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Benoît XVI : le pape de la vertu de foi
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Le 13 mai 2024 -
E.S.M.
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Joseph Ratzinger possédait plus que quiconque une
acuité visuelle sur la réalité du monde contemporain, ses
manquements et ses peurs, ses forces cachées et ses grandeurs, ses
révolutions futures et ses défis de demain. La perte du sens commun
et l'éclatement des sociétés déracinées, les menaces islamistes et
la crise des mondes politiques, le transhumanisme et l'homme
artificiel, l'explosion des inégalités sociales...
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Benoît XVI …
seulement préoccupé de proclamer au monde entier la présence vivante du
Christ.
Christocentrisme
Extrait d'un paragraphe de l'excellent livre de Christophe Dickès
"L'héritage de
Benoît XVI".
Au final, écrit-il, Joseph Ratzinger aura crevé bien des
abcès en laissant une œuvre certes inachevée (n'est-ce pas le cas de tous
les successeurs de Pierre ?) mais en donnant un élan réformateur, marqué par
la volonté de retourner au centre : « Les vrais problèmes de l'Église,
fait-il clairement savoir, ne résident pas dans l'affaiblissement de ses
effectifs, mais dans l'étiolement de la foi. C'est
l'extinction de la conscience chrétienne qui est à l'origine de la crise, de
la tiédeur de la prière et de l'office, du désintérêt pour la mission de
l'Église. Pour lui, la vraie réforme doit être de l'ordre d'un
renouveau intérieur, de l'embrasement des cœurs.
Proclamer ce que l'on peut savoir et croire d'une connaissance assurée à
propos du Christ, telle est à ses yeux la priorité absolue.»( Benoît XVI,
Dernières conversations, citation tirée de la préface de Peter Seewald, op. cit., p. 13.) Ici, le centre n'est pas à égale distance de la droite et de
la gauche, du traditionalisme et du progressisme, du conservatisme ou du
réformisme, mais « un retour à l'essentiel dans un
temps qui se disperse » (.Cardinal Paul Poupard dans Valeurs
actuelles, 14 février 2013.) Un prélat romain exprimait cette idée d'une
façon très simple : « La réforme de l'Église qu'il a
voulue est un retour au centre, et ce centre, c'est le Christ (Mgr
Bruno Forte).» Le ton et le sens du pontificat visaient à redéfinir ou
plutôt expliquer à nouveau le cœur de la foi et réaffirmer l'enracinement
judéo-chrétien de l'Europe. Benoît XVI a voulu
encourager le croyant à vivre sa foi à partir du cœur en redécouvrant le
Christ, à créer comme une dynamique, grâce à son Église. Tel fut le «
ciment du pontificat » (Benoît XVI, Dernières conversations, op. cit.).
Quand les commentateurs disent de lui qu'il fut un pape professeur ou un
pape théologien,
Benoît XVI préfère répondre qu'il a « surtout
cherché à être un berger » ou même un «
confesseur » de la foi (Ibid.) Dans
l'histoire de l'Église, le confesseur est un personnage qui a souffert à
cause de sa foi en la proclamant contre vents et marée, en dépit des
oppositions et des dangers. Le titre apparaît au IVe siècle après le temps
des martyrs. Les confesseurs sont ces érudits qui, à l'instar de saint
Maxime, ont dû faire face au pouvoir civil en défendant l'orthodoxie :
« J'avais avant tout pris la résolution positive d'accorder une place
centrale au thème de Dieu et de la foi. Pour moi, il était également
essentiel de placer les Saintes Écritures au premier plan. Après tout, je
venais de la théologie et je savais que ma force, si j'en avais une, était
d'annoncer positivement la foi. Je voulais donc, avant toute autre chose,
donner un enseignement issu de la plénitude des Saintes Écritures et de la
tradition » (Ibid.)
Benoît XVI savait séduire son auditoire parce qu'il parlait à
l'intimité de l'âme. Mais, à l'élan de l'âme, il souhaitait associer
l'intelligence de la foi. Pour cette raison, il fut le pape de l'intériorité
de l'Église. Dans le quartier du Borgo, à l'occasion d'une conversation
informelle, l'ancien correspondant de l'AFP à Rome, Jean-Louis de La
Vaissière, estimait que Benoît XVI avait été un homme d'une grande probité,
cultivant une rigueur théologique mais aussi une grande douceur et une
certaine ingénuité. L'ingénu, dans le droit romain, est un homme né libre
par opposition à l'esclave ou l'affranchi. Il est aussi celui qui a une
sincérité innocente, une naïveté sans malice. Un homme doux aussi, ce que
résumait Jean Vanier dans l'hebdomadaire La Vie : « Un jour, quelqu'un m'a
dit que les cardinaux, en votant pour Joseph Ratzinger, pensaient élire un
chêne. Mais ils ont choisi un agneau. » (« Le monde est en feu », in Benoît
XVI, maître spirituel) L'orgueil de vouloir réformer à
tout prix l'Église contre elle-même ne l'habitait pas. Il souhaitait
humblement poser des jalons pour que les catholiques se réapproprient leur
foi dans le silence de leur cœur. (Samuel Lieven dans Pèlerin, 13 février 2013.) Nul calcul politique chez cet homme
hostile à la mondanité, éloignée des coteries de la curie et pour lequel
seul le devoir d'État et le travail comptaient. Ses seules armes étaient «
la simplicité, l'humilité et la profondeur ». (Anne Ponce dans Pèlerin, 13
février 2013.) Dieu, considérait-il
ensuite, ferait le reste. En outre, il cultivait une confiance inébranlable
en la providence divine et entretenait une espérance sans faille, dans le
sens théologique du terme. En 2007, il y consacrera une encyclique,
Spe Salvi qui, fait exceptionnel, fut entièrement écrite de sa main.
(Entretien avec le directeur de L'Osservatore Romano, Giovanni Maria
Vian, Rome, 25 janvier 2014). Les
premières lignes sont consacrées aux écrits évangéliques dans lesquels le
mot espérance est intimement lié à celui de foi au point d'être
interchangeable. L'auteur y écrit par ailleurs : « Se cacher devant les
hommes par esprit de crainte par rapport à eux conduit à la "perdition" (He
10,39). "Ce n'est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un
esprit de force, d'amour et de sagesse" - c'est ainsi que, par une belle
expression, la Seconde lettre à Timothée (1,7) caractérise l'attitude
fondamentale du chrétien.» (Spe
Salvi, op. cit., § 9). Ces quelques mots résument à eux seuls
l'identité profonde de ce pontificat qui n'a pas souhaité se cacher.
Rarement un esprit ose être ce qu'il est, disait Nicolas Boileau. Benoît
XVI, lui, n'a pas renoncé à ce qu'il avait toujours été, à sa vocation
profonde : être un défenseur de la foi et de l'Église.
Joseph Ratzinger possédait également plus que quiconque une acuité visuelle
sur la réalité du monde contemporain, ses manquements et ses peurs, ses
forces cachées et ses grandeurs, ses révolutions futures et ses défis de
demain. La perte du sens commun et l'éclatement des sociétés déracinées, les
menaces islamistes et la crise des mondes politiques, le transhumanisme et
l'homme artificiel, l'explosion des inégalités sociales... Tous ces thèmes
se retrouvent dans les leçons érudites de Joseph Ratzinger comme autant de
signes annonciateurs d'une crise majeure de l'Occident.
C'est pourquoi
l'histoire en fera non pas un homme du passé mais un prophète. A l'homme
sans Dieu ou à la tentation d'un homme privé du divin, Benoît propose, lui,
un homme « relié » au sens propre : religare qui a donné le mot religion25.(Il existe un vieux débat sur l'étymologie du mot religion. Nous avons
retenu ici une des deux hypothèses, l'autre donnant comme origine le mot relegere, c'est-à-dire « relier ».) À la fin de l'année 2005, plus de huit mois après son élection, devant la
place Saint-Pierre noire de monde, il lança à la ville et au monde le
message suivant en forme d'appel : « Éveille-toi, homme du troisième
millénaire ! À Noël, le Tout-Puissant s'est fait petit enfant et il demande
aide et protection ; sa façon d'être Dieu provoque notre façon d'être hommes
; le fait qu'il frappe à nos portes nous interpelle, interpelle notre
liberté et nous demande de revoir notre rapport à la vie et notre façon de
l'envisager. L'époque moderne est souvent présentée comme une période de
réveil du sommeil de la raison, comme la venue de l'humanité à la lumière,
émergeant ainsi d'une période obscure. Néanmoins, sans le Christ, la lumière
de la raison ne suffit pas à éclairer l'homme et le monde. C'est pourquoi la
parole évangélique du jour de Noël - "La lumière véritable qui éclaire tout
homme en venant dans le monde" (Jn 1,9) - retentit plus que jamais comme une
annonce du salut pour tous. "Le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que
dans le mystère du Verbe incarné" (const.
Gaudium et spes,n° 22). »
Entre Grégoire et Léon
J'ai commencé cet ouvrage en expliquant que le pontificat
de Benoît XVI semblait « coincé » entre le règne hors norme de Jean-Paul II
et celui de François qui bénéficie d'une aura médiatique et politique sans
précédent. Pourtant, plusieurs interprétations ont souhaité placer l'œuvre
du pape théologien dans le cadre d'un triptyque, un exercice qui possède ses
limites mais qui peut éclairer notre réflexion sur l'Église depuis la fin
des années 1970, c'est-à-dire sur le temps long. Un vaticaniste affirmait
ainsi que Jean-Paul II avait été le pape de la visibilité de l'Église,
Benoît XVI celui de son identité et que François serait celui de sa
maternité. Une autre interprétation renvoie aux trois vertus théologales et
aux personnes de la Trinité : Jean-Paul II apparaît comme le pape de
l'Espérance et d'une Église renouvelée après les années de crises sous le
pontificat de Paul VI. Comme un père, il a pris par la main son peuple en
lui indiquant le chemin par ces quelques mots : « N'ayez pas peur. »
Benoît XVI fut, lui, le pape de la vertu de foi,
en replaçant en son centre
la figure de Jésus de Nazareth à travers notamment une trilogie (Tome
1,
Tome 2,
Tome 3) qui
est peut-être sa plus grande contribution à la pensée théologique
contemporaine. Un pape enseignant qui nous renvoie
à la troisième personne de la Trinité,
au souffle de l'Esprit et de ses sept dons (sagesse,
intelligence, conseil, force, connaissance, piété et crainte de Dieu).
Enfin, François apparaît comme le pape de l'amour de Dieu, de la miséricorde évangélique du Christ qui vient panser les blessures de la vie. Une
dernière interprétation vise à décrire la façon dont les peuples ont été
touchés par leur parole respective : Jean-Paul II parlait aux foules aux
quatre coins de la terre, Benoît parlait, lui, à l'âme et à l'intelligence
et François au cœur.
Cette lecture qui peut paraître simpliste à celui qui travaille dans le
détail de chacun des pontificats révèle néanmoins sur le temps long plus
qu'une tendance, comme un nouvel âge. En 1969, le journaliste Jacques
Duquesne faisait un état des lieux du catholicisme dans un article de
l'hebdomadaire L'Express. Les fidèles, écrivait-il, «osent à peine dire
qu'ils croient en Dieu. Ils ont abandonné tout prosélytisme. Ils subissent
simplement celui des autres : les idéologies, les modes, les slogans.
Lorsqu'ils se tournent vers leurs prêtres, ils découvrent des hommes hantés
par l'idée d'accéder à ce monde du travail qu'eux, laïcs, connaissent bien.
Et qu'ils jugent monotone. Ils se comprennent déjà mal. Pourtant, ils ont le
sentiment de garder dans le secret de leur cœur un jeu de valeurs, une
explication du monde plus solide qu'on ne le croit. Mais ils ne savent
comment les formuler. Plus qu'une crise de la foi, c'est une crise du
langage. Les mots ne transmettent plus rien ».(Jacques Duquesne, «
Paul VI, le changement en douceur », L'Express, 13 octobre
1969.) Un peu moins de cinquante
ans après ce constat de déclin, le mouvement de décadence
ne s'est-il pas
inversé ? Comme le montrait Albert O. Hischmann, après le temps du
libéralisme où dominent les intérêts négociables, le monde ne va-t-il pas
entrer dans le temps des valeurs ? (Albert O. Hischmann, Les Passions et les intérêts, justifications
politiques du capitalisme avant son apogée, Paris, PUF, 2011.) Le pontificat de Benoît XVI n'est-il
pas l'illustration d'une Église entrée dans une ère nouvelle, à l'aube d'un
nouveau printemps décrit récemment par le philosophe français Jean-Luc
Marion ou par le théologien George Weigel dans son livre Le Catholicisme
évangélique ? L'auteur américain y décrit un catholicisme missionnaire
beaucoup plus exigeant que le catholicisme de la Contre-Réforme parce que,
dans le contexte de déchristianisation, « il demande plus d'efforts de la
part de prêtres et des évêques, des consacrés et des laïcs ». En tête de ce
chapitre, j'ai repris cette phrase de Benoît XVI si caractéristique de cette
époque entre deux mondes : « Je n'appartiens plus au vieux monde mais, en
réalité, le nouveau monde n'a pas encore commencé. [...] Je me situerai
plutôt entre les temps. » (George Weigel, Le Catholicisme
évangélique, Paris, DDE, 2015, p. 33. Voir aussi George Weigel, « Benedict's Legacy », National Review, 19 février
2013. Jean-Luc Marion, Brève apologie pour un moment catholique, Paris,
Grasset, 2017.)
Comme
Grégoire le Grand (†
604), Benoît vit la fin d'un monde et les prémices
d'un autre. La culture chrétienne dont Grégoire le Grand a été l'inspirateur
était « une culture de la foi et de la lutte chrétiennes, mises à l'épreuve
des crises de l'histoire. Ce n'est pas du tout une culture de l'assurance et
encore moins du triomphe de l'Église. [...] Grégoire [vivait] de façon
dramatique une époque dramatique ». Il fut pourtant considéré comme un des
pères de la chrétienté occidentale et de sa culture, révélant là aussi le
paradoxe d'un christianisme sachant renaître de sa propre passion comme le
Christ en croix. Ce que Joseph Ratzinger expliquait à travers les paraboles
de l'Évangile
au cours d'une conférence en 2000 : « La nouvelle
évangélisation doit se soumettre au mystère du grain de sénevé et ne doit
pas prétendre produire tout de suite le grand arbre. Nous vivons tantôt dans
la trop grande sécurité du grand arbre déjà existant, tantôt dans
l'impatience d'avoir un arbre plus grand et plus vigoureux ; nous devons au
contraire accepter le mystère que l'Église est à la fois le grand arbre et
le grain minuscule.» Benoît, comme Grégoire, semble avoir exercé son
pontificat sous le signe de la souffrance et dans la fragilité du grain de
sénevé mais avec un réalisme spirituel que les sceptiques et les pessimistes
ont de la peine à se représenter. Persuadé que l'Église n'a jamais été aussi
forte, crucifiée la tête en bas, à l'image de saint Pierre. Un paradoxe que
soulignait Marcel Gauchet dans le Désenchantement du monde en 1985.
En effet, pour le philosophe, la sortie d'un monde structuré par la religion
aiguisait « la réactivation du facteur religieux comme forme de l'identité
». (George Weigel, «The Legacy of Benedict XVI», www.first-things.com, 24
février 2013.) C'est pour cette raison que l'œuvre de Benoît XVI me semble
aussi comparable à celle de Léon le Grand, mue par une belle espérance alors
que des pans entiers de l'Empire romain s'écroulaient autour de lui. Une
œuvre charnière, un moment pivot de l'histoire de l'Église. Le lien entre
ces trois personnalités - Léon, Grégoire et Benoît XVI - n'est pas anodin.
En effet, dans la longue histoire de l'Église, Léon et Grégoire sont les
deux seuls papes à avoir été proclamé docteur. Benoît XVI sera-t-il lui-même
un jour proclamé docteur de l'Église ? Fera-t-il mentir le cardinal Umberto
Betti qui estimait que les papes ne pouvaient le devenir ? « II paraît
problématique d'attribuer le titre de docteur de l'Église universelle à un
saint qui a été pontife romain. En effet les documents de son magistère font
autorité non pas du fait de la eminens doctrina qu'il
possède comme don de grâce personnel, mais en vertu de la charge qui a fait
de lui le suprême pasteur et docteur de tous les fidèles » (Giandomenico
Mucci). Se poser la
question, c'est se pencher sur le charisme propre à ces penseurs de Dieu.
Dans la théologie catholique, le charisme est un don particulier conféré par
la grâce divine, un don gratuit. Une définition plus juridique établit que
c'est le droit canonique qui a transformé le « charisme personnel » en «
charisme de charge », c'est-à-dire la charge pontificale. Dans la culture
contemporaine, depuis Max Weber, le terme a évolué afin de désigner de façon
plus générale l'influence suscitée par une personnalité exceptionnelle.
Selon Weber, une domination est charismatique lorsqu'elle « repose sur la
soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la
valeur sacrée d'une personne.
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Sources : Extraits du Testament spirituel de Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 13.05.2024
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