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Niklas Luhmann, prophète inécouté
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Le 13 novembre 2023 -
E.S.M.
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Tout sauf synodale. Telle est l’image que l’Église est
en train de donner d’elle-même, après quatre semaine de
débats à huis clos entre 365 évêques et non-évêques, de
« conversations dans l’Esprit » consignées dans un
rapport final aussi encyclopédique qu’évasif, mais avec
un Pape François qui a entretemps pris les devants, dans
un absolutisme monarchique complet.
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Niklas Luhmann, -
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Niklas Luhmann, prophète inécouté
Le 13 novembre 2023 -
E.S.M. -
(s.m.) Tout sauf synodale. Telle est l’image que l’Église est en
train de donner d’elle-même, après quatre semaine de débats à huis
clos entre 365 évêques et non-évêques, de « conversations dans
l’Esprit » consignées dans un
rapport final aussi encyclopédique qu’évasif, mais avec un Pape
François qui a entretemps pris les devants, dans un absolutisme
monarchique complet, et publié ses propres
réponses à une série de questions qui relèvent plus de la
comédie que du débat de fond, sur les cohabitants, les homosexuels,
les transsexuels en prises avec les communions, les baptêmes, les
mariages et autres parrainages.
Mais surtout, on donne l’image d’une Église qui perd de vue l’essentiel,
c’est-à-dire cette proximité avec Dieu qui est au cœur du « Credo »
chrétien. Et tout cela alors que la foi s’étiole et
s’éteint chez les hommes, et que Dieu disparaît, même là où l’on croyait
la catholicité florissante.
Ce qui est frappant, c’est que la voix de
Joseph Ratzinger, théologien et pape, n’a pas été la seule à s’être
élevée pour rappeler depuis longtemps à l’Église cette priorité absolue, il
y a également eu – et de manière très originale – celle d’un non-croyant :
son compatriote Niklas Luhmann (1927-1998), qui a été l’un des penseurs les
plus importants et controversés de la seconde moitié du vingtième siècle.
On commémore actuellement le vingt-cinquième anniversaire de la mort de
Luhmann. Et à cette occasion, son
portrait détaillé vient de
sortir dans la collection « Classici contemporanei » des éditions IBL Libri,
signé par l’un des chercheurs les plus averti, Sergio Belardinelli,
professeur de sociologie des processus culturels à l’Université de Bologne
et, de 2008 à 2013, coordinateur scientifique du Comité pour le projet
culturel de la Conférence épiscopale italienne.
Pour Luhmann, il faut considérer la politique, l’économie, l’art, la
science, la religion, les médias de masse et bien d’autres domaines comme
étant des systèmes sociaux autonomes, chacun spécialisé dans la résolution
d’une catégorie bien déterminée de problèmes, dans une société toujours plus
complexe comme celle d’aujourd’hui.
Et la fonction spécifique de la religion est de communiquer une ouverture
à la transcendance, à ce Dieu qui aide à comprendre que tout est contingent,
et donc à s’opposer à toute forme de fondamentalisme, de moralisme et de
politique qui mettrait la religion à son service. Une religion dans laquelle
« tout dépend de la foi », et certainement pas une sorte de service social
contre les dérives du marché capitaliste, telle que l’Église essaye de le
devenir aujourd’hui.
C’est ce que Luhmann écrit et défend dans l’un de ses essais lui aussi
publié pour la première fois cette année en version italienne, aux éditions
Franco Angeli : « La
religion de la société ».
Laissons la parole au professeur Belardinelli, pour illustrer la pensée
de ce grand maître, d’une actualité étonnante pour l’Église d’aujourd’hui.
*
Pour un christianisme où « tout dépend de la foi »
de Sergio Belardinelli
Il est d’autant moins surprenant que quelqu’un parle de religion non pas
tant sur l’angle du mystère, du mythe, du sacré, des rites, des fluctuations
du cœur humain, que sur celui de la communication religieuse, qui
découlerait principalement de l’irreprésentabilité du monde, en tant
qu’horizon ultime du sens dans son ensemble, et dont le code spécifique
serait « transcendance/immanence ».
Mais c’est porutant ce qu’a fait Niklas Luhmann, d’après qui la fonction
sociale de la religion serait tout simplement celle de garder la
communication ouverte notamment sur ce qui dépasse en principe ses limites.
Bien loin donc de l’idée que la religion ait souffert d’une perte de
fonction dans la société moderne. « La thèse de la perte de fonction –
écrit-il dans ‘La religion de la société’ – ne tient pas compte du fait que
la religion remplit une multitude de fonctions, dont certaines ont été
enlevées ». Si en revanche, comme le soutient Luhmann, la religion ne
remplit que la seule fonction communicative mentionnée ci-dessus, alors non
seulement on ne pourrait plus parler de perte de fonction, mais l’on devrait
également « compter avec la possibilité que, en se retirant de nombreux
domaines fonctionnels, en renonçant au ‘contrôle social’ et à la
légitimation du pouvoir politique, les ‘chances’ de la religion augmentent
».
Cela ne signifie pas, selon Luhmann, que l’on assistera à une résurgence
des modes de vies déterminés par les religions, ni que la foi en Dieu ou la
distinction entre sacré et profane, si chère à la sociologie classique –
voir Durkheim et Simmel – reviendront au goût du jour. Disons plutôt
qu’elles se dissolvent. Restent en revanche la fonction et le code de la
religion en tant que critères de reconnaissance du système religieux et de
ses limites.
On ne peut pas considérer n’importe quelle extravagance comme une
religion, et si, clairement, l’espace qui reste à la religion, selon
Luhmann, n’est pas celui que l’on attribue volontiers aux religions
elles-mêmes, il n’en demeure pas moins qu’il suffit d’un regard à la
distinction transcendance/immanence en tant que code du système religieux
pour comprendre combien la position luhmanienne pourrait être utile à une
religion qui voudrait être à la hauteur de l’époque dans laquelle elle est
appelée à opérer.
On pourrait dire la même chose de Dieu, que Luhmann considère comme une
simple « formule de contingence ». Aucun théologien ne l’accepterait sans
doute, mais en termes systémiques, ce Dieu représente la manière plutôt
audacieuse par laquelle la religion justifie la contingence du monde et la
perfection d’un être qui est totalement transcendant mais est également
présent en toutes choses, qui pourraient de ce fait être différentes de ce
qu’elles sont, montrant par là leur contingence constitutive.
On s’accordera certainement sur le fait que cette façon de parler de Dieu
est pour le moins insolite mais on ne peut qu’être frappé par son caractère
intellectuellement stimulant précisément pour ceux qui considèrent encore la
question de Dieu comme une question sérieuse.
Dans une société sécularisée, dans laquelle les systèmes sociaux se
spécialisent chacun selon leur fonction propre, Dieu pourrait aider
comprendre la contingence de tout ce qui est et qui se produit, et donc à
s’opposer à toute forme de fondamentalisme, de moralisme et de politique qui
utiliserait la religion pour renforcer la cohésion sociale.
Mais afin que Dieu se rende présent d’une certaine façon dans la société,
on a surtout besoin de la foi. Exactement comme le dit Luhmann, la
formulation plus efficace d’une religion mondiale telle que le christianisme
« pourrait être qu’en matière de religion, tout dépend de la foi ».
C’est la foi qui est la véritable modalité religieuse d’une religion
mondiale telle que le christianisme. Cette foi, purifiée de ses
codifications morales, politiques, confessionnelles, et concentrée sur la
transcendance, pourrait justement pour cela redevenir génératrice de formes
de vie intéressantes également pour la société. Pour atteindre cet objectif,
les Églises chrétiennes pourraient se passer d’échafaudages institutionnels
trop puissants, mais ont certainement besoin de Dieu, de la foi et d’une
conscience claire de leur fonction propre dans un monde dans lequel croyants
et non croyants doivent avant tout accepter l’idée de vivre sur base de
leurs diversités respectives.
La théorie systémique de Niklas Luhmann pourrait-elle être d’une
quelconque aide dans cette perspective ?
Je pense que oui, mais à condition de ne pas lui demander ce qu’elle ne
peut pas offrir. Pour le dire autrement, il ne faut pas oublier que nous
parlons d’une théorie qui chercher à « réfléchir » sur les évolutions que
l’on peut constater au sein de la société, « d’observer » ses systèmes de
l’extérieur. La théorie ne dit pas comment les systèmes qu’elle observe
devraient fonctionner. Elle ne fait que les observer et en expliquer les
codes et les fonctions.
Dans le cas de la religion, Luhmann nous dit que son code est
transcendance/immanence et que sa fonction est celle de représenter ce qui
n’est pas représentable, le sens même de tout, et même du non-sens, à
commencer par la mort.
Mais le simple fait qu’en observant la religion il dise cela me semble
déjà être une contribution importante et surprenante, spécialement
aujourd’hui, tentés comme nous les sommes d’attribuer à la religion les
fonctions les plus diverses, allant jusqu’à en faire une sorte de service
social contre les dérives du marché capitaliste.
La façon doit Luhmann parle de la religion pourrait même représenter une
sorte de rappel salutaire à l’essentiel – c’est-à-dire précisément à
transcendance/immanence – et un encouragement pour ceux pour qui « la
religion signifie bien plus de ce que la théorie ne peut dire ».
La théorie observe la société, et non le cœur des hommes, qui ne peut
être observé que par Dieu. Quant au système religieux, pour le dire en
termes systémiques, il dépend seulement de sa vitalité effective dans la
communication religieuse et dans l’articulation religieuse du sens,
c’est-à-dire de sa capacité à remplir un rôle crucial pour la société.
En termes non systémiques, qui ne s’opposent en général pas à la théorie
systémique, la religion est appelée à cultiver principalement ce qui la fait
être ce qu’elle est : l’articulation théorique et pratique d’un rapport avec
Dieu – la transcendance -, susceptible de donner une couleur différente aux
événements et aux choses d’un monde toujours plus bariolé dans lequel les
manifestations non religieuses abondent également, et qui les pousse pour
cette même raison vers la différenciation, dans le respect de leur propre
diversité et de celle des autres.
Sandro Magister est vaticaniste à
L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 13.11.2023
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