Académie pontificale des querelleurs |
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Rome, le 22 février 2010 -
(E.S.M.)
- Après une courte trêve, la polémique reprend au sein de
l'académie pour la vie. Cinq de ses membres critiquent leur président.
Le roman policier de la modification d'une déclaration de la
congrégation pour la doctrine de la foi. Les propos les plus sages
viennent de la "cour des Gentils".
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Académie pontificale des querelleurs
Le 22 février 2010 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Pas de répit pour le président de l’académie
pontificale pour la vie, l'archevêque Salvatore (Rino) Fisichella, dont
nous avons largement évoqué les mésaventures dans de précédents articles.
L'assemblée plénière de l'académie, qui a eu lieu à huis clos au Vatican du
11 au 13 février, semblait s’être terminée paisiblement pour lui, notamment
parce que son principal opposant, l'académicien belge Michel Schooyans,
avait été retenu à Louvain par une maladie de saison.
Mais quelques propos que Fisichella a tenus, d’abord dans le discours par
lequel il a ouvert l'assemblée puis en s’adressant à Catholic News Service,
l'agence de presse de la conférence des évêques des États-unis, ont amené
ses adversaires à ouvrir de nouveau le feu contre lui.
Le 16 février, Schooyans et quatre autres académiciens ont signé et diffusé
une déclaration dans laquelle ils demandent de nouveau à ce que la
présidence de l'académie soit retirée à Fisichella.
Leur déclaration est intégralement reproduite ci-dessous. Et c’est le plus
récent chapitre d’une polémique qui dure depuis près d’un an, depuis le 15
mars 2009, date à laquelle "L'Osservatore Romano" a publié un article de Fisichella critiquant l'archevêque de Recife, au Brésil, pour avoir
excommunié les auteurs d’un double avortement sur une fillette-mère.
Il y a eu contre cet article et contre son auteur – qui l'avait écrit à la
demande et avec l'approbation du cardinal secrétaire d’état Tarcisio Bertone
– des protestations fortes et nombreuses, émanant d’évêques du Brésil et
d’autres pays mais aussi de dizaines de membres de l’académie pontificale
pour la vie. Elles sont arrivées jusqu’au pape. Le 10 juillet, la
congrégation pour la doctrine de la foi a publié un "Éclaircissement" sur la
doctrine de l’Église en matière d’avortement, pour réagir contre les
malentendus nés de cet article.
Mais Fisichella n’a jamais admis avoir écrit quelque chose d’erroné. Dans le
discours de 40 minutes par lequel il a ouvert les travaux de l'assemblée
plénière de l'académie, le 11 février dernier, il a réaffirmé que
l’"Éclaircissement" de la congrégation pour la doctrine de la foi lui
donnait raison en tout.
Le texte du discours de Fisichella, prononcé en italien avec des traductions
simultanées, n’a pas été distribué aux personnes présentes et, le lendemain,
"L'Osservatore Romano" n’en a publié qu’une partie, ne comportant pas de
références à l’affaire de Recife.
Le 12 février, interviewé par Carol Glatz du Catholic News Service,
Fisichella s’en est pris à ceux qui le critiquent : "Si un membre de
l'académie, si certaines personnes ont voulu, pour des raisons d’intérêt
politique, déformer mes propos, je n’en suis pas responsable. Les
responsables sont plutôt ceux qui ont voulu créer une situation
conflictuelle".
A la veille de l'assemblée plénière de l'académie, Schooyans avait publié un
réquisitoire contre l'usage trompeur qui est fait du concept de
"compassion", ce qui finit par justifier des actes contraires à la morale
chrétienne.
D’après Schooyans, Fisichella était justement tombé, avec son article dans
"L'Osservatore Romano", dans le "piège" de la fausse compassion, à propos de
la fillette brésilienne enceinte de son beau-père et que l’on a fait
avorter.
Benoît XVI aussi a lancé une mise en garde, dans le discours qu’il a adressé
le 13 février à l’académie pontificale pour la vie à la fin de son
assemblée, contre la "tendance à la pitié facile face à des situations
limites". Mais Fisichella a toujours repoussé toute critique sur ce point.
Les principaux textes de la controverse sont tous contrôlables sur
www.chiesa. Mais des voix extérieures à l’Église s’y sont aussi mêlées.
L’une de ces voix, parmi beaucoup d’autres, est celle de Ruggero Guarini, un
intellectuel italien non catholique. Il a écrit la courte lettre ci-après au
quotidien "il Foglio" qui l’a publiée le 10 février dernier en la présentant
comme "un magnifique exemple d’apologie laïque" de la vie naissante :
"Réfléchissant à l’affaire de ces jumeaux apparus dans le sein d’une
fillette de Recife violée par son beau-père mais éliminés ensuite par les
médecins, je me surprends à penser qu’il me plairait, bien que je ne sois
pas un militant anti-avortement, que ces deux bébés soient nés. Pour quelle
raison ?"
"Le véritable motif, c’est justement les circonstances particulières de
cette histoire à la fois atroce et touchante : la conception de ces deux
petits êtres, résultant d’un acte horrible mais pas dépourvu pour autant du
pouvoir de produire ce miracle qu’est la transmission de la vie, leur
heureux développement dans le ventre d’une gamine qui ignore le caractère
prodigieux du processus en cours dans son petit corps, et enfin l’effet
particulièrement sinistre de la sûreté de soi obtuse avec laquelle des gens
tout à fait étrangers à cette chaîne d’événements surhumains se sont arrogé
le droit d’en empêcher l’aboutissement…
"Quelle preuve éblouissante nous donne cette affaire du caractère
irréductiblement mystérieux de la vie, de son ineffable valeur de don, du
fait qu’elle ne nous appartient pas et qu’il est d’un ridicule mortel de
penser que l’on peut en disposer !".
Il aurait été beau que la controverse s’apaise sur la trace de ces mots si
simples et si profonds. Des mots qui viennent non pas du temple, mais de la
"cour des Gentils" !
*
Pour en revenir à la polémique interne à l’académie pontificale pour la vie,
les cinq opposants à Fisichella l’accusent, entre autres, d’avoir obtenu in
extremis que l’"Éclaircissement" de la congrégation pour la doctrine de la
foi daté du 10 juillet 2009 soit modifié en sa faveur.
La prise de position des cinq académiciens a été accueillie à la
secrétairerie d’état avec une irritation compréhensible. A la première
annonce de la diffusion de ce texte, le 19 février, le directeur de la salle
de presse du Saint-Siège, le jésuite Federico Lombardi, a dit que "ce
document n’est parvenu ni au Saint-Père, ni au cardinal secrétaire d’état,
qui en paraîtraient les destinataires naturels", et qu’il n’a pas été
présenté à l'assemblée plénière de l’académie pontificale pour la vie "qui
aurait été le lieu naturel pour traiter la question". C’est pourquoi "il est
étonnant et il ne paraît pas correct que ce document fasse l’objet d’une
diffusion publique".
En voici le texte intégral, à titre de documentation :
DÉCLARATION SUR LA PRÉSIDENCE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE POUR LA VIE, FAISANT
SUITE À L'ASSEMBLÉE DE L'ACADÉMIE QUI S’EST TENUE DU 11 AU 13 FÉVRIER 2010,
AU VATICAN
La contestation de l'archevêque Rino Fisichella en sa qualité de président
de l'académie pontificale pour la vie, qui avait été annoncée par plusieurs
commentateurs, n'a pas eu lieu la semaine dernière pendant l'assemblée de
l'académie. Pourquoi ? Essentiellement en raison d’une décision politique
prise par certains membres de l’académie qui avaient signé la lettre du 2
avril 2009 à l’archevêque Fisichella et la lettre ultérieure du 1er mai 2009
au cardinal Levada, demandant à ce que soit corrigée l'impression de grave
malentendu quant à l'enseignement de l’Eglise en matière d’avortement direct
qu’avait créée l’article de l'archevêque Fisichella publié dans "L'Osservatore
Romano" du 15 mars 2009.
Les raisons de cette décision politique étaient de deux sortes. a) Une
contestation ouverte de Fisichella pendant l'assemblée aurait divisé
l'académie, pas forcément parce que les académiciens sont d’accord avec son
comportement, mais parce que beaucoup d’entre eux auraient trouvé
inapproprié de traiter de cette façon un homme nommé par le pape et qui est
aussi archevêque. De plus, un défi ouvert de la part d’académiciens laïcs
aurait risqué d’amener la curie à serrer les rangs autour de Fisichella en
raison de la mentalité cléricale de cette entité et bien qu’il manque
d’appuis presque partout. b) Selon des sources fiables, Fisichella est
considéré par une grande partie de la curie comme inadapté à la présidence
de l’académie pontificale pour la vie et il y a un espoir raisonnable que le
Saint-Père reconnaisse qu’il est nécessaire de lui confier une charge
correspondant mieux à ses capacités.
L’absence de contestation ouverte à Fisichella a créé l'impression fausse
que les académiciens appuyaient sa présidence, par résignation ou pour
quelque autre raison. C’est une impression qu’il avait tout intérêt à
répandre. Mais rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité et l’un des
principaux faits qui prouvent qu’il s’agit d’une impression fausse est le
discours nettement inopportun qu’il a prononcé pour ouvrir l'assemblée.
Il n’a pas montré la moindre conscience des effets désastreux de son article
paru dans "L'Osservatore Romano" du 15 mars 2009 ou de sa responsabilité
quant à ces effets. Il a décrit les efforts respectueux de plusieurs
académiciens pour obtenir de lui une correction (ce qu’il a refusé à
l’époque) comme des attaques personnelles contre lui, motivées par la
"malveillance", alors qu’aucun des signataires n’avait la moindre raison de
nourrir de tels sentiments à son égard. Il a prétendu que
l’"Éclaircissement" finalement publié le 11 juillet 2009 par la congrégation
pour la doctrine de la foi lui donnait raison.
Autrement dit, il n’a rien rétracté de ce qu’il avait dit dans son article.
On comprend facilement que Fisichella se prétende en droit d’affirmer qu’il
a eu raison, grâce au malencontreux premier paragraphe de
l’"Éclaircissement", qui dit ceci :
"Récemment plusieurs lettres sont parvenues au Saint-Siège, dont certaines
provenant de hautes personnalités de la vie politique et ecclésiale, et
elles ont donné des informations sur la confusion qui a été créée dans
différents pays, surtout en Amérique Latine, du fait de la manipulation et
de l’instrumentalisation d’un article (c’est nous qui soulignons) de Son
Excellence Mgr Rino Fisichella, président de l’académie pontificale pour la
vie, sur la triste affaire de la 'fillette brésilienne'."
Ce que peu de gens savent, c’est que ce texte n’est pas la version originale
du paragraphe d'ouverture qu’il était prévu de publier dans "L'Osservatore
Romano". Fisichella a obtenu de voir le texte avant sa publication et il a
voulu que le paragraphe original soit modifié pour aboutir à la version qui
a été rendue publique. De cette façon, il a pu, sous l'apparente autorité de
la congrégation pour la doctrine de la foi, décliner toute responsabilité
quant à l’impact désastreux de son article sur la défense des innocentes
vies humaines à naître. La responsabilité de ce désastre reviendrait
entièrement à la manière dont d’autres personnes auraient "manipulé et
instrumentalisé" son article !
Non content d'avoir décliné la responsabilité du dommage causé par son
article, Fisichella a prétendu dans son discours du 11 février à l'académie
que le fait de reconnaître qu’il avait raison valait également pour le
contenu de son article. Cette prétention est particulièrement grave puisque
le texte de son article implique clairement qu’il y a des situations
difficiles où les médecins ont la possibilité d’interroger leur conscience
de manière autonome pour décider s’il y a lieu de pratiquer un avortement
direct.
Il semblerait donc que l’"Éclaircissement" de la congrégation pour la
doctrine de la foi n’ait pas réussi à éclairer la pensée de l'archevêque Rino Fisichella. Si c’est le cas, cela crée un doute préoccupant quant à
l’efficacité globale de l’"Éclaircissement" pour dissiper le malentendu sur
l'enseignement de l’Église en matière d'avortement direct qu’avait généré
l’article du 15 mars 2009.
Loin de créer l’unité et une véritable harmonie au sein de l'académie, le
discours prononcé le 11 février par l'archevêque Fisichella a eu comme effet
de renforcer dans l’esprit de beaucoup d’académiciens l'impression d’être
conduits par un ecclésiastique qui ne comprend pas ce qu’implique le respect
absolu pour les vies humaines innocentes. C’est un état de fait absurde dans
une académie pontificale pour la vie. Seuls ceux qui sont responsables de sa
nomination comme président peuvent y remédier.
Luke Gormally, membre ordinaire de l'académie, ancien directeur (1981-2000)
du Linacre Centre for Healthcare Ethics, Londres, Grande-Bretagne.
Christine de Marcellus Vollmer, membre ordinaire de l'académie, présidente
d’Alliance for the Family, Venezuela.
Mgr Michel Schooyans, membre ordinaire de l'académie, professeur émérite à
l'université de Louvain, Belgique.
Maria Smereczynska, membre correspondant de l'académie, Pologne.
Thomas Ward, membre correspondant de l'académie, président de The National
Association of Catholic Families, médecin généraliste en retraite,
Grande-Bretagne.
16 février 2010
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Les quatre reportages publiés par www.chiesa sur l’affaire de la fillette
brésilienne, avec l'article de Fisichella, la réponse de l'archidiocèse de
Recife, l’"Éclaircissement" de la congrégation pour la doctrine de la foi,
et le réquisitoire de Michel Schooyans contre la fausse "compassion" :
►
Tempêtes
au Vatican. L'académie pour la vie joue sa tête (8.2.2010)
►
Désaveu. Le Saint-Office donne une leçon à Mgr Fisichella (10.7.2009)
►
L'affaire de Recife. Rome a parlé, mais le procès n'est pas fini
(3.7.2009)
►
Bombes
à retardement. En Afrique le préservatif, au Brésil l'avortement
(23.3.2009)
Le discours adressé par Benoît XVI à l’académie pontificale pour la vie le
13 février 2010, en conclusion de son assemblée plénière sur le thème
"Bioéthique et loi naturelle" :
Benoît XVI - bioéthique et loi morale naturelle
La dépêche de Catholic News Service, l'agence de presse des évêques des
Etats-Unis, à propos de l'assemblée plénière de l’académie pontificale pour
la vie qui s’est tenue du 11 au 13 février 2010 :
Academy
for Life to stand united despite dissent, says archbishop
Quant à l'expression "cour des Gentils", elle est reprise du discours de
vœux adressé le 21 décembre 2009 par Benoît XVI à la curie romaine :
"Je pense qu'aujourd'hui aussi l'Eglise devrait ouvrir une cour des Gentils"
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.02.2010 -
T/International |