L'affaire de Recife. Rome a parlé,
mais le procès n'est pas fini |
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Rome, le 03 juillet 2009 -
(E.S.M.)
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La controverse sur l'avortement de la mère-enfant est de plus en plus vive.
L'archevêché brésilien menace d'une plainte canonique le président de
l'Académie pontificale pour la vie. Le réquisitoire de Michel Schooyans, qui
se termine sur un appel au pape Benoît XVI.
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L'affaire de Recife. Rome a parlé, mais le procès n'est pas fini
Le 03 juillet 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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La tempête provoquée par l'article de l'archevêque
Rino Fisichella, président de l’Académie pontificale pour la vie, dans
"L'Osservatore Romano" du 15 mars est loin d’être calmée. Surtout depuis
l’intervention de...
Mais n’anticipons pas. Reprenons l’affaire là où l’avait laissée le
précédent article de www.chiesa.
L'ARTICLE BOMBE
L'article de Fisichella était intitulé "Du
côté de la fillette brésilienne"
et prenait position sur le cas d’une fillette brésilienne déjà fertile à 9
ans qui a été violée à plusieurs reprises par son jeune beau-père, s’est
trouvée enceinte de jumeaux et que l’on a fait avorter au quatrième mois de
grossesse.
Ce cas, a écrit Fisichella, "n’a été rendu public dans les journaux que
parce que l’archevêque d’Olinda et Recife s’est empressé d’annoncer
l’excommunication des médecins qui ont aidé à interrompre la grossesse".
Mais "avant de penser à l’excommunication", il fallait "avant tout défendre,
embrasser, caresser" la fillette avec cette "humanité dont nous, hommes
d’Eglise, devrions être des annonciateurs experts et des maîtres". Mais "il
n’en a pas été ainsi".
Et il continuait:
"Du fait de son très jeune âge et de son état de santé précaire, la vie [de
la fillette] était sérieusement mise en danger par la grossesse en cours.
Que faire en pareil cas ? Décision difficile pour le médecin et pour la loi
morale elle-même. Des choix comme celui-là se présentent chaque jour [...]
et la conscience du médecin se retrouve seule avec elle-même face à
l’obligation de décider ce qu’il y a de mieux à faire".
En fin d’article Fisichella s’adressait directement à la fillette: "Nous
sommes de ton côté. [...] Ce sont d'autres personnes qui méritent
l'excommunication et notre pardon, non pas ceux qui t'ont permis de vivre".
LA RÉPONSE DE L'ARCHEVÊQUE DE RECIFE
L'article a immédiatement provoqué des réactions contradictoires: d’une part
les applaudissements des partisans du droit à l’avortement, de l’autre les
protestations des défenseurs de la vie de tout être humain conçu, sans
exception.
Directement mis en cause, l'archevêché d’Olinda et Recife, a réagi le 16
mars par une note d’"Eclaircissements" qui se terminait ainsi, se référant à
Mgr Fisichella:
"L’auteur a cru pouvoir parler de ce qu’il ne connaissait pas et, plus grave
encore, il n’a pas même pris la peine d’en parler préalablement avec son
frère dans l’épiscopat. À cause de cette attitude imprudente, il a provoqué
un grand désarroi chez les fidèles catholiques du Brésil".
"L'Osservatore Romano" n’a rien publié de cette réponse de l'archevêché
brésilien, ni d’autres réactions du même type.
Plusieurs semaines plus tard, dans une interview accordée à Jeanne Smits du
journal français "Présent", l'archevêque d’Olinda et Recife, José Cardoso Sobrinho, a redemandé en vain à faire jouer son droit de réponse:
"J’estime que L'Osservatore Romano a le devoir de publier ma réponse. C’est
ce que nous cherchons à obtenir depuis le début. Nous avons envoyé à Rome la
réponse de l'archevêché à l'article de Mgr Fisichella. Pouvoir répondre si
quelqu’un publie des informations fausses est un droit naturel: les lecteurs
de L'Osservatore devraient avoir la possibilité de connaître aussi l'autre
point de vue".
Dans la même interview, Mgr Cardoso rappelle qu’il a reçu des manifestations
de solidarité d’un grand nombre d’évêques du Brésil et du monde entier. Il
répète que la fillette n’était pas du tout en danger de mort et qu’en tout
cas la doctrine de l’Eglise n’a jamais admis l’avortement, même dans des cas
semblables. Il souligne que les médecins qui ont fait avorter la fillette ne
s’étaient pas du tout montrés tourmentés par des scrupules: c’étaient des
partisans militants de l’avortement et, par la suite, ils se sont déclarés
"fiers" de ce qu’ils avaient fait.
LES PROTESTATIONS ABONDENT, MAIS LE VATICAN FAIT BARRAGE
Beaucoup de protestations et de demandes de corrections sont arrivées au
Vatican en plus de celle de l'archevêque d’Olinda et Recife. Certaines ont
été rendues publiques par leurs auteurs. Parmi eux, le professeur Joseph
Seifert, fondateur et recteur de l'Académie internationale de philosophie du
Liechtenstein, membre de l’Académie pontificale pour la vie, celle-là même
dont Fisichella est le président:
"J’estime qu’il est de mon devoir d’exprimer l'ardent espoir que les plus
hautes autorités de l’Eglise en matière de magistère définissent
prochainement et clairement l'authentique enseignement de l’Eglise sur le
mal intrinsèque qu’est tout avortement et qu’elles corrigent publiquement et
sans ambiguïté les prises de position citées".
D’autres ont cité un passage sans équivoque du célèbre discours adressé par
Pie XII aux sages-femmes en 1951: "sauver la vie de la mère est une très
noble fin, mais le meurtre direct de l’enfant, pris comme moyen d’atteindre
une telle fin, n’est pas permis".
Mais, jusqu’à présent, rien de tout cela n’est paru dans "L'Osservatore
Romano". Le journal du Saint-Siège n’est revenu sur le sujet qu’une seule
fois, le 4 avril, rapidement, dans le compte-rendu d’une rencontre organisée
à Rome par l'union catholique de la presse italienne, sur le thème: "La
conscience en première page".
Mgr Fisichella et une journaliste laïque connue, Lucia Annunziata, ancienne
présidente de la télévision d’état italienne participaient à cette
rencontre. A un moment donné – selon le chroniqueur du journal du Vatican –
Lucia Annunziata a reconnu à l’Eglise "une transparence encore jamais vue",
prouvée, selon elle, de la façon suivante:
"Je me réfère à la
Lettre du pape Benoît XVI aux évêques du monde entier et, par
exemple, à l'intervention de Mgr Fisichella lui-même sur l’affaire de la
fillette brésilienne publiée dans L'Osservatore Romano".
Après quoi, au Vatican, le silence est retombé sur l’affaire. A Rome, le
seul à s’être exprimé en faveur de l'archevêque d’Olinda et Recife - mais
avant la publication de l’article contesté - avait été le cardinal Giovanni
Battista Re, préfet de la Congrégation pour les évêques.
Même la Congrégation pour la doctrine de la foi n’a pas été invitée à donner
son avis sur l’article de Fisichella, ni avant ni après sa publication,
alors que, sur des sujets aussi délicats, c’est l’habitude. La décision de
le publier, ainsi que celle de garder le silence quant aux réactions, a
relevé exclusivement de la secrétairerie d’Etat.
LE PROFESSEUR SCHOOYANS INTERVIENT
Mais maintenant il y a une prise de position publique contre l'article de
Fisichella qu’il sera difficile d’éluder.
Elle émane de Mgr Michel Schooyans, belge, professeur émérite de
l'Université Catholique de Louvain, spécialiste réputé en anthropologie,
philosophie politique, et bioéthique. Il est membre de trois académies
pontificales: celle des sciences sociales, celle de saint Thomas d'Aquin et
– justement – celle pour la vie. Son dernier ouvrage publié en Italie, en
2008, aux éditions Cantagalli, sous le titre "La prophétie de Paul VI" est
une vigoureuse défense de l’encyclique "Humanae
Vitae". Le 1er mai, Schooyans
a prononcé le discours d’introduction à l’assemblée plénière de l’Académie
pontificale des sciences sociales. Le pape, qui le connaît et l’estime,
avait préfacé en 1997, en tant que cardinal préfet de la Congrégation pour
la doctrine de la foi, son ouvrage "L'Évangile face au désordre mondial".
Schooyans, en profond désaccord avec l’article de Fisichella dans
"L'Osservatore Romano" et convaincu que l’affaire en question ne doit pas
être passée sous silence, a rédigé un réquisitoire sévère, qui se termine
sur la demande d’une "déclaration forte" du pape Benoît XVI en personne. Et il a décidé
de le faire circuler.
On en trouvera ci-dessous un large extrait. Mais, dans l’intervalle, la
controverse entre Mgr Fisichella et l'archevêché d’Olinda et Recife s’est
enrichie d’un nouveau chapitre.
MAINTENANT IL Y A AUSSI LA MENACE D’UNE PLAINTE CANONIQUE
Au cours de la première moitié de juin, l'archevêché brésilien a fait
parvenir aux plus hautes autorités vaticanes – et en copie à une centaine de
dirigeants de la curie – un mémorandum officiel en italien, signé à chacune
de ses six pages par Márcio Miranda, l'avocat de l’archevêché.
Le mémorandum décrit avec précision ce que l’Eglise locale a fait et
continue à faire pour aider la fillette et pour protéger sa vie, comme elle
avait protégé jusqu’au dernier moment la vie des deux enfants dont elle
était enceinte.
Conclusion:
"Compte tenu des faits décrits dans ce document, il convient que tous ceux
qui ont critiqué l'archevêque réfléchissent et reconnaissent que leurs
jugements hâtifs étaient sans fondement et qu’ils doivent réparer le mal
commis, en rendant justice à l'archevêque Cardoso Sobrinho".
Par ce mémorandum, l'archevêché d’Olinda et Recife demande aux autorités
vaticanes une "solution amiable" de la controverse, faute de quoi il
porterait une plainte canonique contre l'archevêque Fisichella.
Mais revenons au réquisitoire du professeur Schooyans. En voici un extrait:
"Si le pape se tait, il se passera ce qui s’est produit pour 'Humanae
vitae'..."
par Michel Schooyans
L’exposé de Mgr Rino Fisichella dans "L’Osservatore Romano" du 15 mars 2009
mérite différents commentaires car il comporte plusieurs erreurs. Nous
allons en examiner quelques-unes.
- Fisichella part de l'assertion, répétée par les journalistes, selon
laquelle "Carmen" allait mourir si on ne la faisait pas avorter des jumeaux
qu'elle portait. L'avortement des jumeaux est une conséquence de la décision
d'intervenir pour sauver la vie de la fillette. La fin justifie les moyens.
[...] Dans cette logique, qui rappelle celle que l’on trouve dans des
documents de l’IPPF, le double avortement n'est pas voulu pour lui-même,
mais pour sauver la mère. Par conséquent - raisonne Fisichella - ni la mère,
Carmen, ni les auteurs de l'avortement ne tombent sous le coup de
l'excommunication. L'archevêque d'Olinda et Recife, insiste-t-on, n'avait
pas à faire des déclarations bruyantes; il devait plutôt aller consoler la
fillette.
Malheureusement pour lui et pour ses lecteurs, on peut se demander si
Fisichella a pris la peine de s'informer convenablement. [...] Il a pris
pour argent comptant l'assertion, non prouvée, selon laquelle, sans
avortement, la fillette allait mourir. Tout le raisonnement de Fisichella
est basé sur cette pétition de principe. On suppose acquis ce qu'il y aurait
lieu de prouver, à savoir que l'avortement était le seul moyen de sauver la
mère, réputée être en danger de mort. Pour faire bonne mesure, on ajoute que
Dom Cardoso a manqué de tendresse et qu’il a excommunié. Au fait, Fisichella
a-t-il seulement téléphoné à l’archevêque d’Olinda et Recife ?
- "Sa vie, écrit Fisichella, était sérieusement en danger". A l'évidence, Fisichella ne s'est pas enquis du dossier médical de la fillette. D'après le
Dr Sérgio Cabral, médecin directeur de l'Instituto Materno Perinatal de
Pernambuco, [État du Brésil dont la capitale est Recife], la vie de Carmen
n’était pas en danger. On ne pouvait invoquer un quelconque état de
nécessité. On pouvait raisonnablement espérer sauver la mère et les deux
enfants. Cette déclaration a été confirmée par d'autres médecins brésiliens
qui connaissent le dossier, parmi lesquels le Dr Bernardo Graz, médecin et
prêtre, et le Dr Elisabeth Kipman, médecin gynécologue.
- "Carmen portait en elle d’autres vies, innocentes comme la sienne", écrit
encore Fisichella, qui ajoute: "Dans son cas, la vie et la mort se sont
affrontées". Affirmations théâtrales mais inexactes. Carmen portait deux
vies innocentes et ces deux vies - eût-il fallu écrire noir sur blanc - ont
été supprimées. La mort a été donnée volontairement et inéluctablement, sans
justification aucune, à deux petits êtres totalement innocents. En raison de
la détermination à avorter, à aucun moment, la vie n'a eu la moindre chance
de l'emporter. D'ailleurs, les exécutants de l'avortement se seraient même
vantés, non sans un certain cynisme, d'être habitués à faire des avortements
et d'être fiers de les faire. L'un d'eux, le Dr Rivaldo Mendes de
Albuquerque, aurait même déclaré ironiquement qu'il aurait déjà été
excommunié à plusieurs reprises.
Précisons ici que, contrairement à ce qu'insinue l'article de Fisichella, il
n'a jamais été question d'excommunication pour la fillette.
- Une nouvelle erreur vient d'être manifestée: il n'y avait danger de mort
ni pour Carmen ni pour les jumeaux. Fisichella insiste pourtant: "Un choix
comme celui de devoir sauver une vie, sachant qu'il [le médecin]
met
sérieusement en danger une deuxième vie, n'est jamais vécu avec facilité".
Appliquée à notre cas, cette considération est aberrante puisqu'il n'y avait
aucune vie en danger, ni celle de la mère, ni celle des deux enfants qu'elle
portait. Le danger vient des médecins qui choisissent le double avortement,
ainsi que des idéologues du free choice qui incitent les praticiens à
commettre un double attentat à la vie humaine et confèrent à ses auteurs une
pseudo-licéité morale.
Ce qui vient d'être expliqué anéantit la pertinence de l'amalgame entre le
cas de Carmen et celui des patients en réanimation. Il résulte de cet
amalgame que, non content d’apporter sa caution à l'avortement, Fisichella
l’apporte aussi à l'euthanasie si des médecins choisissent d’y procéder. A
l'évidence, Fisichella désire flatter les médecins, dont il déclare
respecter le professionnalisme. Il leur reconnaît "la liberté de choix",
sans rappeler ni se rappeler que, dans leurs décisions, les médecins sont
aussi tenus de respecter des règles morales. Fisichella sème par là le
trouble dans la conscience de tous les médecins du monde au sujet du respect
de la vie, en son début et à son terme, c'est-à-dire au sujet de
l'avortement et de l'euthanasie.
- Fisichella nous réserve encore une surprise lorsqu'il s'aventure dans des
considérations relatives à la morale fondamentale. Voici ce qu'il écrit:
"Faire d’un cas une généralité serait non seulement incorrect, mais injuste.
[…] Chaque cas particulier et concret mérite d’être analysé sans
généralisation". Comme au point précédent, Fisichella révèle ici son
adhésion à la morale de la situation, à la morale de l'option fondamentale,
à la morale proportionnaliste, toutes pourtant clairement critiquées par
Jean-Paul II dans l’encyclique "Veritatis
Splendor" (1993 ; voir par exemple
n° 65-83; 95-102).
- Fisichella enchaîne: "La morale catholique a des principes qu’elle ne peut
pas ignorer même si elle le voulait. La défense de la vie humaine dès sa
conception appartient à l’un d’eux." Deux motifs d'étonnement: Fisichella
affirme ici l’existence de principes moraux alors que, comme signalé
ci-dessus, il laisse les médecins choisir librement et qu'il vient de dire
qu’il fallait analyser les cas dans leur particularité ! En outre,
Fisichella oublie que la défense de la vie humaine est d'abord un principe
de morale naturelle. Les chrétiens n’ont pas le monopole du respect de la
vie humaine. La condamnation de l’avortement remonte bien au-delà de ce que
Fisichella appelle "l’aube de l’Église".
- Il n’est pas exact que Vatican II et plus précisément "Gaudium
et Spes"
(nº 27 et 51) utilisent "de manière inattendue des paroles sans équivoque et
très dures contre l’avortement direct". Ces paroles ne sont ni inattendues,
ni très dures ; elles ne font que réaffirmer la tradition morale, naturelle
et chrétienne, qui veut protéger les individus humains les plus fragiles et
dissuader les autres d’attenter à leur vie. Ce qui est curieux, c'est que Fisichella rappelle lui-même la doctrine de l’Église sur l’avortement
provoqué ! Il ne semble pas percevoir que la doctrine qu’il cite le met en
contradiction avec ses positions, telles qu’il les expose dans l’article que
nous commentons. En d’autres termes, pour lui, il faut conserver les
principes pour autant que soit respectée avant tout la liberté de choix face
aux situations concrètes. Voilà comment on ruine la morale, tant naturelle
que chrétienne…
DES DIVISIONS DANS L'EGLISE
- Selon Fisichella, l'attitude de l'archevêque Cardoso fait du tort à la
crédibilité de l'Église. Mais l'Église et ses pasteurs ne méritent d'être
crédibles que s’ils proclament la vérité. L'Évangile ne recommande pas de
plaire aux hommes mais nous appelle à être fidèles au message que nous avons
pour mission d'annoncer. En ce qui concerne l'avortement, la doctrine de
l'Église est exposée en toute clarté dans des documents majeurs tels que "Gaudium
et Spes" (1965), n° 51 § 3 ; cf. n° 27
§ 3 ; Code de
Droit Canonique (1983),
n° 1398 ; 1314; 1323 s. ; "Donum
Vitae" (1987), n° 3 ; "Evangelium
Vitae"
(1995), n° 62 ;
Catéchisme de l'Église catholique (1997), n° 2271, 2322.
L'article de Fisichella a été publié le 17 mars dans l'édition française de
"L’Osservatore Romano". Il est étonnant qu'il ne fasse pas écho aux
déclarations de Son Éminence le cardinal Re, préfet de la Sacrée
Congrégation pour les Évêques, publiées dans "La Stampa" du 7 mars. Fisichella pouvait-il ignorer cette déclaration au moment de signer son
article ? Dans cette déclaration, le cardinal Re déclare, à propos du double
avortement réalisé à Recife: "C'est un crime aux yeux de Dieu.
L'excommunication de ceux qui ont provoqué l'avortement est juste". Le 14
mars, Dom Cardoso. archevêque d’Olinda et Recife, recevait une lettre
d’éloge du même cardinal. [...]
- "L’Osservatore Romano" est l’organe officieux du Vatican. Il publie des
textes pontificaux et des articles à la demande de certains dicastères. Il
publie également des textes proposés par des auteurs censés connaître et
respecter la doctrine de l’Église. Cette publication prestigieuse est
particulièrement nécessaire à une époque où les médias se prononcent avec
aplomb sur n’importe quel sujet. [...] Dans le cas que nous examinons, les
responsables de "L’Osservatore Romano" ont laissé passer un texte émaillé
d’inexactitudes graves, d’omissions, partial dans tous les sens du mot.
[...] L’organe du Vatican coopère ainsi sérieusement à la confusion des
esprits dans la mesure où il ne respecte pas son mandat de porte-parole
fidèle et fournit à ses lecteurs des produits doctrinalement frelatés.
- De graves motifs de préoccupation apparaissent dans les milieux proches de
l’Académie pontificale pour la vie et du Conseil pontifical pour la famille:
a. Incompréhension et tristesse d’un nombre considérable de chrétiens
engagés depuis des années dans de multiples programmes pro-vie encouragés
par l’Église. Sentiment souvent fondé d’avoir été "lâchés" par leur pasteur.
b. Perplexité et honte de beaucoup de membres de l’Académie pontificale pour
la vie, qui se demandent comment un tel faux pas a pu se produire et quelle
suite lui sera réservée.
c. Discrédit frappant le président de l’Académie pontificale pour la vie qui
a sapé sa propre autorité morale, théologique et scientifique. Perte de
confiance dans le président et désenchantement. Beaucoup de membres de
l’Académie pontificale pour la vie craignent que les déclarations de
Fisichella ne les compromettent auprès de leurs bases. Celles-ci reverront à
la baisse les aides de toute sorte destinées aux activités de l’Académie
pontificale pour la vie.
d. Crainte d'une désactivation de l’Académie pontificale pour la vie: les
membres seront moins motivés et se diviseront entre eux. Il est déjà
question de ne convoquer les membres de l’Académie que tous les deux ans.
Mais d’où vient cette décision, si elle se confirme ? Prélude-t-elle, comme
certains le chuchotent, à un enterrement de l’Académie pontificale pour la
vie alors que les attaques contre la vie ne cessent de se multiplier? [...]
IMPACT SUR LA VIE POLITIQUE
- Selon les mouvements pro-choice et autres mouvements semblables, on est, à
Recife, en présence du cas typique de la femme dont on assure qu'il faut
l'avorter pour lui sauver la vie. [...] "L'avortement - assure-t-on - permet
de sauver des vies humaines. Il diminue la mortalité maternelle". [...]
Fisichella apporte de l'eau au moulin de tous les pro-choice du Brésil, du
monde et de l’Église. Il affaiblit les mouvements pro-vie qui sont en train
de se battre, au Brésil et ailleurs, contre les projets de légalisation de
l'avortement. [...]
- En raison de son influence sur les milieux politiques et de l'audience que
lui accordent les médias, il convient de relever les réactions du mouvement
Catholics for Free Choice aux propos de Fisichella. Voici ce qu'écrivait, le
23 mars, Frances Kissling, leur présidente d’honneur, à propos de l’affaire
de Recife:
"Par un stupéfiant changement de cap dans la stratégie du Vatican, qui
consiste à ne pas s'écarter de la position selon laquelle l'avortement ne
devrait jamais être permis, même pour sauver la vie d'une femme, le plus
haut responsable du Vatican en matière de bioéthique, l'archevêque Rino Fisichella [...] a déverrouillé une porte par laquelle peuvent se glisser
des femmes, des médecins, des décideurs politiques. Je suis reconnaissante
pour les petits cadeaux".
- Fisichella a donné un fameux coup de main à ceux qui, au Brésil, en
Amérique Latine, en Afrique et ailleurs, veulent libéraliser l'avortement
comme moyen de contrôle de la population. [...] Il affaiblit l'Église du
Brésil au moment où, dans la Campagne de la Fraternité, les chrétiens
donnent la priorité à la défense de la vie. En désavouant Dom Cardoso,
Fisichella rejoint le désaveu du président Lula visant l’archevêque d’Olinda
et Recife. [...]
- L’article de Fisichella tombe à un moment où le président Obama multiplie
les initiatives visant à intensifier, en Amérique Latine et ailleurs, les
campagnes financées par le gouvernement des Etats-Unis, en faveur de la
santé reproductive et la maternité sans risques. Son action en ce sens est
relayée et élargie par les interventions d’Hillary Clinton et par celles
d’organisations comme l'International Planned Parenthood Federation, des
agences de l’ONU, l’Union Européenne.
Cette campagne basée aux USA est encore intensifiée par l’action de Tony
Blair [...] et de son épouse Cherie Blair, qui ne lésine pas sur ses
déclarations féministes radicales. Comme tant d’autres, ce couple n’hésite
pas à se proclamer catholique mais ne se prive pas de se démarquer
publiquement de l’enseignement de l’Église concernant la vie et la famille.
Les Blair sont catholiques "free choice".
Sous l’influence de ces deux nations leaders et de l’ONU où leur poids est
prépondérant, il faut s’attendre à ce que l’Amérique Latine soit bientôt
pressée d’adopter de "nouveaux droits" de l’homme, parmi lesquels le "droit"
à l’avortement. A terme, les personnels médicaux seront privés de leur droit
à l’objection de conscience. Le président Lula a déjà manifesté clairement
sa sympathie spontanée pour une telle réforme. Par ailleurs, il faut
s’attendre à ce que les réseaux éducatifs latino-américains servent
prochainement de canaux à l’expansion de l’éducation sexuelle des jeunes.
Depuis des années, une campagne est déjà entreprise dans ce but.
A un moment où les présidents Obama et Lula intensifient leurs projets de
collaboration en matière de contrôle de la population, les propos de
Fisichella ne peuvent que desservir la cause des populations et des nations
latino-américaines.
DES QUESTIONS QUI APPELLENT DES RÉPONSES CLAIRES
A l’issue de l’analyse de ce dossier, différentes questions se posent. En
voici quelques-unes.
- Selon l’usage dans les dicastères, les documents "délicats" doivent être
soumis à la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Le texte de Fisichella
a-t-il reçu l’approbation préalable de cette congrégation ? Cet épisode
lamentable ne révèle-t-il pas combien il est urgent de rétablir la préséance
de la Congrégation pour la doctrine de la foi au sein de la curie ?
- Le texte de Fisichella a-t-il été publié avec l’appui d’autres autorités
vaticanes ? Lesquelles ? Qui a commandité, organisé et couvert ce montage ?
Dans une lettre datée du 14 mai (PAV, Prot. N. 4235/09), Fisichella écrit
"L’article a été écrit sur demande". A la demande de qui ? Certains vont
jusqu’à insinuer qu’une demande aurait été faite à Fisichella [...] au
niveau de la secrétairerie d’état… Voilà la question cruciale sur laquelle
la lumière doit être faite.
- Qu’est-ce qui est envisagé pour procéder aux indispensables rectifications
doctrinales, pastorales et canoniques qu’appelle le texte de Fisichella ? Il
est temps que la Congrégation pour l’éducation catholique étudie
l’opportunité d’une visite des universités catholiques, y compris romaines.
CONCLUSIONS
- Tout le monde est d’accord pour dire et répéter que ce qu’a vécu la
fillette est particulièrement horrible: viols répétés suivis d’une grossesse
gémellaire. On insiste moins sur le fait qu’un réseau efficace s’était
constitué pour venir en aide à la fillette et à son entourage. L’action de
ces "bons samaritains" n’est pas évoquée dans l’article. Ils ont pourtant
fait œuvre de tendresse et de compassion pour la jeune maman. Avec d’autres
péripéties du même genre, l’épisode de Recife a mis en lumière de profondes
dysfonctions dans le système romain d’information et de communication. [...]
- L’article de Fisichella reflète des thèses qui l’apparentent aux
catholiques pro-choice. Il compromet l’effort gigantesque qui a été réalisé
sous l’impulsion des papes du siècle dernier en faveur de la vie et de la
famille. Dans le texte que nous avons analysé, on ne trouve pas le moindre
écho des travaux patronnés par le cardinal López Trujillo au Conseil
pontifical pour la famille, comme par exemple le célèbre Lexicon. On ne
trouve pas davantage la moindre référence à la prestigieuse école de
bioéthique personnaliste fondée par Mgr Sgreccia et qui a largement modelé
l’Académie pontificale pour la vie.
- Il serait désastreux que l’on étouffe cette affaire ou qu’on la fasse
traîner car le trouble est grand parmi les fidèles et les mouvements
"laïques" sont évidemment prêts à exploiter la moindre nouvelle faille dans
l’unité de l’Église. Un silence anormal donnerait à entendre que le
Saint-Siège confirme le désaveu de l’archevêque Cardoso prononcé
implicitement par Fisichella.
- Il est indispensable de mesurer les réactions qui ont déjà surgi dans la
presse internationale et dans les mouvements pro-vie, ainsi que dans le
clergé et parmi les laïcs, face à ce que beaucoup qualifient, non sans
raison, de scandale. Sur trois points essentiels, il y a eu dérapage grave:
dérapage en morale du respect de la vie ; dérapage en morale fondamentale,
morale de la situation ; dérapage en ecclésiologie, car la doctrine la plus
solidement établie ne saurait être balayée d’un trait de plume ou abolie par
un coup de force. En outre, au niveau disciplinaire, il n'est pas sûr que
Fisichella ait un mandat particulier pour désavouer un Ordinaire, archevêque
comme lui. Des mesures doivent donc être prises d’urgence pour que la
situation soit débloquée. L’Académie pontificale pour la vie a besoin d’un
pilote. Il faut rétablir la vérité et restaurer, avec la confiance, l’unité
gravement ébranlée.
- Alors qu’il a critiqué récemment la politique du président Obama en
matière d’avortement, Fisichella a méconnu l’impact politique de son propre
article, à un moment où le Brésil, l’Amérique latine et l'Afrique font
l’objet d’un siège en règle par les propagandistes de la culture de la mort.
- Le dissentiment est exposé au grand jour. Forts du précédent venu d’un
chef de dicastère de la curie romaine, d'autres évêques et théologiens ne
manqueront pas de prendre à leur tour quelques libertés avec la doctrine et
de revendiquer le droit au dissentiment, voire à la transgression. En outre,
ce que Fisichella a dit au sujet de l’avortement pourrait être transposé à
propos de la contraception, du "mariage" entre personnes de même sexe, etc.
- L’affaire de Recife met en lumière que l’unité de l’Église ne peut être
ramenée à une question de convenances politiques. [...] A la vérité,
fondement de l’unité, on préfère de plus en plus l’unité de façade, pour
plaire au monde. On s’accommode d’une vérité dans l’ambiguïté. Mais cette
ambiguïté débouche inévitablement sur un relativisme doctrinal généralisé.
Faut-il alimenter cette dérive ?
- En résumé, face aux turbulences provoquées par l'article de Fisichella, il
n'y a, semble-t-il, qu'une seule solution vraie: une déclaration forte du
Saint-Père. L'article de Fisichella a créé un doute général à propos de la
"licéité" de l'avortement. Il n'est cependant pas sûr qu’à Rome la gravité
de la situation créée soit perçue à sa juste mesure. Or le doute est
répercuté dans l'Église universelle, renforcé par deux facteurs: la fonction
confiée à l'auteur de l'article et le caractère officieux du journal qui le
publie. Si le Pape ne dit rien, le doute persistera et on aura une
répétition de ce qui se passe jusqu'aujourd'hui pour "Humanae vitae" (1968).
Le texte intégral du réquisitoire de Schooyans,
dans une version anglaise supervisée par l’auteur
►
"On the fourth of March 2009..."
Le précédent article de www.chiesa, avec le texte intégral de l'article de
Mgr Fisichella et celui de la réponse de l'archevêché d’Olinda et Recife
►
Bombes à retardement. En Afrique le préservatif, au Brésil l'avortement
Le texte intégral, en anglais, de l'interview accordée par l'archevêque
Cardoso Sobrinho à Jeanne Smits
►
> "The following interview..."
Le 1er juillet 2009, le pape Benoît XVI a accepté la renonciation de Mgr Cardoso au
gouvernement du diocèse d’Olinda et Recife, pour dépassement de la limite
d’âge. Son successeur est Antônio Fernando Saburido, bénédictin, qui fut son
évêque auxiliaire de 2000 à 2005 puis évêque de Sobral.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 03.07.2009 -
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