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Pékin et le Saint-Siège : des signaux positifs, mais un silence de
plomb
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Le 15.02.2024 -
E.S.M.
- L’auteur de cette analyse éclairante et
très actuelle de la situation réelle de l’Église
catholique en Chine est Gianni Criveller, 63 ans, de l’Institut pontifical pour les missions
étrangères, sinologue et théologien, président depuis sept années du
séminaire théologique international du P.I.M.E affilié à
l’Université pontificale urbanienne de Rome.
Sandro Magister
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Pékin et le Saint-Siège : des signaux positifs, mais un silence de
plombI
L’Église catholique toujours plus « chinoise » en Chine. Où c’est plus Xi
qui la dirige que le pape
Le 15 février 2024 -
E.S.M. -
(s.m.) L’auteur de cette analyse éclairante et très actuelle de la
situation réelle de l’Église catholique en Chine est Gianni
Criveller, 63 ans, de l’Institut pontifical pour les missions
étrangères, sinologue et théologien, président depuis sept années du
séminaire théologique international du P.I.M.E affilié à
l’Université pontificale urbanienne de Rome et, depuis septembre
dernier, directeur de l’agence « Asia News » de ce même institut,
mais qui a surtout été missionnaire en Chine pendant des décennies,
en plus d’être l’auteur de nombreuses études sur l’histoire de la
Chine dans ce grand pays, professeur invité à Hong Kong, Pékin et
dans d’autres universités et traducteur chevronné aussi bien du
mandarin que du cantonais. Cette note a été publiée le 12 février
dans « Asia News » en italien, en anglais, en espagnol et en
chinois. À lire à tout prix.
*
de Gianni Criveller
J’écris ce billet pendant que l’on fête le nouvel-an chinois, une fête
chère à tous les Chinois, au pays comme à l’étranger. C’est l’année du
dragon, qui parmi les douze animaux de l’horoscope est le plus fort et le
plus aimé : on dit que beaucoup de Chinoises rêvent d’avoir un enfant au
cours de cette année qui est considérée comme la plus propice.
La fête de ce jour me remet en mémoire le souvenir de la foi catholique
en Chine, le thème fondamental de ma vie consacrée à la mission. L’année
2024 devrait être, pour autant qu’on le sache, une année décisive pour le
dialogue entre la Chine et le Saint-Siège : l’accord de 2018, renouvelé à
deux reprises, devra être ratifié de manière permanente ou bien abandonné.
Ces derniers jours, deux actualités ont été accueillies – à juste titre –
de manière positive par les observateurs :
trois nouveaux évêques ont été ordonnés (sur la photo le dernier, celui
de Shaowu), avec l’accord des deux parties, conformément à l’accord.
L’année 2023 avait été une « annus horribilis » pour le Saint-Siège,
après le scandale du transfert à Shanghai de l’évêque Shen Bin. Il
s‘agissait du deuxième acte unilatéral de la Chine, qui avait tenu le
Saint-Siège à l’écart de toute consultation. Le Vatican avait protesté,
avant de finir par accepter le fait accompli, tout en demandant que la
situation ne se reproduise pas.
Les trois dernières ordinations concertées, accompagnées de la
reconnaissance par le Saint-Siège d’un nouveau diocèse (Weifang, dans la
province de Shandong, dont les frontières ont été redessinées par les
autorités chinoises) ont donné l’impression qu’il y ait, dans le chef de la
Chine, la volonté de ne pas rompre avec Rome et de ratifier l’accord de
manière permanente.
Mais il faut rappeler que ces bonnes nouvelles doivent être remises dans
leur contexte. S’il est vrai que le pape nomme les évêques, ces derniers ne
sont pas choisis par lui mais via un processus autonome dirigé par les
autorités chinoises, et dont les détails ne sont pas connus, étant donné que
le texte de l’accord demeure secret.
Ceux qui ont été élus en Chine sont donc bien des évêques catholiques,
mais qui sont dans le même temps approuvés par le régime. En outre, il est
bon de souligner qu’en aucune manière, en Chine, ni le pape ni le
Saint-Siège ni l’accord n’ont été mentionnés à l’annonce de ces nominations.
Je crains que la nomination par le pape ne soit pas davantage mise en avant
au cours de la liturgie d’ordination elle-même. Cela fait d’ailleurs belle
lurette que les célébrations des consécrations épiscopales ne sont plus
accessibles aux observateurs extérieurs.
Le double registre – d’une part des nominations qui semblent renforcer
l’accord ; d’autre part le silence sur le rôle de Rome – saute encore plus
aux yeux en lisant le « Plan quinquennal pour la sinisation du catholicisme
en Chine (2023-2027) ».
Ce « Plan », très détaillé et articulé en trois parties et 33
paragraphes, a été approuvé le 14 décembre 2023 par l’organisme officiel qui
unit la Conférence des évêques catholiques (non reconnue par le Saint-Siège)
et l’Association patriotique des catholiques chinois, toutes deux placées
sous la supervision du Front uni, le service du parti communiste qui
gouverne la vie religieuse du pays. Ce document a été publié le jour de Noël
sur le site de l’Église catholique chinoise. Un document similaire était
sorti le 19 décembre pour les Églises protestantes.
Composé de 5000 caractères (soit environ 3000 mots en français), le
« Plan » catholique ne nomme pas une seule fois le pape ni le Saint-Siège ;
pas plus que l’accord intervenu entre le Vatican et la Chine. Le leader Xi
Jinping est quant à lui cité à quatre reprises. Par cinq fois, on répète que
le catholicisme doit adopter des « caractéristiques chinoises ». On fait la
part belle au mot « sinisation », qui apparaît pas moins de 53 fois.
Le « Plan » est la feuille de route pour rendre le processus de
sinisation plus profond, plus idéologique et plus efficace : « Il est
nécessaire d’intensifier la recherche pour doter la sinisation du
catholicisme d’un fondement théologique, pour améliorer continuellement le
système de pensée théologique sinisé, pour construire une base théorique
solide à la sinisation du catholicisme, afin qu’il se manifeste constamment
sous des caractéristiques chinoises ».
Ces dispositions n’ont rien de surprenant pour tout qui s’intéresse à la
politique religieuse du gouvernement chinois ces dernières années : ce qui
impressionne, en revanche, c’est la fermeté et le style péremptoire du
langage. Comme s’il n’y avait eu aucun dialogue et aucun rapprochement avec
le Saint-Siège ; comme si la reconnaissance donnée par le pape à tous les
évêques chinois comptait pour rien, comme s’il n’y avait pas d’accord entre
le Saint-Siège et la Chine donnant au monde entier l’impression que le
catholicisme romain ait trouvé hospitalité et résidence en Chine.
En tant que théologien, le projet de donner un fondement théologique à la
sinisation me frappe. Il est trop facile pour des observateurs superficiels
de le justifier et de considérer ce terme comme une étape légitime du
processus ecclésial d’inculturation. Il n’en est rien : ici ce ne sont pas
les croyants qui cherchent librement un dialogue vertueux entre la foi
catholique et leur propre appartenance culturelle. Il s’agit au contraire de
la part d’un régime autoritaire, d’adapter de force la pratique de la foi à
la politique religieuse imposée par les autorités du régime.
Il y a cent ans, du 15 mai au 12 juin 1924, se tenait le Concile de
Shanghai, la première rencontre de tous les évêques de Chine (il n’y avait
encore hélas aucun Chinois parmi eux). Ce Concile (l’adoption de ce terme
est intéressante) avait été convoqué par le délégué pontifical Celso
Costantini. Ce dernier avait été envoyé en Chine à la suite de l’encyclique
« Maximum Illud » de 1919, qui imposait aux missions de poursuivre sur la
voie de l’inculturation. Plusieurs missionnaires, dont le supérieur général
des P.I.M.E. Paolo Manna (aujourd’hui béatifié) avaient dénoncé le caractère
étranger de l’Église catholique en Chine. En 1926, six évêques chinois
furent finalement ordonnés, et quelques années plus tard, à Pékin,
Costantini fondait une école pour créer un art chrétien chinois. C’est
ainsi, avec grand retard, que s’est amorcé le processus de sinisation. Et
cette année du centenaire du Concile de Shanghai, il convient de réfléchir,
du point de vue historique et théologique, sur ces événements et sur les
défis pour l’avenir de la foi en Chine.
Ce que nous considérons comme étant inacceptable, c’est que le contrôle
exercé par les des autorités politiques sur les croyants catholiques – un
contrôle qui tente de se faire passer pour de la sinisation – soit justifié
de manière ambigüe au nom de l’inculturation de l’Évangile.
Sandro Magister est vaticaniste à L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
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constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.02.2024
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