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Benoît XVI : C'est la miséricorde qui nous pousse vers Dieu, tandis que sa justice nous effraie

Le 03 août 2023 - E.S.M. - Dans la dureté du monde moderne dominé par la technique où les sentiments ne comptent plus, l'attente d'un amour salvateur qui se donne gracieusement augmente. Il me semble que dans le thème de la miséricorde divine, s'exprime d'une manière nouvelle ce que signifie la justification par la foi. En partant de la miséricorde de Dieu, que tous recherchent, il est également possible aujourd'hui de réinterpréter le noyau fondamental de la doctrine de la justification et de le faire apparaître dans toute son actualité.

Trône de grâce - Vers 1450 - Pour agrandir l'image ► Cliquer

Benoît XVI : C'est la miséricorde qui nous pousse vers Dieu, tandis que sa justice nous effraie

Benoît XVI : La foi n'est pas une idée, mais la vie1

Votre Sainteté, la question posée cette année dans le cadre des journées d'étude organisées par la Rettoria del Gesù est celle de la justification par la foi., vous soulignez une affirmation déterminée: « La foi chrétienne n'est pas une idée, mais une vie. » Commentant la célèbre déclaration de saint Paul (Rm 3,28), vous avez parlé d'une double transcendance: « La foi est un don aux croyants, communiqué par la communauté, qui est pour sa part le fruit du don de Dieu. » Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par cette déclaration, sachant bien sûr que le but de ces journées est de clarifier la théologie pastorale et de vivifier l'expérience spirituelle des fidèles ?

   Benoît XVI : II s'agit de savoir ce qu'est la foi et comment on en vient à croire. D'un côté, la foi est un contact profondément personnel avec Dieu, qui me touche dans les profondeurs de mon être et me met face au Dieu vivant dans une immédiateté absolue, afin que je puisse lui parler, l'aimer et entrer en communion avec lui. Mais, en même temps, cette réalité très personnelle est inséparablement liée à la communauté : il fait partie de l'essence de la foi que je sois introduit dans le « nous » des enfants de Dieu, dans la communauté des frères et sœurs en pèlerinage. La rencontre avec Dieu signifie aussi que je suis moi-même ouvert, arraché à ma solitude et accueilli dans la communauté vivante de l'Église. L'Église est aussi le médiateur de ma rencontre avec Dieu, qui atteint cependant mon cœur de manière tout à fait personnelle.

    La foi vient de l'écoute («fides ex auditu »), nous enseigne saint Paul. Ecouter à son tour implique toujours un partenaire. La foi n'est pas le produit d'une réflexion, ni la recherche d'une immersion dans les profondeurs de mon être. Les deux choses peuvent être présentes, mais elles restent insuffisantes sans l'écoute par laquelle Dieu de l'extérieur, d'une histoire qu'il a lui-même créée, m'interpelle. Pour que je puisse croire, j'ai besoin de témoins qui ont rencontré Dieu et me le rendent accessible.
    Dans mon article sur le baptême, j'ai parlé de la double transcendance de la communauté, faisant ainsi ressortir une fois de plus un élément important : la communauté de foi ne se crée pas elle-même. Ce n'est pas une assemblée d'hommes qui ont des idées en commun et qui décident de travailler à la diffusion de ces idées. Tout serait alors fondé sur sa propre décision et, en fin de compte, sur le principe de la majorité, c'est-à-dire qu'il s'agirait en définitive d'une opinion humaine. Une Église construite de cette manière ne peut être garante de la vie éternelle pour moi, ni exiger de moi des décisions qui me font souffrir et sont contraires à mes désirs. Non, l'Église ne s'est pas faite par elle-même, elle a été créée par Dieu et est continuellement façonnée par lui. Cela trouve son expression dans les sacrements, en premier lieu dans celui du baptême : j'entre dans l'Église non pas par un acte bureaucratique, mais par le sacrement. Et cela revient à dire que je suis accueilli dans une communauté qui n'a pas son origine en elle-même et qui se projette au-delà d'elle-même.
    La pastorale, qui entend former l'expérience spirituelle des fidèles, doit partir de ces données fondamentales. Elle doit abandonner l'idée d'une Église qui s'auto génère et souligner que l'Église devient communauté dans la communion du corps du Christ. Elle doit conduire à la rencontre avec Jésus-Christ et à sa présence dans le sacrement.

    Lorsque vous étiez préfet de la congrégation pour la Doctrine de la Foi, commentant la déclaration conjointe de l'Église catholique et de la Fédération luthérienne mondiale sur la doctrine de la justification du 31 octobre 1999. vous avez souligné une différence de mentalité par rapport à Luther et à la question du salut et de la béatitude telle qu'il la posait. L'expérience religieuse de Luther était dominée par la terreur face à la colère de Dieu, un sentiment tout à fait étranger à l'homme moderne, marqué plutôt par l'absence de Dieu (voir votre article dans Communio édition allemande, année 2000. p. 430). Pour l'homme moderne, le problème n'est pas tant de s'assurer la vie éternelle, mais plutôt de se garantir, dans les conditions précaires de notre monde, un certain équilibre d'une vie pleinement humaine. La doctrine de Paul sur la justification par la foi peut-elle, dans ce nouveau contexte, rejoindre l'expérience « religieuse » ou du moins l'expérience « élémentaire » de nos contemporains ?

   Benoît XVI :Tout d'abord, je voudrais souligner à nouveau ce que j'ai écrit dans Communio sur le problème de la justification. Pour l'homme d'aujourd'hui, par rapport à l'époque de Luther et à la perspective classique de la foi chrétienne, les choses sont quelque peu inversées : ce n'est plus l'homme qui croit avoir besoin d'une justification devant Dieu, mais plutôt Dieu qui doit se justifier en raison de toutes les horreurs du monde et de la misère humaine, toutes choses qui, en dernière analyse, dépendraient de lui. À cet égard, je trouve révélateur qu'une théorie catholique suppose même directement et formellement un tel renversement : le Christ n'aurait pas souffert pour les péchés de l'humanité, mais aurait plutôt, pour ainsi dire, effacé les fautes de Dieu. Même si, pour l'instant, la plupart des chrétiens ne sont pas d'accord avec un renversement aussi radical de notre foi, on peut dire que cela met en évidence un principe de base de notre époque. Lorsque Johann Baptist Metz affirme que la théologie d'aujourd'hui doit être « sensible à la théodicée » (theodizeeempfindlich), cela met en évidence le même problème de manière positive. Même en dehors d'une contestation aussi radicale de la vision ecclésiale de la relation entre Dieu et l'homme, l'homme d'aujourd'hui a le sentiment général que Dieu ne peut pas laisser la majorité de l'humanité s'égarer. En ce sens, le souci de salut, caractéristique d'une époque, a largement disparu. Cependant, à mon avis, continue d'exister, d'une autre manière, la perception que nous avons besoin de la grâce et du pardon. Pour moi, le fait que l'idée de la miséricorde de Dieu devienne de plus en plus centrale et dominante - à partir de Sœur Faustine2, dont les visions reflètent profondément, à bien des égards, l'image de Dieu propre à l'homme d'aujourd'hui et son aspiration à la bonté divine - est un « signe des temps ». Le pape Jean-Paul II était profondément imprégné de ce courant, même si cela n'apparaissait pas toujours explicitement. Mais ce n'est certainement pas un hasard si son dernier livre, publié juste avant sa mort, porte sur la miséricorde de Dieu. À partir d'expériences au cours desquelles, dès son plus jeune âge, il a été témoin de toute la cruauté des hommes, il affirme que la miséricorde est la seule réaction, véritable et ultime, qui soit efficace contre la puissance du mal. C'est seulement là où il y a miséricorde que la cruauté prend fin, que cessent le mal et la violence. Le pape François est en parfait accord avec cette ligne. Sa pratique pastorale s'exprime précisément dans le fait qu'il nous parle continuellement de la miséricorde de Dieu. C'est la miséricorde qui nous pousse vers Dieu, tandis que sa justice nous effraie.
    À mon avis, cela fait ressortir que, sous le vernis de la confiance en soi et de l'autosatisfaction, l'homme d'aujourd'hui cache une profonde conscience de ses blessures et de son indignité face à Dieu. Il est en attente de la miséricorde. Ce n'est certainement pas un hasard si la parabole du bon Samaritain touche particulièrement nos contemporains. Et pas seulement parce que la composante sociale de l'existence chrétienne y est fortement soulignée, ni seulement parce que le Samaritain, l'homme non religieux, y apparaît, pour ainsi dire, comme celui qui agit vraiment en accord avec Dieu, alors même que les représentants officiels de la religion se sont rendus comme insensibles à Dieu. Il est clair que cela plaît à l'homme moderne. Mais il me semble tout aussi important que les hommes, au fond d'eux-mêmes, attendent du Samaritain qu'il leur vienne en aide, qu'il se penche sur eux, verse de l'huile sur leurs blessures, les soigne et les mette à l'abri. En fin de compte, ils savent qu'ils ont besoin de la miséricorde de Dieu et de sa délicatesse. Dans la dureté du monde moderne dominé par la technique où les sentiments ne comptent plus, l'attente d'un amour salvateur qui se donne gracieusement augmente. Il me semble que dans le thème de la miséricorde divine, s'exprime d'une manière nouvelle ce que signifie la justification par la foi. En partant de la miséricorde de Dieu, que tous recherchent, il est également possible aujourd'hui de réinterpréter le noyau fondamental de la doctrine de la justification et de le faire apparaître dans toute son actualité.

    Quand saint Anselme dit que le Christ a dû mourir sur la croix pour réparer l'offense infinie faite à Dieu et rétablir ainsi l'ordre brisé, il utilise un langage difficile à accepter pour l'homme moderne (cf. Gaudium et spes no 4). En s'exprimant ainsi, on court le risque de projeter sur Dieu l'image d'un Dieu de colère, dominé, face au péché de l'homme, par des sentiments de violence et d'agressivité comparables à ceux que nous pouvons éprouver nous-mêmes. Comment est-il possible de parler de la justice de Dieu sans risquer d'ébranler la certitude, désormais établie parmi les fidèles, que le Dieu des chrétiens est un Dieu « riche en miséricorde » (Ep 2,4) ?

   Benoît XVI : Les catégories conceptuelles de saint Anselme sont certainement devenues incompréhensibles pour nous aujourd'hui. Il nous appartient d'essayer de comprendre d'une manière nouvelle la vérité qui se cache derrière un tel mode d'expression. Pour ma part, je formule trois points de vue sur cette question.
    1) Le contraste entre le Père, qui insiste absolument sur la justice, et le Fils, qui obéit au Père et qui, en obéissant, accepte l'exigence cruelle de la justice, est non seulement incompréhensible aujourd'hui, mais, du point de vue de la théologie trinitaire, est en lui-même complètement erroné. Le Père et le Fils sont un et donc leur volonté est intrinsèquement une. Lorsque le Fils, au Jardin des Oliviers, lutte contre la volonté du Père, il ne s'agit pas pour lui d'accepter pour lui-même une disposition cruelle de Dieu, mais d'entraîner l'humanité dans la volonté de Dieu. Nous aurons à revenir plus tard sur la relation entre les deux volontés du Père et du Fils.
    2) Mais alors, pourquoi la croix et l'expiation ? D'une certaine manière, aujourd'hui, dans les méandres de la pensée moderne évoqués ci-dessus, la réponse à ces questions peut s'exprimer d'une manière nouvelle. Plaçons-nous face à la masse immonde de mal, de violence, de mensonges, de haine, de cruauté et d'orgueil qui infecte et ruine le monde entier. Cette masse de mal ne peut pas simplement être déclarée inexistante, pas même par Dieu. Elle doit être purifiée, retravaillée et dépassée. L'ancien Israël était convaincu que le sacrifice quotidien pour les péchés et surtout la grande liturgie du Jour des Expiations (Yom Kippour) étaient nécessaires comme contrepoids à la masse de mal présent dans le monde et que seul ce rééquilibrage permettait au monde de rester, disons, supportable. Une fois les sacrifices du temple disparus, il fallait se demander ce qui pouvait compenser le déferlement des puissances du mal, et comment trouver un contrepoids. Les chrétiens savaient que le temple détruit avait été remplacé par le corps ressuscité du Seigneur crucifié, et qu'avait été créé, dans son amour radical et infini, un contrepoids à la présence incommensurable du mal. Ils savaient bien que les offrandes présentées jusqu'alors ne pouvaient être conçues que comme le désir d'un véritable contrepoids. Ils mesuraient aussi que face à la puissance écrasante du mal seul un amour infini, une expiation infinie, pouvait suffire. Ils comprenaient que le Christ crucifié et ressuscité est une puissance qui peut contrer le pouvoir du mal et ainsi sauver le monde. Et sur cette base, ils pouvaient également comprendre le sens de leurs propres souffrances comme étant intégrées dans l'amour souffrant du Christ et comme faisant partie de la puissance rédemptrice de cet amour. J'ai cité plus haut ce théologien pour qui Dieu devait souffrir pour ses fautes contre le monde ; maintenant, eu égard à ce renversement de perspective, la vérité suivante apparaît : Dieu ne peut tout simplement laisser telle quelle la masse de mal qui provient de la liberté qu'il a lui-même accordée. Lui seul, en venant participer à la souffrance du monde, peut racheter le monde.
    3) Sur cette base, la relation entre le Père et le Fils devient plus claire. Voici un passage du livre du père de Lubac sur Origène qui me semble apporter beaucoup de clarté : « Le Sauveur est descendu sur terre par pitié pour le genre humain. Il a subi nos passions avant de souffrir la croix, avant même de daigner prendre notre chair : car, s'il ne les avait pas subies d'abord, il ne serait pas venu participer à notre vie humaine. Quelle est cette passion qu'il a endurée pour nous depuis le début ? C'est la passion de l'amour. "Mais le Père lui-même, le Dieu de l'univers, lui qui est plein de longanimité, de miséricorde et de pitié, ne souffre-t-il pas d'une certaine manière ? Ou peut-être ignorez-vous que, lorsqu'il s'occupe des affaires humaines, il souffre d'une passion humaine ? " (Homélies sur Ezéchiel 6,6). Car le Seigneur Dieu a pris sur lui vos manières de vivre comme celui qui prend sur lui son enfant. Dieu prend sur lui nos modes de vie comme le Fils de Dieu prend sur lui nos passions. Le Père lui-même n'est pas impassible ! Si nous l'invoquons, il a pitié et compassion. Il souffre d'une passion d'amour3. » Dans certaines régions d'Allemagne, il existait une dévotion très émouvante qui s'attardait sur die Not Gottes (« le dénuement de Dieu »). J'ai devant les yeux une image imposante représentant le Père souffrant, qui, en tant que Père, partage intérieurement la souffrance du Fils. Et l'image du « trône de la grâce » fait également partie de cette dévotion : le Père tient la croix et le crucifié, se penche avec amour sur lui et est pour ainsi dire sur la croix avec lui. Ainsi, d'une manière grandiose et pure, est saisi ici le sens de la miséricorde de Dieu et de sa participation à la souffrance humaine. Il ne s'agit pas d'une justice cruelle, ni du fanatisme du Père, mais de la vérité et de la réalité de la création : du véritable dépassement du mal qui ne peut finalement se réaliser que dans la souffrance de l'amour.

    Dans les Exercices spirituels, Ignace de Loyola n'utilise pas les images de vengeance de l'Ancien Testament, contrairement à Paul (cf. 2Th 1,5-9); il nous invite néanmoins à contempler comment les hommes, jusqu'à l'Incarnation, « sont descendus aux enfers » (Exercices spirituels, no 102; Denzinger-Schônmetzer, IV, 376, nos 633 et 1037) et à considérer l'exemple « d'innombrables autres personnes qui y ont fini pour des péchés bien moins nombreux que ceux que j'ai commis » (Exercices spirituels no 52). C'est dans cet esprit que saint François Xavier a vécu son activité pastorale, convaincu qu'il devait essayer de sauver le plus grand nombre possible d' « infidèles » du terrible destin de la perdition éternelle. L'enseignement, formalisé au Concile de Trente, sur le jugement des bons et des mauvais, radicalisé ensuite par les jansénistes, a été repris de manière beaucoup plus mesurée dans le Catéchisme de l’Église Catholique 1992 en version Word (veuillez attendre le téléchargement) (cf. no 633, no 1037). Peut-on dire que sur ce point, au cours des dernières décennies, il y a eu une sorte de « développement du dogme » dont le Catéchisme doit absolument tenir compte ?

   Benoît XVI : Il ne fait aucun doute que sur ce point nous sommes confrontés à une profonde évolution du dogme. Alors que les Pères et les théologiens du Moyen Âge pouvaient encore penser que l'humanité entière était devenue catholique et que le paganisme n'existait plus qu'aux marges, la découverte du Nouveau Monde au début de l'ère moderne a radicalement changé les perspectives. Dans la seconde moitié du siècle dernier, on a pleinement pris conscience que Dieu ne peut laisser tous les non-baptisés aller à la perdition, et qu'une félicité purement naturelle n'est pas non plus pour eux une véritable réponse à la question de l'existence humaine. S'il est vrai que les grands missionnaires du XVIe siècle étaient encore convaincus que les non-baptisés étaient perdus à jamais, ce qui expliquait leur engagement missionnaire, dans l'Église catholique, après le concile Vatican II, cette conviction a été définitivement abandonnée. Cela a conduit à une profonde crise, double. D'un côté cela semblait ruiner la motivation de l'engagement missionnaire : pourquoi essayer de convaincre les gens d'accepter la foi chrétienne alors qu'ils pouvaient se sauver eux-mêmes, et sans elle ? De l'autre, pour les chrétiens, la conséquence était la suivante : le caractère obligatoire de la foi et de la forme de vie qui en découle devint incertain et problématique. Si des personnes pouvaient être sauvées par d'autres moyens, il n'était plus évident, en fin de compte, que le chrétien lui-même fût lié par les exigences de la foi chrétienne et de sa morale. Mais si foi et salut ne sont plus interdépendants, la foi perd son fondement.
    Ces derniers temps, diverses tentatives ont été faites pour concilier la nécessité universelle de la foi chrétienne avec la possibilité d'un salut sans elle. J'en mentionnerai deux ici : premièrement, la thèse bien connue des chrétiens anonymes de Karl Rahner. On y soutient que l'acte fondamental essentiel de l'existence chrétienne, décisif pour le salut, dans la structure transcendantale de notre conscience, consiste en l'ouverture au tout-autre, à l'union avec Dieu. La foi chrétienne ferait prendre conscience de ce qui est structurel dans l'homme en tant que tel. C'est pourquoi, lorsque l'homme s'accepte dans son être essentiel, il accomplit l'essentiel de l'être chrétien sans le savoir conceptuellement. Le chrétien coïncide donc avec l'humain et en ce sens, même sans le savoir, tout homme qui s'accepte est chrétien. Il est vrai que cette théorie est fascinante, mais elle réduit le christianisme lui-même à une présentation purement consciente de ce qu'est l'être humain en soi et néglige ainsi le drame du changement [conversion] et du renouveau qui est au cœur du christianisme.
    Encore moins acceptable est la solution proposée par les théories pluralistes de la religion, selon lesquelles toutes les religions, chacune à sa manière, sont des voies de salut et en ce sens, doivent être considérées comme égales dans leurs effets. La critique de la religion telle que pratiquée par l'Ancien Testament, le Nouveau Testament et l'Église primitive est essentiellement plus réaliste, plus précise et plus vraie dans son examen des différentes religions. Un accueil aussi simpliste n'est pas à la hauteur de l'ampleur de la question. Rappelons surtout Henri de Lubac et, avec lui, un certain nombre d'autres théologiens qui se sont appuyés sur le concept de « substitution vicaire ». Pour eux, l'existence-pour du Christ serait l'expression de la figure fondamentale de l'existence chrétienne et de l'Église en tant que telle. Il est vrai que de cette manière le problème n'est pas complètement résolu, mais il me semble que c'est en réalité l'intuition essentielle qui touche, de fait, l'existence de chaque chrétien. Le Christ, en tant qu'unique, était et est pour tous, et les chrétiens, qui, selon l'image grandiose de Paul, constituent son corps en ce monde, participent à cet « être pour ». Être chrétien, pour ainsi dire, ce n'est pas être pour soi, mais, avec le Christ, être pour les autres. Il ne s'agit pas d'un billet spécial pour accéder à la félicité éternelle, mais de la vocation à construire le tout, l'ensemble. Ce dont la personne humaine a besoin pour être sauvée, c'est d'une ouverture intime à Dieu, d'une attente profonde et d'une adhésion à lui, et cela signifie inversement que nous allons vers les autres, avec le Seigneur que nous avons rencontré, et que nous essayons de leur rendre visible la venue de Dieu dans le Christ.
    II est également possible d'expliquer cet « être pour » d'une manière un peu plus abstraite. Il est important pour l'humanité qu'il y ait en elle une vérité qui soit crue et pratiquée. Que quelqu'un souffre pour elle. Que quelqu'un l'aime. Ces réalités, avec leur lumière, pénètrent le monde en tant que tel et le soutiennent. Je pense que, dans la situation actuelle, cette parole du Seigneur à Abraham nous devient de plus en plus claire et compréhensible : dix justes suffiraient pour qu'une ville survive, mais qu'elle se détruirait d'elle-même si ce petit nombre n'est pas atteint. Il est clair que nous devons réfléchir davantage à l'ensemble de cette question.

     Vous avez souligné que, aux yeux de nombreux « laïcs » marqués par l'athéisme des XIXe et XXe siècles, c'est plutôt Dieu, s'il existe, que l'homme qui doit répondre de l'injustice, de la souffrance des innocents, du cynisme du pouvoir dont nous sommes d'impuissants témoins dans le monde et dans l'histoire universelle (cf. Spe Salvi no 42) ... Dans votre livre Jésus de Nazareth, vous vous faites l'écho de ce qui, pour eux et pour nous, est un scandale: « La réalité de l'injustice, du mal, ne peut pas être simplement ignorée, simplement mise de côté. Elle doit absolument être surmontée et vaincue. Ce n'est qu'alors qu'il y a véritablement miséricorde4 Le sacrement de la confession est-il, et en quel sens, un des lieux de « réparation » du mal commis ?

   Benoît XVI : J'ai déjà tenté d'exposer l'ensemble des points fondamentaux de ce problème en répondant à la troisième question. Le contrepoids à la domination du mal ne peut se trouver, essentiellement, que dans l'amour humano-divin de Jésus-Christ, qui est toujours plus grand que toute puissance possible du mal. Mais il faut que nous nous insérions dans cette réponse que Dieu nous donne par Jésus-Christ. Même si l'individu n'est responsable que d'un fragment du mal, et donc complice de sa puissance, avec le Christ il peut toutefois « compléter ce qui manque encore à sa souffrance » (cf. Col 1,24).
    Le sacrement de la pénitence joue certainement un rôle important à cet égard. Il signifie que nous nous laissons toujours façonner et transformer par le Christ, passant continuellement du côté qui détruit au côté qui sauve.

1. Entretien accordé au père jésuite Daniele Libanori dans le cadre d'un colloque sur la justification par la foi (Rome, Rettoria del Gesù, 8-10 octobre 2015). Le texte a été publié dans l'Osservatore Romano, le 16 mars 2016, et dans Daniele Libanori (éd.), Per mezzo délia fede, Cinisello Balsamo, San Paolo, 2016.
2. Soeur Faustine Kowalska, née à Glogowiec en Pologne en 1905, a eu des grâces mystiques lui demandant de devenir un apôtre de la miséricorde divine. Elle est morte à Cracovie en 1938. Saint Jean-Paul II lui vouait une grande affection et l'a proclamée sainte en l'an 2000. (N.D.É.)
3. Henri de LUBAC, Histoire et Esprit. L'intelligence de l'Écriture d'après Origène, Milan, Jaca Book, 2018, 2e éd., f. 264,
4. Joseph RATZINGER, Jésus de Nazareth, in Opéra Omnia, vol. VI/1, op.cit., p. 566, où il cite 2 Timothée 2,13.


      
 

 

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Sources : Extraits du Testament spirituel de Benoit XVI  -  E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.)
16.07.2023

 

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