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Rupnik. Un procès qui n’en finit pas. Le sien et celui de ses œuvres
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Le 16 juillet.2024 -
E.S.M.
- De toute évidence, aux yeux du Pape François,
les abus perpétrés par Rupnik ne devaient pas être
considérés comme graves ni les femmes adultes qu’il
avait violées comme « vulnérables ». Interviewé le 24
janvier 2023 par Nicole Winfield d’Associated Press, le
Pape avait répété que « la prescription est une
garantie. S’il y a un mineur je la lève toujours, ou
s’il y a un adulte vulnérable », mais « dans le cas
présent, non ».
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Rupnik. Un procès qui n’en finit pas. Le sien et celui de ses œuvres
Le 16 juillet 2024 -
E.S.M. -
Le Pape François l’a dit et l’a écrit à plusieurs reprises : il
préfère entamer des procès à la durée et à l’issue indéterminées
plutôt que de prendre des décisions prématurées et imprudentes.
Il a pourtant mis en branle une « procédure », au sens judiciaire du mot,
qui semble franchement dépasser les bornes en matière de délai. Il s’agit du
procès pour abus spirituels et sexuels, avec des dizaines de victimes, à
l’encontre de l’ex-jésuite Marko Ivan Rupnik, 69 ans, un artiste de renommée
internationale dont les mosaïques ornent des dizaines de lieux sacrés dans
le monde entier, y compris les palais du Vatican et le sanctuaire de
Lourdes.
La photo ci-dessus est la reproduction d’un détail de la grande mosaïque
de la chapelle « Redemptoris Mater » au Vatican, dans laquelle le P. Rupnik
s’est représenté lui-même tenant la palette de couleurs, avec le cardinal
Tomáš Spidlik (1919-2010) à ses côtés, son maître spirituel, ainsi que sa
compatriote et amie Nataša Govekar, 49 ans, qui dirige au Vatican la section
théologico-pastorale du Dicastère pour la Communication.
Les accusations
qui pèsent sur le P. Rupnik sont à ce point grave que le
procès canonique que le Pape François a ordonné au Dicastère pour la
Doctrine de la foi d’instruire contre Rupnik le 27 octobre dernier n’est pas
le premier mais bien le troisième procès à son encontre.
Le procès numéro 1 remonte à janvier 2020, et la Congrégation pour la
Doctrine de la foi avait chargé la Compagnie de Jésus de l’instruction, à la
suite d’une dénonciation contre le P. Rupnik pour avoir donné l’absolution
en confession à un complice dans un péché « contre le sixième
commandement ». Les juges, qui n’étaient pas tous jésuites, avaient
considéré à l’unanimité que cette accusation gravissime était bel et bien
fondée. Et c’est sur cette base que la Congrégation, à l’époque présidée par
le cardinal Luis Francisco Ladaria Ferrer, s’était préparée à rendre son
jugement.
Étonnamment, cependant, au moment même où Rupnik attendait son jugement
et alors que la Compagnie de Jésus lui avait déjà imposé des mesures
disciplinaires, y compris une interdiction de prêcher, le Pape François, le
6 mars 2020, l’avait chargé de prêcher la première méditation de Carême
devant les hauts dignitaires de la Curie vaticane, dans la Salle Clémentine
du Palais apostolique.
En mai, la Congrégation rendait son jugement, qui comprenait
l’excommunication « latae sententiae ». Et nouvelle surprise : quelques
jours après – certains disent quelques heures après – et en tout cas le même
mois, comme cela a été confirmé dans un communiqué ultérieur de la Compagnie
de Jésus, l’excommunication était levée.
Et qui pouvait bien lever une excommunication de ce genre sinon le seul
qui soit au-dessus de la Congrégation pour la Doctrine de la foi,
c’est-à-dire le Pape ?
*
Le second procès à l’encontre du P. Rupnik s’est ouvert en juin 2021, sur
base d’accusations d’abus sexuels et spirituels déposées par quelques
religieuses de la Communauté Loyola qu’il avait fondée à Ljubljana au début
des années quatre-vingt avec une compatriote religieuse, Ivanka Hosta, une
communauté par la suite scindée lors de l’émigration à Rome du P. Rupnik et
d’une poignée de ses partisans.
Là encore, la Congrégation pour la Doctrine de la foi avait rapidement
conclu que les accusations étaient bien fondées. Mais, à nouveau, sans que
le P. Rupnik ne manifeste la moindre crainte, grâce naturellement à la
protection assurée par le Pape, qui l’avait d’ailleurs reçu en audience
amicale le 3 janvier 2022.
Et en octobre de la même année 2022, ce procès se clôturait par un
non-lieu, pour la raison que les délits imputés au P. Rupnik, remontant aux
années quatre-vingt et quantre-vingt-dix, « devaient être considérés
prescrits pour dépassement du délai légal ».
Mais il faut là encore souligner que ce classement sans suite pour
prescription des accusations n’était en rien une obligation, parce que l’été
2020, les évêques du monde entier avaient reçu, sur l’ordre du Pape
François, des instructions concernant les abus sexuels sur mineurs et
« adultes vulnérables » qui autorisaient et même conseillaient de déroger à
la prescription, en fonction de la gravité des faits et de leurs effets
durables sur les victimes réelles et potentielles.
Et les mois suivants, quand on a commencé à révéler publiquement pour la
première fois les premières plaintes à l’encontre du P. Rupnik déposées par
les femmes qu’il avait abusées, il est apparu que les actes qui lui étaient
reprochés étaient effectivement d’une gravité sans précédent, avec des
violations systématiques dans leur corps et leur esprit, au nom d’aberrantes
justifications théologico-mystiques.
Mais de toute évidence, aux yeux du Pape François, les abus perpétrés par
Rupnik ne devaient pas être considérés comme graves ni les femmes adultes
qu’il avait violées comme « vulnérables ».
Interviewé le 24 janvier 2023 par Nicole Winfield d’Associated Press, le
Pape avait répété que « la prescription est une garantie. S’il y a un mineur
je la lève toujours, ou s’il y a un adulte vulnérable », mais « dans le cas
présent, non ».
*
Le troisième procès, celui qui est en cours, s’est ouvert à l’automne
2023, quand les dénonciations publiques des victimes du P. Rupnik se sont
élevées à pas moins de 30 sur une période infractionnelle très longue.
C’est la Compagnie de Jésus qui avait ouvert une enquête l’hiver
précédent, en encourageant toutes les victimes à
porter plainte, en considérant que les accusations qui leur étaient
parvenues étaient crédibles, avant de confier l’affaire au Dicastère pour la
Doctrine de la foi.
En juin, le P. Rupnik était
expulsé de la Compagnie, qui perdait de facto toute autorité sur lui, et
c’est donc en tant que simple prêtre qu’il avait été incardiné dans le
diocèse slovène de Trieste, sans jamais s’avouer coupable.
Le vicaire du diocèse du Pape, le cardinal Angelo De Donatis, continuait
à le défendre, en attribuant toute l’affaire à une « campagne de dénigrement
médiatique ». Et même Maria Campatelli, la directrice du laboratoire
artistique du P. Rupnik à Rome, que le Pape avait reçu en audience amicale
le 15 septembre, persistait à le défendre contre ce « lynchage » présumé.
Désormais, le Pape François – qui venait de recevoir une énième requête
pressante de la part de la Commission pontificale pour la protection des
victimes présidée par le cardinal Sean O’Malley – n’avait plus d’autre choix
que d’autoriser,
le 27 octobre, l’ouverture d’un nouveau procès sans prescription, devant la
section disciplinaire du Dicastère pour la Doctrine de la foi, compétente en
la matière, sous la responsabilité de son secrétaire, l’Irlandais John
Joseph Kennedy.
Sept mois plus tard, le 30 mai de cette année, ce dernier, pressé par les
journalistes,
a confirmé que « nous travaillons » au procès, et même « que les choses
avancent bien, pas à pas », sans pour autant fixer la moindre échéance.
Les journalistes avaient aussi demandé Mgr John Joseph Kennedy son avis
sur le fait que le P. Rupnik se soit servi des images de ses mosaïques pour
violer ses victimes, comme inspiré par un « faux mysticisme ».
Et c’est justement sur la présence, sur l’utilisation et sur le sort des
œuvres artistiques de l’ex-jésuite que la polémique s’est enflammée au cours
de ces derniers mois.
L’une des mosaïques les plus connues du P. Rupnik se trouve à l’extérieur
de la basilique du sanctuaire marial de Lourdes, où une commission a été
mise sur pied pour décider s’il fallait les laisser à leur place ou les
enlever. L’évêque de Lourdes, Mgr Jean-Marie Micas, a déclaré qu’il
préférait les enlever, par respect pour les victimes, mais au sein de la
commission, les avis sont tellement divergents que pour le moment, la
décision provisoire est simplement de ne pas illuminer les mosaïques durant
les processions nocturnes.
Mais les œuvres du P. Rupnik ont également été utilisées ailleurs,
notamment pour illustrer des livres, des manifestes, des colloques et des
pages web. C’était assez courant au Vatican,
par exemple pour illustrer les catéchèses de don Fabio Rossini sur le
site officiel Vatican News. Et c’est justement cette utilisation qui a été
vivement reprochée à Paolo Ruffini, le préfet du Dicastère pour la
Communication du Vatican, le 21 juin dernier, lors d’un colloque de la
Catholic Media Conference à Atlanta.
Le P. Ruffini avait sèchement répondu aux questions : « Nous n’avons pas
mis en ligne de nouvelles images, nous avons simplement laissé celles qui
étaient là. Personnellement, je pense que les enlever ne serait pas une
bonne manière d’anticiper l’issue du procès. Est-ce que vous pensez vraiment
que le fait d’enlever la photo d’une œuvre d’art de mon site web me rendra
plus proche des victimes ? Vous pensez ça ? Moi je pense que vous vous
trompez ».
Pourtant, quelques jours plus tard, le 28 juin, le cardinal O’Malley, la
plus haute autorité du Vatican pour la protection des victimes, envoyait
une lettre à tous les chefs de dicastères de la Curie romaine pour leur
demander de ne plus utiliser les images des œuvres de Rupnik.
« Au cours des derniers mois, écrit O’Malley,
des victimes et des
survivants d’abus de pouvoir, spirituels et sexuels ont contacté la
commission pour exprimer leur frustration et leur inquiétude croissantes
face à l’utilisation continue des œuvres du père Marko Rupnik par plusieurs
Services du Vatican, y compris par le Dicastère pour la communication. » Et
donc, bien que le procès soit toujours en cours et que la présomption
d’innocence avant le verdict doive être respectée, « le Saint-Siège et ses
bureaux doivent faire preuve de prudence pastorale et de compassion envers
ceux qui ont été victimes d’abus sexuels », en supprimant, précisément, les
images qui « pourraient être interprétées comme une disculpation ou une
défense subtile » de l’accusé « ou être comprises comme une indifférence à
la douleur et à la souffrance de tant de victimes ».
Il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle, mi-juillet, les images
en question sont toujours visibles sur les sites web gérés par le Dicastère
pour la Communication du Vatican, qui compte parmi ses dirigeants une
partisane du P. Rupnik qui continue à le défendre envers et contre tout :
Nataša Govekar, celle-là même qui apparaît à ses côtés sur la mosaïque
reproduite ci-dessus.
En revanche, en ce qui concerne l’idée de détruire les mosaïques de
l’ex-jésuite, comme si elles étaient elles-mêmes maléfiques – une idée qui
n’est pas sans rapport, intentionnel ou pas, avec la ‘cancel culture’ –
certains historiens de l’art, tels qu’Elizabeth Lev,
interviewée par la journaliste Elise Ann Allen pour « Crux », soulèvent
des objections convaincantes, à la lumière d’artistes géniaux tels que
Raphaël, le Caravage, le Bernin, qui n’ont pas mené des vies exemplaires
mais dont personne n’oserait faire disparaître les œuvres.
Elizabeth Lev est la fille de Mary Ann Glendon, professeur émérite de
droit à l’université de Harvard, ambassadrice des États-Unis près le
Saint-Siège sous Benoît XVI et responsable depuis 1995 à Pékin de la
délégation vaticane à la Conférence mondiale sur les femmes organisée par
les Nations Unies.
Mais le 11 juillet dernier, l’information
est tombée que les deux mosaïques de Rupnik seraient rapidement occultées
par un voile. C’est le premier cas du genre et il a été décidé par les
Chevaliers de Colomb, la grande organisation caritative américaine, dans
leurs églises de Washington et de New Haven, « par solidarité avec les
victimes qui ont déjà immensément souffert et qui seraient à nouveau
meurtries de l’exposition continue des mosaïques ».
Alors qu’aucune issue n’est en vue pour le véritable procès canonique,
l’affaire Rupnik risque bien de déborder des tribunaux sur la place
publique. Un énième fruit de la mauvaise gouvernance de l’Église.
Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire
L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 16.07.2024
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