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19 Avril 2005
 

Synode des Évêques : premier rapport du cardinal Marc Ouellet

 

Cité du Vatican, le 07 octobre 2008  - (E.S.M.) - "Nous sommes réunis en la XIIème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques pour écouter ce que l'Esprit dit aux Églises aujourd'hui à propos de 'la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l'Église'". C'est le premier rapport du cardinal Ouellet, Rapporteur général avant le débat en présence du pape Benoît XVI.

 La salle du Synode

Synode des Évêques : premier rapport du cardinal Marc Ouellet, Archevêque de Québec

Le 07 octobre 2008 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde - Premier rapport du cardinal Ouellet, Rapporteur général avant le débat.

INTRODUCTION

"À l'ange de l'Église qui est à Smyrne, écris: "Ainsi parle le Premier et le Dernier, celui qui fut mort, mais qui est revenu à la vie : '…Sois fidèle jusqu'à la mort et je te donnerai la couronne de vie'."Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Églises" (Ap 2, 8.10-11).

Nous sommes réunis en la XIIème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques pour écouter ce que l'Esprit dit aux Églises aujourd'hui à propos de "la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l'Église". Nous partageons la conviction des Pères de l'Église, exprimée par saint Césaire d'Arles, que "la lumière de l'âme et sa nourriture éternelle ne sont pas autre chose que la Parole de Dieu, sans laquelle l'âme ne peut jouir de la vue ni même de la vie : notre corps meurt, faute d'absorber des aliments; de la même façon, notre âme périt, faute de recevoir la Parole de Dieu".[1]

Le but du Synode est éminemment pastoral et missionnaire. Il consiste à écouter ensemble la Parole de Dieu afin de discerner comment l'Esprit et l'Église aspirent à répondre au don du Verbe incarné par l'amour des Saintes Écritures et l'annonce du Règne de Dieu à toute l'humanité. Faisons nôtre la prière de saint Paul qui nous plonge au cœur du mystère de la Révélation:
C'est pourquoi je fléchis les genoux devant le Père, de qui toute famille tient son nom, au ciel et sur la terre ; qu'Il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance, par son Esprit, pour que se fortifie en vous l'homme intérieur, qu'il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi; enracinés et fondés dans l'amour, vous aurez ainsi la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu'est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur... et de connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés jusqu'à recevoir toute la plénitude de Dieu. À celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et imaginer, à lui la gloire dans l'Église et en Jésus Christ, pour toutes les générations, aux siècles des siècles. Amen (Ep 3, 14-21).

Le Synode proposera des orientations pastorales pour "renforcer la pratique de la rencontre avec la Parole de Dieu comme source de vie", [2] en faisant le point sur la réception du Concile Vatican II concernant la Parole de Dieu dans son rapport au renouveau ecclésiologique, à l'œcuménisme et au dialogue avec les nations et les religions.

Par-delà les discussions théoriques, nous sommes invités à épouser l'attitude du Concile: "Quand il écoute religieusement et proclame hardiment la Parole de Dieu, le saint Concile obéit aux paroles de saint Jean: 'Nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous est apparue: ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, afin que vous soyez vous aussi en communion avec nous, et que notre communion soit avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ' (1 Jn 1, 2-3)" (DV 1).

Grâce à la vision trinitaire et christocentrique du Concile Vatican II, l'Église a renouvelé la conscience de son propre mystère et de sa mission. La Constitution dogmatique Lumen Gentium et la Constitution pastorale Gaudium et Spes développent une ecclésiologie de communion qui s'appuie sur une conception renouvelée de la Révélation. En effet, la Constitution dogmatique Dei Verbum a marqué un véritable tournant dans la manière de traiter de la Révélation divine. Au lieu de privilégier comme auparavant la dimension noétique des vérités à croire, les Pères conciliaires ont mis l'accent sur la dimension dynamique et dialogale [3] de la Révélation comme autocommunication personnelle de Dieu. Ils ont ainsi posé les bases pour une rencontre et un dialogue plus vivant entre Dieu qui appelle et son peuple qui répond.

Ce tournant a été largement salué comme un fait décisif par les théologiens, les exégètes et les pasteurs [4]. Cependant, on reconnaît assez généralement que la Constitution Dei Verbum a été insuffisamment reçue et que le tournant qu'elle a inauguré n'a pas encore donné tous les fruits désirés et attendus dans la vie et la mission de l'Église [5]. Compte tenu des progrès accomplis, il faut se demander pourquoi le modèle de la communication personnelle [6] n'a pas pénétré davantage la conscience de l'Église, sa prière, ses pratiques pastorales de même que les méthodes théologiques et exégétiques. Le Synode doit proposer des solutions concrètes pour combler les lacunes et remédier à l'ignorance des Écritures qui ajoute aux difficultés actuelles de l'évangélisation.

Reconnaissons en effet que la vie de foi et l'élan missionnaire des chrétiens sont profondément affectés par divers phénomènes socioculturels tels que la sécularisation, le pluralisme religieux, la mondialisation et l'explosion des moyens de communication, avec les conséquences multiples de ces phénomènes, notamment l'écart grandissant entre riches et pauvres, le foisonnement des sectes ésotériques, les menaces à la paix, sans oublier les assauts actuels contre la vie humaine et la famille [7].

À ces phénomènes socioculturels, ajoutons les difficultés internes de l'Église touchant la transmission de la foi dans la famille, les déficiences de la formation catéchistique, les tensions entre le Magistère ecclésial et la théologie universitaire, la crise interne de l'exégèse et son rapport à la théologie, et d'une façon plus générale "un certain fossé entre les experts et les pasteurs et entre les experts et les gens simples des communautés chrétiennes" (IL 7a).

Le Synode doit faire face au grand défi de la transmission de la foi en la Parole de Dieu aujourd'hui. Dans un monde pluraliste, marqué par le relativisme et l'ésotérisme [8], la notion même de Révélation pose question [9] et appelle des clarifications.

Convocatio, communio, missio. Autour de ces trois mots clés qui traduisent la triple dimension, dynamique, personnelle et dialogale, de la Révélation chrétienne, nous exposerons la structure thématique de l'Instrumentum laboris. La Parole de Dieu convoque, elle fait communier au dessein de Dieu par l'obéissance de la foi et elle envoie le peuple élu vers les nations. Cette Parole d'Alliance culmine en Marie qui accueille dans la foi le Verbe incarné, le Désiré des nations. Nous reprendrons les trois dimensions de la Parole d'Alliance telles que l'Esprit Saint les a incarnées dans l'histoire du salut, les Saintes Écritures et la Tradition ecclésiale.

Demandons à l'Esprit Saint d'amplifier ce désir de redécouvrir la Parole de Dieu, toujours actuelle et jamais dépassée. Cette Parole a la puissance de "remettre au monde", de rajeunir l'Église et de susciter une nouvelle espérance en vue de la mission. Benoît XVI nous a rappelé que cette grande espérance repose sur la certitude que "Dieu est Amour" (Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas Est) et que, «dans le Christ, Dieu s'est manifesté» (Benoît XVI, Lettre encyclique Spe Salvi, no 9.) pour le salut de tous.

I. CONVOCATIO: IDENTITÉ DE LA PAROLE DE DIEU

A. DIEU PARLE

"In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum" (Jn 1, 1s). D'entrée de jeu, il nous faut partir du mystère de Dieu tel qu'il nous est révélé dans la Sainte Écriture. Le Dieu de la Révélation est un Dieu qui parle, un Dieu qui est en lui-même Parole et qui se donne à connaître à l'humanité de multiples manières (He 1, 1). Grâce à la Bible, l'humanité se sait interpellée par Dieu ; l'Esprit lui donne d'écouter et d'accueillir la Parole de Dieu, devenant ainsi l'Ecclesia, la communauté rassemblée par la Parole. Cette communauté croyante reçoit son identité et sa mission de la Parole de Dieu qui la fonde, la nourrit et l'engage au service du Règne de Dieu [12].

Clarifions au départ les multiples significations de la Parole de Dieu. Le prologue de Jean offre la perspective la plus haute et la plus englobante pour apporter ces clarifications. Par le terme Logos, l'évangéliste désigne une réalité transcendante qui était auprès de Dieu et qui est Dieu lui-même. Ce Logos est "auprès de Dieu et tourné vers Dieu" ( ) (Jn 1, 1) dans le principe, c'est-à-dire avant toutes choses, en Dieu même ( ). La fin du prologue précise la nature divine personnelle du Logos par ces mots : "Personne n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans et tourné vers le sein du Père, nous l'a dévoilé" (Jn 1, 18).

Dans ses lettres aux Colossiens et aux Éphésiens, saint Paul exprime d'une façon à peu près équivalente le mystère du Christ, Parole de Dieu : "Il est l'image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature, car en lui tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles comme les invisibles… Tout a été créé par lui et pour lui" (Col 1, 15-16). Dans son dessein de salut, Dieu a voulu "réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. En lui aussi, nous avons reçu notre part : suivant le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté, nous avons été prédestinés pour être, à la louange de sa gloire, ceux qui ont d'avance espéré dans le Chris" (Ep 1, 10-12).

B. LE VERBE DE L'ALLIANCE NOUVELLE ET ÉTERNELLE, JÉSUS-CHRIST

La Parole de Dieu signifie donc premièrement Dieu lui-même qui parle, qui exprime en lui-même un Verbe divin appartenant à son mystère intime. Ce Verbe divin donne origine à toutes choses, car "rien de ce qui fut ne fut sans lui" (Jn 1, 3). Il parle de multiples langages, notamment celui de la création matérielle, de la vie et de l'être humain. "En lui était la Vie, et la Vie était la lumière des hommes" (Jn 1, 4). Il parle en outre d'une façon particulière et même dramatique dans l'histoire des hommes, notamment par l'élection d'un peuple, par la loi de Moïse et les prophètes.

Enfin, après avoir parlé de multiples façons (cf. He 1, 1), il récapitule et couronne tout d'une façon unique, parfaite et définitive en Jésus Christ. "Et Verbum caro factum est et habitavit in nobis" (Jn 1, 14). Le mystère du Verbe divin incarné occupe le centre du prologue et de tout le Nouveau Testament. "C'est pourquoi Jésus Christ - qui le voit voit aussi le Père (Jn 14, 9) -, par toute sa présence, par tout ce qu'il montre de lui-même, par ses paroles, par ses œuvres, par ses signes, par ses miracles, mais surtout par sa mort et sa glorieuse résurrection d'entre les morts, enfin par l'envoi qu'il fait de l'Esprit de vérité, donne à la Révélation son dernier achèvement et la confirme par le témoignage divin: Jésus Christ, c'est Dieu-avec-nous…» (DV 4).

La Parole de Dieu dont témoigne l'Écriture revêt par conséquent différentes formes et recèle différents niveaux de signification. Elle désigne Dieu lui-même qui parle, son Verbe divin, son Verbe créateur et sauveur, et finalement son Verbe incarné en Jésus Christ, "médiateur et plénitude de la Révélation" (DV 2). Pour Luc, la Parole de Dieu s'identifie même à l'enseignement oral de Jésus (Lc 5, 1-3), voire au message pascal, le kérygme, qui, par la prédication des apôtres, "croît et se multiplie" à l'instar d'un organisme vivant (Ac 12, 24). Cette Parole de Dieu une et multiple, dynamique et eschatologique, personnelle et filiale, habite et vivifie l'Église par la foi; elle est consignée dans les Saintes Écritures comme un témoignage historique et littéraire, comme un dépôt sacré destiné à toute l'humanité. D'où cette nouvelle et décisive modalité de la Parole de Dieu, le texte sacré, la forme écrite qu'a retenue le peuple d'Israël comme témoignage de la première Alliance. D'où aussi les Écritures du Nouveau Testament que l'Église a reçues à son tour de l'Esprit Saint et de la Tradition apostolique, Écritures qu'elle considère comme normatives et définitives pour sa vie et sa mission.

Bref, la Parole de Dieu écrite ou transmise est une parole dialogale et même trinitaire. Elle s'offre à l'homme en Jésus Christ pour l'introduire dans la communion trinitaire et y trouver sa pleine identité. Selon le prologue johannique, ce Verbe personnel de Dieu interpelle l'humanité et pose immédiatement la question de son accueil: "Il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas accueilli"; mais "à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu" (Jn 1, 12).

Dieu parle et, de ce fait, l'homme est constitué comme un être interpellé. Cette dimension anthropologique de la Révélation est exprimée laconiquement dans la Constitution Dei Verbum 2: "Par le Christ, Verbe fait chair, les hommes ont, dans le Saint-Esprit, accès auprès du Père et deviennent participants de la nature divine". Sur ce thème anthropologique, les Pères de l'Église ont déployé la doctrine traditionnelle de l'Imago Dei. Saint Irénée de Lyon, par exemple, commentant saint Paul, parle du Fils et de l'Esprit comme des "mains du Père" qui façonnent l'homme à "l'image et à la ressemblance de Dieu" [13]. Il importe d'avoir à l'esprit cette dimension anthropologique de la Révélation, car elle joue un rôle très important aujourd'hui dans l'herméneutique des textes bibliques. Le Concile Vatican II a redéfini l'identité dialogale de l'homme à partir de la Parole de Dieu dans le Christ. "En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de Celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la Révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation" (GS 22 § 1). Il apparaît ainsi, dans cette lumière christologique, qu'en accueillant cette vocation sublime par la foi et l'amour l'homme accède à sa pleine identité personnelle dans l'Église, mystère de communion,"«peuple rassemblé dans l'unité du Père, du Fils et de l'Esprit Saint"» [14]. Sur le plan pastoral, ne devrait-on pas vérifier si cette théoanthropologie dialogale et filiale fondée sur le Christ occupe la place qui lui revient dans la Liturgie, la catéchèse et l'enseignement théologique? "Car dans les Livres saints, rappelle la DV, le Père qui est aux cieux s'avance de façon très aimante à la rencontre de ses fils, engage conversation avec eux; une si grande force, une si grande puissance se trouve dans la Parole de Dieu, qu'elle se présente comme le soutien et la vigueur de l'Église, et, pour les fils de l'Église, comme la solidité de la foi, la nourriture de l'âme, la source pure et intarissable de la vie spirituelle" (DV 21).

La vocation divine de l'homme, avons-nous dit, s'éclaire dans le mystère du Verbe incarné, nouvel Adam. Cette vocation lui confère son dynamisme transcendantal sous le mode d'un désir profond de Dieu, inscrit dans son être même. L'homme est un être de désir qui aspire à l'infini, mais il est aussi un être de service qui obéit à la Parole de Dieu: "Je suis la servante du Seigneur" (Lc 1, 38). Toute l'anthropologie se joue dans ce passage du désir au service qui fait de l'homme un être ecclésial, une anima ecclesiastica.

C. L'ÉPOUSE DU VERBE INCARNÉ

1. La Fille de Sion et l'Ecclesia

"Dans la communion de toute l'Église, nous voulons nommer en premier lieu la bienheureuse Marie toujours Vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur, Jésus-Christ" (Canon romain).

Une femme, Marie, accomplit parfaitement la vocation divine de l'humanité par son "oui" à la Parole d'Alliance et à sa mission. Par sa maternité divine et sa maternité spirituelle, Marie apparaît comme le modèle et la forme permanente de l'Église, comme la première Église. Arrêtons-nous à la figure charnière de Marie entre l'ancienne et le nouvelle Alliance qui accomplit le passage de la foi d'Israël à la foi de l'Église. Contemplons le récit de l'Annonciation qui est l'origine et le modèle insurpassable de l'auto-communication de Dieu et de l'expérience de foi de l'Église. Il nous servira de paradigme pour comprendre l'identité dialogale de la Parole de Dieu dans l'Église.

Du côté de Dieu qui parle apparaît en toute clarté la dimension trinitaire de la Révélation. L'ange de l'Annonciation parle au nom de Dieu le Père, qui prend l'initiative de s'adresser à sa créature pour lui signifier sa vocation et sa mission. Il s'agit d'un événement de grâce dont le contenu est communiqué malgré la frayeur et l'étonnement de sa créature: "Tu concevras et tu enfanteras un fils auquel tu donneras le nom de Jésus. Il sera appelé Fils du Très-Haut". Dans le dialogue vivant qui s'ensuit, Marie interroge: "Comment cela sera-t-il puisque je ne connais pas d'homme?" L'ange lui répond : "L'Esprit Saint viendra sur toi, c'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu" (Lc 1, 35).
Outre cette dimension trinitaire du récit de l'événement, le dialogue de Marie avec l'ange nous instruit en même temps sur la réaction vitale de l'interpellée, sa frayeur, sa perplexité et sa demande d'explication. Dieu respecte la liberté de sa créature ; c'est pourquoi il ajoute le signe de la fécondité d'Élisabeth qui permet à Marie de donner son assentiment d'une façon qui est à la fois surnaturelle et pleinement humaine. "Je suis la servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole"(Lc 1, 38). Épouse du Dieu vivant, Marie devient mère du Fils par la grâce de l'Esprit.

Dès que Marie donne son assentiment inconditionnel à l'annonce de l'ange, la vie trinitaire entre dans son âme, son cœur et son sein, inaugurant le mystère de l'Église. Car l'Église du Nouveau Testament commence à exister là où la Parole incarnée est accueillie, chérie et servie en toute disponibilité à l'Esprit Saint. Cette vie de communion à la Parole dans l'Esprit commence avec l'annonce de l'ange et s'étend à toute l'existence de Marie. Cette vie inclut toutes les étapes de la croissance et de la mission du Verbe incarné, en particulier la scène eschatologique de la croix où Marie reçoit de Jésus lui-même l'annonce de la plénitude de sa maternité spirituelle: "Femme, voici ton fils" (Jn 19, 26). En toutes ces étapes, par "son OUI initial et permanent" [15], Marie communie à la vie de Dieu qui se donne et elle collabore entièrement à son dessein de salut sur toute l'humanité. Elle est la nouvelle Ève chantée par saint Irénée, qui participe comme épouse de l'Agneau à la fécondité universelle du Verbe incarné.

La scène de l'Annonciation et la vie de Marie illustrent et récapitulent la structure d'Alliance de la Parole de Dieu et l'attitude responsoriale de la foi. Elles font ressortir la nature personnelle et trinitaire de la foi qui consiste en un don de la personne à Dieu qui se donne en se révélant [16]. "Cette attitude, c'est l'attitude des saints. Elle est celle même de l'Église qui ne cesse de se convertir à son Seigneur en réponse à la voix qu'il lui adresse" [17]. C'est pourquoi l'attention à la figure de Marie comme modèle et même archétype[18] de la foi de l'Église nous semble capitale pour opérer concrètement un changement de paradigme dans le rapport à la Parole de Dieu. Ce changement de paradigme n'obéit pas à la philosophie du jour, mais à la redécouverte du lieu originel de la Parole, le dialogue vital du Dieu-Trine avec l'Église son Épouse, qui s'accomplit dans la sainte Liturgie. "Effectivement, pour l'accomplissement de cette grande œuvre par laquelle Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés, le Christ s'associe toujours l'Église, son Épouse bien-aimée, qui l'invoque comme son Seigneur et qui passe par lui pour rendre son culte au Père éternel". [19]

2. Tradition, Écriture Et Magistère

Parler de la Liturgie comme dialogue vital de l'Église avec Dieu, c'est parler de la tradition en son acception première, c'est-à-dire de la transmission vivante du mystère de la nouvelle Alliance. La Tradition est constituée par la prédication apostolique, elle précède les Écritures, les élabore et les accompagne toujours. La Parole de Dieu prêchée engendre la foi qui s'exprime à son sommet par le baptême et l'Eucharistie. C'est là en effet que Dieu, dans le Christ, offre sa vie aux hommes "pour les inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir en cette communion" (DV 2). C'est là aussi que l'Église, au nom de toute l'humanité, répond au Dieu de l'Alliance en s'offrant elle-même avec le Christ pour sa gloire et pour le salut du monde.

Dans la tradition vivante de l'Église, la Parole de Dieu occupe la première place: c'est le Christ vivant. La Parole écrite en porte témoignage. L'Écriture, en effet, est une attestation historique et une référence canonique indispensable pour la prière, la vie et la doctrine de l'Église. Cependant, l'Écriture n'est pas toute la Parole, elle ne s'identifie pas totalement avec elle, d'où l'importance de la distinction entre la Parole et le Livre, tout comme entre la lettre et l'Esprit. Saint Paul affirme avec force que nous sommes les ministres "d'une Alliance nouvelle, non de la lettre, mais de l'Esprit; car la lettre tue, mais l'Esprit donne la vie" (2 Co 3, 6). Il est clair que la lettre de l'Écriture joue un rôle primordial et normatif dans l'Église, mais "le christianisme n'est pas à proprement parler une ‹ religion du livre › : il est la religion de la Parole mais non pas uniquement ni principalement de la Parole sous sa forme écrite. Il est la religion du Verbe et 'non d'un verbe écrit et muet, mais d'un Verbe incarné et vivant'" [20]. Cette religion de la Parole demeure toutefois inséparable du Verbe écrit, entretenant avec lui un rapport complexe mais essentiel.

L'unité de la Tradition vivante et de la Sainte Écriture repose sur l'assistance du Saint-Esprit à ceux qui exercent le ministère pastoral. "Mais la charge d'interpréter authentiquement la Parole de Dieu écrite ou transmise a été confiée au seul Magistère vivant de l'Église, dont l'autorité s'exerce au nom de Jésus-Christ. Ce Magistère n'est pas au-dessus de la Parole de Dieu; il la sert, n'enseignant que ce qui a été transmis, puisque, en vertu de l'ordre divin et de l'assistance du Saint-Esprit, il écoute pieusement la parole, la garde religieusement, l'explique fidèlement, et puise dans cet unique dépôt de la foi tout ce qu'il nous propose à croire comme étant divinement révélé" (DV 10).

L'assistance que donne le Saint-Esprit au Magistère (cf. 2 Tm 1, 14) complète l'action qu'il exerce dans la création et l'histoire du salut. En effet, l'Esprit Saint est à l'œuvre dans l'histoire, suscitant des "actions" et des "paroles" qui ont interprété les événements et qui ont été consignées par écrit dans les Livres saints (DV I, 2). L'exégèse historico-critique nous a rendus plus conscients des médiations humaines complexes qui intervinrent dans l'élaboration des textes sacrés, mais il n'en reste pas moins que l'Esprit Saint a guidé toute l'histoire du salut, il a inspiré son interprétation verbale et écrite et il a façonné sa culmination dans le Christ et l'Église. Saint Paul décrit poétiquement "la Parole de Dieu" comme "le glaive de l'Esprit" (Ep 6, 17). Il excelle à mettre en valeur le rôle de l'Esprit dans le dessein de Dieu, en particulier dans la synthèse magistrale de l'Épître aux Éphésiens (cf. 1,13 ; 2,22 ; 3,5). Notons toutefois que l'action de l'Esprit Saint n'oppose pas la dimension dialogale et la dimension doctrinale, comme le Magistère de l'Église s'efforce de le rappeler, tout en mettant l'accent dans la DV sur la dimension personnelle-dialogale à partir de l'autocommunication de Dieu dans le Christ.

"Il est donc évident que la Tradition sacrée, la Sainte Écriture et le Magistère de l'Église sont entre eux, selon le très sage dessein de Dieu, tellement liés et associés qu'aucun d'eux n'a de consistance sans les autres, et que tous contribuent en même temps de façon efficace au salut des âmes, chacun à sa manière, sous l'action du seul Saint-Esprit"» (DV 10). Malgré cet équilibre délicat qui a beaucoup d'implications œcuméniques, des tensions demeurent et la réflexion est à poursuivre sur ces questions fondamentales qui déterminent la manière de lire les Écritures, de les interpréter et d'en faire un usage fructueux pour la vie et la mission de l'Église.

Convocatio : Dieu convoque ses créatures à l'existence par sa Parole. Il convoque l'homme au dialogue en son Fils et il convoque l'Église à partager sa vie divine dans l'Esprit. Nous avons voulu conclure cette partie sur l'identité de la Parole de Dieu par une section sur l'Église, Épouse du Verbe incarné. Malgré la complexité des rapports entre Écriture, Tradition et Magistère, l'Esprit Saint assure néanmoins l'unité de l'ensemble, surtout si l'on garde bien présente la dynamique responsoriale et même nuptiale du rapport d'Alliance. En situant les fonctions ecclésiales de l'Écriture, de la Tradition et du Magistère à l'intérieur d'une ecclésiologie mariale, nous invitons à un changement de paradigme où l'accent passe de la dimension noétique à la dimension personnelle de la Révélation. La figure archétypique de Marie permet de faire ressortir la dimension dynamique de la Parole et la nature personnelle de la foi comme don de soi, tout en invitant l'Église à demeurer sous la Parole et disponible à toute action de l'Esprit Saint.

2ème partie ►  Synode sur la Parole de Dieu dans l'Église
3ème partie Jésus de Nazareth du pape Benoît XVI, un événement majeur
les 3 parties en PDF

Notes :

[1] S. CÉSAIRE D'ARLES, sermon VI.
[2] Instrumentum laboris, 4.
[3] L'adjectif "dialogal" est un néologisme. Il est utilisé ici pour exprimer la dimension personnelle et responsoriale de la foi comme dialogue avec Dieu. Il correspond dans une certaine mesure à la distinction entre «théologique» et «théologal», le premier exprimant l'aspect noétique et le second, l'aspect personnel.
[4] Voir J. Ratzinger, Commentaire de Dei Verbum in LThK, 1967; A. Grillmeier in LThK Vat. II, vol. 2, Freiburg i. Br., 1967 ; H. de Lubac, La Révélation divine, Paris, Cerf, 1983, 190 p. ; A. Vanhoye, "La réception dans l'Église de la constitution Dei Verbum. Du Concile Vatican II à nos jours", in Esprit et Vie, n° 107, juin 2004, 1re quinzaine, p. 3-13; H. Hoping: "Theologischer Kommentar zur Dogmatischen Konstitution über die göttliche Offenbarung. Dei Verbum", in P. Hünermann, B. J. Hilberath (Hrsg), Herders theologischer Kommentar zum Zweiten Vatikanischen Konzil. Freiburg-Basel-Wien: Herder, 2005; 695-831; C. Théobald, "La Révélation. Quarante ans après Dei Verbum", dans Revue théologique de Louvain 36 (2005), p. 145-165.
[5] Instrumentum laboris, 6.
[6] M. Seckler, "Der Begriff der Offenbarung", in Handbuch der Fundamentaltheologie, Ed. W. Kern et.al., vol.2, Freiburg i. Br., 1985, p. 64-67.
[7] Ibid.
[8] J. Rigal, "Le phénomène gnostique", in Esprit et Vie, no 192, avril 2008 - 2e quinzaine, p. 1-10.
[9] P. Bordeyne et L. Villemin (dir.), L'herméneutique théologique de Vatican II, Paris, Cerf (coll. "Cogitatio Fidei"), 2006, 268 p.
[10] Benoît XVI, Lettre encyclique Deus caritas est.
[11] Benoît XVI, Lettre encyclique Spe salvi, no 9.
[12] Jn 19, 25-27; Jn 20, 21-22; 1 P 2, 9-10.
[13] S. Irénée de Lyon, Traité contre les hérésies, I, 3.
[14] S. Cyprien, De Orat. Dom. 23: PL 4, 553.
[15] Instrumentum laboris, 25.
[16] "Nous ne croyons pas en des formules, mais dans les réalités qu'elles expriment et que la foi nous permet de ' toucher'. 'L'acte (de foi) du croyant ne s'arrête pas à l'énoncé, mais à la réalité (énoncée)' (S. Thomas d'Aquin, S. th. 2-2, 1, 2, ad 2)" (CEC 170). L'objet formel de la foi, c'est la Personne qui énonce et qui se donne dans son énoncé suprême, Jésus Christ, que le Saint-Esprit nous habilite à confesser. La foi est essentiellement trinitaire, elle est un acte de don personnel en réponse au don Tri-Personnel de Dieu. On sent dans le texte de Dei Verbum un équilibre encore à trouver entre l'aspect personnel ou dynamique et l'aspect noétique de la foi.
[17] H. de Lubac, L'Écriture dans la tradition, Aubier, 1966, p. 100.
[18] C'est-à-dire que la vie de foi de Marie est plus qu'un exemple pour l'Église, elle est mère, c'est-à-dire source permanente de vie pour l'Église.
[19] Voir Conc. de Trente, sess. XXII, 17 sept. 1562, Decr. De Ss. Eucharist., c. 1. "il voulut laisser à l'Église, son Épouse bien-aimée, un sacrifice qui soit visible"; Lumen Gentium 4; Dei Verbum 8, 23; Sacrosanctum Concilium, 7. Voir aussi : Ep 5, 21-32; Ap 22, 17; Jn 2; Jn 19, 25-27).
[20] H. de Lubac, L'Écriture dans la tradition, Aubier, 1966, p. 246 ; l'auteur réfère à saint Bernard, Sup. Missus est, h. 4, n. 11, faisant parler Marie : "Nec fiat mihi verbum scriptum et mutum, sed incarnatum et vivum" (PL, 183, 86 B).
 

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Sources : www.vatican.va -  E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 07.10.2008 - T/Synode

 

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