Sur les traces du pape Benoît XVI en
Turquie |
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ROME, le 15 Février 2007 -
(E.S.M.) -
Rarement un voyage papal a été aussi suivi, observé et commenté que
celui de Benoît XVI en Turquie.
Le journal de voyage du cardinal Roger Etchegaray, président émérite de «Iustitia
et pax»
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Benoît XVI et le patriarche
œcuménique Bartholomeos Ier pendant la liturgie byzantine dans l’église
patriarcale Saint Georges al Fanar, Istanbul, le 30 novembre 2006
Les réflexions d’un des cardinaux qui ont accompagné le Pape Benoît XVI en
Turquie
Sur les traces du pape Benoît XVI en Turquie
Le journal de voyage du cardinal Roger Etchegaray, président émérite de «Iustitia
et pax»: «On peut imaginer combien cette tournée a dû remuer le cœur et
l’esprit d’un théologien devenu successeur de l’apôtre Pierre»
par le cardinal Roger Etchegaray
Rarement un voyage papal a été aussi suivi, observé et commenté que celui de
Benoît XVI en Turquie. Le point de mire était tout autant le pays visité que
le visiteur accueilli, car tous deux étaient saisis par une brûlante
actualité d’intérêt général, l’un à la veille d’un nouveau verdict de la
Communauté européenne, l’autre au lendemain d’un discours aux retombées
islamiques. Voyage annoncé à “hauts risques” et accompli, contre toute
attente, dans un climat quasi euphorique.
S’il y avait un vrai risque pour le Pape, c’était de voir son voyage
basculer du pastoral au politique ou obnubiler l’œcuménique au profit du
seul interreligieux. La priorité œcuménique a pu cependant être gardée avec
tout le relief voulu par Benoît XVI lui-même. Ce qui n’était pas gagné
d’avance, car les autorités locales ne comprenaient pas comment un pape
pouvait se déplacer de Rome à Istanbul pour venir tout exprès saluer le chef
d’un groupuscule d’à peine 3000 chrétiens auquel elles dénient son titre de
«patriarche œcuménique de Constantinople» et par leurs contraintes, menacent
l’existence même de sa fonction.
La visite au patriarche Bartholomeos 1er, loin d’être à sens unique et de
simple courtoisie, a revêtu une signification particulière pour tous les
deux, exprimant la fraternité de Pierre et d’André et touchant le cœur même
du problème œcuménique, celui du ministère pétrinien universel. J’aime bien
la réflexion du P. Congar: «Entre l’Orient et l’Occident tout l’essentiel
est identique et différent. C’est l’identique qui est différent: les
différences qui doivent être reconnues et respectées, sont des différences
dans l’identité profonde». Entre catholiques et orthodoxes, il ne s’agit pas
seulement d’une affaire d’ajustement ecclésiologique, mais avant tout d’une
histoire d’amour à reprendre plus fort que jamais et qui s’appuie sur un
amour commun du Seigneur, seul vrai ressort sur le chemin de l’unité visible
de l’Eglise.
Paradoxalement, l’enjeu œcuménique de la visite de Benoît XVI n’était pas
d’améliorer les relations entre Rome et Constantinople, elles sont au beau
fixe, mais sans nulle interférence sur la vie propre des Églises orthodoxes,
de souligner simplement l’importance de la fonction du patriarcat
œcuménique: il n’est pas une sorte de papauté orientale, mais sa «primauté
d’honneur et de service» semble aujourd’hui d’autant plus nécessaire que
l’unité de l’Orthodoxie est menacée d’un côté par l’extension de sa diaspora
et de l’autre par certaines poussées du nationalisme religieux.
Benoît XVI pour la première fois visitait un pays à majorité musulmane. On
peut s’étonner que le professeur Ratzinger n’avait jamais mis ses pieds de
pèlerin dans l’ancienne Byzance, sur la terre de saint Paul et de saint
Jean, des huit premiers conciles et des grands «Pères de l’Eglise»
cappadociens. On peut imaginer combien la préparation et le parcours
haletant de cette tournée ont dû remuer le cœur et l’esprit d’un théologien
devenu successeur de l’apôtre Pierre. Mais tous l’attendaient face à l’Islam.
Il s’est passé ce qui arrive seulement avec la complicité de Dieu. Prenez le
programme officiel du voyage… la visite à la Mosquée Bleue, décidée quelques
jours à peine avant le départ, n’était pas prévue
(Benoît
XVI visite un lieu sensible). La rencontre officielle
l’avant-veille à Ankara avec le Président pour les Affaires Religieuses,
paraissait déjà loin (Benoît
XVI a plaidé pour la liberté de religion). Après la visite au «musée» de
Sainte Sophie, voici le
pape, déchaussé, entrant dans la mosquée la plus belle et la plus populaire
de toute la Turquie. Il ne semblait pas marcher comme sur le fil d’un rasoir
ou avancer prudemment sur une ligne de crête. Il écoutait attentivement les
explications du grand Muftì d’Istanbul, Mustafa Cagrici et les deux se
trouvaient tout bonnement face au mirhab. Les caméras du monde entier les
montrent comme transfigurés, si proches l’un de l’autre parce que tous deux
proches de Dieu. J’étais à deux mètres derrière le pape et j’ai aussitôt
pensé à Jean Paul II, en mars 2000, déposant une citation biblique dans le
creux du Mur des Révélations: il a suffi de ce simple geste pour rapprocher
un pape du peuple juif. Encore plus simple, aussi fort, le regard intérieur
de Benoît XVI qui semble rejoindre en Dieu tous les croyants islamiques. Il
faudrait citer les réflexions spontanées du grand Muftì à la sortie de la
mosquée. Relisons ici ce qu’a dit Benoît XVI lui-même, lors de l’audience du
mercredi 6 décembre: «En m'arrêtant quelques minutes pour me recueillir en ce lieu de
prière, je me suis adressé à l'unique Seigneur du ciel et de la terre, Père miséricorideux de l'humanité tout entière. Puissent tous les croyants se
reconnaître comme ses créatures et rendre le témoignage d'une véritable
fraternité».
S’il y avait un vrai risque pour le Pape, c’était
de voir son voyage basculer du pastoral au politique ou obnubiler
l’œcuménique au profit du seul interreligieux. La priorité œcuménique a pu
cependant être gardée avec tout le relief voulu par Benoît XVI lui-même
Si l’on reprend l’image des «cercles concentriques» utilisée par le pape
dans cette audience pour orienter sa visite pastorale, il nous faut ne pas
oublier le vrai centre, les deux rencontres avec les communautés
catholiques. La première, à la «Maison de Marie» sur les hauteurs d’Ephèse,
a été la plus typique d’une situation infiniment minoritaire mais rayonnante
en pleine pâte humaine: une pincée de fidèles et un pape devenu curé de
campagne, plus proche que jamais de son petit troupeau auquel se mêlaient
quelques musulmans venus vénérer «Meryem Ana». C’était bien «la messe sur le
monde», avec un appel pressant à la paix, particulièrement en Terre Sainte.
Un seul petit regret pour moi (sans doute partagé par le pape Ratzinger), le
programme n’avait pas prévu une halte à
Éphèse même, ce site unique de
l’histoire primitive de l’Église. Quant à l’ultime messe à Istanbul, juste
avant de rejoindre Rome, dans la cathédrale du
Saint Esprit voisine de la
résidence où durant 9 ans a vécu le délégué apostolique Angelo Roncalli,
elle reflétait bien la catholicité de l’Église: une liturgie latine qui a su
harmonieusement intégrer sept langues dont l’arabe, les rites arménien,
chaldéen et syriaque et une chorale avec des réfugiés irakiens. Aucune
confession chrétienne ne manquait à cette assemblée, du patriarche
Bartholomeos 1er au patriarche arménien Mesrob.
Il m’a été souvent demandé comment expliquer la
réussite d’un voyage que beaucoup voyaient en casse-cou. Bien sûr, tout le
monde y a mis du sien, à commencer par Benoît XVI lui-même. J’ai admiré sa
sérénité constante, mais surtout le sens de la mesure qui l’a guidé sur tout
le parcours. Il a fait preuve d’une vertu (au sens fort du terme) qui
caractérise l’Église romaine, la discretio.
Au cours de ce voyage où aucune minorité religieuse n’a été oubliée, il est
dommage que soit passée presque inaperçue la rencontre du pape avec le grand
rabbin de Turquie, Isak Haléva. De l’entretien que j’ai eu avec lui,
j’apprends que sa communauté est numériquement la seconde en pays islamique
(23000 membres) de rite sépharade repliée d’Espagne à l’époque de l’Inquisition;
elle dispose d’un bon espace de liberté dans la société turque.
Dans la grande mosaïque des peuples, des cultures et des religions la
presse, qui a si bien couvert le voyage du pape avec ses implications
socio-politiques, n’a guère rappelé la situation des 20 millions de Kurdes
qui campent à cheval entre cinq pays, dont une bonne partie en Turquie. Si
la géographie est immuable, l’histoire, elle, s’attarde dans des chemins
incertains: errance pitoyable d’un peuple oublié.
Il m’a été souvent demandé comment expliquer la réussite d’un voyage que
beaucoup voyaient en casse-cou. Bien sûr, tout le monde y a mis du sien, à
commencer par Benoît XVI lui-même. J’ai admiré sa sérénité constante, mais
surtout le sens de la mesure qui l’a guidé sur tout le parcours. Il a fait
preuve d’une vertu (au sens fort du terme) qui caractérise l’Église romaine,
la discretio, la sobriété dans les paroles et les gestes; cela a beaucoup
joué pour désamorcer les passions, faire tomber les préjugés. Il a, sans le
prétendre, aidé un grand et noble pays à se révéler, à se dévoiler à
lui-même, à mieux découvrir ses contradictions mais aussi ses légitimes
aspirations. Mais l’euphorie qui affleure tout au long doit être tempérée.
Car la caravane passe, mais le paysage reste le même avec ses ombres et ses
lumières. À nous tous de continuer à “suivre” le pape dans la visite
pastorale qu’il ne cessera de reprendre et de creuser à travers la Turquie,
car il nous l’a dit: il y a laissé un morceau de son cœur.
Benoît XVI en Turquie: du 28 novembre au 1er décembre - tous les textes
Les photos du voyage:
cliquez ici
(pages 16 à 22)
Sources:
©
30Jours
dans l’Église et dans le monde.-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.02.2007 - BENOÎT XVI -
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