Le prédicateur de Benoît XVI :
"Le plus grand péché contre les pauvres est
l'indifférence" |
 |
ROME, le 23 mars 2007 -
(E.S.M.) - A 9H, ce matin dans la chapelle Redemptoris Mater, en
présence du pape Benoît XVI et de la Curie romaine, le prédicateur de la
Maison Pontificale, le P. Raniero Cantalamessa, O.F.M., a tenu la
troisième prédication de Carême: "Heureux vous qui avez faim
maintenant, vous serez
rassasiés."
|
Le pape Benoît XVI et le père
Cantalamessa - Pour agrandir la photo:
Cliquez
Le prédicateur de Benoît XVI : "Heureux vous qui avez faim maintenant, vous
serez rassasiés"
Troisième prédication de Carême - Synthèse, texte intégral en
2ème partie
A 9h00 ce matin, dans la Chapelle Redemptoris Mater, en
présence du Saint Père Benoît XVI, le Prédicateur de la Maison Pontificale, P.
Raniero Cantalamessa, O.F.M. cap, a tenu la troisième prédication de Carême.
"Heureux vous qui avez faim maintenant, vous
serez rassasiés."
C'est une alerte
devant le péché de l'indifférence envers les pauvres et un appel à réduire
l'abîme scandaleux qui les sépare de ceux qui sont rassasiés a lancé ce
vendredi le prédicateur de la Maison Pontificale devant le Pape Benoît XVI
et ses collaborateurs de la Curie. Comme écrivait Jean Paul II dans l'encyclique "Sollicitudo rei socialis" -"
cela signifierait ressembler au riche qui feignait ne pas connaître le
mendiant Lazare, prostré devant sa porte".
Le père Cantalamessa a rappelé l'exemple, à ce sujet, qu'a donné Benoît XVI
avec son "appel"
de janvier dernier au corps diplomatique accrédité au Saint Siège : "le
scandale de la faim - a dit à cette occasion le Saint Père, qui tend à s'aggraver, est inacceptable dans
un monde qui dispose de biens, de connaissances et de moyens pour le
corriger".
Le thème de la méditation quadragésimale est la suivante: "Bienheureux
les pauvres de coeur car ils verront Dieu" - les Béatitudes
évangéliques.
Texte intégral de la 3ème prédication de Carême:
1. Histoire et Esprit
La recherche sur le Jésus historique, très à la mode aujourd’hui – qu’elle
soit faite par un expert, croyant ou radicalement incroyant – cache un grave
danger : celui de faire croire que tout ce qui, par cette nouvelle voie,
sera dit sur le Jésus terrestre est « authentique », et que tout le reste,
parce que non historique, sera jugé non « authentique ». Ceci signifierait
limiter à l’histoire seulement les moyens dont Dieu dispose pour se révéler.
Ce serait abandonner tacitement la vérité de foi d’inspiration biblique et
donc le caractère révélé des Ecritures.
Il semble que cette exigence de ne pas limiter la recherche sur le Nouveau
Testament à l’histoire, commence à faire son chemin parmi les experts de la
bible. En 2005, a eu lieu à Rome, à l’Institut biblique, une consultation «
Critique canonique et interprétation théologique » (« Canon Criticism and
Theological Interpretation »), à laquelle ont participé d’éminents experts
du Nouveau Testament. Cette rencontre avait pour but de promouvoir le
développement d’une recherche biblique qui tienne compte de la dimension
canonique des Ecritures, en intégrant la recherche historique et la
dimension théologique.
Nous en déduisons que la « parole de Dieu », et donc la norme pour le
croyant, n’est pas cet hypothétique « noyau originel » que les historiens
ont voulu, de mille façons, reconstruire, mais ce qui est écrit dans les
évangiles. Il est important que nous tenions compte du résultat des
recherches historiques, car il permet de comprendre l’évolution postérieure
de la tradition, mais nous continuerons à prononcer l’exclamation « Parole
de Dieu ! » à la fin de la lecture du texte évangélique, et non à la fin de
la lecture du dernier livre sur le Jésus historique.
Ces observations nous sont particulièrement utiles quand il s’agit de faire
usage des béatitudes évangéliques. On sait que les béatitudes nous sont
parvenues en deux versions. Mathieu a huit béatitudes, Luc n’en a que
quatre, suivies de quatre « avertissements » contraires ; chez Matthieu le
discours est indirect : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre », «
Heureux les affamés » ; chez Luc le discours est direct : « Heureux vous les
pauvres », « Heureux vous qui avez faim » ; Luc parle de « pauvres » et d’ «
affamés », Matthieu de ceux qui ont une « âme » de pauvres et des affamés «
de la justice ».
Après tout le travail critique qui a été fait pour distinguer ce qui, dans
les béatitudes, remonte au Jésus historique et ce qui relève de Matthieu et
de Luc (1), le devoir du croyant, aujourd’hui, n’est pas de décider que
l’une des versions est authentique et de laisser tomber l’autre. Il s’agit
plutôt de puiser le message qui est contenu dans chacune des versions
évangéliques et – selon le cas et les nécessités actuelles – de mettre, tour
à tour, en exergue les perspectives qui se dégagent de l’une ou de l’autre,
comme le firent les deux évangélistes en leur temps.
2. Qui sont les affamés et qui sont les rassasiés
Tout en suivant ce principe, réfléchissons aujourd’hui sur la béatitude des
affamés, en partant de la version de Luc : « Heureux, vous qui avez faim
maintenant, car vous serez rassasiés ». Nous verrons, dans un deuxième
temps, que la version de Matthieu sur la « faim de justice » ne s’oppose pas
à celle de Luc. Elle la confirme et la renforce.
Les affamés de la béatitude de Luc n’appartiennent pas à une catégorie
différente de celle des pauvres mentionnés dans la première béatitude. Il
s’agit des mêmes pauvres considérés dans l’aspect le plus dramatique de leur
condition, le manque de nourriture.
Parallèlement, les « rassasiés » sont les riches qui, dans leur prospérité,
peuvent non seulement satisfaire leurs besoins, mais également leur
voluptueuse envie de manger. Jésus lui-même a eu le souci d’expliquer qui
sont les rassasiés et qui sont les affamés. Il l’a fait avec la parabole du
mauvais riche et du pauvre Lazare (Lc 16, 19-31), où sont considérés
pauvreté et richesse sous l’angle du manque ou de la surabondance de
nourriture : le riche « faisait chaque jour brillante chère » ; le pauvre
aurait bien voulu, mais en vain, « se rassasier de ce qui tombait de la
table du riche ».
Mais cette parabole ne dit pas seulement qui sont les affamés et qui sont
les rassasiés, elle explique surtout pourquoi les premiers sont proclamés
bienheureux et les seconds malheureux. « Or il advint que le pauvre mourut
et fut emporté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche aussi mourut,
et on l'ensevelit… dans l'Hadès, en proie à des tortures ». La fin révèle où
conduisent les deux voies : la voie étroite de la pauvreté et la voie large
et spacieuse de l’insouciance.
La richesse et le rassasiement tendent à limiter l’homme aux seuls horizons
terrestres car « où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » (Lc 12, 34)
; ils alourdissent son cœur dans la débauche et l’ivrognerie, étouffant en
lui le germe de la parole (cf. Lc 21,34) ; lui font oublier que la nuit
suivante il pourrait avoir des comptes à rendre sur sa vie (Lc 16,19-31).
Ils font, qu’entrer dans le royaume est « plus difficile qu’à un chameau de
passer par un trou d’aiguille » (Lc 18,25).
Le mauvais riche et tous les autres riches de l’Evangile ne sont pas
condamnés pour le simple fait d’être riches mais pour l’utilisation qu’ils
font ou ne font pas de la richesse. Dans la parabole du mauvais riche Jésus
fait comprendre qu’il existait, pour le riche, une issue, celle de rappeler
Lazare à sa porte et de partager avec lui son copieux repas.
En d’autres termes, le remède consiste à se faire « des amis avec le
malhonnête argent » (Lc 16, 9) ; on loue l’intendant infidèle pour avoir agi
de façon avisée, même s’il le fait dans un cadre malhonnête (Lc 16, 1-8). Or
la satiété engourdit l’esprit et rend extrêmement difficile l’accès à cette
voie ; l’histoire de Zachée montre comment cela est possible, mais ô combien
rare, ceci expliquant alors l’avertissement « malheur à vous » qui est
adressé aux riches et aux rassasiés ; un « malheur à vous » qui est bien
plus un « attention à vous », qu’un « soyez maudits ! ».
3. Il a comblé de biens les affamés
De ce point de vue, le meilleur commentaire à la béatitude des pauvres et
des affamés se trouve dans le Magnificat, quand Marie dit :
« Il a déployé la force de son bras,
Il a dispersé les hommes au cœur superbe;
Il a renversé les potentats de leurs trônes,
et élevé les humbles ;
Il a comblé de biens les affamés,
et renvoyé les riches les mains vides » (Lc 1, 51-53)
Avec une série de puissants verbes à l’aoriste, Marie décrit un
renversement, un changement radical de situation entre les hommes : « Il a
renversé – il a élevé ; il a comblé – il a renvoyé les mains vides ».
Quelque chose qui a déjà eu lieu, ou qui a lieu habituellement sous l’action
de Dieu. Si l’on considère l’histoire, rien ne dit qu’une révolution sociale
a eu lieu, et que les riches se sont soudain appauvris et que les affamés
ont pu manger à leur faim. Si l’on s’attendait donc à un bouleversement
social et visible, l’histoire le dément totalement.
Il y a eu un renversement, mais dans la foi ! Le royaume de Dieu s’est
manifesté et cette chose a provoqué une révolution silencieuse mais
radicale. Le riche apparaît sous les traits d’un homme qui a mis de côté une
importante somme d’argent, mais dans la nuit, à la suite d’un coup d’Etat,
cet argent a subi une dévaluation de 100% et le riche, à son réveil,
s’aperçoit qu’il est devenu pauvre et miséreux. Les pauvres et les affamés,
eux, partent au contraire avantagés, car ils sont mieux préparés à
accueillir la nouvelle réalité ; ils ne craignent pas le changement ; leur
cœur est prêt.
Saint Jacques, s’adressant aux riches, a affirmé : « Pleurez, hurlez sur les
malheurs qui vont vous arriver. Votre richesse est pourrie » (Jc 5, 1-2).
Ici aussi, rien n’indique qu’au temps de Jacques les biens des riches
pourrissaient au fond des greniers. L’apôtre veut dire par là qu’il s’est
passé quelque chose qui a fait perdre toute valeur réelle à ces richesses ;
qu’une nouvelle richesse s’est révélée. « Dieu – écrit encore saint Jacques
– a choisi les pauvres selon le monde comme riches dans la foi et héritiers
du Royaume » (Jc 2, 5).
Plus qu’ « une incitation à renverser les puissants de leurs trônes pour
élever les humbles », comme on trouve parfois écrit, le Magnificat est un
avertissement salutaire adressé aux riches et aux puissants face au terrible
danger qu’ils courent, exactement comme le « malheur à toi » de Jésus et la
parabole du mauvais riche.
4. Une parabole actuelle
Une réflexion sur la béatitude des affamés et des rassasiés ne peut se
limiter à en expliquer la signification exégétique ; elle doit nous aider à
lire ce qui se passe autour de nous avec le regard de l’Evangile et à agir
dans le sens indiqué par la béatitude.
La parabole du riche et du pauvre Lazare se répète aujourd’hui, au milieu de
nous, à l’échelle mondiale. Les deux personnages représentent même les deux
hémisphères : le riche représente l’hémisphère nord (Europe occidentale,
Amérique, Japon) ; le pauvre Lazare est, à quelques exceptions près,
l’hémisphère sud. Deux personnages, deux mondes : le premier monde et le «
tiers monde ». Deux mondes de grandeur inégale : celui que nous appelons «
tiers monde » représente en réalité les « deux tiers du monde ». (On temps
de plus en plus à parler précisément du deux-tiers monde et non plus du
tiers-monde).
Quelqu’un a un jour comparé la terre à un engin spatial en vol dans
l’espace, dans lequel l’un des trois cosmonautes à bord consomme 85% des
ressources présentes et cherche à s’accaparer également des 15% restants. Le
gaspillage est commun dans les pays riches. Il y a quelques années le
ministère de l’agriculture américain a calculé que sur 161 milliards de
kilogrammes de produits alimentaires fabriqués, 43 milliards, soit près d’un
quart, sont jetés à la poubelle. On pourrait facilement, si l’on voulait,
récupérer environ deux milliards de kilogrammes de cette nourriture jetée,
une quantité suffisante pour nourrir quatre millions de personnes pendant
une année.
Le plus grand péché contre les pauvres et les affamés est peut-être
l’indifférence, faire semblant de ne pas voir, « passer outre » (cf. Lc 10,
31), passer outre, changer de trottoir. Ignorer les immenses multitudes
d’affamés, de mendiants, de sans-abri, sans assistance médicale et surtout
sans espérance d’un avenir meilleur – écrivait Jean-Paul II dans
l’encyclique Sollicitudo rei socialis «
reviendrait à s'identifier au ‘riche bon vivant’ qui feignait de ne pas
connaître Lazare le mendiant qui gisait près de son portail » (2).
Nous avons tendance à mettre un double vitrage entre les pauvres et nous.
L’effet du double vitrage, aujourd’hui si largement utilisé, est d’empêcher
le passage du froid et des bruits, de tout affaiblir, amortir, feutrer. Et
effectivement, nous voyons les pauvres bouger, s’agiter, hurler derrière les
écrans de télévision, sur les pages des journaux ou des revues
missionnaires, mais leur cri nous parvient comme de très loin. Il ne touche
pas notre cœur, ou ne le touche qu’un bref instant.
La première chose à faire, vis-à-vis des pauvres, est donc de rompre le «
double vitrage », de surmonter l’indifférence, l’insensibilité, de laisser
tomber ses propres défenses et de se laisser envahir par une saine
inquiétude devant la misère épouvantable qui existe dans le monde. Nous
sommes appelés à partager le soupir du Christ : « J'ai pitié de la foule,
car voilà déjà trois jours qu'ils restent auprès de moi et ils n'ont pas de
quoi manger » : misereor super turba (cf. Mc 8, 2). Lorsqu’on a l’occasion
de voir de ses propres yeux ce que sont la misère et la faim, en visitant
des villages ou les banlieues de grandes villes dans certains pays d’Afrique
(je l’ai fait il y a quelques mois au Rwanda), la compassion monte à la
gorge et laisse sans voix.
La tâche non résolue, la plus urgente et la plus lourde avec laquelle
l’humanité est entrée dans le nouveau millénaire est celle d’éliminer ou de
réduire l’abîme injuste et scandaleux qui existe entre les rassasiés et les
affamés dans le monde. Une tâche dans laquelle les religions surtout
devraient se distinguer et œuvrer, unies, au-delà de toute rivalité. Une
entreprise aussi gigantesque ne peut être promue par aucun chef ou pouvoir
politique, conditionnés comme ils le sont par les intérêts de leur nation et
souvent par des pouvoirs économiques puissants. Le Saint-Père Benoît XVI en
a donné un exemple à travers le vigoureux rappel adressé en janvier dernier
au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, comme il l’avait
d’ailleurs fait également l’année précédente à la même occasion :
« Parmi les questions essentielles, comment ne pas penser aux millions de
personnes, spécialement aux femmes et aux enfants, qui manquent d’eau, de
nourriture, de toit ? Le scandale de la faim, qui tend à s’aggraver, est
inacceptable dans un monde qui dispose des biens, des connaissances et des
moyens d’y mettre un terme ». (3)
5. « Heureux les affamés… de la justice »
Je disais au début que les deux versions des béatitudes des affamés, celle
de Luc et celle de Matthieu, ne se présentent pas comme deux alternatives
mais s’intègrent l’une dans l’autre. Matthieu ne parle pas de faim
matérielle mais de faim et soif « de justice ». Il existe deux
interprétations fondamentales de ces paroles.
L’une d’entre elles, dans la ligne de la théologie luthérienne, interprète
la béatitude de Matthieu à la lumière de ce que dira plus tard saint Paul
sur la justification par la foi. Avoir faim et soif de justice signifie
prendre conscience de son propre besoin de justice et de son incapacité à
l’obtenir seul par les œuvres, et donc de l’attendre humblement de Dieu.
L’autre interprétation voit dans la justice non celle que Dieu lui-même
réalise ou celle qu’il accorde, mais celle qu’il attend de l’homme (4), en
d’autres termes, les œuvres de justice.
A la lumière de cette interprétation, de loin la plus commune et la plus
fondée sur le plan exégétique, la faim matérielle de Luc et la faim
spirituelle de Matthieu ne sont plus sans rapport l’une avec l’autre. Se
mettre du côté des affamés et des pauvres fait partie des œuvres de justice
et sera même, selon Matthieu, le critère en fonction duquel se fera, à la
fin, la séparation entre les justes et les exclus (cf. Mt 25).
Toute la justice que Dieu attend de l’homme se résume dans le double
précepte de l’amour de Dieu et du prochain (cf. Mt 22, 40). C’est par
conséquent l’amour du prochain qui doit pousser les affamés de justice à se
préoccuper des affamés de pain. Il s’agit du grand principe à travers lequel
l’Evangile agit sur le plan social. La théologie libérale avait vu juste sur
ce point.
« En aucun point de l’Evangile, écrit l’un de ses plus illustres
représentants, Adolph von Harnack, nous constatons que cela nous enseigne à
rester indifférents à nos frères. L’indifférence évangélique (le fait de ne
pas se préoccuper de la nourriture, du vêtement, du lendemain) exprime
plutôt ce que toute âme doit ressentir face au monde, à ses propres biens et
à ses illusions. Lorsqu’il s’agit en revanche du prochain, l’Evangile ne
veut même pas entendre parler d’indifférence, mais il impose l’amour et la
pitié. L’Evangile considère par ailleurs les besoins spirituels et temporels
de nos frères comme absolument inséparables » (5).
L’Evangile n’encourage pas les affamés à se faire justice seuls, à se
soulever, également parce qu’à l’époque de Jésus – contrairement à
aujourd’hui – ceux-ci n’avaient aucun instrument, pas plus théorique que
pratique, pour le faire ; il ne leur demande pas le sacrifice inutile
d’aller se faire tuer derrière quelque agitateur zélote, ou quelque
Spartacus du coin. Jésus agit sur la partie forte et non sur la partie
faible ; il affronte, lui, la colère et le sarcasme des riches avec ses «
malheur à » (cf. Lc 16, 14), il ne laisse pas les victimes le faire.
Chercher à tout prix, dans l’Evangile, des modèles ou des invitations
explicites aux pauvres et aux affamés à se prendre en main pour changer,
seuls, leur situation, est vain et anachronique, et fait perdre de vue la
vraie contribution que cela peut apporter à leur cause. Rudolph Bultmann a
raison à ce propos, lorsqu’il écrit que « le christianisme ignore tout
programme de transformation du monde et n’a pas de proposition à présenter
pour la réforme des conditions politiques et sociales », (6) même si son
affirmation aurait besoin de quelques nuances.
Les béatitudes ne constituent pas le seul moyen d’affronter le problème de
la richesse et de la pauvreté, de la faim et de la satiété ; il en existe
d’autres, rendus possibles par le progrès de la conscience sociale, que les
chrétiens soutiennent, à juste titre, et auxquels l’Eglise apporte son
discernement avec sa doctrine sociale.
Le grand message des béatitudes est que, indépendamment de ce que feront ou
ne feront pas pour eux, les riches et les rassasiés, la situation des
pauvres et des affamés pour la justice, telle qu’elle est actuellement, est
encore préférable à celle des premiers.
Il y a des niveaux et des aspects de la réalité que l’on ne perçoit pas à
l’œil nu, mais seulement à l’aide d’une lumière spéciale, aux rayons
infrarouges ou ultraviolets. Celle-ci est largement utilisée dans la
photographie depuis les satellites. L’image obtenue avec cette lumière est
très différente et surprenante pour une personne habituée à voir ce même
panorama à la lumière naturelle. Les béatitudes sont une sorte de rayons
infrarouges : elles nous donnent une image différente de la réalité, la
seule vraie image car elle montre ce qui restera à la fin, lorsque « le
modèle de ce monde » sera passé.
6. Eucharistie et partage
Jésus nous a laissé une antithèse parfaite du banquet de l’homme riche, l’Eucharistie.
Il s’agit de la célébration quotidienne du grand banquet auquel le patron
invite « les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux » (Lc 14,
21), c’est-à-dire tous les pauvres Lazares autour de nous. Dans l’Eucharistie
se réalise le « partage » parfait : la même nourriture et la même boisson,
et en même quantité pour tous, aussi bien pour celui qui préside que pour le
dernier arrivé dans la communauté, pour le très riche que pour le très
pauvre.
Le lien entre le pain matériel et le pain spirituel était bien visible dans
l’Eglise primitive, lorsque la cène du Seigneur, dite agape avait lieu dans
le cadre d’un repas fraternel au cours duquel on partageait aussi bien le
pain commun que le pain eucharistique.
Saint Paul écrivait aux Corinthiens qui s’étaient éloignés sur ce point : «
Lors donc que vous vous réunissez en commun, ce n'est plus le Repas du
Seigneur que vous prenez. Dès qu'on est à table en effet, chacun prend
d'abord son propre repas, et l'un a faim, tandis que l'autre est ivre » (1
Co 11, 20-22). Une accusation très grave, qui revenait à dire : votre
Eucharistie n’est plus une Eucharistie !
Aujourd’hui on ne célèbre plus l’Eucharistie dans le cadre d’un repas pris
ensemble, mais le contraste entre ceux qui ont trop et ceux qui n’ont pas le
minimum indispensable a pris des proportions planétaires. Si nous projetons
la situation décrite par Paul de l’Eglise locale de Corinthe à l’échelle de
l’Eglise universelle, nous constatons avec effroi que c’est ce qui ce
produit encore aujourd’hui, pas toujours de manière coupable, mais
objective. Parmi les millions de chrétiens qui, sur les différents
continents, participent à la messe le dimanche, l’on en trouve qui rentrés
chez eux ont tous les biens du monde à disposition tandis que d’autres n’ont
rien à donner à manger à leurs enfants.
La récente
Exhortation post Synodale "Sacramentum Caritatis" rappelle avec force :
« La nourriture de la vérité nous pousse à dénoncer les situations indignes
de l'homme, dans lesquelles on meurt par manque de nourriture en raison de
l'injustice et de l'exploitation, et elle nous donne des forces et un
courage renouvelés pour travailler sans répit à l'édification de la
civilisation de l'amour » (7).
La part du « huit pour mille » [en italien « otto per mille », mécanisme par
lequel l’Etat italien, à la demande explicite des contribuables qui le
souhaitent, reverse huit pour mille des recettes fiscales, à l’Eglise
catholique ou d’autres confessions religieuses, ndlr] la mieux utilisée est
celle qui est destinée par l’Eglise à cet objectif à travers le soutien des
différentes « caritas » nationales et diocésaines, les repas offerts aux
pauvres, des initiatives d’aide à l’alimentation dans les pays en voie de
développement. Les cantines pour les pauvres, qui existent dans presque
toutes les villes, dans lesquelles sont distribués des milliers de repas
chaque jour, dans un climat de respect et d’accueil, sont le signe de la
vitalité de nos communautés religieuses traditionnelles. Il s’agit d’un
goutte d’eau dans la mer, mais l’océan lui-même, disait Mère Teresa de
Calcutta, est fait d’une multitudes de petites gouttes.
Je voudrais terminer par la prière que nous récitons chaque jour, avant le
repas, dans ma communauté : « Bénis Seigneur, cette nourriture que par ta
bonté nous allons prendre, aide-nous à en procurer aussi à ceux qui n’en ont
pas et fais-nous participer un jour à ton banquet céleste. Par le Christ
notre Seigneur ».
La dernière prédication de Carême aura lieu le vendredi 30 Mars 2007.
Vendredi 9 mars 2007:
1ère prédication de Carême
Vendredi 16 mars 2007:
2ème prédication de Carême
Tous les
textes du temps de Carême
►
Table Carême
Sources: ZF-
www.vatican.va
-
E.S.M.
© Copyright 2007du texte original - Libreria Editrice Vatican
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 23.03.2007 - BENOÎT XVI |