La Parole de Dieu : De la lecture
liturgique à la lecture personnelle de l’Écriture |
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Le 10 janvier 2009 -
(E.S.M.)
- La communauté de Taizé a décidé de faire imprimer et de distribuer un
million de Bibles en chinois pendant l’année 2009. Fr. Alois Loser, le
prieur de la communauté, a diffusé cette nouvelle le 28 décembre lors de
la clôture de la
31° assemblée européenne des jeunes. C’est la version du Studium
Biblicum Franciscanum de Hong Kong qui sera imprimée.
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Dans le
silence du scriptorium -
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La Parole de Dieu : De la lecture liturgique à la lecture personnelle de
l’Écriture
Frédéric Manns, ofm
Le 10 janvier 2009 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
- C’est là sans doute un des fruits du
synode 2008 - "la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l'Église"
qui nous encourage à reprendre notre réflexion sur la Parole de Dieu.
Le christianisme n’est pas une religion du Livre, mais une religion de
la révélation de Dieu, un Dieu qui parle et fait alliance avec les
hommes. C’est cependant grâce au texte que le chrétien entre en relation
avec Dieu, un Dieu qui s’intéresse à l’histoire des hommes.
(Ces trois ou quatre points forts qui sont l'héritage du synode sur la
"Parole de Dieu")]
L’Évangile de Luc se conclut sur la scène des disciples d’Emmaüs. Deux
hommes quittent Jérusalem après la mort de Jésus et rentrent chez eux.
Ils sont déçus parce qu’ils espéraient que Jésus serait celui qui
délivrerait Israël des Romains. Jésus les rejoint sur la route et «
ouvrit pour eux les Écritures ». Il explique, commente et
interprète. Jésus part de Moïse, des prophètes et des autres écrits.
L’exégète est Jésus, Dieu fait homme, mort et ressuscité.
Dans la suite du récit, les deux hommes font halte au village d’Emmaüs.
Jésus prend le pain et le distribue. « Alors, leurs yeux s’ouvrirent
et ils le reconnurent », dit Luc. En d’autres mots l’eucharistie est
le haut lieu de réception et de compréhension des Écritures. Le Livre
est une nourriture. Il renferme la parole, une parole appelée à
s’épanouir à l’intérieur des esprits et des corps.
Le principe d’interprétation du texte ne doit pas dépendre seulement de
la critique historique ou de la subjectivité de l’interprète. Il doit
s’ancrer dans la tradition de l’Église. C’est la lecture christologique
qui rend raison de la richesse de l’Écriture. Sinon le lecteur risque de
tomber dans l’arbitraire subjectif ou dans le fanatisme fondamentaliste.
Vatican II a relié fortement la Bible, la parole de Dieu, la tradition
et le magistère : l’Église reconnaît ainsi qu’il y a une source unique,
la révélation de Dieu, qui passe à travers des canaux multiples, qu’on
ne peut isoler les uns des autres. C’est pourquoi l’Église encourage à
lire et à méditer la parole de Dieu, comme l’a fait le dernier synode
des évêques à Rome, en octobre. La Bible est sur la place publique. Il
ne faut pas la séparer de sa source, qui est le Dieu vivant. Il faut la
recevoir pour la mettre en pratique.
Aux premiers siècles de notre ère, pour les communautés chrétiennes
naissantes, les « Écritures » désignent la Bible hébraïque et il n’est
pas question de leur adjoindre un deuxième livre.
Des écrits sur Jésus apparaissent très tôt. Les lettres de l’apôtre Paul
sont les textes les plus anciens. L’ancien persécuteur des chrétiens se
met à proclamer le kérygme : « Le Christ est mort pour nous et
il est ressuscité pour notre justification
». Celui qui reçoit le baptême obtient le pardon de ses péchés. Paul
avait cependant mis en garde les chrétiens de Corinthe : « La lettre
tue, l’esprit vivifie ».
Les quatre Évangiles furent rédigés après avoir connu une période de
tradition orale. Leur origine est liturgique. Mais le noyau de ces
écrits accompagnant les enseignements itinérants des apôtres et des
prophètes, n’est que l’ombre portée de l’événement fondateur :
la mort et la résurrection de Jésus.
Pour les jeunes Églises chrétiennes, la question de la sélection des
témoignages les plus fiables sur Jésus émerge seulement au courant du
IIe siècle, quand l’éclatement doctrinal se profile. La montée en
puissance du christianisme sur le pourtour méditerranéen s’accompagne en
effet d’une floraison de doctrines entachées par des philosophies
ésotériques venues de Grèce, d’Iran ou d’Égypte, comme la gnose - un mot
grec signifiant « connaissance ».
En quelques décennies, les courants gnostiques déferlent sur le
christianisme oriental. Ils se caractérisent par une opposition entre le
monde matériel, voué à la perdition, et le monde spirituel, objet d’une
connaissance supérieure et réservé à une petite élite. Pour les
désavouer, Irénée de Lyon recourt, à la fin du IIe siècle, à la notion
de « tradition » : est considéré comme vrai ce qui a été reçu
directement des apôtres et conservé intact dans les Églises fondées par
les apôtres, en particulier celle de Rome.
(Lire la très belle catéchèse du pape Benoît XVI sur saint
Irénée de Lyon :
La tradition Apostolique est publique, unique)
Irénée de Lyon fait ainsi remonter les quatre Évangile à des apôtres
directs
(Matthieu et Jean)
ou à leurs compagnons
(Marc et Luc)
et montre que les quatre textes proclament différemment la
même chose. Le quatuor sonne juste, sans dissonance. Pourquoi quatre ?
Parce qu’il y a quatre points cardinaux, répond, imperturbable, Irénée.
La réponse ne convainc visiblement pas des chrétiens qui manipulent, à
cette époque, près d’une quinzaine d’Évangile. Citons le célèbre
Évangile de Thomas, déterré en Égypte en 1945 et titré « Paroles cachées
de Jésus écrites par Thomas ».
C’est dans ce contexte polémique que s’impose la nécessité d’opérer un
tri et de déterminer une règle qui définit les textes lui appartenant de
droit. Ainsi naît l’idée d’un canon des Écritures. Loin des
bibliothèques gnostiques, les écrits chrétiens sont d’abord des paroles
proclamées, à des fins d’enseignement ou de célébration.
Les siècles suivants vont alors faire apparaître un nouveau personnage,
banal pour nous modernes, mais révolutionnaire pour l’Antiquité tardive
: le lecteur privé des Écritures.
Origène, à
Césarée maritime, établit la première école biblique. Après avoir résout
les problèmes de critique textuelle, il écrit ses commentaires
allégoriques dont certains se rapprochent du midrash juif. A Bethlehem
Jérôme traduit la Bible en latin, la Vulgate, et revient au texte
hébreu, alors qu’Augustin d’Hippone préférait la traduction grecque des
Septante.
(Benoît XVI nous a invités à accueillir l'enseignement de
ce grand maître de la foi :
le pape donne une "leçon magistrale" sur l'exégèse.)
Augustin qui vit à Milan est en recherche de la vérité. Déçu de
tout, lassé des philosophes et de leurs contradictions, il se rend à
l’église pour entendre les sermons de l’évêque Ambroise. Fasciné par cet
homme pieux, Augustin se glisse ensuite dans son bureau, dont la porte
est toujours ouverte. Et là,
Ambroise, qui ne pensait pas être vu, lit un livre à voix basse.
Pourquoi cette scène bouleverse-t-elle à ce point Augustin ? Simplement
parce qu’elle le fait basculer dans un monde neuf, qui est encore
aujourd’hui le nôtre : celui du livre comme compagnon intime, miroir de
l’âme et ami de la solitude. La Bible chrétienne, dont les contours
commencent alors à se dessiner, est le premier livre à jouer ce rôle en
Occident. Le monde gréco-romain était un monde d’orateurs, formé à l’art
de la rhétorique ; le monde chrétien va devenir un monde de lecteurs. Le
livre devient le lieu même où se joue la vie spirituelle.
C’est du côté des premiers moines, au Ve siècle, que la pratique de la
lectio divina, ou « lecture des textes divins », va se répandre,
au point de devenir l’un des piliers de la vie monastique, avec le
travail manuel et la prière du choeur. D’abord liturgique et public, le
rapport au livre devient personnel. Il s’agit de lire la Bible comme une
parole qui m’est adressée, à moi et à nul autre, à l’instant même où je
la lis. Devenu un manuscrit copié à la plume d’oie dans le silence du
scriptorium, le livre n’est plus une simple suite de propositions
dédiées à l’enseignement, mais le lieu même où la vie spirituelle se
joue. Dans les ermitages de Cappadoce les moines apprennent par cœur les
Psaumes et les Évangile pour les ruminer jour et nuit. Dans le désert de
Juda Cariton, Sabbas et Eythyme fondent des laures où les moines
travaillent et méditent les Écritures durant la semaine et se retrouvent
pour la liturgie dominicale.
A la fin du XIIe siècle, le prieur de la grande Chartreuse, Guigues II
(théologien du XIIème
siècle)
fait de la lecture silencieuse le « premier barreau de
l’échelle qui monte au ciel ». Il rédige en 1150 L’Échelle du moine,
où il distingue quatre étapes dans la vie du moine : lecture,
méditation, prière et contemplation. La lecture signifie cependant la
recherche du sens littéral du texte.
Plus tard, François d’Assise veut que l’Évangile vécu au quotidien soit
l’unique règle des Frères Mineurs, ce qui exige une méditation constante
des saintes Écritures. L’Institution du tiers ordre pour les laïcs met à
la disposition du peuple chrétien les Évangiles. Mais les livres sont
chers. Jusqu’à la Renaissance, la Bible existe principalement pour les
clercs des monastères et des universités. Pour le peuple, elle se
transmet par la liturgie qui la met en scène, la prédication qui
l’explique et l’art qui la représente. Ainsi, les cathédrales avec leurs
sculptures colorées, sont une Bible de pierre.
La lecture monastique commence cependant à ébranler la pierre des
cathédrales. Peu à peu, la relation personnelle au livre saint remet en
question les intermédiaires institutionnels. Une brèche apparaît, dans
laquelle entreront au XVIe siècle les mouvements de réforme de l’Église.
Le premier livre à sortir des presses de Gutenberg à Strasbourg en 1455
est la Bible. Gutenberg préfère imprimer sur papier plutôt que sur
parchemin, ce qui lui permet d’abaisser considérablement le poids du
livre. La technique devient ainsi l’alliée des humanistes et des
réformés, pareillement soucieux de démocratiser l’accès à la Bible, en
l’arrachant à la prédiction et à la liturgie. Malgré tout la Bible reste
coûteuse et volumineuse. Cependant, la révolution est en marche. Elle
fera du livre saint un objet malléable, offert à toutes les lectures et
à toutes les interprétations.
« Sola fides » s’écrie alors Luther, court-circuitant la
hiérarchie ecclésiale et son clergé. Pour le moine allemand la foi à
l’intérieur du coeur ne doit avoir pour seul répondant, à l’extérieur,
que le livre saint, lisible par tous.
Joignant le geste à la parole, l’initiateur de la Réforme traduit la
Bible latine dans une langue allemande encore en formation, mais qu’il
veut la plus proche possible de celle qui est utilisée par le peuple. Il
poursuit ainsi un mouvement inauguré aux XIIe et XIIIe siècles, avec les
premières traductions de la Bible en français. A l’époque, leur
diffusion n’avait pas dépassé le cercle des familles royales. Cette
fois, par l’imprimerie, le mouvement s’accélère et le public s’élargit.
Mais cette Bible des humanistes et des réformés n’est sans doute qu’un
rêve : celui d’un accès simple et direct à une Parole divine qui
illuminerait le lecteur aussitôt qu’il la découvrirait. Éloignée d’une
lecture spirituelle qui dissimulait ses aspérités, la Bible apparaît à
l’époque moderne comme un texte embarrassant : les contradictions
historiques sautent aux yeux des fins lettrés que sont Baruch Spinoza
(1632-1677) et surtout Richard
Simon
(1638-1712), auteur du grand
ouvrage Histoire critique du Vieux Testament
(1678). Simon, prêtre
catholique, compare les différentes versions disponibles, révise les
traductions et discute l’attribution des premiers textes de la Bible à
Moïse. Il entend cependant laisser l’Écriture à sa dimension divine,
limitant l’objet et la portée de sa critique savante.
Les mutations que le rapport au livre saint a connues au cours des
siècles ne sont donc pas pour autant des fractures. Avec Internet
commence une nouvelle mutation : la Bible est maintenant à la
disposition de tous les navigateurs en toutes les langues du monde et
avec des centaines de commentaires. C’est maintenant la lecture
personnelle qui renvoie à une lecture plus communautaire. La dialectique
poursuit son chemin : dans un premier temps de la lecture collective à
la lecture personnelle, puis de la lecture personnelle à la lecture
communautaire. Pour le chrétien de 2009, il s’agit plutôt d’intégrer
sans les opposer ces trois usages du livre qui en ont bouleversé la
réception : la lecture collective, la lecture personnelle et la lecture
critique. Le recours à la lectio divina prôné par le synode
devrait permettre de réaliser ce défi. Vatican II a rappelé que la
hiérarchie institutionnelle est soumise à la parole de Dieu qui la
jugera.
L’Orient a soif aujourd’hui de la parole de Dieu. La Bible qui est une
vraie nourriture sera capable d’apaiser la faim des populations
chinoises et asiatiques grâce à la générosité de la communauté de Taizé.
L’Esprit qui parle au cœur des lecteurs leur permettra de saisir la
richesse de la parole de Dieu. Les communautés chrétiennes auront pour
tâche d’expliquer le texte millénaire qui est parole de Dieu pour
aujourd’hui.
Frédéric Manns, ofm
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Sources : Custodia
Terre Sainte-
(E.S.M.)
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M. sur Google actualité)
10.01.2009 -
T/Synode
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