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L'intolérance de l'État moderne
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Le 30 novembre 2024 -
E.S.M.
- En cette quatrième partie de ce chapitre
consacré au Monothéisme et tolérance, Benoît XVI
revient sur le fait que la pensée moderne ne veut plus
reconnaître la vérité de l'être, mais veut acquérir un
pouvoir sur lui. Elle veut remodeler le monde en
fonction de ses propres besoins et désirs. Cette
orientation non pas vers la vérité mais vers le pouvoir
révèle sans doute le véritable problème de l'époque
actuelle, sur lequel nous devrons revenir à la fin.
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Le peuple des Maccabées -
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L'intolérance de l'État moderne
IVème
Partie : Monothéisme et tolérance - Ce texte a été achevé le 29 décembre 2018
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La pensée de Socrate, pieuse et critique à la fois, a eu pour
effet, à sa manière, de révéler la nature illusoire des dieux. Aujourd'hui,
nous sommes confrontés au mouvement inverse de l'esprit humain.
La pensée moderne ne veut plus reconnaître la vérité de l'être, mais veut
acquérir un pouvoir sur lui. Elle veut remodeler le monde en fonction de ses
propres besoins et désirs. Cette orientation non pas vers la vérité mais
vers le pouvoir révèle sans doute le véritable problème de l'époque
actuelle, sur lequel nous devrons revenir à la fin.
Jetons encore un regard sur les Macchabées. Les victoires
d'Alexandre le Grand ont donné naissance à un grand espace culturel grec,
qui a pris une forme culturelle et politique dans les royaumes du Diadoques.
Les formes de vie traditionnelles, qui entravaient l'unité en cours de
formation, devaient être abolies au profit de la culture unitaire qui
maintenait tout ensemble. Il était donc clair que devaient disparaître,
entre autres, les formes de vie juives prescrites par le Pentateuque
(circoncision, prescriptions alimentaires, etc.), en raison, notamment, de
leur incompatibilité avec l'Etat unitaire moderne, tout comme n'étaient pas
conciliables avec le nouveau modèle culturel unifié la foi, le mode de vie
et la langue d'Israël.
Une partie non négligeable des Israélites a manifestement
accueilli favorablement la fusion avec le style de vie moderne et éclairé de
l'hellénisme, tandis que d'autres l'ont évitée par manque d'alternatives.
Mais la foi et le mode de vie d'Israël, dont la langue faisait également
partie, devaient inévitablement réagir tôt ou tard. Le premier livre de
Macchabées décrit efficacement comment Mattathias, un homme respecté et
estimé, s'est rebellé contre ces prétentions, a rejeté les promesses de la
nouvelle société et s'est opposé à l'ambassadeur du roi. Il résista aux
grandes promesses de richesses qui lui étaient faites, ainsi qu'à la demande
d'offrir des sacrifices aux idoles, en disant : « Toutes les nations qui
appartiennent aux Etats du roi peuvent bien lui obéir en rejetant chacune la
religion de ses pères, [...] moi, mes fils et mes frères, nous suivrons
l'Alliance de nos pères. [...] Nous n'obéirons pas aux ordres du roi, nous
ne dévierons pas de notre religion, ni à droite ni à gauche. » (1M 2,19s)
Lorsque, ayant achevé ces paroles, un Juif s'apprêtait à sacrifier sur
l'autel païen à l'invitation du roi, Mattathias, voyant cela, « s'enflamma
d'indignation [...], courut à l'homme et l'égorgea sur l'autel. Quant à
l'envoyé du roi, [...] Mattathias le tua à l'instant même » (1M 2,24s). Le
Livre des Macchabées justifie ce geste comme un retour au « zèle » dont le
Livre des Nombres avait parlé en relatant l'action de Pinchas. Le « zèle »
devient alors un élément fondamental de la révolte contre la civilisation
unitaire hellénistique : Mattathias s'enfuit dans les montagnes et beaucoup
le suivent. Le mouvement macchabéen qui s'est ainsi formé a pu s'opposer à
la puissance militaire de l'État et établir un nouvel État d'Israël fondé
sur la foi, et dans lequel le Temple de Jérusalem a également été rétabli.
Le mouvement macchabéen est fondé sur la fidélité résolue d'Israël à son
identité. Cette fidélité n'est pas du tout conçue comme un attachement
rigide à des traditions anciennes et dépassées. Puisque le Dieu d'Israël est
le vrai Dieu, connaissable même rationnellement, la fidélité à ses lois est
une fidélité à la vérité. On ne saisit certainement pas l'esprit de ce
mouvement en lui accolant l'étiquette d'intolérance monothéiste. Il s'agit
plutôt de confronter l'intolérance de l'État moderne (ainsi que la seule
forme de vie qu'il considère comme valable) et la fidélité à la foi des
pères (ainsi que son propre mode de vie).
Ici, un regard sur le présent s'impose. L'État moderne
du monde occidental, en effet, se voit d'une part comme une grande puissance
de tolérance qui rompt avec les traditions insensées et pré-rationnelles de
toutes les religions. En outre, avec sa manipulation radicale de l'homme et
la déformation des sexes par l'idéologie du genre, il s'oppose
particulièrement au christianisme. Cette prétention dictatoriale à avoir
toujours raison par une apparente rationalité exige l'abandon de
l'anthropologie chrétienne et du style de vie qui en découle, jugé
pré-rationnel. L'intolérance de cette apparente modernité à l'égard de la
foi chrétienne ne s'est pas encore transformée en persécution ouverte, et
pourtant elle se présente de manière de plus en plus autoritaire, visant à
obtenir, par une législation correspondante, l'extinction de ce qui est
essentiellement chrétien. L'attitude de Mattathias « Nous
n'écouterons pas les ordres du roi » (la législation moderne) est celle des
chrétiens. Le « zèle » de Mattathias n'est cependant pas la forme dans
laquelle s'exprime le zèle chrétien. Le « zèle »
authentique tire sa forme essentielle de la croix de Jésus-Christ.
Enfin, essayons de tirer une sorte de conclusion de cet
examen rapide de quelques étapes de l'histoire de la foi au Dieu unique de
l'Ancien Testament.
Tout d'abord, nous pouvons affirmer avec certitude
qu'historiquement, le monothéisme se présente sous des formes très
différentes. Il ne peut donc être défini comme un phénomène unitaire
uniquement selon les critères modernes. Le monothéisme, au sens strict du
terme, selon son usage moderne, n'apparaît qu'avec la question de la vérité.
En Israël, cette transition se fait à partir de l'exil, mais pas au sens
propre de la réflexion philosophique. L'événement révolutionnaire, du point
de vue de l'histoire des religions, a lieu avec l'assomption chrétienne de
la foi en un Dieu unique, qui avait été préparée dans tout le bassin
méditerranéen par le groupe des « Craignant-Dieu ». L'affirmation définitive
de la prétention universelle du Dieu unique était cependant encore entravée
par le fait que ce Dieu unique était lié à Israël et n'était donc pleinement
accessible qu'en Israël ; les païens pouvaient l'adorer en même temps
qu'Israël, mais ne pouvaient pas lui appartenir pleinement. Seule la foi
chrétienne, avec son universalité définitivement conquise par Paul,
permettait désormais que le Dieu unique puisse aussi être concrètement adoré
dans le Dieu d'Israël qui se révélait. La rencontre entre le « Dieu des
philosophes » et le Dieu concret de la religion juive est l'événement,
provoqué par la mission chrétienne, qui révolutionne l'histoire universelle.
En définitive, le succès de cette mission repose précisément
sur cette rencontre. Ainsi, la foi chrétienne a-t-elle pu se présenter dans
l'histoire comme la vraie religion. La prétention du christianisme à
l'universalité est fondée sur l'ouverture de la religion à la philosophie.
Cela explique pourquoi, dans la mission qui s'est développée dans
l'antiquité chrétienne, le christianisme n'était pas d'abord conçu comme une
religion, mais comme un prolongement de la pensée philosophique,
c'est-à-dire de la recherche de la vérité par l'homme. Ceci,
malheureusement, a été de plus en plus oublié dans les temps modernes. La
religion chrétienne est aujourd'hui perçue comme une continuation des
religions du monde et on la considère comme une religion parmi ou au-dessus
des autres. Ainsi, les « semences du Logos », dont Clément d'Alexandrie
parle comme de la tension de l'histoire préchrétienne vers le Christ, sont
identifiées de manière générique aux religions, alors que Clément
d'Alexandrie, lui, les considère comme faisant partie du processus de la
pensée philosophique dans lequel la pensée humaine avance à tâtons vers le
Christ.
Revenons à la question de la tolérance.
Ce que nous venons de dire signifie que le christianisme se comprend
essentiellement comme vérité et qu'il fonde sa prétention à l'universalité
sur cette base. Mais c'est précisément là qu'intervient la critique
actuelle du christianisme, considérant la
revendication de la vérité comme intolérante en soi. Vérité et
tolérance semblent être en contradiction. L'intolérance du christianisme
serait intimement liée à sa prétention à la vérité. Cette conception est
sous-tendue par le soupçon que la vérité serait dangereuse en soi.
Ce qui veut dire que la tendance profonde de la
modernité s'oriente de plus en plus clairement vers une forme de culture
indépendante de la vérité. Dans la culture postmoderne,
qui fait de l'homme le créateur de soi et conteste la
donnée originelle de la Création, il y a un désir de recréer le monde
contre sa vérité. Nous avons déjà vu plus haut comment cette attitude même
conduit nécessairement à l'intolérance.
Mais en ce qui concerne la relation entre vérité et
tolérance, la tolérance est ancrée dans la nature même de la vérité. En
considérant la révolte des Macchabées, nous avons vu comment une société qui
se dresse contre la vérité est totalitaire et donc profondément intolérante.
En ce qui concerne la vérité, je renverrais simplement à
Origène : « Le Christ ne remporte aucune victoire sur ceux qui ne
veulent pas. Il ne gagne que par la persuasion. Ce
n'est pas pour rien qu'il est la parole de Dieu. »
Mais en fin de compte, comme contrepoids authentique à toute
forme d'intolérance, on trouve Jésus-Christ crucifié. La victoire de la foi
ne peut jamais être obtenue que dans la communion avec Jésus crucifié. La
théologie de la croix est la réponse chrétienne à la question de la liberté
et de la violence ; et en fait, même historiquement, le christianisme n'a
remporté ses victoires que grâce aux persécutés et jamais lorsqu'il s'est
rangé du côté des persécuteurs.
(Fin de ce chapitre)
►
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 31.10.2024
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