 |
La guerre d’Israël contre le Hamas est-elle proportionnée ?
Voici les raisons du oui
|
Le 27.02.2024 -
E.S.M.
- La question de l’avenir politique des
Palestiniens est en effet une question qui devrait être
éclaircie. Mais laissons la parole au professeur De Marco, ancien professeur de
sociologie de la religion à l’Université de Florence et à la Faculté
théologique d’Italie centrale.
Sandro Magister
|
|
Pour agrandir
l'image ►
Cliquer
Questions controversées. La guerre d’Israël contre le Hamas est-elle «
proportionnée » ? Voici les raisons du oui.
Le 27 février 2024 -
E.S.M. -
(s.m.) L’article du professeur Pietro De Marco sur la guerre entre
Israël et le Hamas, publiée aujourd’hui par Settimo Cielo, dénote
clairement par rapport à l’opinion générale, y compris au sein de
l’Église.
Mais même ceux qui ne sont pas d’accord ne peuvent pas se priver d’y
prêter attention. Parce que De Marco met précisément le doigt sur ce qui
échappe au plus grand nombre, c’est-à-dire la nature très particulière de la
« guerre moderne » mise en œuvre par le Hamas, non seulement aujourd’hui
mais depuis des années, et dont la logique est très éloignée, si pas
opposée, à cet engagement en faveur des populations palestiniennes
affligées, exilées, réfugiées, qui anime en revanche les cultures politiques
et religieuses de l’Occident et qui fonde le jugement répandu sur la « disproportionnalité »
de la réaction armée d’Israël à Gaza.
La question de l’avenir politique des Palestiniens est en effet une
question qui devrait être éclaircie. La solution « deux peuples, deux
États » énoncée avec une cadence quasi rituelle par les chancelleries, n’est
en réalité partagée ni par l’écrasante majorité des Juifs israéliens et
encore moins par le Hamas, comme l’a reconnu Aluf Benn, directeur du
principal quotidien d’opposition au gouvernement de Benjamin Netanyahu,
« Haaretz », dans un important essai publié dans « Foreign
Affairs » du 7 février intégralement traduit et publié en italien par la
revue « Il
Regno ».
La solution souhaitée par M. Benn pour le conflit doit être recherchée
dans l’avertissement lancé par Moshe Dayan après le meurtre en 1956 d’un
jeune Juif par un Palestinien : « Ne jetons pas la faute sur les assassins.
Pendant huit ans, ils sont restés dans les camps de réfugiés de Gaza pendant
que sous leurs yeux nous avons accaparé les terres et les villages où eux et
leurs pères habitaient ».
Dayan faisait allusion à la « nakba », la « carastrophe », c’est-à-dire
l’éviction de leurs terres à laquelle les Palestiniens ont été contraint
après avoir perdu la guerre de 1948 contre l’État d’Israël qui venait de
naître. Sauf que ces réfugiés qui étaient à l’origine sept cent mille sont
aujourd’hui plus de cinq millions, toujours classés comme « réfugiés »,
financée par les Nations Unies, et qu’ils continuent à revendiquer le droit
de retourner dans leurs lieux d’origine, délégitimant par la même occasion
l’existence même de l’État d’Israël.
L’historien Ernesto Galli della Loggia a rédigé un éditorial très
éclairant dans le « Corriere
della Sera » du 18 février pour expliquer comment cette revendication du
retour des « réfugiés » palestiniens rend inapplicable la solution « deux
peuples, deux États », à moins de garanties préalables concertées dont on ne
voit pas la trace aujourd’hui.
Mais laissons la parole au professeur De Marco, ancien professeur de
sociologie de la religion à l’Université de Florence et à la Faculté
théologique d’Italie centrale.
*
Pour un jugement de proportionnalité
de Pietro De Marco
C’est un jugement tentant de considérer que la conduite stratégique et
tactique de l’armée israélienne dans le territoire de Gaza est
« disproportionnée », et pas seulement pour les sujets politiques
internationaux tenus de prendre position dans un difficile jeu d’équilibre
entre les faits, les partis pris et les opinions publiques.
Le Saint-Siège lui-même, par la bouche de son secrétaire d’État, Pietro
Parolin, a utilisé cette formule prudente (« le droit à se défendre doit
être proportionné », sous-entendant que son exercice par Israël ne le serait
pas). Proportionné par rapport à quoi ? Quel est l’étalon de référence ? En
général, ce sont les images des destructions et les nouvelles des victimes
civiles palestiniennes qui pèsent dans la balance, mises en rapport avec les
morts et les enlèvements israéliens, dont on se rappelle à peine. Mais
essayons de réfléchir.
1.
Depuis des années, sur le front du Moyen-Orient, une action guerrière de
type mixte, à dominante terroriste qui ne se revendique pas comme telle,
techniquement une razzia, a mis en évidence l’irréalisme de la vision
géopolitique édulcorée qui prévaut en Europe et qu’on retrouve même parfois
en Israël, qui fait également partie de l’Europe. Ce qui est révélateur,
c’est la structure du jugement modéré actuel, ce mouvement de balancier « et
et » de la responsabilité entre Israël et le Hamas, laissant les
Palestiniens de côté ; ou du « oui mais » concernant le droit à la défense
de l’État juif. Un facteur manque cependant à cette équation : la prise en
compte des nouveaux sujets et des nouveaux styles de la « guerre moderne »
qui intéresse les spécialistes depuis plus de soixante ans, et dont
l’organisation se faisant appeler « Ḥarakat al-Muqawama al-Islamiyya », en
abrégé Hamas, qui se traduit par « Mouvement de résistance islamique », est
un cas spécial, bien documenté à de nombreux égards.
Parfois qualifiée de « psychologique » (François Géré. « La guerre
psychologique », 1997, dont proviennent les citations) et expérimentée au
fil des insurrections et des contre-insurrections, ce qu’on appelle la
« guerre moderne » est constituée de conflits qui sont surtout actif quand
ils n’ont pas de caractère guerrier. Il s’agit de ces méthodes et de ces
actions « révolutionnaires » de conquête et de contrôle des populations,
autrefois surtout rurales, qui ont préparé, protégé et alimenté les
insurrections anticoloniales vraies ou présumées. Dans les mains de
minorités cultivées, qui se basent sur des modèles éprouvés, chinois et
russes, ces méthodes font partie intégrante ou bien sont une extension de la
guerre « classique » faite de contingents et d’armements, et de leurs
déplacements sur le terrain. Une extension qui plus est dotée d’autonomie,
raison pour laquelle nous évoquons le Hamas comme étant le sujet en guerre,
bien plus que les Brigades du martyr Izz al-Din al-Qassam, son aile
militaire.
L’attaque de l’aile armée du Hamas et d’autres forces, le 7 octobre 2023,
n’a donc que l’apparence – par son caractère sauvage – d’une vague ou d’une
explosion. Il s’agit plutôt d’un épisode visible et sanguinaire d’une guerre
qui était déjà en cours et qui est menée par une armée irrégulière qui
grandit à Gaza dans les tunnels, comme ailleurs dans les forêts et les
montagnes, et qui a pénétré, soumis et endoctriné la population de la
surface. Dans la Bande de Gaza, en plus de la population, toutes les
associations et agences internationales qui y travaillent sont
nécessairement infiltrées par le Hamas. L’UNWRA, l’agence de l’ONU pour les
réfugiés, ne peut pas être autre chose qu’un appareil contrôlé par le Hamas,
qui en intercepte et en utilise les ressources. Et nécessairement, aucune
information issue de sujets « tiers » qui opèrent dans la bande de Gaza
n’est vraiment neutre ; tout appartient à la guerre du Hamas, qui se
déroulait jusqu’à hier dans une certaine latence, et aujourd’hui en forme
ouverte.
Pour le dire autrement, pendant que les opinions publiques et les
cultures politiques et religieuses de l’Occident s’inquiètent avec
différents degrés d’implication (ou seulement de compréhension et de
compassion) du sort des populations qui souffrent, titulaires de droits dont
elles seraient privées et pendant que des psychologues, des sociologues et
des agences assuraient le maintien de la paix, de puissants réseaux armés de
« résistance » active se sont développés au fil des ans au sein de la
population palestinienne. À part les formes officieuses de gouvernement
qu’il a assumées après 2007, le Hamas contrôle et gouverne également par sa
seule présence, ainsi que par la formation et la manipulation des jeunes
générations. Il ne s’agit pas là d’hypothèses hostiles au Hamas mais bien
des règles d’une série de pratiques révolutionnaires visant à exploiter un
peuple et un territoire comme des ressources matérielles, comme refuge,
comme argument politique, comme « Hamastan ».
2.
Comment alors, dans un tel contexte, poser un jugement de
proportionnalité visant à juger la réponse armée israélienne selon des
critères de morale de guerre et de droit de la guerre ?
Les juristes nous disent que le jugement de proportionnalité – de manière
générale – comprend trois phases ou dimensions : le jugement sur l’idonéité
à obtenir des résultats, le jugement sur la nécessité ou le caractère
inévitable de l’action punitive ; le jugement sur son adéquation, au sens de
proportion raisonnable entre les actions entreprises (une fois leur idonéité
et leur inévitabilité établie) et le caractère tolérable du coût humain
qu’elle impose au destinataire comme à l’auteur de la sanction.
Tout cela semble applicable à une punition « sui generis » telle que la
rétorsion ou les représailles en droit de la guerre. Et c’est en effet dans
cette direction que se dirige, plus ou moins consciemment, le jugement
actuel des observateurs et des autorités qui ne sont pas hostiles à Israël.
D’une fois à l’autre, en fonction des commentateurs et des situations au fur
et à mesure que le temps passe, on s’inquiète de l’adéquation (« ça ne sert
à rien ») et surtout sur la proportionnalité, c’est-à-dire du caractère
tolérable des « sacrifice » que l’attaque israélienne impose (« trop »). Ce
qui est le moins remis en cause, c’est la nécessité d’une action de
représailles, qui apparaît justifiée en elle-même.
Mais quel est le genre de guerre mené par Israël ? Il ne s’agit pas de
représailles. De toute évidence, par sa radicalité, il s’agit de la réponse
à la « guerre psychologique », c’est-à-dire à la transformation de la
population palestinienne en une machine de guerre dormante et à l’exercice
de cette guerre, pendant des années. Une guerre locale, mais bien plus que
cela.
Les guerres locales sur lesquelles nous nous penchons « ne sont que des
miniatures du conflit déjà ouvert à grande échelle ». Dans quelle
direction ? C’est l’évidence même que la partie la plus importante de la
« guerre moderne », ou post-classique en cours consiste en un travail de
« guerre psychologique » de démotivation politique de l’adversaire. « Un
conflit mondial est en cours », rappelle François Géré, caractérisé « par
l’usage par chacun des adversaires de toutes les forces dont il dispose,
violentes et non-violentes, pour faire céder l’autre belligérant, pour le
soumettre ». Dans la conjoncture actuelle, ce désordre armé « contraint
l’autre à renoncer à ses objectifs politiques ». Et les objectifs politiques
dont l’affaiblissement est visé, ce sont les nôtres, c’est-à-dire notre
existence et la « ratio » occidentale (qui ne se résume pas à la démocratie)
en matière de politique mondiale. Il s’agit de la guerre « révolutionnaire »
de l’âge post-idéologique ou néo-idéologique, avec des manifestations
éminemment locales, distribuées sur des lignes de faille typiques du « clash
des civilisations » théorisé par Samuel Huntington.
3.
La guerre d’anéantissement contre une « véritable » armée constituée et
abritée dans des tunnels situés sous les zones résidentielles de la Bande de
Gaza est donc bien autre chose qu’une initiative de représailles après le 7
octobre, même si l’on ne peut exclure une composante punitive subjective
dans le chef des Israéliens. Le jugement de proportionnalité doit mettre en
jeu d’autres ordres de grandeur. Idonéité à l’objectif, nécessité de
l’action et adéquation des coûts humains impliqués concernent la capacité à
vaincre un adversaire local mais global à sa manière : une action nécessaire
pour la protection et la dignité future d’Israël mais particulièrement
nécessaire en tant que manifestation de la volonté politique de l’Occident,
« erga omnes ».
Qu’y a-t-il donc de « disproportionnés » dans ce cadre et dans ce but ?
La guerre israélienne d’anéantissement d’un adversaire militaire ne l’est
pas. L’action de dissuasion de la constellation armée de forces anti-Israël,
principalement menée par l’Iran, ne l’est pas. Pas plus que ne l’est la
reprise ultérieure des négociations d’Israël avec les pays arabes, en
position de force et après avoir montré qu’elle était pratiquement
inattaquable du point de vue local et mondial, sur le plan militaire et
politique.
Le nombre des victimes ? Les actions militaires de la « guerre
moderne « latente », qui se déroulent dans les zones colonisées qui sont par
définition habitées, ne peuvent que causer des victimes innocentes autour
des combattants. Ces victimes sont toujours « disproportionnées » (quel
qu’en soit le nombre, même s’il était très inférieur aux chiffres
communiqués), comme toute vie en elle-même. Mais les pertes dans les rangs
des Palestiniens non-combattants n’ont pas été et ne sont pas, dans les
déclarations d’Israël et dans les modalités de déroulement des opérations
militaires, recherchées en tant que telles, ni comme représailles ni, encore
moins, comme pratique génocidaire.
De plus, les pertes civiles font partie des calculs stratégique des
dirigeants du Hamas, qui savent pertinemment bien qu’ils en portent la
responsabilité. En effet, le théorème de chaque insurrection moderne au sein
d’une population est bien connu : « Si l’adversaire ne nous frappe pas par
peur de faire des victimes, nous avons gagné parce que nous conservons notre
force ; s’il nous frappe et cause des victimes, nous avons gagné également,
parce que l’adversaire succombe, et que nous nous renforçons, aux yeux de
l’opinion publique ».
Si l’adversaire, c’est-à-dire Israël, c’est-à-dire nous, décide de ne pas
céder à ces règles imposées par la partie adverse (en toute lucidité et
cyniquement parce que ce sont les seules qui lui permettent de combattre
avec un espoir de succès), il y aura des victimes civiles. Mais nous ne
devons pas récompenser ce « jeu » ni les laisser gagner le défi.
Sandro Magister est vaticaniste à
L’Espresso.
Articles les plus
récents :
-
Cardinal Cantalamessa : Première prédication de Carême 2024
-
Pékin et le Saint-Siège : des signaux positifs, mais un silence de plomb
-
Cardinal Müller : Les efforts de Rome pour clarifier Fiducia supplicans accroissent la confusion
-
Le pape est obnubilé par la bénédiction des couples de même sexe
-
Le combat de Jean-Paul II contre l'avortement
-
Le pape doit révoquer de toute urgence Fiducia supplicans
Les lecteurs qui
désirent consulter les derniers articles publiés par le site
Eucharistie Sacrement de la Miséricorde, peuvent
cliquer sur le lien suivant
► E.S.M.
sur Google actualité |
Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 27.02.2024
|