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Benoît XVI : la campagne électorale à l'envers
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Le 27 avril 2023 -
E.S.M.
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Nous continuons de parcourir le dernier livre de Mgr
Ganswein : "Rien d'autre que la vérité , Ma vie aux
coté de Benoît XVI". Dans ce chapitre nous
découvrons que le cardinal Ratzinger ne voulait pas être
élu pape.
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Le pape Benoît XVI et Mgr
Gänswein -
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Benoît XVI : la campagne électorale à l'envers
Chapitre 3 - La chute du couperet
Le 22 avril 2023 -
E.S.M. -
Au cours des premiers mois de 2005, alors que l'état de santé de Jean-Paul
II ne cessait de se dégrader, le cardinal Ratzinger s'est retrouvé sous les
feux des projecteurs à l'occasion d'événements publics très importants. À
cette époque, outre son rôle de préfet de la plus importante congrégation de
la Curie vaticane, il occupait également le poste de doyen du Collège des
cardinaux. Le 30 novembre 2002, il avait été élu par ses confrères pour
remplacer le cardinal Bernardin Gantin, démissionnaire, qui avait décidé de
rentrer au Bénin à l'âge de 80 ans.
Lorsque la nouvelle de la mort de Mgr Luigi Giussani est arrivée le matin du
22 février, le cardinal ne s'attendait pas à ce que Jean-Paul II lui demande
de présider ses funérailles, qui auraient lieu deux jours plus tard dans la
cathédrale de Milan. À l'origine, il y a eu probablement la prise de
conscience par le pape de l'amitié fraternelle qui liait Ratzinger au
fondateur du mouvement Communion et Libération depuis des décennies.
Don Stanislaw me l'a annoncé par téléphone et je suis immédiatement allé le
dire au préfet, de sorte que, l'après-midi même, il a travaillé chez lui
pour écrire l'homélie. En finale, il y a eu trop de protagonistes, puisque
le cardinal Dionigi Tettamanzi, archevêque ambrosien, voulait à tout prix
présider la célébration, tandis que Mgr Stanislaw Rylko, président du
Conseil pontifical pour les laïcs, s'était réservé la lecture d'un message
de condoléances signé par le souverain pontife. Ratzinger, avec sa
bienveillance habituelle, ne s'est pas formalisé, se limitant à prononcer
l'homélie prévue.
S'il s'agissait du début d'une campagne électorale en vue du prochain
conclave, Ratzinger montra qu'il voulait la mener « à l'envers », pour
convaincre d'éventuels partisans de l'écarter, plutôt que de le soutenir.
Ses paroles, diffusées en direct sur la première chaîne de télévision de la
RAI, ont été une fois de plus la répétition d'une conviction constante,
presque comme pour dire : « Et ne dites pas que je ne vous ai pas fait
comprendre clairement ce que je pensais ! »
Après avoir affirmé que « le christianisme n'est pas un système
intellectuel, un ensemble de dogmes, un moralisme, mais une rencontre, une
histoire d'amour, un événement », le cardinal a stigmatisé la tentation « de
transformer le christianisme en moralisme et le moralisme en politique, de
remplacer la croyance par l'action. [...] À ce rythme, on tombe dans les
particularismes, on perd surtout les principes et l'orientation, et à la fin
on ne construit pas, mais on divise ». Et il a conclu avec une note de franc
réalisme : « Celui qui croit doit aussi passer par la "vallée obscure", les
vallées obscures du discernement, et donc aussi de l'adversité, de
l'opposition, de l'hostilité idéologique. »
Un mois plus tard, le 25 mars, Vendredi saint, ses textes ont été lus lors
du chemin de croix au Colisée, la traditionnelle
cérémonie religieuse qui, cette année-là, s'est malheureusement déroulée en
l'absence physique de Jean-Paul II, qui l'a regardée à la télévision et a
été filmé de dos alors qu'il embrassait le crucifix dans la chapelle privée
du palais apostolique.
Là encore, la décision a été prise personnellement par le pape, et Ratzinger
a accepté son souhait de bon gré, se consacrant intensément à la rédaction
des méditations et des prières. Il n'a pas demandé d'avis ni donné le texte
à lire à quiconque. L'anecdote racontée par le cardinal Angelo Scola dans le
livre d'entretiens J'ai parié sur la Liberté m'a fait sourire: « Je me
souviens d'une rencontre privée avec lui, dans les années 1980, au cours de
laquelle je lui ai spontanément fait une suggestion. Sur le moment, il n'a
pas réagi, mais à la fin de la conversation, avant de prendre congé, il m'a
dit sur un ton à la fois bon enfant et sévère : "Cher Don Angelo,
souvenez-vous qu'il n'y a rien de pire que de donner des conseils à ceux qui
ne les demandent pas." »
Le triduum pascal a toujours été un temps liturgique perçu et vécu très
intensément par le cardinal, qui aimait à rappeler qu'il était né un Samedi
saint, le 16 avril 1927 : « Le Vendredi saint, notre regard reste toujours
fixé sur le Crucifix ; le Samedi saint, en revanche, est le jour de la "mort
de Dieu", le jour qui exprime et anticipe l'expérience inédite de notre
temps ; la sensation que Dieu est tout simplement absent, que le tombeau le
recouvre, qu'il n'est plus éveillé, qu'il ne parle plus, de sorte qu'il n'y
a même plus besoin de contester son existence, mais qu'on peut sans risque
se passer de lui », écrit-il dans sa célèbre Introduction au christianisme.
Et commentant les peintures de William Congdon, dans le volume The Sabbath
of History, il a raconté qu'il avait compris dès sa jeunesse que « le message
du jour où je suis venu au monde avait un lien spécial avec la liturgie de
l'Église;
et ma vie a été dès le début orientée vers cet entrelacement singulier
d'obscurité et de lumière, de douleur et d'espoir, de dissimulation et de
présence de Dieu ».
Les textes de ce Chemin de croix représentent un « instantané » de la
pensée de Ratzinger, en réponse aux défis de l'actualité de l'époque. Il est
évident que l'attention des médias s'est concentrée sur quelques extraits
particuliers, mais aujourd'hui encore, l'ensemble du texte mérite d'être
relu et étudié en profondeur. Il s'agissait d'une réflexion extrêmement
profonde, qui ne visait certainement pas à enlever quelques cailloux de ses
chaussures ou à dessiner des équilibres en clair-obscur. Il ne s'agissait
pas non plus d'affirmations « ecclésiastiquement correctes », étant donné
l'agitation qu'elles ont suscité à l'intérieur et à l'extérieur de l'Église.
En fait, la plus grande émotion a été causée par la méditation de la
neuvième station, celle sur la troisième chute de Jésus : « Ne devons-nous
pas aussi considérer combien le Christ doit souffrir dans sa propre Eglise ?
Combien de fois le Saint Sacrement de sa présence est-il abusé, dans quel
vide et quelle méchanceté de cœur entre-t-il souvent ! Combien de fois ne
célébrons-nous que nous-mêmes sans prendre la mesure de sa présence !
Combien de fois sa Parole est-elle déformée et abusée ! Que de manque de foi
dans tant de théories, que de mots vides! Combien d'impuretés y a-t-il dans
l'Église, et précisément aussi parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient
lui appartenir complètement ! » II s'agissait d'un élan du cœur, anticipant
en paroles toutes les actions qu'il entreprendrait plus tard au cours de son
pontificat.
Mais d'autres passages constituent un jugement précis, pour encourager une
réponse adéquate de la communauté ecclésiale: « Nous pouvons aussi penser,
dans l'histoire plus récente, à la façon dont la chrétienté, fatiguée de la
foi,
a abandonné le Seigneur : les grandes idéologies, comme la banalisation de
l'homme qui ne croit plus en rien et se laisse aller, ont construit un
nouveau paganisme, un paganisme pire, qui, voulant écarter Dieu une fois
pour toutes, a fini par se débarrasser de l'homme » ; « Entendre Jésus,
lorsqu'il réprimande les femmes de Jérusalem qui le suivent et pleurent sur
lui, nous fait réfléchir. N'est-ce pas un reproche adressé à une piété
purement sentimentale, qui ne se transforme pas en conversion et en foi
vécue ? Il ne sert à rien de pleurer en paroles, et sentimentalement, les
souffrances de ce monde, alors que notre vie continue sans changement. C'est
pourquoi le Seigneur nous avertit du danger que nous courons. Il nous montre
la gravité du péché et la gravité du jugement », jusqu'à l'appel final
sincère : Seigneur Jésus Christ, tu t'es laissé clouer sur la croix,
acceptant la terrible cruauté de cette douleur, la destruction de ton corps
et de ta dignité. Tu t es laissé clouer, tu as souffert sans échappatoire et
sans compromis. Aidez-nous à ne pas fuir ce que nous sommes appelés à
accomplir. Aide-nous à être étroitement liés à toi. Aide-nous à démasquer
cette fausse liberté qui veut nous éloigner de toi. Aide-nous à accepter ta
liberté "liée" et à trouver la vraie liberté dans notre lien étroit avec
toi. »
En vérité, Ratzinger a toujours été sans illusion face à la perspective d'un
conclave. Au vaticaniste de TG1 Giuseppe De Carli, qui l'a taquiné en 2004
en lui disant qu'il avait déjà participé à deux élections et qu'il en
vivrait peut-être une troisième, il a réagi de manière glaciale : « Si je
suis encore en vie! » En 1997, interrogé par la télévision bavaroise sur la
responsabilité de l'Esprit Saint dans l'élection du pape, il a précisé : «
L'Esprit ne prend pas vraiment le contrôle de la situation, mais plutôt,
comme un bon éducateur, nous laisse beaucoup d'espace, beaucoup de liberté,
sans nous
abandonner complètement. Par conséquent, le rôle de l'Esprit doit être
compris dans un sens beaucoup plus élastique, et non pas comme dictant pour
quel candidat voter. La seule sécurité qu'il offre est probablement qu'on ne
peut pas tout gâcher. Il y a beaucoup d'exemples de papes que le
Saint-Esprit n'aurait clairement pas choisis »
Tout commence à Subiaco
En tant que doyen du Collège des cardinaux, Ratzinger a été constamment tenu
au courant de la détérioration de l'état de santé de Jean-Paul II.
Immédiatement après Pâques, la situation a été considérée comme
irréversible. Il m'a donc demandé de libérer son agenda des engagements qui
pouvaient être annulés ou reportés. La seule incertitude concernait un
rendez-vous hors de Rome qu'il avait déjà fixé pour le 1er avril à Subiaco,
dans le monastère de Sainte-Scholastique, pour recevoir le prix Saint-Benoît
« pour la promotion de la vie et de la famille en Europe » et donner une
conférence sur « l'Europe dans la crise des cultures ».
Ratzinger en a parlé au cardinal Angelo Sodano, secrétaire d'État, qui lui a
conseillé d'y aller, afin de ne pas soulever les questions qui se poseraient
immédiatement dans la presse en cas d'annulation. Dans le même temps, j'ai
accepté le fait qu'il y ait une ligne téléphonique directe entre le
secrétaire personnel de Sodano, Mgr Piero Pioppo, et moi, afin que je puisse
recevoir les nouvelles en temps réel si quelque chose d'important se
produisait.
C'était une conférence très structurée et les mots du cardinal sont encore
plus significatifs avec le recul. Il a notamment déclaré que « ce dont nous
avons surtout besoin en ce moment de l'histoire, ce sont des hommes qui, par
une
foi éclairée et vécue, rendent Dieu crédible dans ce monde. Le témoignage
négatif des chrétiens qui parlaient de Dieu et vivaient contre lui, a
obscurci l'image de Dieu et ouvert la porte à l'incrédulité. Nous avons
besoin d'hommes qui gardent leur regard droit vers Dieu, apprenant de là la
véritable humanité. Nous avons besoin d'hommes dont l'intelligence est
éclairée par la lumière de Dieu et à qui Dieu ouvre le cœur, afin que leur
intellect puisse parler à l'intellect des autres et que leur cœur puisse
ouvrir le cœur des autres. Ce n'est qu'à travers les hommes qui sont touchés
par Dieu que Dieu peut revenir aux hommes. »
A l'époque, Ratzinger a beaucoup réfléchi à la situation en Europe et a
notamment déploré le développement d'une « culture qui, d'une manière
inconnue de l'humanité, exclut Dieu de la conscience publique, soit qu'il
soit nié purement et simplement, soit que son existence soit jugée
indémontrable, incertaine, et donc du domaine des choix subjectifs, en tout
cas sans rapport avec la vie publique ».
Il avait été particulièrement frappé par le débat sur le préambule de la
Constitution européenne, au cours duquel était apparues des opinions
divergentes quant à la référence explicite à Dieu et à la mention des
racines chrétiennes du continent : « Les raisons de ce double "non" sont
plus profondes que ne le laissent supposer les arguments invoqués. Elles
présupposent l'idée que seule la culture radicale des Lumières, qui a
atteint son plein développement à notre époque, pourrait être constitutive
de l'identité européenne », a-t-il constaté avec amertume.
Avec la lucidité qui l'a toujours distingué, il a expliqué que « le choc qui
caractérise le monde d'aujourd'hui n'est pas celui entre différentes
cultures religieuses, mais celui entre 1 émancipation radicale de l'homme
par rapport à Dieu, aux
racines de la vie d'une part, et les grandes cultures religieuses d'autre
part. Si l'on en arrive à un choc des cultures, ce ne sera pas à cause du
choc des grandes religions - qui se sont toujours combattues mais qui,
finalement, ont aussi toujours su vivre ensemble - mais ce sera à cause du
choc entre cette émancipation radicale de l'homme et les grandes cultures
historiques ».
D'où une proposition étonnante que, comme un pavé dans la mare
d'indifférence qu'il a semblé percevoir, il a lancé aux laïcs en particulier
: « Au siècle des Lumières, on a essayé de comprendre et de définir les
normes morales essentielles en disant qu'elles seraient valables etsi Deus
non daretur, même si Dieu n'existait pas. Poussée à l'extrême, la tentative
de façonner les affaires humaines en se passant complètement de Dieu nous
conduit de plus en plus au bord de l'abîme, vers l'abandon total de l'homme.
Nous devrions donc inverser l'axiome des Lumières et dire: même ceux qui ne
trouvent pas le moyen d'accepter Dieu devraient néanmoins essayer de vivre
et de diriger leur vie veluti si Deus daretur, comme si Dieu était là. » Un
message qu'il a repris et approfondi à plusieurs reprises au cours de son
pontificat.
Pendant la réunion, je m'étais placé de façon stratégique sur le côté, avec
mon téléphone portable réglé sur vibreur. Et en effet, alors que la fin du
discours approchait, Pioppo m'a informé d'une nouvelle aggravation de l'état
de santé du pape et m'a suggéré de rentrer à Rome le soir, plutôt que de
rester pour la messe du lendemain matin. Habituellement, lorsque nous
rentrions en voiture après un voyage, nous commentions avec le cardinal le
déroulement de la conférence : ce soir-là, il s'est enfermé dans ses
pensées, si bien que le chauffeur et moi sommes restés dans un silence
respectueux.
Le lendemain, je suis allé travailler comme d'habitude à la Congrégation et
au milieu de la matinée, don Mietek
m'a téléphoné, me demandant de lui passer le cardinal. Puis j'ai vu celui-ci
partir en vitesse et j'ai imaginé qu'il allait à l'appartement du pape. Dans
l'après-midi de ce samedi 2 avril, je n'ai plus vu ni entendu parler de lui.
À cette époque, je vivais à Sainte-Marthe; pendant le dîner, vers 20h30,
j'ai remarqué qu'un monsignore polonais de la Secrétairerie d'État se levait
d'un air inquiet, sans avoir fini son repas. C'est à ce moment-là que j'ai
compris que Jean-Paul II était de fait à la fin de sa vie. Je me suis
immédiatement rendu place Saint-Pierre et j'ai entendu l'annonce de la mort
du pontife. J'y suis resté jusqu'à tard dans la soirée, priant avec les
dizaines de milliers de personnes qui s'étaient progressivement rassemblées
sous la fenêtre depuis laquelle nous avions l'habitude de voir apparaître le
pape Wojtyla.
Ratzinger et moi avons parlé au téléphone le dimanche matin : il m'a dit que
la veille, il avait été convoqué au chevet de Jean-Paul II pour recevoir une
dernière bénédiction. Pendant la période où le siège de Pierre a été vacant,
tous les chefs des départements du Vatican quittant leur poste, il m'a donc
confirmé qu'il ne viendrait plus au bureau et m'a demandé de faire « office
de facteur », en collectant à son domicile les lettres à envoyer et en lui
apportant le courrier entrant. Je me rendais donc au moins deux fois par
jour à l'appartement situé au quatrième étage de la piazza délia Città
Leonina 1, juste à côté de la colonnade de droite, où il avait vécu depuis
son arrivée à Rome.
En tant que doyen, sa première tâche a été celle prévue par la constitution
apostolique
Universi Dominici Gregis de Jean-Paul II : communiquer
officiellement la nouvelle de la mort du pape à tous les cardinaux, en
convoquant en même temps les congrégations du Collège, le corps diplomatique
accrédité auprès du Saint-Siège et les chefs suprêmes des
nations, en les invitant aux funérailles. Ses proches collaborateurs étaient
l'archevêque Francesco Monterisi, secrétaire du Sacré Collège, et son
adjoint, Mgr Michèle Castoro. Aussi de manière informelle, en tant que
secrétaire du cardinal, je me suis retrouvé à jouer le rôle de trait d'union
entre eux et Ratzinger.
À l'approche des funérailles, le cardinal s'est immédiatement mis au travail
pour rédiger l'homélie de la messe. L'émotion qui avait envahi le monde
entier — illustrée concrètement par l'interminable file d'attente de
personnes venues du monde entier pour rendre hommage au pontife qui avait
conduit l'Église dans le troisième millénaire (à un moment donné, la file
mesurait cinq kilomètres, avec une attente de vingt-quatre heures pour
entrer dans la basilique Saint-Pierre) - l'avait frappé au cœur et lui avait
fait prendre conscience de la nécessité d'écrire ce texte avec raison,
certes, mais plus encore avec le cœur.
Quelques jours plus tard, il m'en a remis plusieurs pages, écrites au crayon
et tapées ensuite à l'ordinateur par Sr Birgit Wansing (aussi appelée
familièrement « Sr Brigida »), expliquant qu'il avait préféré écrire
l'homélie en allemand afin de pouvoir formuler correctement sa pensée. Le
texte a alors été traduit en italien, comme d'habitude, par Mgr Damiano
Marzotto Caotorta, alors chef de bureau à la congrégation pour la Doctrine
de la Foi.
Une bénédiction du ciel
En ce matin du 8 avril, plus d'un million de pèlerins ont convergé vers
Rome, tandis que des centaines de millions de spectateurs de 81 nations ont
pu suivre la retransmission en direct sur 137 réseaux de télévision. Pas
moins de 169 délégations étrangères étaient présentes à la cérémonie (avec
notamment 10 souverains et 59 chefs d'État), tandis qu'au niveau religieux,
on comptait des représentants de 23 Églises orthodoxes, 8 Communions
occidentales, 3 organisations chrétiennes internationales, 17 religions non
chrétiennes, ainsi que divers représentants du judaïsme.
Alors que les cardinaux se dirigeaient en procession vers l'autel, les
rafales de vent ont exceptionnellement atteint 78 km/h, vitesse jamais
atteinte de toute cette année à Rome, et, dans un tourbillon, ont soulevé
les vêtements des concélébrants et fait tourner les pages de l'évangéliaire
reposant sur le cercueil de Jean-Paul II. Un véritable « souffle de l'Esprit
», selon l'interprétation de beaucoup.
Le cardinal Ratzinger a marqué l'homélie en traçant un rapide portrait
biographique de Karol Wojtyla avec en toile de fond l'invitation Jésus à
Pierre, « suis-moi !» : « Cette parole lapidaire du Christ peut être
considérée comme la clé pour comprendre le message qui émane de la vie de
notre regretté et bien-aimé pape Jean-Paul II, dont nous déposons
aujourd'hui les restes en terre comme une graine d'immortalité, avec un cœur
plein de tristesse, mais aussi de joyeuse espérance et de profonde
gratitude. [...] Dans la première période de son pontificat, le Saint-Père,
encore jeune et plein de force, sous la conduite du Christ, est allé aux
extrémités de la terre. Mais, de plus en plus, il est entré dans la
communion des souffrances du Christ, de plus en plus il a compris la vérité
de ces mots : "Un autre te mettra ta ceinture..." Et c'est précisément dans
cette communion avec le Seigneur souffrant qu'il a annoncé inlassablement et
avec une intensité renouvelée l'Évangile, le mystère de l'amour qui va
jusqu'au bout. »
Puis il a conclu dans un souffle lyrique, inhabituel pour son style mais à
ce moment-là intensément vécu, et qui
a généré une émotion des plus profondes chez toutes les personnes présentes
: « II reste inoubliable de voir comment, en ce dernier dimanche de Pâques
de sa vie, le Saint-Père, marqué par la souffrance, a regardé une fois de
plus par la fenêtre du Palais apostolique et a donné une dernière fois la
bénédiction Urbi et Orbi. Nous pouvons être sûrs que notre pape bien-aimé se
tient maintenant à la fenêtre de la maison du Père, nous voit et nous bénit.
Oui, bénissez-nous, Saint-Père. Nous confions votre chère âme à la Mère de
Dieu, votre mère, qui vous a guidé chaque jour et vous guidera maintenant
vers la gloire éternelle de son Fils, Jésus Christ notre Seigneur. »
Le 14 avril, conformément au règlement du conclave, le capucin Raniero
Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, a proposé la première de
deux méditations « sur les problèmes de l'Église et le choix éclairé du
nouveau Pontife ». Tous les membres du Collège des cardinaux, y compris ceux
âgés de quatre-vingts ans ou plus, ont pu assister à cette méditation dans
la nouvelle salle du Synode, tandis que la seconde, le 18 avril dans la
chapelle Sixtine avec le cardinal Tomas Spidlik, n'a été suivie que par les
membres du conclave.
De longs extraits de la réflexion du père Cantalamessa ont été rapportés
dans la presse à l'époque et, à la lumière de l'élection ultérieure de
Ratzinger, ils m'ont semblé très intéressants, car ils mettaient en évidence
des aspects étroi-tement liés aux idées et au magistère du cardinal.
Certains commentateurs l'ont même appelé la « trouvaille Cantalamessa », le
chargeant presque de la responsabilité d'avoir décrit un portait-robot du
nouveau pape.
Il n'en reste pas moins, évident pour ceux qui connaissaient bien la pensée
du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi de l'époque, que
plusieurs points soulignés
par Cantalamessa pouvaient être rapprochés d'une réflexion précise du
théologien Ratzinger, ainsi que j'essaie de le proposer ci-dessous de façon
extrêmement synthétique en offrant cinq exemples dans une vue synoptique,
avec, chacun, une déclaration du capucin associée à un texte du cardinal :
•« L'Église doit de plus en plus centrer ses efforts sur la création d'une
véritable alternative au monde avec une communauté, peut-être minoritaire,
mais ayant découvert "la loi vivifiante de l'Esprit dans le Christ". » « II
y a aujourd'hui des chrétiens qui sont "coupés", qui se placent en dehors de
cet étrange consensus de l'existence moderne, qui tentent de nouvelles
formes de vie ; ils n'attirent sans doute pas une attention particulière de
l'opinion publique, mais ils font quelque chose qui indique vraiment
l'avenir » (Le sel de la terre, 1997).
• « Chaque initiative pastorale, chaque mission, chaque entreprise
religieuse, même le conclave peut être Babel ou Pentecôte. C'est Babel si
l'on y cherche son propre succès, pour se faire un nom ; c'est Pentecôte si
l'on cherche la gloire de Dieu et l'avènement de son Royaume. » « Déjà
lorsque, après la mort de l'archevêque de Munich en 1976, des rumeurs se
sont répandues selon lesquelles il serait son successeur, sa position était
que "je ne pouvais pas les prendre très au sérieux, car les limites de ma
santé étaient aussi connues que mon ignorance des tâches de gouvernement et
d'administration: je me sentais appelé à une vie d'érudition et je n'avais
jamais eu autre chose en tête" » (Ma vie, 1997).
• «
Lumen Gentium
a ramené les charismes au cœur de l'Église. Le Seigneur
semble avoir voulu confirmer cette décision du Concile car, après celui-ci,
nous avons assisté à un vaste réveil des charismes dans l'Église. »
« Ici, tout d'un coup, il y avait quelque chose que personne n'avait prévu.
Voici que le Saint-Esprit avait redemandé la parole. Et chez les jeunes
hommes et les jeunes femmes, la foi a refleuri, sans "si" ni "mais", sans
subterfuges ni échappatoires, vécue dans sa globalité comme un don, comme un
don précieux qui donne la vie » (Les mouvements ecclésiaux et leur position
théologique, 1998).
• « Certains pensent qu'il est possible, voire nécessaire, de renoncer
aujourd'hui à la thèse de l'unicité du Christ pour favoriser le dialogue
entre les différentes religions. Or, proclamer Jésus Seigneur signifie
précisément proclamer son unicité. Le grand défi auquel est confronté le
christianisme aujourd'hui, et en premier lieu le pape, est de combiner la
participation la plus loyale et la plus convaincue au dialogue
inter-religieux avec une foi inébranlable dans la signification salvatrice
universelle de Jésus-Christ. »
« Croire qu'il existe une vérité universelle, contraignante et valable dans
l'histoire elle-même, qui s'accomplit dans la figure de Jésus Christ et est
transmise par la foi de l'Église, est considéré comme une sorte de
fondamentalisme qui constituerait une attaque contre l'esprit moderne et
représenterait une menace contre la tolérance et la liberté. [...] L'estime
et le respect des religions du monde, ainsi que des cultures qui ont apporté
un enrichissement objectif à la promotion de la dignité humaine et au
développement de la civilisation, ne diminuent pas l'originalité et le
caractère unique de la révélation de Jésus Christ et ne limitent en rien la
tâche missionnaire de l'Église » (Présentation de la déclaration
Dominus Jesus, 2000).
• « La formule canonique actuelle de la relation entre le pape et les
évêques est cum Petro et sub Petro.
Jusqu'à présent, c'est surtout le sub Petro qui a été mis en avant. Le
moment est peut-être venu de redonner tout son sens au cum Petro. Il s'agit
de créer des organes appropriés pour sa mise en œuvre, qui ne peuvent plus
être basés de manière rigide sur les anciennes divisions de la sphère
catholique. Nous ne pouvons plus penser en termes d'anciens patriarcats. »
« La primauté de l'évêque de Rome, dans son sens originel, ne s'oppose pas à
l'organisation collégiale de l'Église, mais c'est une primauté de communion
qui se situe à l'intérieur d'une Église qui se vit et se comprend comme une
communion communautaire. Cette instance autoritaire de la collégialité des
évêques n'existe pas pour une simple utilité humaine (bien que celle-ci
l'exige), mais parce que le Seigneur lui-même, à côté et avec le ministère
des Douze, a institué le ministère spécial de l'office pétrinien. [...] Je
doute de plus en plus que cela [des patriarcats, N.d.AJ puisse être la forme
organisationnelle adéquate pour regrouper de grandes unités continentales »
(Le nouveau peuple de Dieu, 1971 — Dieu et le monde, 2001).
Extraits de "Rien que la vérité de Mgr Gänswein
(55-69)
-
Mgr Gänswein : Jean-Paul II était un saint
(33 - 37)
-
Ratzinger comme un chef d'orchestre de Jean Paul II
(47 -54)
-
Mgr Georg Gänswein : Rien d'autre que la vérité - ma vie aux côtés
de Benoît XVI - Postface (341 - 344)
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Sources
: Rien d'autre que la vérité - édition Artège
-
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E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.04.2023
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