 |
Conflit israélo-palestinien, le rôle marginal de la religion
|
Le 16 janvier 2024 -
E.S.M.
- Quel est le poids de la religion dans le
conflit israélo-palestinien ? Dans son essai, le
professeur Mazzucotelli cite deux documents en
particulier : la déclaration « Kairos Palestina » de
2009, qui a vu le jour dans une perspective œcuménique
dans le contexte des Églises chrétiennes de la région et
l’exhortation apostolique post-synodale de 2012 du Pape
Benoît XVI « Ecclesia in Medio Oriente ».
Sandro Magister
|
|
Pour agrandir
l'image ►
Cliquer
Conflit israélo-palestinien, le rôle marginal de la religion
Quand la terre n’est plus sainte. Le rôle marginal de la religion dans le
conflit israélo-palestinien
Le 16 janvier 2024 -
E.S.M. -
Quel est le poids de la religion dans le conflit israélo-palestinien
? À première vue, il est important.
Le nom du Hamas est déjà éloquent en soi. C’est un acronyme arabe qui
signifie Mouvement de Résistance Islamique. Mais surtout, la charte
fondatrice de 1988 – que l’on peut également consulter
en anglais
– s’appuie essentiellement sur Coran et la « Sunnah », il s’agit d’une
légitimation sur base religieuse aussi bien de la lutte armée contre Israël
que du rejet de toute solution négociée, dans la perspective d’un conflit
existentiel entre juifs et musulmans voué à durer jusqu’à la fin des temps,
comme l’affirme le Coran 5, 64.
Ensuite, il y a la jurisprudence musulmane, qui définit la Palestine en
tant que « waqf », c’est-à-dire comme une donation héréditaire exclusive et
inaliénable, au bénéfice d’une seule communauté de croyants dans l’islam.
On peut aussi ajouter la
déclaration publiée par l’Université sunnite d’Al-Azhar quelques heures
après le massacre d’une cruauté inouïe perpétré par le Hamas le 7 octobre
(voir photo) dans les maisons, les villages et les lieux de fête juifs
autour de la bande de Gaza, qui a fait plus de 1200 victimes innocentes, des
nouveau-nés égorgés, des jeunes filles violées, mutilées, assassinées, et
l’enlèvement de plus de 240 otages de tous âges. Une déclaration sans le
moindre égard pour les victimes innocentes, une pure invocation à Dieu pour
justifier le « martyre » des agresseurs, signée en premier lieu par le Grand
Imam d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayyeb, ce même leader musulman qui signait en
2018, avec le Pape François, le
document « sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la
coexistence commune ».
En plus, il y a le nom que le Hamas a donné au massacre du 7 octobre :
« Déluge d’Al-Aqsa », du nom de la mosquée de Jérusalem où le prophète
Mahomet fut transporté lors du voyage nocturne qui précéda son ascension au
ciel, comme le raconte la sourate 17 du Coran.
Mais dans le camp adverse, celui d’Israël, l’esplanade d’Al-Aqsa occupe
également une place centrale, en tant que « Mont du Temple », dans les
revendications du courant sioniste religieux. Surtout après sa reconquête
par les armes en 1967, le contrôle de l’esplanade constitue pour ce courant
le cœur de la souveraineté de l’État hébreu sur la totalité de l’« Eretz
Yisra’el » biblique, la terre d’Israël.
Sans parler de ces groupes juifs qui voudraient reconstruire le troisième
temple à la place de la mosquée d’Al-Aqsa. Encore très marginaux il y a dix
ans à peine, ces groupes extrémistes ont aujourd’hui un poids significatif
dans la coalition qui soutient le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Le 4
octobre, trois jours avant le massacre perpétré par le Hamas, des milliers
de colons extrémistes avaient pénétré pendant plusieurs heures dans
l’enceinte de la mosquée.
Mais c’est ce même Netanyahou qui, le 28 octobre, en pleine
contre-attaque dans la bande Gaza, justifiait la réaction très dure d’Israël
face au massacre du Hamas en faisant allusion aux campagnes militaires du
peuple hébreu antique contre le peuple d’Amalec, palestinien « avant la
lettre », qui s’est conclu par l’extermination de ce peuple sur ordre de
Dieu, si l’on se réfère à certaines passages bibliques, dont Deutéronome 25,
19 : « Aussi, quand le Seigneur ton Dieu t’aura dégagé de tous tes ennemis
d’alentour et t’aura procuré le repos, dans le pays que le Seigneur ton Dieu
te donne en héritage pour en prendre possession, alors tu effaceras le
souvenir d’Amalec de dessous les cieux. N’oublie pas ».
Il n’est donc pas surprenant que plusieurs
juifs américains aient réagit à ces déclarations de Netanyahou, les
jugeant « incroyablement dangereuses et irresponsables », par le fait
qu’elles s’appuient sur certains passages de la Bible, non pas au sens
métaphorique comme les ont interprétées presque toutes les exégèses
rabbiniques à travers les siècles, mais au sens littéral, cautionnant les
courants ultranationalistes actuels.
*
Pour en revenir à la question initiale, voici comment la reformule le
professeur Francesco Mazzucotelli, professeur d’histoire et de culture du
Moyen-Orient à l’Université de Pavie, dans son essai intitulé « Quand la
terre n’est plus sainte » paru dans le numéro de novembre de « La
Rivista del Clero Italiano », dirigée par Giuliano Zanchi et éditée par
l’Université catholique de Milan :
« Peut-on donc affirmer que le conflit israélo-palestinien soit un
conflit religieux, ou à tout le moins un conflit dans lequel la dimension
religieuse soit prépondérante ? »
À quoi il répond : « La réponse, à mon avis, est globalement non ». Parce
qu’au cours des vingt-cinq dernière années, « la littérature scientifique
dans les domaines historique, politologique et anthropologique » a mis en
évidence « les limites d’une vulgate médiatique et d’une approche de
l’histoire du Moyen-Orient qui voit dans la religion la cause principale des
conflits régionaux et qui attribue un aura d’exceptionnalisme à toute la
région, à ses habitants et à ses processus d’identification collective,
décrits comme étant irrémédiablement déterminés par des haines séculaires et
donc insolubles ».
Le recours à un narratif et à des symboles de type religieux devrait au
contraire être interprété – écrit-il – « comme un instrument de légitimation
et de persuasion politique », au sein d’un conflit israélo-palestinien « qui
est en substance un conflit territorial et politique entre deux projets
concurrents d’État national qui revendiquent le contrôle d’un même
territoire », avec l’appartenance religieuse en guise de « marqueur » des
identités nationales respectives.
Dans les pages suivantes de son essai, le professeur Mazzucotelli aborde
justement les identités des parties au conflit.
*
En ce qui concerne l’identité juive, « il existe depuis les origines du
mouvement sioniste une tension irrésolue sur le sens même de ce qu’est le
judaïsme : c’est-à-dire s’il se réfère à une appartenance religieuse ou
plutôt à l’identité nationale ».
Une tension similaire est réapparue lors de la phase de naissance de
l’État actuel d’Israël, avec l’ « opposition idéologique personnifiée par
les personnages de David Ben Gourion, considéré comme le principal fondateur
de l’État, par le rabbin ‘haredi’, ultra-orthodoxe, Avrohom Yeshaya
Karelitz, et par le rabbin Avraham Yitzhak Cook, considéré comme l’un des
pères fondateurs du sionisme religieux actuel ».
D’un côté, certains interprétaient le rassemblement des différentes
diasporas comme « la fin d’un exil terrestre » alors que d’autres le
considéraient comme « faisant partie d’un plan divin de rachat et de
rédemption ».
Après la guerre des six jours, en 1967, et l’occupation de la vieille
ville de Jérusalem et de la Cisjordanie – écrit le professeur Mazzucotelli –
« d’autres courants ont émergé ».
Il y a d’une part « le sionisme religieux nationaliste – à ne pas
confondre avec les ‘haredim’, les soi-disant juifs ultra-orthodoxes – qui
voit dans la victoire militaire et l’expérience sioniste elle-même une
perspective rédemptrice et messianique ».
D’autre part « après 1977, à partir des idées de Ze’ev Jabotinsky, un
courant sioniste néo-révisionniste a commencé à se consolider également, un
courant dans lequel les éléments ethnico-religieux et d’expansion
territoriale dominent ».
Le parti de Netanyahou, le Likoud, avec son soutien à la colonisation de
la Cisjordanie, s’inspire aussi bien du courant du sionisme religieux que du
courant néo-révisionniste. Le lien entre ces deux courants « est l’idée que
l’État d’Israël ne puisse pas aliéner, céder ni trouver un compromis sur
quelque partie que ce soit de la totalité de la ‘terre d’Israël’, sans
qu’aucune indication ne soit donnée sur son extension précise ».
*
Quant à l’identité palestinienne, le professeur Mazzucotelli fait avant
tout remarquer que « les nouveaux sujets politiques palestiniens nés à
partir de la fin des années 1950 s’inscrivent dans la perspective du
nationalisme panarabe et, après 1967, dans celle d’un marxisme
révolutionnaire qui embrasse la question nationale en parallèle de celle de
classe ».
Ce n’est qu’au début des années 1980 que « les identités politiques du
nationalisme soi-disant laïc ont été de plus en plus contestées dans le
discours collectif et dans les pratiques de l’islam politique. »
C’est ce qui s’est également produit dans d’autres régions du monde
arabe, avec une adaptation rapide « notamment au contexte palestinien,
caractérisé par une occupation militaire prolongée, par la précarité et
enfin l’échec du processus de négociation, dans lequel la classe dirigeante
de tendance nationaliste a été taxée d’incompétence ».
C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la pénétration et le
renforcement du Hamas dans la bande de Gaza. Et « les points fondamentaux–
écrit Mazzucotelli – émergeant de la littérature scientifique, fondée sur
l’approche critique, l’usage des sources primaires et l’observation sur le
terrain, sont au nombre de trois ».
Le premier est qu’à Gaza « le mouvement islamiste radical palestinien a
une stratégie d’enracinement social qui va au-delà de sa branche armée ».
Le second est que « cette pénétration n’est toutefois pas totale et que
donc la société de Gaza dans son ensemble ne correspond pas au mouvement
malgré son hégémonie politique ».
Le troisième est que le Hamas « s’est légitimé et continue à le faire
comme un mouvement de libération nationale ayant pour objectif la fondation
d’un État palestinien indépendant ».
*
En résumé, selon le professeur Mazzucotelli, « ce n’est donc pas de
religion en termes abstraits qu’il faudrait parler aussi bien dans le
contexte israélien que dans le contexte palestinien, mais plutôt des
modalités avec lesquelles deux répertoires religieux (juif et musulman)
s’articulent avec l’idée de nation et le projet de construction de l’État
national territorial ».
Le professeur ne conclut cependant pas son essai sur cette considération
mais consacre les dernières pages à traiter de ce qui se passe également au
sein du christianisme, concernant le conflit israélo-palestinien.
*
« À côté du messianisme – écrit-il –
qui s’inspire d’Isaïe 8, 18 et de
Daniel 9, 26 pour prôner la construction du troisième temple de Jérusalem à
l’emplacement de l’actuelle esplanade des mosquées, il existe tout un large
pan de fondamentalisme évangélique apocalyptique qui joue un rôle
déterminant dans la politique étrangère des États-Unis d’Amérique et dans sa
relation privilégiée avec Israël ».
Il s’agit du courant de ce que l’on appelle le « sionisme chrétien », une
sorte de dix-neuvième siècle dans le monde anglican, mais qui s’est
développé ces quarante dernières années au sein des Églises évangéliques et
baptistes américaines. Les sionistes chrétiens « considèrent la fondation de
l’État d’Israël et le conflit israélo-palestinien dans une perspective
théologique et eschatologique, comme des signes qui annoncent la fin des
temps désormais toute proche ». Et « il ne s’agit pas de groupuscules isolés
et marginaux. Des associations telles que ‘Christians United for Israël’
comptent des dizaines de millions d’adhérents, avec une capacité d’influence
croissante sur le Congrès ».
D’un autre côté, « il existe également une exégèse biblique qui légitime
une théologie post-coloniale de la libération » et qui soutient un peuple
palestinien « libéré des chaînes de l’esclavage et de l’oppression ».
Dans le monde catholique, les avancées les plus significatives vont en
revanche dans le sens du dialogue interreligieux et de l’égalité des droits
pour tous, un choix qui dénote un courage et une vision à long terme dans un
contexte « d’une omniprésence évidente dans la sphère publique des acteurs
le plus extrêmes ».
Le professeur Mazzucotelli cite deux documents en particulier : la
déclaration « Kairos
Palestina » de 2009, qui a vu le jour dans une perspective œcuménique
dans le contexte des Églises chrétiennes de la région et l’exhortation
apostolique post-synodale de 2012 du Pape Benoît XVI « Ecclesia
in Medio Oriente ».
Dans un Moyen-Orient ravagé par les fondamentalismes qui se revendiquent
d’une origine religieuse, cette exhortation, au n°29, appelle à une « saine
laïcité » susceptible de finalement « libérer la religion du poids de la
politique et d’enrichir la politique des apports de la religion, en gardant
la distance nécessaire, la distinction claire et l’indispensable
collaboration entre les deux », avec comme fondement « la nature de
l’homme » et « le plein respect de ses droits inaliénables », pour tous.
« Repenser
la partition de la Palestine ? » : c’est ainsi que « La Civiltà
Cattolica » intitulait un de ses article du 17 novembre 2022, signé par le
jésuite juif et israélien David M. Neuhaus et publié avec « l’imprimatur »
des autorités vaticanes.
Cet article espérait qu’au lieu d’une partition en deux États « chaque
jour plus douteuse », l’on puisse un jour parvenir à « une égalité entre
israéliens et palestiniens » dans un unique État, une solution déjà
explicitement proposée en mai 2019 dans une
déclaration des évêques catholiques de la région et qu’ils estimaient
être « la condition fondamentale pour une paix juste et durable ».
Sandro Magister est vaticaniste à
L’Espresso.
Articles les plus
récents :
-
Benoît XVI : être chrétien n'est pas une idée philosophique ou morale mais la rencontre avec le Christ
-
Fiducia supplicans : cette nouvelle pastorale serait-elle la forme ecclésiale du wokisme ?
-
Il y a un an, la mort du cardinal Pell
-
Fiducia supplicans : Cardinal Sarah : On s’oppose à une hérésie qui mine gravement l’Église
-
La Miséricorde Divine : Opportunité de la Dévotion
-
Le pape François reçoit Mgr Gänswein
-
La Miséricorde Divine : s'agit-il d'une nouvelle dévotion ?
Les lecteurs qui
désirent consulter les derniers articles publiés par le site
Eucharistie Sacrement de la Miséricorde, peuvent
cliquer sur le lien suivant
► E.S.M.
sur Google actualité |
Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 16.01.2024
|