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La Guerre sainte de Cyrille et Poutine
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Le 05.04.2024 -
E.S.M.
- Fin mars, le qualificatif de « Guerre
sainte » donnée par le patriarche orthodoxe Cyrille de
Moscou à l’agression de la Russie contre l’Ukraine a
fait grand bruit dans le monde entier. (Sandro Magister)
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La « Guerre sainte » de Cyrille et Poutine. Naissance et histoire du
document qui la déclare
Le 05 avril 2024 -
E.S.M. -
Fin mars, le qualificatif de « Guerre sainte » donnée par le
patriarche orthodoxe Cyrille de Moscou à l’agression de la Russie
contre l’Ukraine a fait grand bruit dans le monde entier.
« L’Opération militaire spéciale est une Guerre Sainte, une guerre dans
laquelle la Russie et son peuple, en défense de l’unique espace spirituelle
de la Sainte Rus’, accomplit la mission de ‘Celui qui retient’ (‘o Katéchon’,
cf. 2 Th 2,7), pour protéger le monde de l’assaut du mondialisme et de la
victoire de l’Occident tombé dans le satanisme ».
Par contre, bien peu savent comment Cyrille justifie la « sainteté » de
la guerre déchaînée par Moscou, ou comment est née la
déclaration
intitulée « Le présent et le futur du Monde russe » qu’il a été le premier à
signer.
À proprement parler, en fait, ce document n’a pas été émis par le
patriarcat de Moscou, ni par le Saint Synode de l’Église orthodoxe russe,
qui l’a seulement lu et approuvé après coup le 27 mars, mais par une
institution appelée « Vsemirnyj Russkij Narodnyj Sobor », littéralement
Concile populaire russe universel, plus communément traduit par Concile
mondial du peuple russe, en sigle VRNS, imaginé et fondé en mai 1993 par
Cyrille quand il était métropolite de Smolensk et chef du département des
relations étrangères du patriarcat de Moscou.
Une fois devenu lui-même, en 2009, patriarche de Moscou, Cyrille est
également devenu président et leader de sa propre créature. Et il l’est
encore à l’heure actuelle. Le Concile mondial du peuple russe est une
institution à la foi ecclésiale et patriotique. Ses membres sont constitués
d’un grand nombre de hiérarques orthodoxes, mais également de hauts
fonctionnaires du Kremlin, de chefs militaires, de professeurs d’université
et de centaines de jeunes patriotes issus de toutes les régions de Russie.
Ses trois vice-présidents actuels reflètent également cette composition : il
s’agit du métropolite Grégoire de Voskressensk, premier vicaire du
patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Alexander Shchipkov,
professeur de philosophe à l’Université d’État de Moscou et recteur de
l’Université orthodoxe Saint-Jean-le-Théologien et Sergei Rudov, membre du
parlement et auparavant secrétaire exécutif du Concile.
Le tout avec Vladimir Poutine comme chef suprême. Fin novembre 2023, lors
de
l’avant-dernière réunion du Concile, celle au cours de laquelle la
déclaration sur la « Guerre Sainte » a été rédigée avant d’être rendue
publique lors de l’assemblée
suivante de fin mars (voir photo), Poutine a joué un rôle absolument
central, en paroles et en images.
Inauguré par le patriarche Cyrille en la cathédrale moscovite du Christ
Sauveur, le Concile s’est réuni dans la salle des congrès du Kremlin, celle
dans laquelle était autrefois convoqué le Politburo du parti communiste de
l’Union Soviétique. Poutine était attendu en personne, mais il a préféré
prononcer son discours en vidéoconférence, avec pour résultat que les
participants l’ont écouté en voyant son visage projeté au centre de deux
grandes icônes sacrées, avec d’un côté le Christ Sauveur « Nerukotvornyj »
(« non pas fait de mains d’homme ») et de l’autre la Mère de Dieu « Niecajannoj
Radosti » (« de la joie imprévue »), au-dessus d’une forêt de coupoles
dorées. Et avant el discours présidentiel, Cyril a entonné l’hymne au Roi
Céleste, « Tsarju Nebesnyj », avec Poutine déjà resplendissant entre les
images sacrées.
Parmi les participants, se trouvait également celui que l’on considère
comme le « père
spirituel » du président russe, le métropolite de Crimée Tikhon, dont la
thèse est que « la Russie ne peut qu’être impériale ». Et encore plus en
vue, parmi les principaux inspirateurs du Concile, il y avait l’oligarque
Konstantin Malofeev, fondateur de la chaîne de télévision « Tsargrad », du
nom slave de la ville impériale de Constantinople.
L’idéologie revendiquée par Concile ne considère pas le peuple russe sur
base de l’ethnie, mais bien de ses « valeurs traditionnelle », qui
transcendent les frontières, comme Poutine le disait lui-même il y a
quelques mois lors d’une réunion du Conseil de sécurité en parlant de
lui-même, se disant en même temps « Russe, Daghestanais, Tchétchène,
Ingouche, Tatar, Juif, Mordve, Ossète ».
Avec l’invasion de l’Ukraine, l’idéologie d’une russité inclusive
rassemblant toutes les ethnies qui vivent sur un territoire identifié comme
russe même au-delà de ses frontières géographiques et politiques s’est
imposée toujours plus. Et effectivement, dans son discours retransmis en
vidéoconférence, Poutine a remercié l’Église orthodoxe pour son soutien à la
guerre de libération de la « Malorossija », c’est-à-dire de la « Petite
Russie », entendant par là la nation dont la capitale est Kiev. Dans les
libres de prière distribués aux soldats envahisseurs, Poutine est assimilé à
l’ « Archistratège », c’est-à-dire à l’archange Michel qui dirige les armées
célestes dans la guerre apocalyptique contre le Malin, ce dernier étant
identifié par l’Ukraine « nazifiée » et asservie à l’Occident.
Cette même idéologie est soutenue en toutes lettres dans la déclaration
sur la « Guerre Sainte » rédigée fin novembre par le Concile mondial du
peuple russe et publiée le 27 mars, dans son second chapitre intitulé
« Russkij Mir », le Monde russe :
« La Russie est le créateur, le soutien et le défenseur du Monde russe.
Les frontières du Monde russe en tant que phénomène spirituel, civil et
culturel sont bien plus étendues que les frontières d’État de l’actuelle
Fédération de Russie ainsi que de la grande Russie historique. En plus des
représentants de l’ ‘oikoumene’ russe dispersée à travers le monde, le Monde
russe comprend tous ceux pour qui la tradition russe, les sanctuaires de la
civilisation russe et la grande culture russe représentent la plus grande
valeur et le principal sens de leur vie.
« Le destin suprême de l’existence de la Russie et du monde russe qu’il a
créé – leur mission spirituelle – est d’être le ‘Katéchon’ mondial, de
protéger le monde du mal. Sa mission historique consiste à faire échouer
toutes les tentatives d’instaurer une hégémonie universelle dans le monde,
toutes les tentatives de soumettre l’humanité à un unique principe
malveillant ».
« La construction de l’État russe millénaire est la plus haute forme de
créativité politique des russes en tant que nation, tandis que la division
et l’affaiblissement du peuple russe, la privation de ses forces
spirituelles et vitales, ont toujours conduit à l’affaiblissement et à la
crise de l’État russe. Par conséquent, la restauration de l’unité du peuple
russe et de son potentiel spirituel et vital sont les conditions clés pour
la survie et le succès du développement de la Russe et du monde russe au
XXIe siècle ».
En termes de politique étrangère, qui fait l’objet du troisième chapitre
de la déclaration, cela se traduit par un devoir qui s’étend bien au-delà
des frontières actuelles de la Russie :
« La Russie doit devenir l’un des centres principaux d’un monde
multipolaire, guidant les processus d’intégration et garantissant la
sécurité et le développement stable dans tout l’espace post-soviétique. En
tant que centre géopolitique de l’Eurasie, situé à l’intersection des axes
mondiaux Est-Ouest et Nord-Sud, la Russie doit réguler l’équilibre des
intérêts stratégiques et agir comme un rempart de la sécurité et d’un ordre
mondial juste dans le nouveau monde multipolaire. La réunification du peuple
russe doit devenir l’une des missions prioritaires de la politique étrangère
russe. La Russie doit revenir à la doctrine tri-unitaire du peuple russe qui
est composé des Grands Russes, des Petits Russes et des Biélorusses, qui
sont des branches (sous-ethnicités) d’un peuple unique, et le concept de
‘Russe’ comprend tous les slaves orientaux, descendants de la Russie
historique ».
L’invasion de l’Ukraine est donc justifiée comme partie essentielle de
cette mission historique :
« Au terme de l’Opération militaire spéciale, tout le territoire de
l’Ukraine contemporaine devra entrer dans une zone d’influence exclusive de
la Russie. La possibilité de l’existence sur ce territoire d’un régime
politique hostile à la Russie et à son peuple, ou encore d’un régime
politique gouverné par un centre externe hostile à la Russie, doit être
totalement exclu ».
Le document s’étend ensuite sur le rôle central à assigner à la famille,
qui doit être « forte avec de nombreux enfants », pour passer des 144
millions d’habitants de la Fédération Russe « à 600 millions de personnes en
cent années de croissance démographique durable ».
Il revendique une « réforme du système d’éducation nationale » pour le
« purifier des idéologies destructrices de l’Occident » et l’aligner sur les
« paramètres fondamentaux de la vision souveraine du Monde russe ».
Et enfin, elle projette un changement radical concernant la répartition
de la population sur le territoire :
« À partir d’un territoire composé de seize mégalopoles et de vastes
espaces dépeuplés, d’ici 2050, la Russie devrait se transformer en un pays
uniformément peuplé et développé à basse densité de mille petites et
moyennes villes revitalisées, dans le ‘Royaume des cités’ (‘Gardariki’,
l’ancien nom scandinave de la Rus’) du XXIe siècle. Les logements
péri-urbains doivent devenir le type principal d’habitat du pays, 80% de la
population russe devrait vivre dans des maisons individuelles sur leur
propre terre. La vie sur ses propres terres, dans sa propre maison
confortable, dans laquelle on peut fonder une famille, mettre au monde et
élever trois enfants ou davantage, devrait devenir une incarnation visible
des idées du Monde russe ».
Une Arcadie paradisiaque. Mais en attendant, l’armée rouge met l’Ukraine
à feu et à sang.
Sandro Magister est vaticaniste à
L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 05.04.2024
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