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Benoît XVI : La loi de la surabondance
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Le 07 avril 2023 -
E.S.M.
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Seul l'homme qui accepte de recevoir gratuitement, peut se
trouver lui-même. Ainsi l'examen attentif de la « justice » de
l'homme nous renvoie à la justice de Dieu, dont la surabondance
s'appelle Jésus-Christ. Jésus-Christ est la justice de Dieu, qui va
bien au-delà de ce qui est requis, qui ne calcule pas, qui est
vraiment débordante ; il est le « malgré tout » de l'amour plus
grand de Dieu, par lequel Celui-ci surmonte infiniment la
défaillance de l'homme.
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il a été dit aux Anciens... mais Moi je
vous dis -
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surabondance
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La loi de l'incognito
4) La loi de la surabondance
* Dans les énoncés éthiques du Nouveau Testament,
existe une
tension qui paraît insurmontable : entre grâce et ethos,
entre pardon total
et exigence totale, entre le fait que l'homme reçoit avec une entière
gratuité, étant incapable de rien faire lui-même, et le fait qu'il doit se
donner entièrement, jusqu'à cette exigence inouïe
: «
Soyez parfaits comme
votre Père du ciel est parfait » (Mt 5, 48). Si l'on cherche cependant, dans
cette opposition troublante des deux pôles, un point de liaison, on
retrouvera sans cesse dans la théologie paulinienne et dans les Synoptiques,
le mot de «.surabondance » (περίσσεμα) dans lequel le thème de la grâce
et celui de l'exigence se rejoignent et se confondent.
***
Pour arriver à nous faire une idée du principe invoqué,
prenons dans le Sermon sur la Montagne, ce passage central qui est comme le
titre et la présentation condensée des six grandes antithèses (« il a été
dit aux Anciens... mais Moi je vous dis... ») où Jésus propose une nouvelle
rédaction de la deuxième des tables de la Loi. Voici le texte : « Car je
vous le dis, si dans votre justice il n'y a pas plus de
surabondance que
dans celle des scribes et des pharisiens vous n'entrerez certainement pas
dans le royaume des cieux » (Mt 5,20). Cela veut dire tout d'abord que toute
justice humaine est prouvée insuffisante. Qui pourrait en effet honnêtement
se vanter de s'être pénétré réellement et sans réticence, jusque dans les
profondeurs de son âme, du sens de chacune des différentes obligations ? qui
pourrait se vanter de les avoir accomplies parfaitement, du fond du cœur, à
plus forte raison de les avoir accomplies avec surabondance
? Il est vrai
qu'il existe dans l'Église un « état de perfection », où l'on s'engage à
aller au-delà de ce qui est commandé, où l'on s'oblige à la surabondance.
Mais ceux qui appartiennent à cet état seront les derniers à nier qu'ils
n'en sont toujours encore qu'au commencement, et qu'ils sont pleins
d'imperfections. « L'état de perfection »
est en réalité la plus dramatique
manifestation de l'imperfection permanente de l'homme.
** Celui qui trouve cette indication générale insuffisante,
n'aura qu'à lire les versets suivants du Sermon sur la Montagne (5, 21-48),
pour se voir acculé à un examen de conscience accablant.
Ces versets
révèlent ce que représentent, si on les prend pleinement au sérieux, les
prescriptions apparemment simples de la deuxième table du Décalogue. Trois
d'entre elles sont expliquées ici : « Tu ne tueras pas. Tu ne commettras pas
d'adultère. Tu ne parjureras pas. » A première vue, il ne semble pas bien
difficile de se sentir en règle sous ce rapport. Après tout, on n'a tué
personne ; on n'a pas commis d'adultère ; on n'a pas de parjure sur la
conscience. Mais lorsque Jésus fait voir toute la profondeur de ces
exigences, il apparaît à quel point l'homme agit dans ce sens par ses
colères, ses haines, ses refus de pardonner, ses jalousies et ses
convoitises. Il apparaît combien l'homme, dans sa prétendue justice,
est de
connivence avec les injustices de ce monde. Quand on médite sérieusement les
paroles du Sermon sur la Montagne, on fait la même expérience que l'homme
qui passe de la vision apologétique de son parti à la réalité. Le net
partage entre blanc et noir, d'après lequel on est habitué à classer les
hommes, tourne à la grisaille d'une pénombre générale.
Il devient clair
qu'il n'y a pas de séparation «blanc-noir» entre les hommes et que tous,
malgré des gradations et nuances multiples, se retrouvent d'une certaine
manière dans la pénombre. Pour employer une autre image, on pourrait dire :
si dans le domaine «.macroscopique.»
[ndlr : Qui se voit à l'œil nu]
les différences morales des hommes sont
nettement tranchées, on obtient une image beaucoup plus nuancée, quand on
les soumet à un examen «.microphysique »
[ndlr : Physique s'occupant des
phénomènes microscopiques]
et « micromoral »
[ndlr :Définissons
la micro moralité comme les règles éthiques qui s'appliquent aux individus]
; les différences
commencent alors à devenir très problématiques ; de toute façon, il ne
saurait plus être question d'une justice surabondante.
*** Si donc cela dépendait de l'homme, personne ne pourrait
entrer dans le royaume des cieux, c'est-à-dire dans la sphère de la justice
pleine et parfaite. Le royaume des cieux demeurerait pure utopie. En fait,
il reste nécessairement pure utopie tant que cela dépend uniquement de la
bonne volonté de l'homme. Bien souvent on nous dit : il suffirait d'un peu
de bonne volonté pour que tout aille au mieux dans le monde. C'est vrai, un
brin de bonne volonté suffirait ; mais hélas ! c'est là le côté tragique de
l'humanité, les forces lui manquent justement pour cela.
Faut-il alors
donner raison à Camus, lorsqu'il prend pour symbole de l'humanité Sisyphe,
essayant toujours à nouveau de rouler sa pierre jusqu'au haut de la
montagne, pour la voir redescendre aussitôt ? La Bible, en ce qui concerne
les possibilités de l'homme, est aussi réaliste que Camus mais elle dépasse
son scepticisme. Pour elle, la limite de la justice de l'homme, et d'une
façon générale de ses capacités, devient l'expression de sa dépendance par
rapport au don gratuit et imprévisible de l'amour qui s'ouvre à lui, qui
l'ouvre lui-même, et sans lequel, en dépit de toute sa justice, il resterait
renfermé et injuste. Seul l'homme qui accepte de recevoir gratuitement, peut
se trouver lui-même. Ainsi l'examen attentif de la « justice » de l'homme
nous renvoie à la justice de Dieu, dont la surabondance s'appelle
Jésus-Christ. Jésus-Christ est la justice de Dieu, qui va bien au-delà de ce
qui est requis, qui ne calcule pas, qui est vraiment débordante ; il est le
«
malgré tout » de l'amour plus grand de Dieu, par lequel Celui-ci surmonte
infiniment la défaillance de l'homme.
** On se tromperait pourtant du tout au tout, si l'on voulait
conclure de là à une dévaluation de l'homme et dire : dans ce cas, tout se
vaut en fin de compte, toute recherche de justice et de perfection est vaine
devant Dieu. Il n'en est rien, car malgré tout, et au regard justement de ce
qui vient d'être dit, l'exigence de surabondance demeure, même si l'homme
est incapable de réaliser la justice intégrale. Mais qu'est-ce que cela veut
dire ? N'y a-t-il pas là contradiction ? Cela veut dire, en un mot,
que
celui-là n'est pas encore chrétien qui calcule sans cesse pour faire le
juste nécessaire et pouvoir, à l'aide de quelques astuces casuistiques, se
considérer comme un homme au vêtement blanc. Et celui-là aussi qui calcule
où s'arrête le devoir et où l'on peut, par un opus supererogatorium, par une
œuvre surérogatoire
[ndlr : Qui est fait en plus,
supplémentaire], acquérir un excédent de mérites, est un pharisien, non
un chrétien. Être chrétien ne consiste pas à s'acquitter de certaines
obligations, et peut-être, pour quelqu'un qui est spécialement parfait, à
dépasser même la limite du devoir à assurer. Un chrétien, c'est un homme qui
sait que de toute façon il vivra toujours d'abord du don gratuit, un homme
dont toute la justice consiste à donner à son tour, comme le mendiant qui,
reconnaissant du don reçu, le partage lui-même généreusement avec les
autres. Celui qui n'est que juste, qui calcule et prévoit, qui croit pouvoir
se procurer le vêtement blanc par ses propres forces,
être lui-même
l'artisan de sa perfection, est en fait
«
injuste
». La justice humaine ne
peut se réaliser que dans le renoncement aux prétentions propres et dans la
magnanimité à l'égard de l'homme et de Dieu. C'est la justice du : «
Pardonne-nous, comme nous pardonnons aussi », une demande qui s'avère être
la véritable formule pour la conception chrétienne de la justice humaine.
Pour le chrétien, la justice humaine consiste à pardonner à son tour, parce
que soi-même l'on vit essentiellement du pardon reçu 42.
* Mais le thème de la surabondance dans le Nouveau Testament
nous indique encore une autre piste, qui achève de nous en révéler le sens.
On retrouve le mot dans le contexte du miracle de la multiplication des
pains, où il est question d'une « surabondance
» de sept corbeilles (Mc 8,
8). Cette évocation de l'idée et de la réalité de la « surabondance », du
plus-que-nécessaire, appartient au cœur même du récit de la multiplication
des pains. Celui-ci nous fait penser d'ailleurs immédiatement à un miracle
similaire que Jean nous a rapporté : le changement de l'eau en vin aux
noces
de Cana (Jn 2, 1-11). Si le mot même de «
surabondance » n'y apparaît pas,
la réalité s'y trouve d'autant plus clairement : la quantité du vin obtenu
atteint, selon l'indication de l'Évangile, le chiffre bien extraordinaire
pour une fête privée, de 480/700 litres ! Or les deux récits ont rapport,
dans l'intention des évangélistes, à la forme centrale du culte chrétien, à
l'eucharistie.
Ils présentent celle-ci comme la surabondance
divine, qui dépasse infiniment tout ce qui
serait stricte exigence et demande justifiée.
* Mais par ce rapport à l'eucharistie, les deux récits
concernent le Christ lui-même et renvoient finalement à lui :
le Christ est
l'infinie prodigalité de Dieu. Et tous deux renvoient, comme nous l'avons vu
aussi pour le principe du « pour », à une loi fondamentale de la création,
où la vie gaspille des millions de germes, pour assurer l'existence d'un
être vivant, où tout un univers est gaspillé pour y préparer quelque part
une place à l'esprit, à l'homme. La surabondance
est la marque de Dieu dans
sa création ; car « Dieu ne mesure pas ses dons », selon l'expression des
Pères. Mais la surabondance est également le véritable principe et la forme
de l'histoire du salut ; celle-ci n'est finalement rien d'autre que le fait
vraiment stupéfiant, d'un Dieu qui dans son incompréhensible prodigalité,
non seulement dépense un univers, mais se prodigue lui-même, pour conduire
au salut ce grain de poussière qu'est l'homme. La surabondance est donc -
répétons-le - la véritable définition de l'histoire du salut.
Celui qui ne
fait que calculer, trouvera éternellement absurde que pour l'intérêt de
l'homme, Dieu lui-même soit mis à contribution. Seul celui qui aime peut
comprendre la folie d'un amour pour lequel la prodigalité est la loi, et la
surabondance le seul suffisant. Mais alors, s'il est vrai que l'univers vit
de la surabondance, que l'homme est l'être pour qui le surplus est le
nécessaire, comment s'étonner que la révélation soit le surplus et par là
même le nécessaire, le divin, l'amour dans lequel s'accomplit le sens de
l'univers ?
Note :
42. C'est en partant de là surtout qu'il
faudrait Étudier le thème de la loi et de l'évangile ; cf. O. SÖHNOEN,
Gesetz und Evangelium, Freiburg, 1957, pp. 12-22.
TABLE DES CHAPITRES :
1)
L'individu et le tout
2)
Le principe « pour »
3)
La loi de l'incognito
4)
La loi de la surabondance
5)
Accomplissement et espérance
6)
Le primat de l'accueil et la positivité chrétienne
7)
Résumé : l'essence du christianisme
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 01.04.2023
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