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Complexités et paradoxes dans l’histoire de l’Église
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Le 23 août 2023 -
E.S.M.
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L’histoire est complexe et parfois paradoxale, pleine
d’événements qui, sur le plan symbolique, ne sont pas
moins mémorables que la nomination de Mgr Fernández par
le pape François.
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Complexités et paradoxes dans l’histoire de l’Église
Le 23 août 2023 -
E.S.M. -
La nomination de Mgr Victor Manuel Fernandez comme préfet de la
Congrégation de la Foi a une grande portée symbolique et représente
en quelque sorte l’achèvement du pontificat du pape François, qui a
voulu donner un signal clair à ceux qui, le 24 novembre 2022, lors
de la rencontre avec les membres de la Commission Théologique
Internationale, il a appelé les “indietristes” de
l’Église.
La nomination de 21 cardinaux, dont Mgr Fernandez lui-même, au
consistoire qui précédera l’ouverture du
Synode sur la synodalité en septembre est un autre signe dans ce sens. Le pape veut
s’assurer que la direction qu’il a imprimée à l’Église ne sera pas modifiée
par son successeur car «il n’y a pas de retour en arrière possible».
Ceux qui sont convaincus que les derniers choix du pape
François sont l’expression d’une rupture radicale avec les pontificats qui
l’ont précédé, ont-ils donc raison? François est-il le pire pape de
l’histoire, voire, comme certains le pensent, un antipape?
Pour l’historien, la réalité est plus complexe. Les moments de
rupture avec la Tradition de l’Église ont été nombreux au cours des soixante
dernières années, mais le premier et le plus éloquent renversement de
perspective remonte, à mon avis, au discours de Jean XXIII, Gaudet mater
Ecclesia, qui a ouvert le Concile Vatican II le 11 octobre 1962.
Le ton de la
lettre du pape François au nouveau préfet de la
Congrégation pour la foi, Mgr Fernandez, présente des assonances
remarquables, dans le langage et le contenu, avec ce document. Dans le
passage central de l’allocution Gaudet mater Ecclesia, Jean XXIII
expliquait que le Concile avait été convoqué non pour condamner des erreurs
ou formuler de nouveaux dogmes, mais pour proposer, dans le langage adapté
aux temps nouveaux, l’enseignement traditionnel de l’Eglise. Jean XXIII
affirmait que «pour ce qui regarde, l’heure présente, l’Epouse du Christ
aime à employer le remède de la miséricorde plutôt que d’user des armes de
la sévérité; elle croit que, au lieu de condamner, c’est en montrant mieux
la valeur de la doctrine qu’il faut parer aux besoins actuels.(…). Autre chose est, en effet, le dépôt de la Foi en
lui-même, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre doctrine vénérable
et autre chose la façon de les énoncer tout en gardant l’identité de sens et
d’enseignement. C’est à ce mode d’expression qu’il faudra attacher grande
importance ; si c’est nécessaire, il faudra travailler avec patience à son
élaboration ; il y aura lieu en effet d’introduire des méthodes d’exposition
qui correspondent mieux à un magistère dont le caractère est surtout
pastoral».
Jean XXIII attribua au Concile qui s’ouvrait alors une note
spécifique: son caractère pastoral. Les historiens de l’École de Bologne
définissent la dimension pastorale de Vatican II comme étant “constitutive”.
La forme pastorale devenait la forme du Magistère par excellence. Au début,
ce n’était pas évident pour tout le monde, mais dans les mois et les années
qui ont suivi, il est devenu clair que le discours de Jean XXIII était le
manifeste d’une nouvelle ecclésiologie. Et cette ecclésiologie, selon les
théologiens les plus progressistes, devait être le fondement d’une nouvelle
Église, par opposition à l’Église “constantinienne” de Pie XII. Une Église
non plus militante, non plus définitoire et assertive, mais itinérante et
dialoguante : une Église synodale.
Dans la nouvelle perspective, le Saint-Office, qui avait été
pendant des siècles le rempart de l’Église contre les erreurs qui
l’attaquaient, n’avait plus de raison d’être, ou en tout cas devait changer
de mission. C’est dans cette perspective que s’inscrit ce qui s’est passé le
8 novembre 1963 dans la salle du Conseil (R. de Mattei, Vatican II. Une
histoire à écrire, Muller Editions, Paris 2013, p. 211-212).
Ce jour-là, le cardinal-archevêque de Cologne Josef Frings
(1877-1978) demande la parole. À la surprise générale, Frings lance une
violente attaque contre le Saint-Office, dirigé par le cardinal Alfredo
Ottaviani (1890-1979). Frings dénonce les “méthodes immorales” du
Saint-Office devant tous les évêques de l’Église réunis sous la présidence
du Pape, en déclarant que sa procédure «n’est plus adaptée à notre
époque, nuit à l’Église et est un objet de scandale pour beaucoup».
Le cardinal Ottaviani a répondu par un discours vibrant dans
lequel il a défendu la mission du Saint-Office. «Qu’il me soit permis de
protester hautement contre les paroles qui ont été prononcées contre la
suprême Congrégation du Saint-Office, dont le chef est le Souverain pontife.
Les paroles qui viennent d’être prononcées prouvent une grave ignorance – je
m’abstiens, par révérence, d’utiliser un autre terme – de la procédure du
Saint-Office».
L’affrontement entre Frings et Ottaviani a été, selon
l’historien Mgr Hubert Jedin, «l’une des scènes les plus émouvantes de
tout le Concile» (Il Concilio Vaticano II sotto il profilo
storico, in Chiesa della fede, Chiesa della storia, Morcelliana,
Brescia 1972, p. 314). Josef Frings n’était pas seulement l’archevêque de
Cologne : il était le président de la Conférence épiscopale allemande et
l’un des représentants les plus influents de l’alliance des évêques d’Europe
centrale s’opposant à la ligne conservatrice. Le cardinal Ottaviani était le
membre le plus éminent de la Curie, à la tête d’une Congrégation qualifiée
de “Suprême” en raison de son importance primordiale, dont le préfet était
le Pape et non Ottaviani. Mais
Paul VI ne défend pas publiquement le Saint-Office et accrédite même la
position de Frings.
Trois ans plus tard, en 1968, le cardinal Frings prend la tête
de la protestation des évêques d’Europe centrale contre l’encyclique
Humanae Vitae de Paul VI. Le professeur Josef Ratzinger, qui avait été
l’inspirateur et le rédacteur fantôme du cardinal Frings lors du Concile,
comme Mgr Victor Fernández l’a été pour le Pape François, commence alors à
prendre les distances avec l’aile la plus progressiste de l’Église et fonde
la revue Communio avec Hans von Balthasar, Henri de Lubac et Walter
Kasper en 1972. Après avoir été nommé archevêque de Munich et cardinal, il
est nommé en 1981, par Jean-Paul II, préfet de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi, qu’il a dirigée pendant 24 ans. Le théologien du
cardinal Frings est devenu le chef de la Congrégation que Frings avait
publiquement attaquée lors du Concile.
Paul VI a clôturé les travaux du Concile Vatican II le 8
décembre 1965. La “réforme” de la Curie fut la première initiative de Paul
VI pour mettre en œuvre la révolution conciliaire initiée par Jean XXIII.
L’édifice curial construit au fil des siècles par les précédents pontifes
fut systématiquement démoli par Paul VI. Pour commencer, il fallait un
événement symbolique : la transformation de la Congrégation du Saint-Office,
qui fut renouvelée, même de nom, à la veille de la clôture du Concile, avec
le motu proprio Integrae servandae. Dans l’après-midi du 6 décembre
1965, L’Osservatore Romano publie le décret abolissant l’Index
des livres interdits et transformant le Saint-Office en Congrégation pour la
Doctrine de la Foi, affirmant qu’«il semble désormais préférable que la
défense de la foi passe par l’engagement de promouvoir la doctrine».
Paul VI nomme le théologien belge Charles Moeller (1912-1986),
champion du progressisme œcuménique, sous-secrétaire de la Congrégation pour
la Doctrine de la Foi. «Moeller, écrit Congar dans son Journal,
c’est l’oecuménisme à 100%, c’est l’ouverture à l’homme, l’intérêt pour sa
recherche, pour la culture, c’est le dialogue» (Diario del
Concilio (1960-1966), San Paolo, Cinisello Balsamo 2005, vol. II, pp.
434-435).
Congar lui-même a uriné à deux reprises, en 1946 et 1954, sur
la porte du Saint-Office, en signe de mépris à l’égard de l’institution
suprême de l’Église (Journal d’un théologien (1946-1954), Editions du
Cerf, Paris 2000, pp. 88, 293). Il a ensuite été créé cardinal par Jean-Paul
II le 26 novembre 1994.
C’est dire combien l’histoire est complexe et parfois
paradoxale, pleine d’événements qui, sur le plan symbolique, ne sont pas
moins mémorables que la nomination de Mgr Fernández par le pape François.
de
Roberto de Mattei
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Sources
: correspondanceeuropeenne
-
E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 23.08.2023
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