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Qui persécute les chrétiens et exile le patriarche, dans le silence
de Rome ?
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Le 27 novembre 2023 -
E.S.M.
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Il s’agit d’une histoire qui vaut la peine d’être
racontée, vu les péripéties de ces derniers mois et qui
est encore bien loin de trouver une solution. Une
histoire aux dépens du patriarche de l’Église catholique
chaldéenne, le cardinal Louis Raphaël I Sako. Une histoire sur lequel le
silence du Pape est jusqu’ici de plus en plus pesant. Avec en plus un faux
pas d’une certaine gravité de sa part.
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Irak, Babylone moderne. Qui persécute les chrétiens et exile le patriarche,
dans le silence de Rome
Le 27 novembre 2023 -
E.S.M. -
« Nous avons demandé l’ouverture d’un Synode spécial pour les Églises
orientales catholiques. Toutes connaissent aujourd’hui des situations de
guerre : l’Ukraine, le Liban, l’Arménie, la Syrie, l’Irak, l’Érythrée, la
Terre sainte ».
C’est l’archevêque majeur de l’Église grecque catholique ukrainienne,
Sviatoslav Chevtchouk, qui a
révélé avoir adressé cette demande au Pape. Avec mille bonnes raisons.
Au Moyen-Orient, les Églises sont attaquées presque partout et les chrétiens
sont au bord de l’extinction, comme c’est déjà le cas pour les Juifs dans
les pays arabes.
Et l’un des endroits où ils sont le plus en danger, c’est l’Irak. En
1915, un génocide parallèle à celui des Arméniens a conduit à
l’extermination de 800 000 chrétiens. Mais en 2003 encore, avant la guerre,
on comptait encore un million et demi de chrétiens, dont la plupart vivaient
à Bagdad. Aujourd’hui, il n’en reste plus
que 150 000.
Quand le Pape François s’est
rendu en Irak, en mars 2021, la dévastation que l’État islamique avait
perpétré quelques années plus tôt dans la Plaine de Ninive, berceau
historique des chrétiens d’Irak, était encore visible.
Mais aujourd’hui encore, dans la Plaine de Ninive, on interdit aux
chrétiens de retourner habiter dans leurs maisons et de cultiver leurs
champs. Ils en sont empêchés par des soi-disant chrétiens membres d’une
brigade armée nommé Babylone, composée de milices extrémistes chiites
inféodées à l’Iran, avec à leur tête Rayan Al-Kildani, un chaldéen comme le
patriarcat catholique auquel il prétend appartenir.
On trouvera un petit indice du drame que vivent aujourd’hui les chrétiens
en Irak dans les quelques lignes du
communiqué officiel dans lequel le Saint-Siège a rendu compte de
l’audience accordée le 18 novembre par le Pape François au président irakien
Abdel Latif Jamal Rachid, là où il est dit que « l’on a répété la nécessité
de garantir à tous les chrétiens irakiens la possibilité de former une
partie vibrante et active de la société et du territoire, en particulier
dans la Plaine de Ninive ».
Mais il s’agit d’une histoire qui vaut la peine d’être racontée, vu les
péripéties de ces derniers mois et qui est encore bien loin de trouver une
solution. Une histoire aux dépens du patriarche de l’Église catholique
chaldéenne, le cardinal Louis Raphaël I Sako. Une histoire sur lequel le
silence du Pape est jusqu’ici de plus en plus pesant. Avec en plus un faux
pas d’une certaine gravité de sa part.
*
Le faux pas se trouve sur la photo reproduite ci-dessus. On peut y voir
le Pape qui, au terme de l’audience générale du mercredi 6 septembre sur la
Place Saint-Pierre, s’approche en souriant d’un homme barbu qui lui offre un
cadeau un tableau « d’art de Mésopotamie », recevant en échange un chapelet
bénit.
Qui est donc cet homme qui a obtenu le précieux sésame pour le
« baisemain » papal ? Nul autre que Rayan Al-Kildani en personne, le chef de
la Brigade Babylone qui figure également sur la liste noire des plus odieux
criminels des États-Unis et du Canada. C’est lui-même qui a fait circuler la
photo accompagnée d’un compte-rendu flatteur de sa rencontre avec le Pape
François, comme s’il représentait les chrétiens d’Irak à la place du
patriarche de l’Église chaldéenne, dont le Pape – s’est-il vanté – « aurait
déjà accepté la démission ». Et il aura fallu attendre une semaine avant que
la salle de presse du Vatican, dans un
communiqué embarrassé, ne tente de réduire le tout à « une brève
salutation occasionnelle, comme cela se passe régulièrement avec
certaines personnes présentes à l’audience.
Des sources vaticanes anonymes
ont ensuite déclaré que l’organisation de cette rencontre n’est pas
passée par les canaux diplomatiques traditionnels, ni même par la
Secrétairerie d’État mais que Rayan et les siens se seraient adressés
directement à la Préfecture de la Maison pontificale, qui est en charge des
audiences publiques du Pape, en l’occurrence sans la vigilance de rigueur.
Ce que l’on sait en tout cas – parce que c’est lui-même qui l’a révélé
dans une interview poignante à « Asia
News » – c’est que le cardinal Sako a écrit une lettre de plainte au
Pape François après la visite de Rayan au Vatican mais « le pape n’a pas
répondu ». Et ce silence est « inadmissible », a commenté le cardinal. « Je
suis déçu de la position du Saint-Siège, qui depuis des mois n’est jamais
intervenu ».
Oui, parce que début juillet, le patriarche de l’Église chaldéenne a été
victime d’une véritable tuile. Le président d’Irak, le musulman Rachid,
celui-là même que le Pape a reçu en audience le 18 novembre dernier,
a révoqué le décret émis dix ans plus tôt par son prédécesseur Jalal
Talabani, qui reconnaissait la nomination par le Pape du cardinal Sako comme
chef de l’Église chaldéenne « en Irak et dans le monde » et par conséquent
« responsable des biens de l’Église ».
Et c’est bien cela le nœud de la question. La révocation du décret a
destitué le patriarche de la propriété et de la gestion des biens de son
Église, maisons et terrains qui étaient depuis belle lurette dans le
collimateur de Rayan Al-Kildani et de sa Brigade Babylone, qui par ailleurs
occupe quatre de cinq sièges dévolus aux chrétiens au parlement.
D’où la décision du cardinal Sako – communiquée dans une
lettre ouverte au Pape – de quitter Bagdad et de partir en exil
volontaire à Erbil, dans le Kurdistan irakien, où il peut compter non
seulement sur le soutien des autres Églises chrétiennes présentes en Irak,
mais également sur celui du grand ayatollah Al-Sistani, éminente
personnalité de l’islam chiite et adversaire irréductible de l’islamisme
théocratique iranien, et qui est pour cette raison mis au ban de la
politique irakienne, qui est en bonne partie pilotée par Téhéran.
Le cardinal Sako a introduit un recours auprès de la Cour suprême contre
la révocation du décret, avec le soutien d’avocats dont certains sont
musulmans, mais ce qui l’a profondément blessé, c’est le silence de Rome,
surtout après la rencontre du Pape avec le chef de la Brigade Babylone.
C’est ce qu’il a dit à « Asia News » dans une interview du 19 septembre :
« Je suis déçu de la position du Saint-Siège, qui n’est pas intervenu
pour désavouer les décisions du président de la République, pour repousser
les attaques contre la personne du patriarche, pour prendre ses distances
avec celui qui se définit comme un leader chrétien et qui a rencontré le
Pape place Saint-Pierre. […] Le Saint-Siège aurait pu prendre la parole,
déclarer que la propagande de ce monsieur n’est pas vraie, elle pouvait
chercher de calmer les gens, les très nombreux chrétiens et musulmans d’Irak
qui souffrent à cause de ces nouvelles attaques, à cause de ces mensonges
qui font mal surtout à notre communauté. Le nonce apostolique m’invite à
dialoguer, à ne pas humilier le président, mais là c’est le président qui
humilie l’Église et son peuple. »
Et encore :
« Presque chacun semaine désormais, des plaintes sont déposées contre moi
devant les tribunaux, et dans les prochains jours, je devrais me présenter à
la barre et je ne pourrai pas participer aux ‘Rencontre Méditerranéennes’ à
Marseille [auxquelles le Pape allait se rendre le 22 septembre, ndlr]. J’ai
écrit au Pape François après la visite de Rayan au Vatican, il n’a pas
encore répondu. Nous sommes une Église persécutée, qui lutte pour sa
survie. Mais pour survivre, nous avons besoin de soutien, de proximité, de
solidarité ».
Le cardinal Sako
a également déclaré que Rayan Al-Kildani avait « ‘acheté’ plusieurs
évêques et prêtres à Bagdad » pour se s’assurer d’une couverture religieuse
pour ses crimes.
En octobre, le cardinal Sako a participé au synode, à Rome, où il a pu
rencontrer le Pape François. Et fin octobre, le président irakien Rachid est
lui aussi passé à Rome, pour participer au World Food Forum, mais également
avec la proposition d’obtenir une audience du Pape, qui a pourtant décliné
la demande.
Une audience a ensuite été octroyée, comme nous l’avons dit, le 18
novembre, avec cette référence sibylline, dans le communiqué final, au sort
des chrétiens irakiens « dans la Plaine de Ninive ».
Mais quatre jours auparavant, le 14 novembre, un autre coup de massue
s’était abattu sur l’Église chaldéenne et son patriarche. La cour suprême
irakienne a rejeté le
recours du cardinal Sako contre la validité de la révocation du décret de
2013.
Il est difficile de prévoir si le patriarche « de Babylone de chaldéens »
pourra rentrer à Bagdad, et quand. Pour trouver un précédent à cet exil du
patriarche de la ville, il faut remonter à 1258, à l’invasion des Mongols.
Sandro Magister est vaticaniste à
L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 27.11.2023
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