Dernière prédication de Carême en
présence de Benoît XVI |
 |
Cité du Vatican, le 30 mars 2007 -
(E.S.M.) - "Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront
miséricorde - Les béatitudes évangéliques". C'est le sujet de la
quatrième et dernière prédication de Carême que le père Raniero
Cantalamessa, devant Benoît XVI et la Curie romaine, a prononcée ce
vendredi.
|
Parle au monde entier de ma
Miséricorde…
Dernière prédication de Carême en présence de Benoît XVI
"Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde - Les
béatitudes évangéliques" - Synthèse de la prédication -
texte intégral en 2ème partie
A 9h00 ce matin, dans la Chapelle Redemptoris Mater, en présence du
Saint-Père Benoît XVI, le Prédicateur de la Maison Pontificale, le P.
Raniero Cantalamessa, O.F.M. Cap., a tenu la quatrième et dernière
prédication de Carême.
"Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde - Les
béatitudes évangéliques": c'est le thème de la quatrième et dernière
prédication de Carême que, devant Benoît XVI et la Curie romaine, a
prononcée ce vendredi le père Raniero Cantalamessa.
La miséricorde, en réponse à la Miséricorde, déclare le prédicateur de
la Maison Pontificale.
De l'expérience de la miséricorde de Dieu -"pure gratuité" - naît la
capacité et l'exigence d'être miséricordieux les uns envers les autres, a
rappelé, devant Benoît XVI, le père Cantalamessa.
Les paroles de Jésus dans le sermon sur la montagne : "Bienheureux les
miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde", ont été l'axe de cette
méditation, orientée surtout vers le pardon et la rémission des péchés.
Le prédicateur du Pape a proposé d'observer le reflet de la miséricorde de
Dieu, son Fils Jésus, car " l'accueil que Jésus réserve aux pécheurs dans
l'Évangile et l'opposition que cela lui a procurée par les défenseurs de la
loi, est bien connu".
"Jésus justifie son attitude envers les pécheurs en disant qu'ainsi agit le
Père céleste, a rappelé le père Cantalamessa. A ses opposants, il leur
rappelle la Parole de Dieu dans les prophètes: "Je prends
plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices"
(Mt 9, 13)"; la miséricorde
est en effet le trait le plus saillant du Dieu de l’alliance et est présente
dans toute la Bible".
"Être miséricordieux apparaît ainsi comme un aspect essentiel du fait d'être "à
l'image et la ressemblance de Dieu", a-t-il signalé.
« Mais le plus surprenant, a souligné le prédicateur, est que Dieu éprouve
de la joie à être miséricordieux ». Il cite l’exemple de la parabole du fils
prodigue et celle de la brebis perdue.
Etant donné que nous avons reçu la miséricorde de Dieu gratuitement, nous
devons donc nous aussi à notre tour faire preuve de miséricorde, sinon, «
elle nous sera enlevée », a affirmé le père Cantalamessa, citant le récit
évangélique du serviteur auquel Dieu a remis une dette immense (dix mille
talents !) mais qui refuse à son tour de remettre sa dette à son propre
serviteur « qui lui devait la modique somme de cent deniers ».
« Si la miséricorde divine est l’origine de tout et si c’est elle qui exige
et rend possible la miséricorde des uns envers les autres, le plus important
pour nous est de faire une expérience renouvelée de la miséricorde de Dieu »
a exhorté le père Cantalamessa en soulignant qu’il s’agit de « l’expérience
pascale par excellence ».
Le prédicateur a proposé au pape et à ses collaborateurs de reprendre les
béatitudes évoquées lors des précédentes prédications « comme préparation à
une bonne confession pascale ».
« On sort renouvelé et rempli d’espérance, d’une expérience profonde de la
miséricorde de Dieu », a-t-il affirmé.
Après en avoir fait l’expérience, nous devons « à notre tour, en faire
preuve à l’égard de nos frères », « aussi bien au niveau de la communauté
ecclésiale qu’au niveau personnel », a-t-il ajouté.
« Dans la vie de l’Eglise comme dans celle de Jésus doivent resplendir à la
fois la miséricorde des mains et celle du cœur – aussi bien les œuvres de
miséricorde que les ‘entrailles de miséricorde’ », en réagissant « par le
pardon », qui est une dimension fondamentale dans les relations humaines.
Le prédicateur capucin a conclu en comparant la miséricorde de Dieu à
l’huile qui réduit les frottements dans un moteur et en citant le psaume 133
« qui chante la joie de vivre ensemble comme des frères réconciliés ; il dit
que ‘c'est une huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe, qui
descend sur la barbe d'Aaron, sur le col de ses tuniques’ ».
« Notre Aaron, notre Grand prêtre, auraient dit les Pères de l’Eglise, est
le Christ ; la miséricorde et le pardon est l’huile qui descend de cette
‘tête’ élevée sur la croix et qui se diffuse le long du corps de l’Eglise
jusqu’à l’extrémité de ses vêtements, jusqu’à ceux qui vivent en marge de l’Eglise
», a expliqué le prédicateur de la Maison pontificale.
« Essayons de déterminer, parmi nos relations avec les personnes, celles
dans lesquelles il nous semble nécessaire de faire pénétrer l’huile de la
miséricorde et de la réconciliation et versons la en silence, abondamment, à
Pâques », a conclu le père Cantalamessa.
Texte intégral
de la 4è prédication de Carême du père Cantalamessa
«
HEUREUX LES MISERICORDIEUX, CAR ILS OBTIENDRONT MISERICORDE »
Quatrième prédication de Carême à la Maison pontificale
1. La miséricorde du Christ
La béatitude sur laquelle nous voulons réfléchir, durant cette dernière
méditation de Carême, est la cinquième béatitude selon saint Mathieu : «
Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde ». Toujours en
partant de l’affirmation que les béatitudes sont l’autoportrait du Christ,
nous nous demandons immédiatement, cette fois encore : comment Jésus a-t-il
vécu la miséricorde ? Que nous dit sa vie sur cette béatitude ?
Dans la Bible, le mot miséricorde a deux significations fondamentales : il
illustre d’abord l’attitude du plus fort (dans l’alliance, Dieu lui-même)
vis-à-vis du plus faible, s’exprimant généralement dans le pardon des
infidélités et des fautes ; il illustre ensuite l’attitude des uns par
rapport aux autres, s’exprimant cette fois-ci dans ce que l’on appelle les
œuvres de miséricorde. (Cette deuxième signification revient fréquemment
dans le livre de Tobie). Il existe, d’une certaine manière, une miséricorde
du cœur et une miséricorde des mains.
Ces deux formes de miséricorde resplendissent dans la vie de Jésus. Jésus
reflète la miséricorde de Dieu envers les pécheurs, mais il éprouve de la
pitié pour toutes les souffrances et nécessités humaines, donne à manger aux
foules, guérit les malades, libère les opprimés. L’évangéliste dit de lui :
« Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » (Mt 8, 17).
Dans notre béatitude, c’est certainement le premier sens, celui du pardon et
de la rémission des péchés, qui prévaut. Nous le déduisons de cette
correspondance entre la béatitude et sa récompense : « Heureux les
miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » auprès de Dieu qui,
peut-on sous-entendre, pardonnera leurs péchés. La phrase : « Montrez-vous
compatissants, comme votre Père est compatissant », est aussitôt expliquée
par la phrase suivante « remettez et il vous sera remis » (Lc 6, 36-37).
L’accueil que Jésus réserve aux pécheurs dans l’Evangile est bien connu,
tout comme l’opposition que cet accueil lui valut de la part des défenseurs
de la Loi qui l’accusaient d’être « un glouton et un ivrogne, un ami des
publicains et des pécheurs » (Lc 7, 34). L’une des phrases de Jésus dont on
a le plus de preuves historiques est : « Je ne suis pas venu appeler les
justes, mais les pécheurs » (Mc 2, 17). Les pécheurs, se sentant accueillis
et non jugés par Jésus, l’écoutaient volontiers.
Mais qui étaient les pécheurs, à qui ce terme se référait-il ? Dans la ligne
de la tendance actuellement répandue à vouloir disculper totalement les
pharisiens de l’évangile, et attribuer une image négative aux adjonctions
postérieures des évangélistes, certains ont affirmé que les pécheurs étaient
“les transgresseurs délibérés et impénitents de la loi » (1), autrement dit,
les délinquants et les hors-la-loi de l’époque.
S’il en avait été ainsi, les adversaires de Jésus auraient effectivement eu
raison de se scandaliser et de le juger comme un homme irresponsable et
socialement dangereux. C’est comme si aujourd’hui un prêtre se mettait à
fréquenter des mafieux, des truands et des criminels, et acceptait leurs
invitations à dîner, sous prétexte de leur parler de Dieu.
En réalité, les choses sont différentes. Les pharisiens avaient leur propre
vision de la loi, de ce qui était conforme ou non à cette loi, et
réprouvaient tous ceux qui ne s’y conformaient pas. Jésus ne nie pas
l’existence du péché et celle des pécheurs ; il ne justifie pas les fraudes
de Zachée ou l’adultère de la femme. Le fait de les appeler « malades » le
montre bien.
Ce que Jésus condamne c’est le fait d’établir soi-même que telle justice est
la vraie justice et de considérer tous les autres comme des « voleurs, des
personnes injustes et adultères », au point d’ailleurs de leur nier la
possibilité de changer. La façon dont Luc introduit la parabole du pharisien
et du publicain est significative : « Jésus dit une parabole pour certains
hommes qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient tous les
autres » (Lc 18, 9). Jésus était plus sévère avec ceux qui méprisaient ou
condamnaient les pécheurs, qu’avec les pécheurs eux-mêmes (2).
2. Un Dieu qui se complait à répandre sa
miséricorde
Pour justifier sa conduite envers les pécheurs, Jésus affirme que son Père
céleste agit ainsi. A ses adversaires, il rappelle la parole de Dieu dans
les prophètes : « C’est la miséricorde que je veux et non pas le sacrifice »
(Mt 9,13). Faire preuve de miséricorde envers le peuple infidèle, la hesed,
est l’un des traits saillants du Dieu de l’alliance, et est présent du début
jusqu’à la fin de la Bible. Un psaume, pour expliquer les événements de
l’histoire d’Israël, répète, telle une litanie : « Car éternel est son amour
» (Ps 136).
Etre miséricordieux apparaît ici comme un aspect essentiel du fait d’être «
à l’image et à la ressemblance de Dieu ». « Montrez-vous compatissants,
comme votre Père est compatissant » (Lc 6, 36) est une paraphrase du célèbre
: « Soyez saints car moi, le Seigneur, votre Dieu, je suis saint » (Lv 19,
2).
Mais la chose la plus surprenante, concernant la miséricorde de Dieu, est
qu’il éprouve de la joie à en avoir. Jésus conclut la parabole de la brebis
perdue en disant : « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul
pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n’ont pas
besoin de repentir » (Lc 15, 7). La femme qui a retrouvé la drachme perdue
crie à ses amies : « Réjouissez-vous avec moi ». Dans la parabole de
l’enfant prodigue, la joie explose et se transforme en fête, en banquet.
Ce thème n’est pas un thème isolé. Il est profondément enraciné dans la
Bible. Dans Ezéchiel Dieu dit : « Je ne prends pas plaisir à la mort du
méchant, mais (je prends plaisir !) à la conversion du méchant qui change de
conduite pour avoir la vie » (Ez 33, 11). Michée dit que Dieu « prend
plaisir à faire grâce » (Mi 7, 18), qu’il éprouve donc du plaisir à le
faire.
Mais on se demande alors pourquoi une brebis devrait compter à elle seule
plus que toutes les autres brebis réunies, et qui plus est, une brebis qui
s’est échappée et qui est celle qui a créé le plus de problèmes ? J’ai
trouvé une explication convaincante chez le poète Charles Péguy. En
s’égarant, cette brebis, tout comme le fils cadet, a fait trembler le cœur
de Dieu. Dieu a eu peur de la perdre pour toujours, d’être obligé de la
condamner et de devoir s’en priver à jamais. Cette peur a fait naître
l’espérance en Dieu, et cette espérance, une fois réalisée, s’est
transformée en joie et en fête. Tout acte de pénitence de l’homme est le
couronnement d’une espérance de Dieu (3). Ce langage est un langage imagé,
comme celui de Dieu, mais il renferme une vérité.
Pour nous les hommes, la condition qui rend possible l’espérance est le fait
que nous ne connaissons pas l’avenir et que nous pouvons donc espérer ; pour
Dieu, qui connaît l’avenir, la condition est qu’il ne veut pas (et, en un
certain sens, ne le peut pas) réaliser ce qu’il veut sans notre
consentement. La liberté de l’homme explique l’existence de l’espérance en
Dieu.
Que dire alors des quatre-vingt-dix-neuf brebis raisonnables et du fils aîné
? Qu’il n’y a aucune joie au ciel pour eux ? Vaut-il la peine de vivre toute
sa vie en bons chrétiens ? Rappelons ce que le père répond à son fils aîné :
« Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à
toi » (Lc 15, 31). L’erreur du fils aîné est de considérer que le fait
d’être toujours resté chez lui et d’avoir tout partagé avec son père, n’est
pas un immense privilège, mais un mérite ; son attitude est plus celle d’un
mercenaire que celle d’un fils. (Ceci devrait être un avertissement pour
nous tous qui, dans notre manière de vivre nous trouvons dans la même
position que le fils aîné !)
Sur ce point la réalité a été meilleure que la parabole. Dans la réalité, le
fils aîné – Fils aîné du Père, le Verbe – n’est pas resté dans la maison
paternelle ; il est parti dans « une région lointaine » à la recherche du
fils cadet, autrement dit à la recherche de l’humanité déchue ; c’est lui
qui l’a reconduit chez lui, qui lui a procuré des vêtements neufs et dressé
un banquet pour lui, auquel il peut s’asseoir à chaque Eucharistie.
Dans l’un de ses romans, Dostoïevsky décrit une scène qui a tout l’air d’une
scène observée dans la réalité. Une femme du peuple tient dans ses bras son
enfant de quelques semaines, lorsque celui-ci – pour la première fois, selon
elle – lui sourit. Le cœur contrit, elle fait le signe de croix et répond à
qui lui demande la raison de ce geste : Voilà, comme une mère devant le
premier sourire de son enfant, Dieu se réjouit chaque fois qu’un pécheur se
met à genoux et lui adresse une prière du fond du cœur (4).
3. Notre miséricorde, cause ou effet de la
miséricorde de Dieu ?
Jésus dit : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde »
et dans le « Notre Père » il nous fait prier ainsi : « Pardonne-nous nos
offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Il dit
également : « Si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne
vous remettra pas vos manquements » (Mt 6, 15). Ces phrases pourraient
laisser penser que la miséricorde de Dieu envers nous est un effet de notre
miséricorde envers les autres et qu’elle est proportionnée à cette dernière.
Mais s’il en était ainsi le rapport entre la grâce et les bonnes œuvres
serait complètement renversé et le caractère de pure gratuité de la
miséricorde divine proclamé de manière solennelle par Dieu devant Moïse,
serait détruit : « Je fais grâce à qui je fais grâce et j'ai pitié de qui
j'ai pitié » (Ex 33, 19).
La parabole des deux serviteurs (Mt 18, 23 ss.) est la clé pour interpréter
correctement ce rapport. On voit dans cette parabole que c’est le patron
qui, le premier, sans condition, remet une dette immense au serviteur (dix
mille talents !) et c’est précisément sa générosité qui aurait dû inciter le
serviteur à avoir pitié de celui qui lui devait la modique somme de cent
deniers.
Nous devons par conséquent faire preuve de miséricorde parce que nous avons
reçu de la miséricorde, et non pour recevoir de la miséricorde ; nous devons
toutefois faire preuve de miséricorde car autrement la miséricorde de Dieu
n’aura aucun effet pour nous et elle nous sera enlevée, de même que le
patron de la parabole la retira au serviteur impitoyable. La grâce «
prévient » toujours et c’est elle qui crée le devoir : « Le Seigneur vous a
pardonné, faites de même à votre tour », écrit saint Paul aux Colossiens
(Col 3, 13).
Si, dans la béatitude, la miséricorde de Dieu envers nous semble être
l’effet de notre miséricorde envers nos frères, c’est parce que Jésus se
place ici dans la perspective du jugement dernier (« ils obtiendront
miséricorde », au futur !). « Car le jugement est sans miséricorde pour qui
n'a pas fait miséricorde ; mais la miséricorde se rit du jugement » (Jc 2,
13).
4. Faire l’expérience de la miséricorde de Dieu
Si la miséricorde de Dieu est à l’origine de tout, et si c’est elle qui rend
possible la miséricorde des uns envers les autres, le plus important pour
nous est alors de faire une expérience renouvelée de la miséricorde de Dieu.
Pâques approche et il s’agit de l’expérience pascale par excellence.
L’écrivain Franz Kafka a écrit un roman intitulé Le procès. Il raconte
l’histoire d’un homme qui, un jour, sans que personne ne sache pourquoi, est
déclaré en état d’arrestation, alors qu’il ne faisait que poursuivre sa vie
normale et son travail de modeste employé. Il se lance dans une recherche
exténuante pour en découvrir les raisons, le tribunal, les accusations, la
procédure. Mais personne ne réussit à lui donner d’explication. Une seule
chose est sûre : il y a véritablement un procès en cours contre lui.
Jusqu’au jour où l’on viendra le chercher pour l’exécution de la sentence.
Au cours de l’affaire, on apprend qu’il y aurait pour cet homme trois
possibilités : l’absolution réelle, l’absolution apparente et le renvoi.
L’absolution apparente et le renvoi ne résoudraient rien cependant ; ils ne
serviraient qu’à maintenir l’accusé dans un état d’incertitude mortelle,
toute sa vie. Dans l’absolution réelle en revanche « les actes du procès
doivent être complètement éliminés, ils disparaissent totalement de la
procédure ; non seulement l’accusation, mais également le procès et même la
sentence sont détruits, tout est détruit ».
Mais l’on ne sait pas si ces absolutions réelles, tant désirées, ont un jour
existé ; on en a seulement entendu parler, elles ne sont que « de très
belles légendes ». L’œuvre se termine ainsi, comme toutes celles de l’auteur
: quelque chose que l’on entrevoit de loin, que l’on poursuit hors d’haleine
dans un cauchemar nocturne mais sans jamais réussir à l’atteindre (5).
A Pâques, la liturgie de l’Eglise nous transmet l’incroyable nouvelle que
l’absolution réelle existe pour l’homme ; qu’elle n’est pas seulement une
légende, une chose très belle mais impossible à atteindre. Jésus a détruit «
la cédule de notre dette, qui nous était contraire ; il l'a supprimée en la
clouant à la croix » (Col 2, 14). Il a tout détruit. « Il n'y a donc plus
maintenant de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus » crie
saint Paul (Rm 8, 1). Aucune condamnation ! D’aucune sorte ! Pour ceux qui
croient en Jésus Christ !
A Jérusalem, il y avait une piscine miraculeuse et le premier à y entrer,
après que l'eau avait été agitée, se trouvait guéri (cf. Jn 5, 2 ss.). La
réalité cependant, même ici, est infiniment plus grande que le symbole. De
la croix du Christ a jailli une source d’eau et de sang et tous ceux qui y
entrent – pas une personne seulement – sortent guéris.
Après le baptême, cette piscine miraculeuse est le sacrement de la
réconciliation et cette dernière méditation voudrait servir précisément de
préparation à une bonne confession pascale. Une confession « hors série »,
c’est-à-dire différente des autres, dans laquelle nous permettons vraiment
au Paraclet de « nous convaincre de péché ». Nous pourrons prendre comme
miroir les béatitudes méditées au cours du Carême, en commençant dès
maintenant et en répétant ensemble l’expression si ancienne et si belle :
Kyrie eleison, Seigneur, prends pitié !
« Heureux les cœurs purs » : Seigneur, je reconnais toute l’impureté et
l’hypocrisie qu’il y a dans mon cœur ; peut-être la double vie que je mène
devant toi et devant les autres. Kyrie eleison !
« Heureux les doux » : Seigneur, je te demande pardon pour l’impatience et
la violence cachées en moi, pour les jugements avancés, la souffrance
provoquée chez les personnes qui m’entourent… Kyrie eleison
« Heureux les affamés » : Seigneur, pardonne mon indifférence envers les
pauvres et les affamés, ma recherche permanente de confort, mon style de vie
bourgeois… Kyrie eleison
« Heureux les miséricordieux » : Seigneur, j’ai souvent demandé et reçu ta
miséricorde à la légère, sans me rendre compte à quel prix tu me l’as
procurée ! J’ai souvent été le serviteur pardonné qui ne sait pas pardonner
: Kyrie eleison, Seigneur prends pitié !
Il y a une grâce particulière lorsque toute la communauté et pas seulement
la personne se place devant Dieu dans cette attitude pénitentielle. On sort
renouvelé et plein d’espérance d’une expérience profonde de la miséricorde
de Dieu : « Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour
dont Il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes,
nous a fait revivre avec le Christ » (Ep 2, 4-5).
5. Une Eglise « riche en miséricorde »
Dans son message pour le Carême de cette année, le Saint-Père écrit : « Que
le Carême soit pour tout chrétien une expérience renouvelée de l’amour de
Dieu qui nous a été donné dans le Christ, amour que nous devons chaque jour,
à notre tour, redonner à notre prochain ». Ceci s’applique à la miséricorde,
la forme que prend l’amour de Dieu envers l’homme pécheur : après en avoir
fait l’expérience nous devons, à notre tour en témoigner à nos frères, aussi
bien au niveau de la communauté ecclésiale qu’au niveau personnel.
Prêchant les exercices spirituels à la Curie romaine, de cette même table,au
cours du Jubilé de l’an 2000, le cardinal François Xavier Van Thuan, faisant
allusion au rite de l’ouverture de la Porte sainte, déclara dans une
méditation : « Je rêve d’une Eglise qui soit une ‘Porte sainte’, ouverte,
qui accueille toute personne, remplie de compassion et de compréhension pour
les peines et les souffrances de l’humanité, entièrement portée à la
consoler » (6).
L’Eglise du Dieu « riche en miséricorde » dives in misericordia ne peut pas
elle-même ne pas être dives in misericordia. Nous déduisons quelques
critères, de l’attitude du Christ envers les pécheurs, examinée ci-dessus.
Il ne banalise pas le péché mais trouve le moyen de ne jamais perdre
l’affection les pécheurs, mais au contraire de les attirer à lui. Il ne voit
pas seulement en eux ce qu’ils sont, mais ce qu’ils peuvent devenir s’ils
sont touchés par la miséricorde divine au plus profond de leur misère et de
leur désespoir. Il n’attend pas qu’ils viennent à lui. C’est souvent lui qui
va les chercher.
Aujourd’hui les exégètes sont relativement d’accord pour admettre que Jésus
n’avait pas une attitude hostile envers la loi mosaïque qu’il observait
lui-même scrupuleusement. Ce qui l’opposait à l’élite religieuse de son
époque était une certaine rigidité, parfois inhumaine dans leur manière
d’interpréter la loi. « Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme
pour le sabbat » (Mc 2, 27), et ce qu’il dit du repos sabbatique, l’une des
lois les plus sacrées en Israël, vaut pour toute autre loi.
Jésus est ferme et rigoureux sur les principes, mais il sait quand un
principe doit céder le pas à un principe supérieur qui est celui de la
miséricorde de Dieu et du salut de l’homme. La manière dont ces critères
tirés de l’action du Christ peuvent être appliqués concrètement aux
problèmes nouveaux qui se posent dans la société, dépend de la recherche
patiente et en définitive du discernement du magistère. Dans la vie de l’Eglise
aussi, comme dans celle de Jésus, doivent resplendir ensemble la miséricorde
des mains et celle du cœur, aussi bien les œuvres de miséricorde que les «
entrailles de miséricorde ».
6. « Revêtez-vous de sentiments de miséricorde »
Le dernier mot à propos de chaque béatitude doit toujours être celui qui
nous touche personnellement et qui incite chacun de nous à la conversion et
à la pratique. Saint Paul exhortait les Colossiens avec ces paroles venues
du coeur :
« Vous donc, les élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez des
sentiments [mot à mot : des entrailles] de tendre compassion, de
bienveillance, d'humilité, de douceur, de patience ; supportez-vous les uns
les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l'un a contre l'autre quelque
sujet de plainte ; le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour
» (Col 3, 12-13).
« Nous les êtres humains, disait saint Augustin, sommes comme des vases
d’argile qui se font du mal rien qu’en s’effleurant » ( lutea vasa quae
faciunt invicem angustias) (7). Il est impossible de vivre ensemble en
harmonie, en famille et dans tout autre type de communauté, sans la pratique
du pardon et de la miséricorde réciproque. Le mot « miséricorde » est
composé de misereo et cor ; cela signifie s’apitoyer en son cœur,
s’émouvoir, face à la souffrance et l’erreur de son frère. C’est ainsi que
Dieu explique sa miséricorde face au fourvoiement de son peuple : « Mon cœur
en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent » (Os 11, 8).
Il s’agit de réagir en pardonnant, et dans la mesure où cela est possible,
en excusant et non en condamnant. Lorsqu’il s’agit de nous-mêmes, nous
faisons valoir le dicton suivant : « Celui qui s’excuse, Dieu l’accuse ;
celui qui s’accuse, Dieu l’excuse » ; lorsqu’il s’agit des autres, c’est le
contraire : « Celui qui excuse son frère, Dieu l’excuse ; Celui qui accuse
son frère, Dieu l’accuse ».
Le pardon est pour une communauté ce qu’est l’huile pour un moteur. Si l’on
part avec sa voiture sans une goutte d’huile dans le moteur, au bout de
quelques kilomètres, tout s’enflamme. Comme l’huile, le pardon réduit les
frottements. Il y a un psaume qui chante la joie de vivre ensemble comme des
frères réconciliés ; il dit que « c'est une huile excellente sur la tête,
qui descend sur la barbe, qui descend sur la barbe d'Aaron, sur le col de
ses tuniques » (cf. Ps 133).
Notre Aaron, notre Grand prêtre, auraient dit les Pères de l’Eglise, est le
Christ ; la miséricorde et le pardon est l’huile qui descend de cette « tête
» élevée sur la croix et qui se diffuse le long du corps de l’Eglise jusqu’à
l’extrémité de ses vêtements, jusqu’à ceux qui vivent en marge de l’Eglise.
Là où l’on vit ainsi, dans le pardon et la miséricorde réciproque, le
Seigneur « a voulu la bénédiction, la vie à jamais ».
Essayons de déterminer, parmi nos relations avec les personnes, celles dans
lesquelles il nous semble nécessaire de faire pénétrer l’huile de la
miséricorde et de la réconciliation et versons la en silence, abondamment, à
Pâques. Unissons-nous à nos frères orthodoxes qui à Pâques ne se lassent pas
de chanter :
« C’est le jour de la Résurrection !
Répandons la joie pour la fête,
Embrassons-nous tous.
Appelons frère même celui qui nous hait,
Pardonnons tout par amour de la Résurrection » (8).
Vendredi 9 mars 2007:
1ère prédication de Carême
Vendredi 16 mars
2007:
2ème prédication de Carême
Vendredi 23 mars 2007:
3ème prédication de Carême
Tous les textes du
temps de Carême ►
Table Carême
Sources: ZF-
www.vatican.va
-
E.S.M.
© Copyright 2007 du texte original - Libreria Editrice Vatican
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 30.03.2007 - BENOÎT XVI -T. Carême |