Synode sur la Parole de Dieu dans
l'Église |
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Cité du Vatican, le 07 octobre 2008 -
(E.S.M.)
- Dans la 2ème
partie du premier rapport du cardinal Ouellet, Rapporteur
général avant le débat, nous traitons de la Parole de Dieu
dans la vie de l'Église en commençant par le dialogue de l'Église avec
Dieu dans la sainte Liturgie qui est le berceau de la Parole, son Sitz
im Leben.
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II. COMMUNIO: LA PAROLE DE DIEU DANS LA VIE DE L'ÉGLISE
1ère partie
►
Synode des Évêques : premier
rapport du cardinal Marc Ouellet
Le 07 octobre 2008 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
-
La Liturgie est considérée comme l'exercice de la fonction sacerdotale de
Jésus Christ, exercice dans lequel le culte public intégral est exercé par
le Corps mystique de Jésus Christ, c'est-à-dire par le Chef et par ses
membres (cf.
Sacramentum Caritatis, 7). C'est pourquoi la Constitution
Sacrosanctum Concilium
insiste sur les différentes modalités de la présence du Christ dans la
Liturgie. "Il est là présent dans le sacrifice de la messe, et dans la
personne du ministre, ‹le même offrant maintenant par le ministère des
prêtres, qui s'offrit alors lui-même sur la croix › et, au plus haut point,
sous les espèces eucharistiques". Le Christ "est là présent dans sa parole,
car c'est lui qui parle tandis qu'on lit dans l'Église les Saintes
Écritures"» (SC 7).
"C'est lui qui parle tandis qu'on lit dans l'Église les Saintes Écritures".
On ne saurait trop insister sur les implications pastorales de cette
affirmation conciliaire solennelle. Elle nous rappelle que le sujet premier
de la sainte Liturgie est le Christ lui-même s'adressant à son Peuple et
s'offrant à son Père en sacrifice d'amour pour le salut du monde. Même si
dans l'accomplissement des rites liturgiques, l'Église semble avoir le
premier rôle, en fait elle joue toujours un rôle subordonné, au service de
la Parole et de Celui qui parle. L'ecclésiocentrisme est étranger à la
réforme du Concile. Quand la Parole est proclamée, c'est le Christ qui parle
au nom de son Père, et l'Esprit Saint nous fait accueillir sa Parole et
communier à sa vie. L'assemblée liturgique existe en autant qu'elle est
centrée sur la Parole et non sur elle-même. Autrement, elle dégénère en un
quelconque groupe social.
Par cette insistance, l'Église nous enseigne que la Parole de Dieu, c'est
d'abord Dieu qui parle. Déjà dans la Première Alliance, Dieu parle à son
peuple par Moïse qui lui rapporte ensuite la réponse du peuple aux paroles
de Yahvé: "tout ce que Yahvé a dit, nous le ferons"
(Ex 19, 8) [22] Dieu
parle moins pour nous instruire que pour se communiquer lui-même et "nous
introduire dans sa communion" (Dei
Verbum 2). L'Esprit Saint réalise cette communion
en rassemblant la communauté autour de la Parole et en actualisant le
mystère pascal du Christ où il se livre lui-même en communion. Car, selon
les Écritures, la mission du Verbe incarné culmine dans la communication de
l'Esprit divin [23]. Dans cette lumière trinitaire et pneumatologique, il
apparaît plus clairement que la sainte Liturgie est le dialogue vivant entre
Dieu qui parle et la communauté qui écoute et répond par la louange,
l'action de grâce et l'engagement dans la vie et la mission. Comment
cultiver chez les fidèles la conscience que la Liturgie est l'exercice de la
fonction sacerdotale de Jésus Christ à laquelle l'Église est associée comme
Épouse bien-aimée ? Quelles conséquences devrait avoir la redécouverte de ce
lieu originel de la Parole sur l'herméneutique biblique, sur la célébration
eucharistique et tout particulièrement sur la place et la fonction de la
Liturgie de la Parole, incluant l'homélie ?
a) Parole et Eucharistie
L'Église a toujours témoigné son respect à l'égard des Écritures, tout comme
à l'égard du Corps du Seigneur lui-même, puisque, surtout dans la Sainte
Liturgie, elle ne cesse, de la table de la Parole de Dieu comme de celle du
Corps du Christ, de prendre le pain de vie et de le présenter aux fidèles.
(DV 21)
En comparant la Liturgie de la Parole et l'Eucharistie à deux "tables", la
DV voulait souligner à juste titre l'importance de la Parole. Cette
expression reprend une donnée traditionnelle qu'on trouve fortement exprimée
chez Origène, par exemple, quand il exhorte au respect de la Parole comme à
celui du corps du Christ: "Que si, lorsqu'il s'agit de son corps, vous
apportez à juste titre tant de précautions, pourquoi voudriez-vous que la
négligence de la Parole de Dieu mérite un moindre châtiment que celle de son
corps ?"» [24]
Si l'on tient à conserver la métaphore des deux tables, ne devrions-nous pas
nuancer la manière de les vénérer ? [25] Ne devrions-nous pas aussi souligner
surtout leur unité car elles servent le même "Pain de vie"
(Jn 6, 35-58) aux fidèles ? Que ce soit sous la forme de la Parole à croire ou de la Chair à
manger, la Parole proclamée et la Parole prononcée sur les oblats
participent à un même événement sacramentel. La Liturgie de la Parole porte
en elle-même une force spirituelle qui est toutefois décuplée par son lien
intrinsèque avec l'actualisation du mystère pascal: la Parole de Dieu qui se
fait Chair sacramentelle par la puissance de l'Esprit. Ce mystère
sacramentel s'accomplit par des paroles, comme le rappelle le Concile de
Trente [26], et aussi par l'action de l'Esprit Saint qui repose sur le
ministre ordonné et qui est explicitement invoqué dans l'épiclèse.
L'Esprit confère à la Parole proclamée dans la Liturgie une vertu
performative, c'est-à-dire "vivante et efficace" (Hé 4, 12). Cela signifie,
rappelle le pape Benoît XVI,
que la Parole liturgique, comme l'Évangile, "n'est pas uniquement une
communication d'éléments que l'on peut connaître, mais une communication qui
produit des faits et qui change la vie"» [27
Benoît XVI,
Spe Salvi, 2] . Cette vertu performative de la
Parole liturgique dépend du fait que Celui qui parle ne veut pas d'abord
instruire par sa Parole, mais se communiquer lui-même. Celui qui écoute et
répond n'adhère pas seulement à des vérités abstraites ; il s'engage
personnellement avec toute sa vie, manifestant ainsi son identité de membre
du Corps du Christ. L'Esprit Saint est la clé de cette communication vitale.
C'est lui qui façonne le Corps sacramentel et ecclésial du Christ, comme il
a façonné en Marie son Corps de chair et, selon le mot d'Origène, le "Corps
de l'Écriture" [28] Origène, Traité des principes, IV, 2.8. ; cf.
Benoît XVI,
Sacramentum Caritatis, 12-13.. Ainsi, avec le Fils et l'Esprit, "le Père qui est aux
cieux s'avance de façon très aimante à la rencontre de ses fils [et] engage
conversation avec eux" (DV 21). Comment devrait-on former des disciples et
des ministres qui soient capables de mettre en valeur la dimension
trinitaire et responsoriale de la Liturgie ? Ces incidences pastorales
n'engagent pas seulement une réforme des études, mais aussi une
revalorisation de la contemplation des Écritures.
b) L'homélie
Malgré la restauration dont l'homélie fut l'objet au Concile, nous
expérimentons encore l'insatisfaction de beaucoup de fidèles face au
ministère de la prédication. Cette insatisfaction explique en partie le
départ de beaucoup de catholiques vers d'autres groupes religieux. Pour
remédier aux lacunes de la prédication, nous savons qu'il ne suffit pas de
donner la priorité à la Parole de Dieu, car il faut aussi qu'elle soit
correctement interprétée dans le contexte mystagogique de la Liturgie. Il ne
suffit pas non plus de recourir à l'exégèse ni d'utiliser de nouveaux moyens
pédagogiques ou technologiques; il ne suffit même plus que la vie
personnelle du ministre soit en profonde harmonie avec la Parole annoncée.
Tout cela est très important, mais peut demeurer extrinsèque à
l'accomplissement du mystère pascal du Christ. Comment aider les homélistes
à mettre la vie et la Parole en relation avec cet événement eschatologique
qui fait irruption au cœur de l'assemblée ? L'homélie doit atteindre la
profondeur spirituelle, c'est-à-dire christologique de la Sainte
Écriture [29]. Comment éviter la tendance au moralisme et cultiver l'appel à
la décision de foi ?
L'Instrumentum
laboris a mis en exergue le passage de Luc 4, 21, qui parle
de la "première homélie" de Jésus dans la synagogue de Nazareth: "Alors il
commença à leur dire: Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous
qui l'entendez". L'Évangile de Luc introduit cette séquence d'une façon
solennelle, en faisant comme un résumé de la prédication et du destin de
Jésus. Dans un certain sens, la scène dans la synagogue de Nazareth fut un
symbole de sa vie. Les gens se sont émerveillés du message de grâce qui
sortait de sa bouche, mais à la fin, ils étaient prêts à le jeter dans le
précipice. Le début de sa prédication fut le prologue du mystère pascal.
"Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez"
(Lc 4,
21). Entre l'aujourd'hui du Ressuscité et l'aujourd'hui de l'assemblée, il y
a la médiation de l'Écriture portée par l'Esprit sur les lèvres de l'homéliste.
"Tous étaient émerveillés des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche"
(Lc
4, 22). Illuminé par l'Esprit Saint, le texte expliqué de façon simple et
familière sert de médiation pour la rencontre entre le Christ et la
communauté. L'accomplissement de l'Écriture survient ainsi dans la foi de la
communauté qui accueille le Christ comme Parole de Dieu. L'aujourd'hui qui
intéresse le prédicateur est l'aujourd'hui de la foi, la décision de foi de
s'abandonner au Christ et de lui obéir jusque dans les exigences morales de
l'Évangile.
Le prêtre en tant que ministre de la Parole complète ce qui manque à la
prédication de Jésus pour son corps qui est l'Église. Il partage les
souffrances de la préparation, les difficultés de la communication, mais
surtout la joie d'être instrument de l'Esprit Saint au service d'un
avènement très radical : "l'accueil de l'homme à l'offrande d'amour de Dieu
qui se présente à lui dans le Christ".
[30] J. Ratzinger, Dogma e predicazione, Op. cit., p. 50; cf. Benoît
XVI,
Sacramentum Caritatis, 46.
c) L'Office divin
Comme le souligne le pape Benoît XVI,
Dieu continue de parler avec son peuple par son Fils, dans l'Esprit, "non
seulement par la célébration de l'Eucharistie, mais aussi par d'autres
moyens et surtout par l'accomplissement de l'Office divin"
(Sacramentum
Caritatis 83). Le
Christ Jésus "a introduit dans notre exil terrestre cette hymne qui se
chante éternellement dans les demeures célestes. Il s'adjoint toute la
communauté des hommes et se l'associe dans ce divin cantique de louange".
"Ainsi, écrit saint Augustin, notre Seigneur Jésus Christ, unique Sauveur de
son Corps mystique, prie pour nous, prie en nous, et reçoit nos prières. Il
prie pour nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre chef, il
reçoit nos prières comme notre Dieu. Reconnaissons donc, et que nous parlons
en lui, et qu'il parle en nous" [31].
L'Office divin fait partie de l'exercice de la fonction sacerdotale de Jésus
Christ, à laquelle l'Église est intimement associée comme Épouse du Verbe
incarné. La restauration de l'Office divin, réalisée par le Concile, a
produit de grands fruits dans l'Église grâce au développement d'une pratique
beaucoup plus répandue en des formes simplifiées qui permettent un contact
fréquent et priant avec la Parole de Dieu. Cette pratique monastique et
conventuelle, assaisonnée aussi de lectures patristiques, demeure un élément
constitutif de la tradition ecclésiale et représente par conséquent une
référence importante pour l'interprétation de l'Écriture dans l'Église.
Cette pratique ecclésiale incarne la finalité spirituelle des Saintes
Écritures et met en valeur la prière insurpassable des psaumes. "Certes,
toute la Sainte Écriture, de l'Ancien comme du Nouveau Testament, est
inspirée par Dieu et utile pour l'enseignement, ainsi qu'il est écrit
néanmoins le livre des Psaumes, écrit saint Athanase, comme un paradis
contenant tous les fruits des autres livres, propose ses chants et ajoute
ses propres fruits aux autres dans la psalmodie"
[32]. Celui qui chante les psaumes est comme devant un "miroir" où il peut
retrouver ses propres sentiments, comme Augustin qui confesse qu'ainsi "la
vérité s'infiltrait dans mon cœur que la ferveur transportait, mes larmes
coulaient et cela me faisait du bien" [33].
Le Synode devrait rappeler à quel point la pratique fervente de l'Office
divin, selon la règle propre de chaque communauté, demeure un précieux
ferment de vie communautaire et de joie [34]. Elle incarne la Sequela Christi,
l'union de l'Épouse à l'Époux dans la louange d'amour et d'intercession pour
la gloire de Dieu et le salut du monde.
2. Lectio divina
La tradition de l'Église véhicule aussi la pratique de la Lectio divina
comme une contemplation savoureuse de la Sainte Écriture, à la manière de
Marie qui méditait dans son cœur tous les mystères de Jésus. "Marie
recherchait le sens spirituel des Écritures et elle le trouvait en le
rapportant (symballousa) aux
paroles, à la vie de Jésus et aux événements qu'elle découvrait
progressivement dans son histoire personnelle". En cela, "Marie devient un
symbole pour nous, pour la foi des gens simples et pour celle des docteurs
de l'Église qui étudient, évaluent et définissent la façon de professer
l'Évangile" [35].
"Je voudrais surtout évoquer et recommander l'antique tradition de la Lectio
divina"», écrit le pape Benoît XVI. "La lecture assidue de l'Écriture
sainte, accompagnée par la prière, réalise le dialogue intime dans lequel,
en lisant, on écoute Dieu qui parle et, en priant, on lui répond, avec une
ouverture du cœur confiante" (cf
DV 25). Cette pratique, si elle est promue
de façon efficace, apportera à l'Église, j'en suis convaincu, un nouveau
printemps spirituel".
[36] Benoît XVI, "Ad Conventum Internationalem La Sacra Scrittura nella vita
della Chiesa" (16.09.2005)
Pour que les pratiques de la Lectio divina soient vécues avec plus de fruit,
le texte de la
DV 23 nous place dans la juste lumière en évoquant l'Église,
Épouse du Verbe incarné, qui est animée et instruite par le Saint-Esprit.
Cette ecclésiologie nuptiale introduit d'elle-même le climat d'amour et de
réciprocité qui favorise la contemplation de l'Écriture. Cette indication
précieuse nous aide à prendre conscience des présupposés ecclésiologiques
qui jouent un rôle plus important qu'il ne paraît dans le dialogue avec Dieu
à même le texte sacré. Dans la mesure où l'Église, dans ses membres, se
perçoit comme une épouse bien-aimée, objet d'un amour d'élection, il devient
tout naturel de se tourner amoureusement vers la Sainte Écriture comme vers
la source sans cesse jaillissante de l'amour divin [37].
"Dans cette perspective, il faut prendre en considération, comprendre
correctement et récupérer l'exégèse extraordinaire des Pères ainsi que la
grande intuition médiévale des ‹quatre sens des Écritures, qui n'ont
aucunement perdu leur intérêt" [38]. La pratique de la Lectio divina produira
des fruits pour autant qu'elle baignera dans une atmosphère de confiance à
l'égard des Écritures, ce qui suppose une exégèse du texte "dans le même
Esprit qui l'a fait écrire" (DV 12). Dans ce contexte, on ne saurait trop
encourager "l'étude des saints Pères de l'Orient et de l'Occident, et des
saintes Liturgies" (DV
23).
Bref, la Lectio divina peut beaucoup apporter au dialogue de l'Église avec
Dieu, à la formation des disciples et des communautés chrétiennes, et même
au rapprochement des Églises et communautés ecclésiales par la "lecture
spirituelle commune de la Parole de Dieu [39]".
Il est souhaitable que le Synode encourage la recherche de stratégies
nouvelles, simples et attrayantes, adaptées à l'ensemble du peuple chrétien
ou à des catégories particulières de fidèles, pour développer le goût et la
pratique d'une lecture continue, tant communautaire que personnelle, de la
Parole de Dieu.
B. L'interprétation ecclésiale de la Parole de Dieu
1. Éléments de problématique
L'interprétation des Écritures dans l'Église a donné lieu, depuis les
origines apostoliques, à des conflits et à des tensions récurrentes. Des
schismes et des séparations ont rajouté d'autres obstacles. Parallèlement à
ces événements malheureux, l'exégèse et la théologie se sont éloignées non
seulement l'une de l'autre, mais aussi de l'interprétation spirituelle de
l'Écriture qui était courante à l'âge patristique [40]. Le modèle
contemplatif de la théologie monastique et patristique a cédé la place à un
modèle spéculatif et souvent polémique sous l'influence des erreurs à
combattre et des découvertes historiques, philosophiques et scientifiques.
Ajoutons encore le tournant anthropocentrique de la pensée moderne, qui a
écarté la métaphysique de l'être au profit d'une épistémologie immanentiste.
Prisonnier de l'enceinte enchantée du cogito (Ricœur), l'homme est fasciné
par ses propres prouesses spéculatives (Hegel), mais il perd le sens de
l'émerveillement devant le mystère de l'être et de la Révélation [41].
Dans ce contexte de séparation et de conflit entre la foi et la raison, on
assiste à la remise en question de l'unité de l'Écriture et à une
fragmentation excessive des interprétations. Dorénavant, le rapport interne
de l'exégèse à la foi ne fait plus l'unanimité et des tensions augmentent
entre exégètes, pasteurs et théologiens [42]. On complète certes de plus en
plus l'exégèse historico-critique par d'autres méthodes, dont certaines
renouent avec la tradition et l'histoire de l'exégèse [43]. Mais d'une façon
générale, après plusieurs décennies de concentration sur les médiations
humaines de l'Écriture, ne faut-il pas retrouver la profondeur divine du
texte inspiré sans perdre les acquis précieux des nouvelles méthodologies ?
On ne saurait trop insister sur ce point car la crise de l'exégèse et de
l'herméneutique théologique affecte profondément la vie spirituelle du
Peuple de Dieu et sa confiance dans les Écritures. Elle affecte aussi la
communion ecclésiale, à cause du climat de tension souvent malsain entre la
théologie universitaire et le Magistère ecclésial. Face à cette situation
délicate, et sans entrer dans les débats d'écoles, le Synode doit donner une
orientation pour assainir les rapports et favoriser l'intégration des acquis
des sciences bibliques et herméneutiques dans l'interprétation ecclésiale
des Saintes Écritures [44].
Les dialogues en ce sens, promus par la Congrégation de la doctrine de la
foi, devraient être intensifiés, afin d'approfondir de façon
multidisciplinaire et respectueuse des compétences les points en litige et
de préparer ainsi le jugement de l'Église qui doit s'acquitter "de l'ordre
et du ministère divin de garder et d'interpréter la Parole de Dieu"
(DV
12).
La Commission biblique pontificale et la Commission théologique
internationale jouent un rôle important et hautement apprécié en ce sens. Le
Synode pourrait reconnaître la précieuse contribution de ces organismes et
encourager des sessions conjointes [45] afin d'intensifier le dialogue entre
pasteurs, théologiens et exégètes. Il pourrait aussi suggérer des rencontres
régionales du même genre qui aideraient à cultiver un climat sain de
communion et de service de la Parole de Dieu. Le Synode pourrait proposer en
outre qu'on prenne comme axe d'intégration de cette recherche d'unité le
sens spirituel de l'Écriture [46].
2. Le sens spirituel de l'Écriture
"Le théologien averti reconnaît sans ambages, écrit le Père de Lubac, que
l'existence d'un double sens littéral et spirituel est une donnée
inaliénable de la tradition. Elle fait partie du patrimoine chrétien. Il [le
sens spirituel] est, redisons-le avec les Pères, le Nouveau Testament
lui-même, avec toute sa fécondité, se révélant à nous ' comme
accomplissement et transfiguration de l'Ancien'" [47]. Selon saint Thomas d'Aquin,
le sens spirituel suppose le sens littéral et s'y appuie [48]. Cependant,
toute interprétation symbolique ou spirituelle doit conserver une
homogénéité avec le sens littéral. Car, "admettre des sens hétérogènes
équivaudrait à couper le message biblique de sa racine, qui est la Parole de
Dieu communiquée historiquement, et à ouvrir la porte à un subjectivisme
incontrôlable" [49].
Cette crainte du subjectivisme et le manque de réflexion contemporaine sur
l'inspiration scripturaire expliquent la lenteur de l'exégèse catholique
contemporaine à s'intéresser réellement au sens spirituel de l'Écriture [50].
Cependant, une évolution significative se dessine en ce sens: "En règle
générale, écrit la Commission biblique pontificale, on peut définir le sens spirituel, compris selon la
foi chrétienne, comme le sens exprimé par les textes bibliques, lorsqu'on
les lit sous l'influence de l'Esprit Saint dans le contexte du mystère
pascal du Christ et de la vie nouvelle qui en résulte" [51]. Cette définition
rejoint bien l'orientation de la
DV 12, demandant d'interpréter les textes
bibliques dans le même Esprit qui les a fait écrire.
En effet, c'est l'Esprit qui a préparé les événements de l'Ancien et du
Nouveau Testaments selon une progression allant de la promesse à
l'accomplissement ; c'est par l'Esprit qu'ont été interprétés ces événements
par des paroles prophétiques et des relectures symboliques ou sapientielles,
afin de conduire le Peuple de Dieu, par purifications et approfondissements
successifs, à la rencontre de Jésus Christ, plénitude de la Révélation. Au
fond, le sens spirituel de l'Écriture, "le sens véritable reste celui de
l'Esprit Saint" [52]. "Quant à moi, écrit saint Bernard, ainsi que le
Seigneur me l'a enseigné, je chercherai dans les profonds recès de la parole
sacrée son Esprit et son sens vivant ; telle est ma part, puisque je crois
en Jésus Christ. Comment n'essaierais-je pas de tirer de la lettre morte et
insipide un aliment spirituel savoureux et salutaire, comme on sépare le
grain de la balle, la noix de sa coquille ou comme on extrait la moelle d'un
os ? Je n'ai point affaire de cette lettre qui a le goût de chair et qui
donne la mort à qui l'avale. Mais ce qui est caché sous son enveloppe vient
du Saint-Esprit" [53].
La pratique de l'exégèse spirituelle de l'Écriture requiert ici encore un
approfondissement pneumatologique. Il ne suffit pas seulement de lire "sous
l'influence de l'Esprit Saint", il faut chercher à percevoir dans la lettre
l'Esprit qui y est contenu. Ainsi, le Saint-Esprit n'est pas simplement un
agent extrinsèque de la production de la Sainte Écriture ; il est celui qui,
dans la Bible, s'exprime de concert avec la Parole du Père qu'est
Jésus-Christ. Dans le prolongement de cette recherche, il serait opportun
que le Synode s'interroge sur la pertinence d'une encyclique éventuelle sur
l'interprétation de l'Écriture dans l'Église.
3. L'exégèse et la théologie
L'exégèse et la théologie s'occupent du même objet, la Parole de Dieu, mais
dans des perspectives différentes et complémentaires. L'exégète étudie la
"lettre" de l'Écriture "avec le même Esprit qui l'a fait écrire [54], pour
découvrir correctement le sens des textes sacrés"
(DV
12). Il est attentif à
la genèse historique des textes, à leur genre littéraire, à leur
structuration, mais aussi au rapport entre les différents livres de la Bible
et entre l'un et l'autre Testament. Le Synode devrait saluer le regain
d'intérêt pour l'approche canonique de l'Écriture et les efforts pour
proposer des synthèses de théologie biblique comme d'intéressants pas en
avant dans le sens d'une intelligence globale de l'Écriture. Le théologien,
lui aussi, s'efforce d'interpréter la "lettre" en fonction de "l'unité de
l'Écriture tout entière, compte tenu de la tradition vivante de l'Église
tout entière" (DV
12), des langages philosophiques et autres qui marquent la
culture de son époque, et en respectant autant que possible les sensibilités
particulières de ses contemporains.
Exégètes et théologiens savent que "les Saintes Écritures contiennent la
Parole de Dieu et, parce qu'elles sont inspirées, elles sont réellement la
Parole de Dieu; aussi l'étude des Saintes Lettres doit-elle être comme l'âme
de la sainte théologie" (DV
24. Cette Parole de Dieu est toujours et
simultanément la Parole de la foi, le témoignage d'un peuple et de ses
auteurs inspirés. En conséquence, les méthodes exégétiques et théologiques
doivent refléter l'interdépendance de la « lettre », de l'Esprit et de la
foi dans le travail d'interprétation. Le rapport d'Alliance entre Dieu et
son peuple habite le texte lui-même et commande une interprétation qui soit
non seulement noétique, mais dynamique et dialogale. Bref, ou bien les
exégètes et les théologiens interprètent rigoureusement la Bible dans la foi
et l'écoute de l'Esprit, ou bien ils s'en tiennent aux caractéristiques
superficielles du texte s'ils se limitent à des considérations historiques,
linguistiques ou littéraires.
Parmi les tâches urgentes de la recherche, il importe d'approfondir
l'épistémologie théologique à l'aide des Pères de l'Église et des saints.
Par leur attitude personnelle et méthodique de foi contemplative, ceux-ci
s'ouvrent à la profondeur du texte, c'est-à-dire à la présence de Dieu qui
parle maintenant par celui-ci et interpelle l'auditeur. D'où leur témoignage
d'une "science de l'amour [55]" qui demeure la voie d'accès par excellence à
la connaissance de Dieu. "La justesse inspirée avec laquelle les saints les
moins spéculatifs insistent sur certains aspects de la vie chrétienne peut
avoir des effets imprévisibles sur la théologie vivante de l'Église. Pensez
à la règle de saint Benoît au testament de saint François d'Assise, aux
Exercices de saint Ignace" [56]. Même si les saints en question ne sont pas
des théologiens de profession, les accents propres de leur vie servent de
"canons" et de règles d'interprétation de la Révélation car "ce sont ceux qui
aiment qui en savent le plus long sur Dieu. C'est eux que le théologien doit
écouter" [57]. Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus savait que sa voie d'enfance
spirituelle était un exemple à imiter et saint Paul, dans la Bible
chrétienne, se donne lui-même en exemple.
"Pour une éthique anthropologique close, la franchise avec laquelle saint
Paul démontre en lui-même la sainteté chrétienne - afin de démontrer la
vérité dogmatique - et présente l'analyse de sa propre existence devant
l'Église tout entière et devant le monde aura toujours quelque chose de
choquant. Mais elle n'est que le reflet exact et docile, sur le plan
ecclésial, de l'extraordinaire affirmation du Christ, celle d'être lui-même
dans son existence vivante la vérité de Dieu" [58]. "La manière dont saint
François comprend l'Écriture se distingue sur des points essentiels de celle
de ses biographes. Ceux-ci sont familiers avec les méthodes scientifiques
d'alors et s'engagent dans une exégèse symbolique où aucune limite n'est
imposée à l'imagination. Il en est tout autrement chez François : il n'a
aucune idée des principes herméneutiques acceptés de son temps. Son exégèse
est réaliste, concrète, son imagination est liée à la lettre de
l'Écriture" [59]. Bref, les saints contemplent avec les yeux de l'Esprit les
profondeurs de Dieu qui émergent de la Sainte Écriture [60]. "Les saints sont
à l'Évangile ce qu'est une partition chantée par rapport à une partition
notée", écrit saint François de Sales [61].
3ème partie
►
Jésus de Nazareth du pape Benoît XVI, un événement majeur
►
les 3 parties en PDF
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Sources : www.vatican.va
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E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 07.10.2008 -
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