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Israël génocidaire ? Quand le Pape se lance dans la guerre des mots
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Le 25 novembre 2024 -
E.S.M.
- Selon Edith Bruck, l’écrivaine juive survivante
de la Shoah qui a eu, il y a deux ans, la surprise de
recevoir chez elle la visite du Pape François, ce
dernier « n’a pas le contrôle de ce qu’il dit ». En
particulier d’un mot : « génocide ».
S.M.
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Israël génocidaire ? Quand le Pape se lance dans la guerre des mots
Le 25 novembre 2024 -
E.S.M. -
Selon
Edith Bruck, l’écrivaine juive survivante de la Shoah qui a eu, il y
a deux ans, la surprise de recevoir chez elle la visite du Pape
François, ce dernier « n’a pas le contrôle de ce qu’il dit ». En
particulier d’un mot : « génocide ».
Mme Bruck faisait référence à ce
que François avait déclaré dans son
énième livre annoncé le 17 novembre en Italie par « La Stampa » et
en Espagne par « El País » : « Je pense à ceux qui abandonnent Gaza au
beau milieu de la famine qui frappe les frères Palestiniens face à la
difficulté de faire entrer l’aide et la nourriture dans leur territoire.
Selon certains experts, ce qui est en train de se passer à Gaza a les
caractéristiques d’un génocide. Il faudrait analyser attentivement pour
déterminer si cela s’inscrit dans la définition technique formulée par
les juristes et les organismes internationaux. »
Mais les faits interdisent de penser que le Pape aurait laissé
échapper le mot « génocide » par erreur. Il y a un an, le 22 novembre
2023, il avait rencontré au Vatican la famille de Palestiniens détenus
dans les geôles israéliennes et déjà à l’époque, aux dire de tous ceux
qui étaient là, il avait qualifié de « génocide » l’attaque à Gaza en
cours depuis quelques semaines seulement. Et une heure plus tard, à
l’audience publique générale du mercredi, il avait ajouté de lui-même,
s’écartant de son texte écrit, que « ce n’est pas faire la guerre, ça,
c’est du terrorisme ».
La secrétairerie d’État avait bien essayé d’ouvrir le parapluie. « Il
est irréaliste que le pape ait parlé de génocide », avait déclaré le
cardinal Pietro Parolin. Mais le 10 mai de cette année, les diplomates
du Vatican ont à nouveau été mis en difficulté quand, place
Saint-Pierre, à l’occasion d’une rencontre mondiale sur l’encyclique « Fratelli
tutti », le Yéménite Tawakkol Karman, le prix Nobel de la paix 2011, a
encore une fois accusé Israël de « nettoyage ethnique et de génocide ».
Cette fois-là, le Vatican n’avait publié aucun rectificatif.
Pareil après cette autre sortie du pape qui, comme les précédentes,
est arrivée un peu par surprise, totalement à l’insu de la Secrétairerie
d’État. Le cardinal Parolin s’était borné à commenter que : « il faut
toujours étudier ces choses, parce qu’il y a des critères techniques
pour définir le concept de génocide. Le pape a dit ce que nous avons
toujours répété ».
Alors qu’en revanche, certains ont lu bien plus que cela dans les
déclarations du pape, comme l’archevêque et théologien
Bruno Forte,
qui lui était déjà proche pendant les premières années de son
pontificat, et qui, dans une interview au « Corriere della Sera », a
déclaré qu’il était juste « d’appliquer la définition de génocide à ce
que le gouvernement israélien est en train de faire à Gaza », si l’en
s’en tient à la manière dont les Nations Unies l’ont définie en 1948 :
« l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national
ethnique, racial ou religieux en tant que tel ».
Bref, en ce qui concerne le Pape, il s’agit davantage d’un choix
délibéré qu’un accident verbal, avec la volonté de prendre part, en tant
que protagoniste non neutre, à une controverse qui se fait de plus en
plus vive, aussi bien chez les catholiques que chez les juifs, quant à
savoir si Israël serait coupable non seulement de génocide mais
également de nettoyage ethnique, d’« apartheid », de colonialisme
oppresseur et de crimes contre l’humanité.
Du côté juif, on peut citer
Anna Foa, une historienne réputée, dont le dernier livre intitulé
« Il suicidio d’Israele » lui a valu une grande interview dans les
colonnes de « L’Osservatore
Romano » du 13 novembre.
Interpellée après la sortie du Pape sur le génocide, elle a déclaré à
« La
Stampa » que Jorge Mario Bergoglio a exprimé « un doute légitime »
et que « même s’il ne s’agissait pas d’un génocide, ces dizaines de
milliers de victimes palestiniennes à Gaza sont certainement un crime
contre l’humanité ».
Tandis qu’à propos de l’ « apartheid », dans une interview accordée à
« L’Osservatore Romano », elle a spécifié qu’il ne pouvait être imputé à
l’État d’Israël, malgré les limitations imposées aux « citoyens non
juifs », mais que « si en revanche, vous allez en Cisjordanie, vous
trouverez un régime qui se rapproche beaucoup de l’ ‘apartheid’, où ce
sont les colons qui font la loi ».
Il faut noter que deux millions de citoyens arabes palestiniens
vivent à l’intérieur des frontières d’Israël, qu’ils ont leurs
représentants au parlement, dans les gouvernements, à la Cour suprême et
à la tête de la première banque du pays, qu’ils occupent des rôles
importants dans les hôpitaux et les universités, en plus de vivre
pacifiquement dans en grand nombre dans des villes comme Haiffa, Jaffa
et Jérusalem. Aucun d’entre eux ne montre une volonté d’émigrer en
recherche de liberté dans les pays arabes voisins. Et la déclaration
d’indépendance d’Israël de 1978 affirme sans équivoque la parité de tous
les citoyens sans distinction, une parité qui ne saurait être remise en
question même par la loi très controversée approuvée en 2018 sur la
nature juive de l’État.
Quant à « la perception d’un Israël colonialiste », Anna Foa a dit au
journal du Vatican que « dans l’histoire réelle, les éléments
d’initiative colonialiste ont été monnaie courante, à commencer par la
première guerre de 1948, ‘guerre de libération’ pour les juifs et
‘nakba’, désastre, pour les arabes. Tout comme en 1967 avec la
colonisation de la Cisjordanie et de Gaza ».
Si l’on revient un peu en arrière, le 7 mai dernier, un grand expert
et ami du judaïsme, le jésuite né Juif David Neuhaus, avait écrit dans
« L’Osservatore
Romano », dans un article intitulé « Antisemitismo e Palestina »,
que le sionisme politique naissant, au XIXè siècle, « cherchait à surfer
sur la vague du colonialisme européen ». Ce qui avait suscité les
critiques de l’ambassadeur d’Israël de l’époque près le Saint-Siège,
Raphael Schutz, dans
une lettre que le quotidien du Vatican avait refusé de publier après
l’avoir d’abord mise en page, et que ce même Schutz avait ensuite
transmis à d’autres organes de presse.
Dans cette lettre, l’ambassadeur Schutz objectait que « le
colonialisme c’est quand un empire occupe un territoire éloigné par en
exploiter les ressources, tandis qu’en revanche, le sionisme concernait
une minorité persécutée qui éprouvait le besoin urgent d’avoir un lieu
sous le soleil où elle pourrait être libre, indépendante et protégée de
la persécution ».
Pour en revenir aux réactions à la sortie du Pape sur le génocide,
une autre personne s’est exprimée pour le soutenir. Il s’agit de Marco
Tarquinio, qui a été pendant quatorze ans le directeur d’ « Avvenire »,
le quotidien de la Conférence épiscopale italienne, qui vient d’être élu
parlementaire européen cette année, dans le groupe des Démocrates. « Le
Pape a employé une formule prudente », a‑t-il dit au quotidien « Il Foglio ». « Je ne dispose pas d’éléments pour affirmer que la guerre à
Gaza serait un génocide mais elle prend en tout cas la forme d’un
nettoyage ethnique. »
La réaction de l’Assemblée des
Rabbins
d’Italie a quant à elle été très critique. Pour celle-ci, « les
déclarations du Pape sont prudentes en apparence mais elles risquent
d’être très dangereuses. Le mot ‘génocide’ est devenu le slogan de
toutes les manifestations anti-israéliennes qui versent souvent dans
l’antisionisme et dans l’antisémitisme. […] L’appel à la paix nous
rassemble, mais le pire moyen d’y parvenir est de considérer les fautes
de manière unilatérale et de faire passer les agressés pour des
agresseurs, voire même pour des vengeurs sanguinaires ».
À son tour, le Grand Rabbin de Rome,
Riccardo Di Segni, a déclaré dans une interview au « Corriere della
Sera » qu’il constatait une escalade dans les critiques du Pape envers
Israël, depuis le 7 octobre, et que « la référence au génocide est un
nouveau seuil » qui en vient même à « renverser les rôles », parce qu’en
réalité « la volonté génocidaire est à chercher dans le chef de ceux qui
ont attaqué Israël le 7 octobre », comme dans celui de l’Iran, « avec
son projet de destruction totale – je le répète : totale – d’Israël ».
Selon le rabbin Di Segni, une « régression » est en cours dans le
dialogue entre le monde catholique et le monde juif. Une régression qui
est « grave », allant jusqu’à la « paralysie », également pour le grand
démographe israélien
Sergio Della Pergola, professeur émérite à l’Université juive de
Jérusalem, dont Settimo Cielo a récemment publié une synthèse des
recherches sur « être
Juif aujourd’hui ».
Interrogé par le journal « La Stampa », le professeur Della Pergola a
déclaré : « Le Pape n’exprime pas un doute mais il prend position,
orientant ainsi, de manière plus ou moins explicite, l’opinion publique.
Il pourrait au moins ajouter qu’il faudrait également analyser le projet
génocidaire du 7 octobre, dont il existe des plans écrits. Mais il ne le
fait pas. C’est triste. Je constate dans ce débat des omissions très
graves et une vision unilatérale qui oublie que le Hamas et le Hezbollah
ne sont pas des partis politiques ordinaires mais bien des forces
religieuses déterminées à instaurer un califat et non la Palestine ».
Pour le professeur Della Pergola, la sortie du Pape sur le génocide
est un autre coup de cette « guerre de la communication » qu’« Israël
est en train de perdre ». La majorité des israéliens, dit-il, « ne
soutient pas les colons et en veut à une coalition de gouvernement
irresponsable », mais dans les faits, « l’hostilité de l’opinion
publique occidentale fait justement le jeu des extrémistes en soutenant
le gouvernement des colons ».
En outre, le professeur Della Pergola fait une allusion polémique à
« ceux qui, dans l’Église, ont demandé à la diaspora juive de prendre
ses distances avec Israël en ressortant des thèses appartenant à la
théologie préconciliaire ».
Il s’agit d’une allusion à la lettre « au peuple juif de la
diaspora » rédigée par
Raniero La Valle, 93 ans, figure de proue du catholicisme
progressiste, publiée en octobre dernier et signée, entre autres, par
deux évêques, Raffaele Nogaro et le président de « Pax Christi »
Giovanni Ricchiuti, par le pacifiste Enrico Peyretti, par le président
de « Pro Civitate Christiana » Tonio Dell’Olio, et par le directeur de
« Missione Oggi » Mario Menin.
Et même Anna Foa – que M. La Valle qualifie dans sa lettre de « Juive
célèbre » en citant son libre « Il suicidio di Israele » – dans son
interview à « L’Osservatore Romano », avait critiqué « la diaspora
européenne et particulièrement celle d’Italie », qui « préférait se
taire et soutenir Israël coûte que coûte ; insistant sur le danger que
court Israël, et pas sur tout le reste, c’est-à-dire sur une guerre
absurde ».
Mais M. La Valle va un pas plus loin. Pour lui « la conduite actuelle
de l’État d’Israël est en odeur de génocide. » Il cite les paroles de
Jésus à la Samaritaine dans l’Évangile de Jean : « Le salut vient des
Juifs », avant d’ajouter immédiatement que « notre expérience actuelle
et la tragédie de Gaza insinuent que ce qui viendrait d’eux, c’est
plutôt la perdition et la fin ».
Le professeur Della Pergola a réagi le 4 novembre à cette lettre de
M. La Valle dans « Pagine
Ebraiche / Moked », le portal du judaïsme italien. Ce dernier a
considéré qu’il était judicieux de citer un commentaire précédent de M.
La Valle sur le massacre du 7 octobre : « Le 11 octobre, quand les
troupes d’Israël n’étaient pas encore entrées à Gaza, M. La Valle
publiait une intervention qui concluait par ces mots : ‘Ceux qui [en
Israël] ont contribué au gâchis d’aujourd’hui n’ont pas le droit de
pleurer. Ils se sont approprié et ont clamé sans vergogne l’idéologie de
la victoire, sans souci de la justice, tributaires seulement de la
force’. Que voilà de belles paroles de charité chrétienne face à des
femmes violées et écartelées, aux nourrissons aux doigts coupés, aux
familles brûlées vives dans leurs voitures et aux maisons criblées de
rafales de mitraillettes, aux 250 déportés dans les tunnels souterrains
de Gaza. À ce moment, la réplique d’Israël n’avait même pas commencé ».
Au contraire, insiste le professeur Della Pergola, « la composante
génocidaire de l’idéologie fondamentaliste islamique est complètement
passée sous silence. Je conseille à M. La Valle de relire le beau texte
de la constitution du Hamas et son article qui appelle le bon musulman à
‘tuer le Juif qui se cache dernière chaque pierre et chaque arbre’ ».
Et le Pape ? Le 20 novembre, il a accordé une
audience au Vatican à une représentante du « Centre pour le dialogue
interreligieux et interculturel » de Téhéran et il leur a dit que
l’élévation prochaine au cardinalat de l’archevêque de la capitale de
l’Iran « était un honneur pour le pays tout entier ». Un pays dans
lequel « l’Église n’est pas contre le gouvernement, non, ce sont des
mensonges ! ».
Pas un mot sur l’oppression
dont sont victimes les chrétiens en Iran. Rien non plus sur l’objectif
avoué du gouvernement de Téhéran d’anéantir l’État juif. Mais le Pape
François est fait ainsi. Ses paroles et ses silences n’échappent pas à
son contrôle. Ils révèlent qui il est et ce qu’il veut.
En attendant, la Cour pénale internationale a jeté un peu plus
d’huile sur le feu ce 21 novembre en émettant des mandats d’arrêt pour
crimes de guerre et crimes contre l’humanité à l’encontre du premier
ministre israélien Benyamin Netanyahou et de l’ex-ministre de la Défense
Yoav Gallant, ainsi que de trois chefs du Hamas qui seraient apparemment
déjà morts au combat.
Chefs d’accusation : « La Chambre a considéré qu’il y a des motifs
raisonnables de croire que ces deux personnes ont, délibérément et en
toute connaissance de cause, privé la population civile de Gaza de biens
indispensables à sa survie, y compris de nourriture, d’eau, de
médicaments et de fournitures médicales. » C’est-à-dire précisément
cette « famine » à laquelle le Pape François faisait allusion en parlant
de génocide.
Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire
L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 25.11.2024
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