Benoît : ESQUISSE PROVISOIRE DE LA NATURE DE LA FOI
2) Le saut de la foi-Esquisse provisoire de la nature de la foi
Pour bien comprendre le
page qui suit il vaut mieux jeter un coup d'œil sur la page qui a
précédé :
Benoît XVI : La situation de l'homme devant le problème de Dieu
Ces réflexions nous montrent que le symbole du
clown incompris et des villageois insouciants n'est pas pleinement
satisfaisant pour caractériser les rapports entre la foi et l'incroyance
dans notre inonde moderne. Cependant, il faut l'admettre,
il exprime un problème spécifique de la foi
d'aujourd'hui. En effet, la question
fondamentale qu'une introduction à la foi chrétienne doit chercher à
élucider et qui est de savoir ce que signifie la profession de foi, cette
question se pose à nous avec une détermination temporelle bien précise.
Compte tenu de notre sens de l'histoire, qui affecte la conscience que nous
avons de nous-mêmes et notre façon de comprendre l'homme, la question ne
peut se poser que sous cette forme : quelle est
la signification de la profession de foi «
je crois »
aujourd'hui,
dans la perspective de notre vie moderne et de notre attitude actuelle
devant le réel dans son ensemble ?
Par là, précise Benoit XVI, nous abordons
l'analyse du Symbole des Apôtres, qui servira
de fil conducteur à toutes nos réflexions. Par son origine, en effet, ce
texte vise à être une introduction à la foi chrétienne et un résumé de ses
vérités essentielles. Il commence de façon symptomatique par les mots : «
Je crois. » Nous
ne donnerons pas pour l'instant l'explication de ce mot credo à
partir de son contexte ; et nous ne dirons pas encore pourquoi cet énoncé
fondamental « Je crois » se présente à nous dans une formule stéréotypée, en
liaison avec un contenu bien délimité et élaboré en fonction du culte. Cette
double relation à un cadre cultuel et à un contenu défini influe, il est
vrai, sur le sens de ce petit mot credo, de même que ce mot, à son
tour, porte toute la suite et le cadre cultuel lui-même, en les marquant de
son empreinte. Cependant nous laisserons pour l'instant cet aspect
particulier, et nous poserons la question d'une manière plus radicale et
plus fondamentale : quel est le sens de cette
attitude chrétienne, qui trouve son expression
originelle dans le verbe credo et qui fait - cela ne va nullement de
soi - que l'essence du christianisme soit une «
foi ».
Sans trop réfléchir, nous supposons communément que
« religion
» et « foi »
sont synonymes, et que chaque religion pourrait
être définie comme une «
foi ».
En
réalité, cela n'est exact que dans une mesure très limitée. La plupart des
religions se dénomment autrement et possèdent un autre centre de gravité.
Ainsi l'Ancien Testament, dans sa totalité, s'est désigné, non pas avec le
concept de « foi » mais avec celui de « loi
». Sa religion est avant tout une règle de vie,
sans exclure toutefois l'acte de foi, qui gagne de plus en plus en
importance. La religiosité romaine, de son côté, a compris la « religion »
comme une observance de rites et de coutumes. Pour elle, il n'est pas
essentiel de poser un acte de foi au surnaturel. Cet acte peut faire
entièrement défaut, sans entraîner l'infidélité à cette religion.
Essentiellement constituée par un système de rites, la seule chose qui
importe, c'est l'observance scrupuleuse de ces rites. On pourrait ainsi
parcourir toute l'histoire des religions. Ces quelques indications suffisent
à montrer l'originalité de la religion chrétienne qui s'exprime
essentiellement par le mot Credo et qui traduit sa prise de position
vis-à-vis de la réalité par une attitude de foi. Aussi sommes-nous amenés à
poser la question avec plus d'insistance : quel est le sens de cette
attitude de foi; d'où vient que nous ayons tant de mal à insérer notre Moi
personnel dans ce « Je crois » ? D'où vient qu'il nous paraisse presque
impossible d'identifier notre « Je » d'aujourd'hui -« Je » absolument
irréductible à celui d'autrui - avec ce « Je » du Credo, que des
générations antérieures ont fixé et formulé ?
Ne nous leurrons pas : s'incorporer dans ce « Je » du
Symbole, transformer le
« Je
» schématique de cette formule en un
« Je »
personnel et vivant,
cela a toujours été une entreprise dramatique et
presque irréalisable. Bien souvent, durant ce
processus, au lieu de pouvoir animer ce schéma par notre chair et notre
sang, c'est notre « Je » vivant qui a été changé en schéma. Peut-être
éprouverons-nous, chrétiens d'aujourd'hui, de l'envie, en entendant faire
l'éloge des gens du Moyen Age, qui paraissaient être tous d'excellents
croyants. Il sera bon alors de jeter un coup d'œil dans les coulisses, à la
lumière de la recherche historique actuelle. Nous verrons alors, à cette
époque déjà, que la grande masse ne faisaient
que suivre en troupeau, et que le nombre de
ceux qui étaient véritablement entrés dans le mouvement profond de la foi
se réduisait à très peu.
Nous verrons que pour beaucoup la foi était un ensemble de formes de vie,
données au départ, plus propre à leur cacher l'aventure exaltante de la foi,
qu'à la découvrir à leurs yeux. La raison ?
C'est qu'un abîme infini sépare Dieu de l'homme ; de par sa nature, l'homme
ne peut apercevoir que ce qui n'est pas Dieu.
De ce fait, Dieu est essentiellement invisible à l'homme, il se trouve et se
trouvera toujours en dehors de son champ de vision. Cette affirmation
fondamentale de la Bible, qui oppose le Dieu invisible aux dieux visibles,
constitue simultanément et même en premier lieu une affirmation sur l'homme
: celui-ci est l'être qui voit, l'être dont l'espace vital semble défini par
l'espace même de sa vue et de son toucher. Or Dieu ne paraît pas et ne
paraîtra jamais dans cet espace, quelque dimension que prenne ce dernier. Il
est très important, à mon avis, que le principe de cette affirmation ait été
formulé dans l'Ancien Testament : Dieu n'est pas seulement l'Être qui hic
et nunc se trouve en dehors de notre champ de vision, mais Celui qui est
essentiellement en dehors et le restera toujours, si étendu que devienne
notre champ de vision.
Nous trouvons là un premier aspect de l'attitude exprimée par
le mot Credo. Cela veut dire que l'homme ne considère pas la vue,
l'ouïe et le toucher comme la totalité de ce qui le concerne; qu'il ne pense
pas que l'espace de son monde soit délimité par sa vue et son toucher ;
qu'il cherche une deuxième forme d'accès au
réel, appelée précisément foi, dans laquelle il découvre même, de façon
décisive, sa vraie vision du monde. S'il en est
ainsi, le petit mot « Credo » renferme une option fondamentale à
l'égard de la réalité en tant que telle. Il ne vise pas à exprimer telle ou
telle vérité, il indique une prise de position en face de l'être, de
l'existence, de sa propre réalité et de la réalité totale. Il affirme que
l'invisible, inaccessible par principe à notre vue, loin d'être irréel,
constitue au contraire la véritable réalité,
fondement et racine de toutes les autres réalités.
Il affirme que cette cause universelle est aussi ce qui confère à l'homme
une existence proprement humaine, ce qui rend possible l'homme comme tel,
comme être humain. Autrement dit, croire, c'est
admettre qu'au plus intime de l'homme existe un point qui n'entre pas dans
la catégorie de la vue et du toucher, un point tangent à l'invisible,
servant de point de jonction entre l'homme et lui, absolument indispensable
à sa vie.
Or une telle attitude exige ce que la Bible appelle un «
retournement », une conversion.
La pesanteur naturelle entraîne l'homme vers le visible, le tangible. Il lui
faut se retourner intérieurement pour constater combien il passe à côté de
ce qui fait son être propre, s'il suit sa propre pesanteur. Il lui faut se
retourner, pour reconnaître combien il est aveugle, s'il se fie uniquement à
ses yeux corporels. Sans ce retournement de son existence, sans cette
opposition à la pesanteur naturelle, la foi ne saurait exister. Oui, la foi
est la conversion, dans laquelle l'homme découvre qu'il poursuit une chimère
s'il se confie au seul tangible. Et voilà la raison profonde pourquoi la foi
n'est pas au bout d'une démonstration. Il faut un retournement de l'être,
condition sine qua non, pour la recevoir.
Et parce que notre pesanteur nous entraîne sans cesse
ailleurs, notre foi doit se renouveler sans cesse. Seule une conversion de
tous les jours et de toute la vie nous fera comprendre la signification du
« Je crois ».
On réalise dès lors aisément que
la difficulté, voire l'apparente impossibilité de croire n'est pas seulement
due aux conditions historiques de notre temps, mais que la foi a représenté
de tout temps - peut-être d'une manière plus voilée et moins discernable -
un saut par-dessus un abîme immense. Depuis toujours, la foi apparaît
comme une rupture, comme un bond aventureux hors du monde tangible, parce
qu'elle comporte toujours un risque, en pariant pour la réalité de
l'invisible. Jamais la foi n'a été une attitude découlant automatiquement de
la nature humaine ; toujours elle a exigé une décision engageant la
profondeur de l'être, toujours elle a exigé la conversion de l'homme, qui
ne peut s'opérer que par une libre détermination.
A suivre : le dilemme de la Foi dans le monde
d'aujourd'hui
Pour approfondir
:
►
Benoît XVI : Pouvons-nous encore croire aujourd'hui ?
►
Les deux maîtres-mots que Benoit XVI laisse en héritage : Foi et raison