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Benoît XVI : le cas Jésus
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Le 3 février 2023 -
(E.S.M.)
- C'est seulement par la foi au Crucifié, en Celui qui est
privé de tout pouvoir terrestre et est ainsi élevé, qu'apparaît la
nouvelle communauté, la nouvelle manière par laquelle Dieu domine
dans le monde.
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Benoît XVI : Jésus je t'aime -
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Le procès de Jésus
Le débat préliminaire au Sanhédrin
D'après le récit des quatre Évangiles, la prière nocturne
de Jésus prit fin au moment où, sous la conduite de Judas, une troupe armée
dépendante des autorités du Temple arriva et arrêta Jésus, tandis que les
disciples n'étaient pas inquiétés.
Comment en est-on venu à cette arrestation, ordonnée
évidemment par les autorités du Temple et donc par le grand prêtre Caïphe
?
Comment en est-on arrivé à livrer Jésus au tribunal du gouverneur romain
Pilate et à sa condamnation à mort sur la Croix ?
Les Évangiles nous permettent de distinguer trois étapes qui
conduisent à la sentence juridique de condamnation à mort: une réunion du
Conseil dans la maison de Caïphe, l'interrogatoire devant le Sanhédrin et
pour finir le procès devant Pilate.
1. Le débat préliminaire au Sanhédrin
Dans un premier temps, l'apparition de Jésus et le
mouvement qui se formait autour de lui avaient suscité peu d'intérêt chez
les autorités du Temple; tout cela semblait être une affaire provinciale -
un de ces mouvements qui de temps à autre naissaient en Galilée et ne
méritaient aucune attention particulière. La situation change lors du «
dimanche des Rameaux » : l'hommage messianique rendu à Jésus à l'occasion de
son entrée à Jérusalem; la purification du Temple avec le commentaire qui
semblait annoncer la fin du Temple comme tel et un changement radical du
culte contrastant avec les commandements donnés par Moïse ; les discours de
Jésus dans le Temple, où l'on pouvait percevoir une revendication de pleine
autorité, et qui semblait donner à l'espérance messianique d'Israël une
forme nouvelle mettant en péril son monothéisme ; les miracles que Jésus
accomplissait publiquement et l'affluence croissante du peuple autour de lui
- tout cela représentait des réalités qu'il n'était plus possible d'ignorer.
Dans les jours avoisinant la Pâque, alors que la ville était
envahie de pèlerins et que les espérances messianiques pouvaient facilement
se transformer en un mélange explosif à caractère politique, l'autorité du
Temple devait prendre ses propres responsabilités et surtout chercher à
comprendre comment évaluer cet ensemble de faits, et de quelle manière il
convenait de réagir. Seul Jean fait allusion à une réunion préalable du
Sanhédrin en vue de clarifier les idées des uns et des autres et de
délibérer sur le « cas » Jésus (cf. 11,47-53).
Il la place d'ailleurs avant le « dimanche des Rameaux » et considère que
son motif immédiat est le mouvement populaire suscité
par la résurrection de Lazare. Sans une telle réunion préalable,
l'arrestation de Jésus dans la nuit de Gethsémani est impensable. Il est
évident que Jean en a conservé un souvenir historique dont les Synoptiques
parlent aussi de manière plus brève (cf. Mc 14,1 par.).
Selon Jean, se trouvent réunis ensemble les chefs des prêtres
et les pharisiens, les deux groupes - opposés sur bien des points — qui
dominaient dans le judaïsme au temps de Jésus. Leur préoccupation commune
est celle-ci: « Les Romains viendront et ils supprimeront notre Lieu Saint
(c'est-à-dire le Temple, le lieu sacré de la vénération de Dieu) et notre
nation » (11,48). On est tenté de dire que le motif pour agir contre Jésus a
été une préoccupation politique où, en partant de points de vue différents,
l'aristocratie sacerdotale et les pharisiens se sont rencontrés ; mais cette
façon de voir dans une perspective politique la figure et l'œuvre de Jésus
met en évidence une méconnaissance de ce qui, en lui, était justement
essentiel et nouveau. Et de fait: par son annonce, Jésus a réalisé une
séparation de la dimension religieuse de la dimension politique, séparation
qui a changé le monde et qui véritablement appartient à l'essence de sa
nouvelle voie.
Cela étant, il convient de se garder d'une condamnation
hâtive de la perspective « purement politique », qui était celle des
adversaires de Jésus. Dans l'ordre qui était jusqu'alors en vigueur, en
effet, les deux dimensions - politique et religieuse - étaient justement
absolument inséparables l'une de l'autre. Le politique « seul » ni le
religieux « seul » n'avaient d'existence. Le Temple, la Cité sainte et la
Terre sainte avec son peuple n'étaient pas des réalités purement politiques,
mais elles n'étaient pas davantage des réalités seulement religieuses. Là où
il s'agissait du Temple, du peuple et de la Terre, étaient enjeu le
fondement religieux de la politique et les conséquences religieuses de cette
dernière. Prendre la défense du « lieu » et de la «
nation » était en définitive une affaire religieuse, parce qu'il s'agissait
là de la maison de Dieu et du peuple de Dieu.
Il faut toutefois distinguer dans cette motivation à la fois
religieuse et politique, fondamentale pour les responsables d'Israël,
l'intérêt spécifique de la dynastie d'Anne et Caïphe pour le pouvoir,
intérêt qui, de fait, conduisit par la suite à la catastrophe de l'an 70,
provoquant ainsi ce que précisément, selon leur vrai devoir, ils auraient dû
éviter. En ce sens, il y a dans la décision de faire
mourir Jésus une étrange superposition de deux niveaux : d'une part, la
légitime préoccupation de protéger le Temple et le peuple et, de l'autre,
l'obsession égoïste du pouvoir de la part du groupe dominant.
Cette superposition correspond à ce que nous avions observé à
propos de la purification du Temple. Comme nous l'avons vu à cette occasion,
Jésus combat, d'une part, contre l'abus égoïste dans le domaine du sacré,
mais son geste prophétique et l'interprétation qu'il en donne vont bien plus
profond : le culte ancien du Temple de pierre est arrivé à son terme. Voici
qu'est arrivé le moment de la nouvelle adoration de Dieu « en esprit et
vérité ». Le Temple de pierre doit être abattu pour qu'il puisse être
remplacé par la nouveauté, la Nouvelle Alliance et sa nouvelle manière
d'adorer Dieu. Cela signifie que Jésus doit lui-même
passer à travers la crucifixion pour devenir, en tant que Ressuscité, le
nouveau Temple.
Arrivés à ce point,
revenons une fois encore au thème de l'entrelacement de la religion et du
politique et de leur dénouement réciproque. Nous avons dit que Jésus, par
son annonce et, avec tout ce qu'il a accompli, avait inauguré un règne non
politique du Messie et avait commencé à détacher l'une de l'autre ces deux
réalités qui jusqu'alors étaient inséparables. Mais cette séparation entre
politique et foi, entre peuple de Dieu et politique, appartenant à l'essence
de son message, n'était possible, en définitive, qu'à travers la Croix:
c'est seulement à travers la perte vraiment absolue de tout pouvoir
extérieur, à travers le dépouillement radical de la Croix, que la nouveauté
devenait réalité. C'est seulement par la foi au Crucifié, en Celui qui est
privé de tout pouvoir terrestre et est ainsi élevé, qu'apparaît la nouvelle
communauté, la nouvelle manière par laquelle Dieu domine dans le monde.
Ceci signifie que la Croix répondait à une « nécessité »
divine et que Caïphe, par sa décision, devint finalement l'exécuteur de la
volonté de Dieu, même si sa motivation personnelle était impure, qu'elle ne
répondait pas à la volonté de Dieu, mais avait des visées égoïstes.
Jean a très clairement exprimé cet étrange enchevêtrement
entre l'exécution de la volonté de Dieu et l'aveuglement égoïste de Caïphe.
Devant la perplexité des membres du Sanhédrin quant à ce qu'il convenait de
faire, face au danger que représentait le mouvement créé autour de Jésus,
c'est lui qui donna la réponse décisive : « Vous ne songez même pas qu'il
est de votre intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation
ne périsse pas tout entière » (11,50). Jean qualifie explicitement une telle
affirmation comme une parole « d'inspiration prophétique », que Caïphe a
prononcée en raison du charisme lié à sa charge de grand prêtre et non de
lui-même.
Cette parole fait ressortir avant tout que, jusqu'alors, le
Sanhédrin, siégeant en assemblée, reculait avec effroi devant la perspective
d'une condamnation à mort et cherchait d'autres manières de sortir de la
crise, sans toutefois trouver une solution. Seule une parole du grand
prêtre, motivée théologiquement et exprimée avec l'autorité liée à sa
charge, pouvait dissiper leurs doutes et les rendre en principe disposés à
prendre une décision de cette gravité.
Le fait que Jean reconnaisse explicitement comme moment
décisif dans l'histoire du salut, le charisme lié à la charge de celui qui
en était le détenteur indigne, correspond à la parole de Jésus rapportée par
Matthieu : « Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les
pharisiens: faites donc et observez tout ce qu'ils pourront vous dire, mais
ne vous réglez pas sur leurs actes » (23,2s.). Aussi bien Matthieu que Jean
ont certainement voulu rappeler à la mémoire de l'Église de leur temps cette
distinction, car en elle aussi, existait la contradiction entre l'autorité
découlant de la charge et la manière de se comporter dans la vie, entre ce «
qu'ils disent » et ce « qu'ils font ».
Le contenu de la « prophétie » de Caïphe est d'abord et avant
tout absolument pragmatique et, sous cet angle, il possède une justesse
immédiate : si, par la mort d'un seul homme (et seulement de cette manière),
il est possible de sauver le peuple, la mort de ce seul individu est un
moindre mal et la voie est politiquement juste. Mais ce qui apparaît ainsi
et qui est saisi avant tout dans un sens purement pragmatique, atteint en
fait, à cause de l'inspiration « prophétique », une tout autre profondeur.
Jésus, l'unique, meurt pour le peuple : le mystère de la fonction vicaire,
qui est le contenu le plus profond de la mission de Jésus, apparaît ici.
L'idée de fonction vicaire est diffuse dans toute l'histoire
des religions. En de multiples manières on s'efforce de détourner du roi, du
peuple, de sa propre vie, la menace du malheur, en la transférant sur des
substituts. Le mal doit être expié et ainsi doit être rétablie la justice.
Mais on fait tomber sur d'autres la punition, le malheur inéluctable et l'on
cherche ainsi à se libérer. Pourtant, cette substitution, par le biais de
sacrifices d'animaux ou même humains reste en dernière analyse sans
consistance. Ce qui est alors offert en représentation n'est qu'un succédané
de ce qui est proprement personnel et ne peut en aucun cas prendre la place
de celui qui doit être sauvé de cette manière. Le succédané n'est pas une
représentation dans le sens d'une fonction vicaire, et pourtant l'histoire
tout entière est à la recherche de Celui qui véritablement peut intervenir à
notre place ; Celui qui véritablement est capable de nous prendre en lui et
de nous conduire ainsi vers le salut.
Dans l'Ancien Testament l'idée de la fonction vicaire
apparaît d'une façon tout à fait centrale quand Moïse, après l'idolâtrie du
peuple au Sinaï, dit au Dieu en courroux: « Pourtant, s'il te plaisait de
pardonner leur péché... Sinon efface-moi, de grâce, du livre que tu as écrit
! » (Ex 32,32). Il est vrai qu'il reçoit cette réponse: « Celui qui a péché
contre moi, c'est lui que j'effacerai de mon livre » (Ex 32,33), mais d'une
certaine manière Moïse demeure toutefois le substitut qui porte sur lui et
qui, par son intercession, change toujours de nouveau le destin du peuple.
Dans le Deutéronome, enfin, est dessinée l'image de Moïse souffrant, qui
pâtit à la place d'Israël et qui, en fonction vicaire pour Israël, doit
mourir hors de la Terre sainte (cf. von Rad I 293). Cette idée de la
fonction vicaire apparaît pleinement développée en lsaïe 53 avec
l'image du Serviteur de Dieu souffrant, qui prend sur lui la faute des
multitudes les rendant ainsi justes (cf. 53,11). Chez Isaïe, cette figure
reste pleine de mystère ; le chant du Serviteur de Dieu est comme un regard
scrutateur vers le loin pour voir Celui qui doit venir. « Un seul meurt pour
les multitudes »- cette parole prophétique du grand prêtre Caïphe réunit
ensemble les aspirations de l'histoire des religions du monde et les grandes
traditions de la foi d'Israël et les applique à Jésus. Toute sa vie et sa
mort sont résumées dans le mot « pour »; c'est - comme en particulier Heinz
Schùrmann l'a maintes fois souligné - une « existence pour ».
À la parole de Caïphe qui correspondait en fait à une
condamnation à mort, Jean a ajouté un commentaire dans la perspective de foi
des disciples. Il commence par souligner
- comme nous l'avons déjà vu - que la parole concernant le fait de mourir
pour le peuple aurait comme origine une inspiration prophétique et il
poursuit alors en disant que « Jésus allait mourir [...] non pas pour la
nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l'unité les enfants de
Dieu dispersés » (11,52). Cela correspond avant tout, effectivement, au
langage hébraïque et exprime l'espérance, qu'au temps du Messie, les
Israélites dispersés dans le monde seraient réunis dans leur propre pays
(cf. Barrett, p. 403).
Mais, dans la pensée de l'évangéliste, cette parole prend une
signification nouvelle. Le rassemblement n'est plus orienté vers un pays
géographiquement déterminé, mais vers l'unification des enfants de Dieu: ici
résonne déjà le mot-clé de la Prière sacerdotale de Jésus. Le rassemblement
a comme objectif l'unité de tous les croyants et renvoie ainsi à la
communauté de l'Église et, sans nul doute, au-delà d'elle, à l'unité
eschatologique définitive.
Les enfants de Dieu dispersés ne sont plus seulement les
Juifs, mais les enfants d'Abraham dans le sens profond développé par Paul :
des personnes qui, comme Abraham, sont à la recherche de Dieu ; des
personnes qui sont prêtes à l'écouter et à répondre à son appel - des
personnes, pourrions-nous dire, qui sont dans une attitude « d'Avent ».
Ainsi la nouvelle communauté des Hébreux et des païens se rend visible (cf.
Jn 10,16). Dès lors, s'ouvre aussi une nouvelle
approche de la parole de la dernière Cène sur les « multitudes » pour
lesquelles le Seigneur donne sa vie : il s'agit de la réunion des « enfants
de Dieu », c'est-à-dire de tous ceux qui se laissent appeler par Lui.
Avant-propos - Jésus de
Nazareth Tome II
Et Table des chapitres 1 à 5 ►
Benoît XVI
Chapitre 6
1. En marche vers le Mont des Oliviers
►
Benoît XVI
2. La prière du Seigneur ►
Benoît XVI
3. La volonté de Jésus et la volonté du Père
►
Benoît XVI
4. La prière de Jésus sur le Mont des Oliviers, dans
la Lettre aux Hébreux ►
Benoît XVI
Chapitre 7
Le procès de Jésus ►
Benoît XVI 1. Le débat préliminaire au Sanhédrin
►
Benoît XVI
2. Jésus devant le Sanhédrin ►
3. Jésus devant Pilate ►
Chapitre 8
Le crucifiement et la mise au tombeau de Jésus
►
1. Réflexion préliminaire : parole et événement
dans le récit de la Passion
►
2. Jésus en Croix ►
La première parole de Jésus en
Croix :
« Père, pardonne-leur »
►
Jésus outragé
►
Le cri d'abandon de Jésus
►
Le tirage au sort des
vêtements ►
« J'ai soif »
Les femmes près de la Croix —
la Mère de Jésus ►
Jésus meurt sur la Croix
►
La mise au tombeau de Jésus
►
3. La mort de Jésus comme réconciliation
(expiation) et salut
►
Chapitre 9
La Résurrection de Jésus d'entre les morts
►
1. Ce qui est enjeu dans la Résurrection de Jésus
►
2. Les deux différents types de témoignage
de la Résurrection
►
2.1 La tradition sous forme de
profession ►
La mort de Jésus
►
La question du
tombeau vide ►
Le troisième
jour ►
Les témoins
►
2.2 La tradition sous forme de
narration ►
Les apparitions
de Jésus à Paul ►
Les apparitions
de Jésus dans les Évangiles ►
3. Résumé : la nature de la Résurrection
et sa signification historique
►
Perspective
II est monté au ciel - il siège à la droite
de Dieu le Père et il reviendra dans la gloire
►
- Prochainement la suite des liens -
Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 03.02.2023
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