l’ayant fixé, l’aima” –
l’ayant regardé, l’aima –: “Il ne te manque qu’une chose: viens jusqu’au
fond”. C’est le travail, il lui a donné une proposition de travail: que
devienne travail la gratuité qui l’avait submergé […[ la valeur de la vie,
de ma vie, est Ton œuvre, c’est un travail. La pertinence de la liberté à la
possibilité que l’ Être fait miroiter s’appelle travail »
(L. Giussani, Affezione e dimora, Bur, Milan 2001, p. 272).
Mais où apprendre une pareille foi ? Il faut que les hommes et les
femmes de notre temps – là où ils se trouvent, là où ils aiment et
travaillent, c’est-à-dire dans leur vie réelle – rencontrent concrètement
des communautés chrétiennes dans lesquelles puisse être pratiquée
l’expérience de vouloir ce don (la grâce) qui
accomplit le désir. Des communautés qui proposent à la liberté perdue et
assoiffée de l’homme post-moderne l’avantage de vivre tous les mystères
chrétiens jusque dans leurs implications personnelles et sociales de chaque
jour. Communautés dans lesquelles le don vivant et personnel de Jésus
Crucifié ressuscité (grâce) soit, ainsi que le disait von Balthasar, comme
une blessure féconde qu’aucune prétention humaine ne puisse avoir l’illusion
de savoir guérir.
Communautés chrétiennes formées d’hommes et de femmes
au travail, comme le dit Giussani. Qui veulent
vivre la gratuité par laquelle ils sont surpris. Communautés où
chaque personne puisse, en pleine liberté, faire l’expérience du fait que la
volonté s’accomplit bien plus dans l’accueil du don que dans la prétention
de la conquête.
Le pape Benoît XVI s'est beaucoup impliqué lors de ses dernières
Catéchèses sur la vie et l'œuvre de Saint Augustin. Ce sont cinq
audience Générale qu'il lui a consacrées.
►
Saint Augustin:
"Les Œuvres complètes"
Mercredi 27 février 2008 - Saint Augustin (5)
Mercredi 20 février 2008 - Saint Augustin (4)
Mercredi 30 janvier 2008 - Saint Augustin (3)
Mercredi 16 janvier 2008 - Saint Augustin (2)
Mercredi 09 janvier 2008 - Saint Augustin (1)
Sources : par le cardinal Angelo Scola
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 04.03.2008 -
T/Spiritualité |