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19 Avril 2005
 

Benoît XVI : LA SITUATION DE L'HOMME DEVANT LE PROBLÈME DE DIEU

Le 20 février  2023 - (E.S.M.) - Sans doute, celui qui cherche à parler foi, à des gens conditionnés par la vie et la mentalité modernes, peut effectivement se faire l'effet d'un clown ou plutôt d'un être sorti d'un antique sarcophage, et qui serait venu avec son costume et son langage anachroniques au milieu du monde moderne, incapable de le comprendre et d'être compris par lui.

Benoît XVI et ses livres ! - Pour agrandir l'image ► Cliquer   

 

INTRODUCTION

« Je crois - Amen »

   
   
1. La foi dans le monde d'aujourd'hui

DOUTE ET FOI

    Quiconque aborde de nos jours le problème de la foi devant des auditeurs peu ou pas familiarisés, de par leur profession ou le milieu ambiant, avec le langage et la pensée de l'Église, ressentira bien vite la singularité, voire l'étrangeté de son entreprise. Rapidement il aura l'impression de se trouver dans une situation comparable à celle admirablement décrite par Kierkegaard dans son célèbre apologue, et récemment reprise par Harvey Cox dans La Cité séculière : celle du clown criant « au feu1 ! ». L'histoire se passe au Danemark; le feu s'était brusquement déclaré dans un cirque ambulant. Aussitôt le directeur envoya le clown, déjà costumé pour le spectacle, au village voisin, où le feu menaçait de se communiquer également à travers les chaumes. Le clown se rendit en hâte au village pour appeler les gens au secours du cirque en détresse. Mais les villageois, accourus aux cris du clown, crurent à un stratagème habile pour les attirer au spectacle et se mirent à l'applaudir en riant jusqu'aux larmes. Le clown avait plutôt envie de pleurer. Il s'efforça en vain de les conjurer et de leur démontrer qu'il ne s'agissait pas d'une plaisanterie, mais que le cirque était bel et bien la proie des flammes. Plus il insistait, plus on riait, plus on trouvait son jeu excellent. Quand finalement le feu eut gagné le village, il était trop tard pour intervenir. Tous deux, cirque et village, furent pareillement ravagés.

    Cox se sert de cet apologue pour illustrer la situation du théologien moderne; le clown, impuissant à se faire comprendre, en serait le symbole. Affublé de ses habits du Moyen Age ou de toute autre époque écoulée, il n'est pas pris au sérieux. Quoi qu'il dise, son rôle le classe et le catalogue immédiatement. Quelque air qu'il prenne ou quelque effort qu'il fasse pour exposer le sérieux de la situation, il sera toujours regardé comme un clown. D'avance on connaît son boniment et l'on sait qu'il donne une représentation sans rapport avec le réel. Aussi peut-on l'écouter tranquillement, sans se laisser troubler par ses propos. C'est là une image assez fidèle de la triste réalité dans laquelle se trouve aujourd'hui le théologien qui veut enseigner; elle donne une idée de l'impossibilité de briser les routines et de montrer que la théologie est une affaire éminemment sérieuse qui intéresse la vie humaine.

    Mais à y regarder de plus près, il faut reconnaître que cet apologue - en dépit de son riche contenu de vérité et de matière à réflexion - simplifie trop les choses. Car tout se passe, comme si le clown, c'est-à-dire le théologien, possédait toute la vérité et en apportait un message lumineux. Les villageois au contraire, chez lesquels il se rend, c'est-à-dire les gens qui n'ont pas la foi, seraient plongés dans une ignorance totale, dont il faudrait les sortir en les instruisant. Que le clown change donc de costume, enlève ses fards et tout sera bien. La chose, en réalité, est-elle aussi simple ? Suffirait-il vraiment de réaliser l'aggiornamento, d'enlever le maquillage, de laïciser le langage et de professer un christianisme sans religion, pour résoudre le problème ? Ce changement de costume spirituel fera-t-il accourir joyeusement les hommes à l'appel, pour conjurer le feu dont ils seraient menacés d'après le théologien ? Un tel espoir paraît plutôt naïf, à la vue de cette théologie démaquillée, habillée à la moderne, telle qu'elle s'affiche aujourd'hui en beaucoup d'endroits. Sans doute, celui qui cherche à parler foi, à des gens conditionnés par la vie et la mentalité modernes, peut effectivement se faire l'effet d'un clown ou plutôt d'un être sorti d'un antique sarcophage, et qui serait venu avec son costume et son langage anachroniques au milieu du monde moderne, incapable de le comprendre et d'être compris par lui. Cependant s'il a assez de sens critique, il remarquera que la difficulté ne se limite pas à une simple question de forme ou de crise vestimentaire. S'il va au fond des choses, cette entreprise étrange devant les hommes de notre temps lui fera connaître non seulement la difficulté de se faire comprendre, mais lui révélera en même temps l'insécurité de sa propre foi, la puissance de l'incroyance qui se met au travers de sa propre volonté de croire. S'il veut sincèrement rendre compte de la foi chrétienne, il sera forcé de voir que le malentendu ne vient pas uniquement de son costume, qu'il devrait changer, pour arriver à convaincre les autres. Contrairement à ce qu'il pouvait d'abord penser, il devra constater que sa situation ne diffère pas tellement de celle des autres, car il s'apercevra de la présence des mêmes obstacles dans les deux camps, sans doute sous des formes différentes.

    Chez le croyant tout d'abord, il y a la menace du doute qui, dans des moments de tentation, fait apparaître brutalement la fragilité de ce qu'il croyait être l'évidence. Prenons quelques exemples : Voici Thérèse de Lisieux, sainte si aimable et apparemment d'une simplicité sans problème. Elle avait grandi dans une atmosphère religieuse à l'abri de tout danger. Du début à la fin, son existence était entièrement imprégnée, jusque dans les moindres détails, de la foi de l'Église, au point que le monde de l'invisible était devenu une partie de sa vie quotidienne, ou plutôt qu'elle y vivait constamment et qu'elle semblait pouvoir le toucher; impossible d'imaginer la sainte sans lui. Pour elle, la « religion » était une donnée naturelle de son existence; elle en usait comme nous autres nous pouvons user des réalités concrètes de notre vie. Or voilà que, précisément, elle qui paraissait parfaitement abritée et assurée, elle nous a laissé sur les dernières semaines de sa passion, des révélations bouleversantes. Ses propres sœurs en furent tellement effrayées qu'elles jugèrent bon d'en atténuer l'expression dans les écrits qu'elle a laissés. Il a fallu attendre les éditions nouvelles du texte original, pour connaître des phrases comme celle-ci : « Des pensées, telles que les pires matérialistes peuvent en avoir, m'assaillent. » Son esprit est pressé par tous les arguments possibles contre la foi. Elle paraît en avoir perdu tout sentiment; elle se sent enfoncée dans la « peau des pécheurs2 ». Autrement dit : dans un monde qui a toutes les apparences de sécurité, un homme aperçoit subitement le gouffre béant sous le solide appareil, étayé par les vérités conventionnelles. Dans une telle situation, des questions éventuellement controversées - par exemple l'Assomption ou le nouveau style de la confession - deviennent tout à fait secondaires. La question du tout ou du rien se pose alors; c'est l'unique alternative. Et nulle part n'apparaît un point solide, où l'on pourrait se raccrocher dans cette chute précipitée. Partout où le regard se porte, il ne peut voir que l'abîme sans fond du néant.

    Paul Claudel a dépeint cette condition du croyant, dans une image grandiose et suggestive, à la première scène du « Soulier de Satin ». Un missionnaire Jésuite, frère du héros Rodrigue, cet homme mondain, cet aventurier errant et oscillant sans cesse entre Dieu et le monde, apparaît comme un naufragé sur la scène. Son bateau a été coulé par les pirates; lui-même, attaché à un tronçon du grand mât, flotte sur les vagues déchaînées de l'océan 3. Son dernier monologue ouvre la pièce : « Seigneur, je Vous remercie de m'avoir ainsi attaché! Et parfois il m'est arrivé de trouver vos commandements pénibles, et ma volonté en présence de votre règle perplexe, rétive. Mais aujourd'hui il n'y a pas moyen d'être plus serré à Vous que je ne le suis et j'ai beau vérifier chacun de mes membres, il n'y en a plus un seul qui de Vous soit capable de s'écarter si peu. Et c'est vrai que je suis attaché à la croix, mais la croix où je suis n'est plus attachée à rien. Elle flotte sur la mer 4 »

    Attaché à la croix; mais la croix n'est plus attachée à rien, elle flotte sur l'abîme. Cette image reproduit, on ne peut mieux, la condition du croyant. Seule une simple planche ballottée sur le néant paraît le retenir, et il semble que l'on puisse déjà prévoir le moment où il sera fatalement englouti dans les flots. Oui, une simple planche le rattache à Dieu, mais, il faut le dire, elle le rattache à Lui indéfectiblement ; il sait que ce bois est finalement plus fort que le néant qui bouillonne au-dessous, dont la puissance cependant demeure une menace permanente du présent.

    Cette image présente encore une autre dimension, qui me paraît d'ailleurs plus importante. Car ce Jésuite n'est pas seul. En lui transparaît «quelque sorte le destin de Rodrigue; en lui est présent le destin de ce frère mécréant qui a tourné le dos à Dieu, parce qu'il s'est imaginé que son affaire n'est pas d'attendre, mais « de conquérir et de posséder... comme s'il pouvait être ailleurs que là où Vous êtes ».

    Nous ne suivrons pas Claudel dans les méandres de son poème et nous ne poursuivrons pas l'entrelacement des destinées apparemment opposées, dont le poète se sert comme fil conducteur, jusqu'au moment où la destinée du conquérant Rodrigue rejoint celle de son frère Jésuite : esclave, échoué sur un bateau, il peut s'estimer heureux quand une vieille nonne le prend avec elle comme une vile denrée, avec des chaudrons fêlés et de vieux chiffons qu'elle était venue glaner. Revenons plutôt à notre propre situation pour dire : si le croyant ne peut exercer sa foi que sur l'océan du néant, de la tentation et du doute, si cet océan de l'incertitude est le seul endroit où il puisse l'exercer, l'incroyant, à son tour, a lui aussi ses problèmes; ce serait une erreur de le considérer simplement comme un homme qui n'a pas la foi. Comme nous avons trouvé le croyant accablé de problèmes, continuellement menacé de chute dans le vide, ainsi nous serons amenés à constater l'enchevêtrement des destinées humaines dans le cas de l'incroyant : il est loin de pouvoir mener une existence exempte de trouble. En effet, malgré sa fière attitude de pur positiviste, débarrassé depuis longtemps de toute tentation de spéculation métaphysique, ne jurant que par les certitudes sensibles, il ne pourra jamais se débarrasser de la question lancinante qui est de savoir si en définitive le positivisme est la vérité. Ce qui arrive au croyant, aux prises avec les flots du doute, arrive également à l'incroyant, qui éprouve le doute de son incroyance; il ne peut affirmer que cet univers visible, qu'il décrète être le Tout, constitue vraiment tout le réel. Il ne sera jamais entièrement certain du caractère clos de ce monde visible qui embrasse, selon lui, la réalité totale; il restera toujours tenaillé par le problème de la foi qui est peut-être quand même l'expression de la réalité. Ainsi donc le croyant sera toujours menacé par l'incroyance et l'incroyant sera toujours menacé par la foi et la tentation au sujet de son monde sensible qu'il croit définitivement clos. Il est impossible d'éluder le dilemme de la condition humaine. Celui qui veut échapper à l'incertitude de la foi tombera dans l'incertitude de l'incroyance, car en dernière analyse il sera toujours incertain en face du problème de la foi. C'est dans le refus de la foi qu'apparaît l'impossibilité du refus de la foi.

    Il sera peut-être intéressant, à ce propos, d'écouter une histoire juive, notée par Martin Buber; elle permettra de mettre en lumière ce dilemme de la condition humaine : « Un rationaliste, homme très instruit, qui avait entendu parler du Berditschever, était venu le trouver pour discuter avec lui, dans l'intention de réfuter ses preuves en faveur de la foi. En entrant dans la chambre du Zaddik, il le trouva, un livre à la main, allant et venant, abîmé dans une méditation profonde. D'abord le Zaddik ne fit aucunement attention à cet hôte; finalement il s'arrêta devant lui et le regardant furtivement, il lui dit : « Mais peut-être cela est-il vrai. » Le savant essaya en vain de se ressaisir, ses genoux se mirent à trembler, tellement le Zaddik était effrayant à voir, tellement ses paroles étaient effrayantes à entendre. Alors le rabbi Levi lizchak se tourna vers lui et lui dit calmement : « Mon fils, les Grands de la Thora, avec qui tu as discuté, ont perdu leur temps, car tu es parti avec un sourire moqueur. Ils n'ont pas pu « étaler sur la table » la preuve péremptoire de Dieu et de son royaume. Moi non plus, je ne le pourrai pas. Cependant, mon fils, réfléchis bien, peut-être cela est-il vrai. » Le rationaliste essaya de répliquer de son mieux, mais l'écho répété de ce « peut-être » finit par emporter sa résistance5.

Nous tenons là, me semble-t-il, - malgré l'étrangeté du cadre - une description très précise de la situation de l'homme en face du problème de Dieu. Personne n'est capable de fournir une preuve mathématique de Dieu et de son royaume; le croyant lui-même en est incapable pour son propre usage. Mais l'incroyant aura beau vouloir y trouver une justification, il n'échappera pas à cet inquiétant « peut-être cela est-il vrai ! » Voilà l'inévitable pierre d'achoppement sur laquelle il butera fatalement et qui lui fera expérimenter l'impossibilité de refuser la foi dans le refus lui-même. Autrement dit, le croyant comme l'incroyant, chacun à sa manière, connaîtra le doute et la foi, s'ils ne cherchent pas à se faire illusion à eux-mêmes et à se dissimuler la vérité de leur être. Personne ne peut échapper entièrement à la foi; chez l'un la foi sera présente contre le doute, chez l'autre, grâce au doute et sous la forme du doute. C'est une loi fondamentale de la destinée humaine, qu'elle réalise son existence dans cette dialectique permanente entre le doute et la foi, entre la tentation et la certitude. De cette façon, le doute, qui empêche l'un et l'autre de se claquemurer dans leur tour d'ivoire, pourrait devenir un lieu de communion. Loin de se replier sur eux-mêmes, ils y trouveront une occasion d'ouverture réciproque. Le croyant partagera ainsi la destinée de l'incroyant, et celui-ci, grâce au doute, ressentira le défi lancé inexorablement par la foi.


1. H. Cox, La cité séculière, Pari», 1968.
2. M. MORÉB, « La table des pécheurs », dans Dieu vivant, n° 24, pp. 13-104. - Morée se réfère surtout aux Enquêtes et Publications de A. Combes; cf. en particulier : Le problème de 1' « Histoire d'une âme » et des œuvres complètes de sainte Thérèse de Lisieux, Paris, 1950.
3. Cela rappelle, de manière frappante, le texte de la Sagesse 10, 4, qui a pris tant d'importance dans la théologie de la croix du christianisme primitif : « La terre submergée, c'est la Sagesse qui la sauva, en dirigeant le juste à travers les flots sur un bois sans valeur. » - Pour l'utilisation de ce texte dans la théologie patristique. cf. H. RAHNBR, Symbole der Kirche, Salzburg, 1964, pp. 504-547.
4. P. CLAUDEL, « Soulier de Satin », Théâtre, t. II, Bibliothèque de la Pléiade, Pari», 1956, pp. 652-653.

5. M. BUBER, Werke, III, MOnchen-Heidelberg, 1963, p. 348.

(à suivre : LE SAUT DANS LA FOI)

En complément nous ajoutons une page passée un peu inaperçue et qui concerne " le scandale des abus sexuels”, article du pape émérite Benoît XVI.
Ce n'est pas uniquement l'Eglise qui est concernée mais toute la société. Parmi les libertés que la révolution de 1968 chercha à conquérir, il y avait cette liberté sexuelle totale, qui n’admettait plus aucune norme. J’essaie, écrit Benoit XVI de montrer que dans les années 60, s’est produit un événement monstrueux, pratiquement sans précédent à l’échelle de l’histoire. On peut dire que dans les 20 ans allant de 1960 à 1980, les normes jusqu’alors en vigueur sur les questions de sexualité ont complètement volé en éclat, résultant en une absence de normes, qu’entre-temps on s’est efforcé de rattraper.

Cité du Vatican
11 avril 2019, article du pape émérite Benoît XVI



Dans son numéro du mois d’avril, le mensuel du clergé bavarois Klerusblatt a publié un texte du pape émérite Benoît XVI intitulé « L’Église et le scandale des abus sexuels ». Texte qu’il a jugé nécessaire d’écrire, souligne-il dans une courte introduction, du fait de l’ampleur et de la gravité des faits concernant les abus sur mineurs et « afin de lancer un signal fort et de rechercher un nouvel élan afin de rendre l’Église de nouveau véritablement crédible… » Un travail divisé en trois parties. Une première dans laquelle Benoît XVI « essaie très brièvement de présenter le contexte social général du sujet, sans lequel le problème ne peut être compris ». Une deuxième où, dit-il, « j’essaie d’ébaucher les conséquences de cette situation dans la formation et la vie des prêtres ». Une troisième, enfin, où il développe « quelques perspectives en vue d’une réponse appropriée de l’Église ». La Documentation catholique vous propose une traduction intégrale du texte tirée de l’original allemand du document écrit par le pape émérite.

Du 21 au 24 février 2019, à l’invitation du pape François, les présidents des Conférences épiscopales du monde entier se sont réunis au Vatican pour discuter de la crise de la foi et de l’Église, qui a été ressentie à l’échelle mondiale suite aux révélations choquantes d’abus perpétrés sur des mineurs par les clercs. L’ampleur et la gravité des faits communiqués à propos de ces événements ont profondément ébranlé les prêtres et les laïcs et conduit nombre d’entre eux a remettre en question la foi de l’Église en tant que telle. Il était nécessaire ici, de lancer un signal fort et de rechercher un nouvel élan afin de rendre l’֤Église de nouveau véritablement crédible en tant que lumière parmi les peuples et force au service de la lutte contre les puissances destructrices.

Comme j’œuvrais moi-même à un poste de responsabilité, en tant que pasteur dans l’Église, au moment où a éclaté publiquement cette crise, et alors qu’elle enflait, je me devais de me demander – même si, en tant que pape émérite, je n’assume plus de responsabilité directe – comment je pouvais contribuer, avec le recul, à un nouvel élan. Ainsi, pendant la période allant de l’annonce de la rencontre à la venue effective des présidents des Conférences épiscopales, j’ai rassemblé des notes qui puissent me permettre, au moyen de quelques remarques, d’apporter mon aide dans ce moment difficile. Après avoir pris contact avec le Secrétaire d’État, le cardinal Parolin et le Saint-père lui-même, il me semble opportun de publier le texte dans le Klerusblatt(1).

Mon travail est divisé en trois parties. Dans la première, j’essaie très brièvement de présenter le contexte social général du sujet, sans lequel le problème ne peut être compris. J’essaie de montrer que dans les années 60, s’est produit un événement monstrueux, pratiquement sans précédent à l’échelle de l’histoire. On peut dire que dans les 20 ans allant de 1960 à 1980, les normes jusqu’alors en vigueur sur les questions de sexualité ont complètement volé en éclat, résultant en une absence de normes, qu’entre-temps on s’est efforcé de rattraper.

Dans la deuxième partie, j’essaie d’ébaucher les conséquences de cette situation dans la formation et la vie des prêtres.

Enfin, dans une troisième partie, je voudrais développer quelques perspectives en vue d’une réponse appropriée de l’Église.
I.

1. L’affaire commence par l’initiation – prescrite et soutenue par l’État – des enfants et des jeunes à la nature de la sexualité. En Allemagne, Mme Strobel, alors ministre de la Santé, a fait réaliser un film dans lequel, à des fins d’information, tout ce qui jusqu’alors ne pouvait être présenté publiquement, y compris les rapports sexuels, était désormais montré. Ce qui, tout d’abord, était uniquement destiné à l’initiation des jeunes a été par la suite reconnu comme une possibilité.

La « Sexkoffer » (valise sexuelle) (2), éditée par le gouvernement autrichien, a produit des effets similaires. Les films à caractère sexuel et pornographique sont alors devenus une réalité, au point d’être projetés dans les cinémas de gare (Bahnhofskinos) (3). Je me souviens encore d’avoir vu, un jour que je marchais dans la ville de Ratisbonne, une foule immense faire la queue devant un grand cinéma, chose que nous n’avions vue auparavant qu’en temps de guerre, lors de distributions exceptionnelles. Je me rappelle aussi être arrivé dans cette ville le jour du Vendredi saint de l’année 1970, et avoir vu collée sur tous les panneaux publicitaires une affiche représentant en grand format deux personnes complètement nues et étroitement enlacées.

Parmi les libertés que la révolution de 1968 chercha à conquérir, il y avait cette liberté sexuelle totale, qui n’admettait plus aucune norme.
La propension à la violence qui a caractérisé ces années-là est étroitement liée à cet effondrement moral. En effet, aucun film à caractère sexuel n’était plus autorisé dans les avions en raison de la violence qu’ils pouvaient susciter au sein de la petite communauté des passagers. Parce que les excès dans le domaine vestimentaire provoquaient également des agressions, les chefs d’établissement essayèrent aussi d’introduire les uniformes scolaires afin de créer un climat propice à l’apprentissage.

Faisant partie de la physionomie de la révolution de 68, la pédophilie pouvait être diagnostiquée comme étant autorisée et appropriée. Pour les jeunes gens dans l’Église, mais pas uniquement pour eux, ce fut une période très difficile à bien des égards. Je me suis toujours demandé comment les jeunes dans cette situation pouvaient aller vers le sacerdoce et l’accepter avec toutes ses conséquences. L’effondrement en grande partie des vocations sacerdotales, au cours de ces années, et le nombre excessif de retours à la vie laïque furent une conséquence de tous ces événements.

2. Indépendamment de ces évolutions, mais au cours de la même période, s’est produit un effondrement de la théologie morale catholique, laissant l’Église sans défense face aux différents processus à l’œuvre dans la société. J’essaie d’esquisser très brièvement les circonstances de cette évolution. Jusqu’à Vatican II, la théologie morale catholique était largement fondée sur la loi naturelle, les Écritures saintes n’étaient évoquées qu’en toile de fond ou à titre d’exemple. Dans l’effort mené par le Concile en vue d’une nouvelle compréhension de la Révélation, l’option de la loi naturelle a été amplement écartée et une théologie morale entièrement basée sur la Bible a été revendiquée. Je me souviens encore de la façon dont la faculté jésuite de Francfort avait demandé à un jeune prêtre extrêmement doué (Schüller) de bâtir une morale entièrement fondée sur l’Écriture. La belle thèse du père Schüller constitue une première étape vers l’édification d’une morale fondée sur l’Écriture. Puis le père Schüller fut envoyé en Amérique afin de poursuivre ses études et revint avec la conviction que la morale ne pouvait être systématiquement représentée par la seule Bible. Il s’est ensuite essayé à une théologie morale plus pragmatique sans pour autant pouvoir apporter de réponse à la crise en matière de morale.

Enfin, la thèse selon laquelle la morale ne pouvait être déterminée qu’en fonction de la finalité de l’action humaine s’est largement imposée. L’ancien adage « La fin justifie les moyens » ne pouvait pas être corroboré de manière aussi grossière mais ce schéma de pensée est devenu déterminant. Il ne pouvait donc plus rien y avoir désormais de bon ou de mal en soi, mais seulement des appréciations relatives. Il n’y avait plus le bien, mais seulement le relativement meilleur à l’instant précis et en fonction des circonstances.

Cette crise relative à l’établissement et la représentation de la morale catholique a atteint des proportions dramatiques à la fin des années 1980 et dans les années 1990. Le 5 janvier 1989, fut publiée la Déclaration de Cologne, signée par 15 professeurs de théologie catholiques. Elle évoquait divers points de crispation dans les rapports entre le Magistère épiscopal et la tâche revenant à la théologie. Ce texte, qui dans un premier temps n’excéda pas le niveau habituel de protestations, suscita rapidement un tollé général contre le magistère de l’֤Église et atteignit un niveau de contestation visible et audible qui, dans le monde entier, s’éleva contre les textes doctrinaux de Jean-Paul II alors attendus (4).

Le pape Jean-Paul II, qui connaissait très bien la situation de la théologie morale et la suivait avec attention, a commencé à travailler sur une encyclique qui devait repositionner correctement les choses. Parue le 6 août 1993, sous le titre Veritatis splendor (5), elle a suscité de violentes réactions de la part des théologiens moralistes. Auparavant, c’est le Catéchisme de l’Église catholique qui systématiquement représentait de manière convaincante la morale décrétée par l’Église.

Je ne puis oublier la manière dont le théologien moraliste allemand de l’époque, Franz Böckle, rentré dans sa Suisse natale pour y passer la retraite, annonça dans la perspective des décisions qui seraient potentiellement prises dans l’encyclique  splendeur de la vérité - veritatis splendor, que si l’encyclique devait déterminer qu’il y avait des actions pouvant toujours et en toutes circonstances être considérées comme mauvaises, il ferait entendre sa voix en ayant recours à toutes les forces qui lui restaient. Le Bon Dieu lui a épargné l’exécution de cette décision ; Franz Böckle est décédé le 8 juillet 1991. L’encyclique a été publiée le 6 août 1993 et comportait en effet la conclusion qu’il existe des actions qui ne peuvent jamais être bonnes. Le pape était pleinement conscient du poids de cette décision en cette période précise et il avait justement interrogé, en ce qui concerne cette partie de ses écrits, les meilleurs spécialistes qui ne participaient pas à la rédaction de l’encyclique. Il ne pouvait et ne devait laisser planer aucun doute sur le fait que la morale en terme d’estimation du bien, devait respecter une limite ultime. Il existe des biens qui ne peuvent être l’objet de concessions. Il existe des valeurs auxquelles on ne peut renoncer que pour une valeur plus grande encore et qui se situent même au-delà de la préservation de la vie physique. Il y a le martyre. Dieu est bien plus que la vie physique. Une vie qui serait achetée au moyen de la négation de Dieu, une vie qui serait fondée sur un dernier mensonge, est une non-vie. Le martyre est une catégorie essentielle de la vie chrétienne. Le fait que, dans la théorie défendue par Franz Böckle et bien d’autres, le martyre ne soit, au fond, plus moralement nécessaire, montre que c’est ici que l’essence même du christianisme est en jeu.

Entre-temps, en matière de théologie morale, il était toutefois devenu urgent de se poser une autre question : était largement admis l’argument selon lequel le magistère ecclésial détenait l’ultime compétence (« infaillibilité ») uniquement sur le sujet de la foi elle-même, les questions relatives à la morale ne pouvaient faire l’objet de décisions infaillibles de la part du magistère de l’Église. Il y a certainement quelque chose de vrai dans cet argument, qui mérite d’être discuté plus loin. Néanmoins, il existe un minimum de principes moraux indissolublement liés aux principes fondateurs de la foi et qui doivent être défendus si l’on ne veut pas réduire la foi à une théorie mais la reconnaître dans son droit au regard de la vie concrète. Tout cela montre clairement à quel point la question de l’autorité de l’Église en matière de morale reste fondamentale. Ceux qui nient à l’Église une compétence ultime en matière d’enseignement, dans ce domaine, la réduisent au silence, précisément là où la frontière entre la vérité et le mensonge est en jeu.

Indépendamment de cette question, s’est développée, au sein de nombreux cercles de théologie morale, la thèse selon laquelle l’Église n’a pas et ne peut avoir sa propre morale. Il y est soutenu que toutes les thèses morales connaîtraient également des parallèles dans les autres religions et qu’en la matière, un proprium chrétien ne peut donc exister. Mais la question du proprium d’une morale biblique ne trouve pas de réponse dans le fait qu’on puisse aussi trouver un parallèle pour chaque phrase dans les autres religions. Il s’agit plutôt de l’ensemble de la morale biblique qui, en tant que telle, est nouvelle et différente vis-à-vis de ces éléments individuels. La doctrine morale des Saintes Écritures a la particularité, au final, de s’ancrer dans l’image de Dieu, dans la croyance en un Dieu unique, qui s’est manifesté en Jésus-Christ et qui a vécu en tant qu’être humain.

Le décalogue est l’application de la croyance biblique en Dieu, à la vie humaine. L’image de Dieu et la morale vont de pair et engendrent la nouveauté particulière de l’attitude chrétienne envers le monde et la vie humaine. Par ailleurs, le christianisme a été décrit dès le début par le terme

 La foi est un cheminement, une façon de vivre. Dans l’Église primitive, le catéchuménat fut créé, face à une culture de plus en plus dépourvue de morale, comme un lieu de vie où la particularité et la nouveauté du mode de vie chrétien puissent être pratiquées et en même temps protégées du mode de vie ordinaire. Je pense qu’aujourd’hui encore, quelque chose de semblable aux communautés catéchuménales est nécessaire pour que la vie chrétienne puisse s’affirmer à sa manière.

II.

Premières réactions de l’Église

1. Le processus de désintégration de la conception chrétienne de la morale, préparé de longue date et toujours en cours, a connu dans les années 1960, comme j’ai essayé de le montrer, un tournant radical sans précédent. Cette désintégration de l’autorité de l’Église en matière d’enseignement moral a dû nécessairement avoir un impact sur ses divers lieux de vie. Dans le contexte de la rencontre des présidents des Conférences épiscopales du monde entier avec le pape François, la question de la vie sacerdotale, et de celle des séminaires, revêt un intérêt particulier. Le problème de la préparation au ministère sacerdotal dans les séminaires relève en réalité d’un constat : l’échec, en grande partie, de la forme que prenait jusque-là cette préparation.

Dans divers séminaires se sont constitués des clubs homosexuels, qui ont agi plus ou moins ouvertement et en ont considérablement modifié le climat. Dans un séminaire situé dans le sud de l’Allemagne, vivaient ensemble des candidats au sacerdoce et d’autres au ministère laïc de référent pastoral. Au moment des repas, se retrouvaient ensemble les séminaristes et les référents pastoraux, dont certains mariés étaient accompagnés de leur épouse et de leurs enfants, et d’autres célibataires rejoints par leur petite-amie. L’atmosphère qui régnait dans ce séminaire ne pouvait aider à préparer à la vocation sacerdotale. Le Saint-Siège était au courant de ces problèmes sans avoir été précisément informé. Dans un premier temps, une visite apostolique a été organisée dans les séminaires situés aux États-Unis.

Après Vatican II, les critères de sélection et de nomination des évêques ont également été modifiés, les relations de ces derniers avec leurs séminaires ont aussi évolué. Le critère en matière de nomination des nouveaux évêques était devenu avant tout la « conciliarité », ce qui, bien évidemment, pouvait être compris de fort différente manière. En fait, dans de nombreux segments de l’Église, l’esprit conciliaire était synonyme d’attitude critique ou négative vis-à-vis de la tradition qui existait jusqu’alors et qu’il convenait dorénavant de remplacer par un nouveau rapport au monde radicalement ouvert. Un évêque, qui auparavant avait été recteur de séminaire, avait permis que soient projetés aux séminaristes des films pornographiques, dans l’intention, soi-disant, de les rendre résistants à tout comportement contraire à la foi. Il y avait – et pas uniquement aux États-Unis d’Amérique – des évêques qui rejetaient la tradition catholique dans son ensemble et cherchaient à faire émerger dans leur diocèse une sorte de nouvelle « catholicité » moderne. Il est peut-être intéressant de noter que dans un nombre non négligeable de séminaires, les étudiants surpris à lire mes livres étaient considérés comme inaptes à la prêtrise. Mes livres, considérés comme de la mauvaise littérature étaient cachés et lus presque uniquement en cachette.

Les visites qui suivirent ne permirent pas d’apprendre quoi que ce soit de nouveau, car manifestement, différentes forces s’étaient unies pour dissimuler la situation réelle. Une deuxième visite fut organisée et apporta davantage de renseignements substantiels, mais demeura dans l’ensemble sans conséquences. Toutefois, la situation dans les séminaires s’est globalement consolidée depuis les années 1970. Néanmoins, les vocations sacerdotales ne se sont plus accrues que de manière sporadique, la situation dans l’ensemble ayant pris une tournure différente.

2. Autant que je m’en souvienne, la question de la pédophilie n’est devenue brûlante qu’à partir de la seconde moitié des années 80. Entre-temps, c’était déjà devenu une affaire publique aux États-Unis. Les évêques ont donc recherché l’aide de Rome parce que le Droit canon, tel qu’il est rédigé dans le nouveau Code, ne semblait pas suffisant pour prendre les mesures qui s’imposaient. Rome et les canonistes romains se sont donc tout d’abord heurtés à ces difficultés. Selon eux, la suspension temporaire de la charge sacerdotale devait être suffisante pour permettre d’épurer et de clarifier la situation. Cela ne pouvait pas être accepté par les évêques américains, car les prêtres restaient de ce fait au service de l’évêque et donc directement liés à eux. Un renouvellement et un approfondissement du droit pénal délibérément trop souple du nouveau Code de droit canon commencèrent lentement à prendre forme.

À cela s’est ajouté un problème fondamental dans la perception du droit pénal. Seul ce qu’on appelle le « garantisme » était encore considéré comme « conciliaire ». C’est-à-dire que, par-dessus tout, les droits des prévenus devaient être garantis, à tel point que toute condamnation était pratiquement exclue. En contrepartie des moyens de défense souvent inadéquats dont disposaient les théologiens inculpés, leur droit à la défense par le biais du « garantisme » fut étendu de telle sorte qu’une condamnation ne soit guère possible.

À cette occasion, je me permets une petite parenthèse. Compte tenu de l’ampleur des défaillances en termes de pédophilie, des paroles de Jésus nous sont revenues à l’esprit : « Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer » (Mc 9, 42). Ces paroles dans leur sens originel ne traitent pas d’abus sexuels perpétrés sur des enfants. L’expression « Ces petits », dans le langage de Jésus, signifie les simples fidèles qui peuvent être déconcertés dans leur foi par l’arrogance intellectuelle de ceux qui se croient intelligents. Ici, également, Jésus protège le don du dépôt de la foi en menaçant d’une sévère punition tous ceux qui leur font du mal. L’interprétation moderne de ce verset n’est pas fausse en soi, mais elle ne doit pas occulter le sens d’origine. Il démontre clairement, contrairement à tout « garantisme », que ce n’est pas seulement le droit du prévenu qui est important et requiert une garantie. Les biens élevés, tels que la foi, sont tout aussi importants. Un droit canon équilibré, correspondant à l’ensemble du message de Jésus, ne doit donc pas constituer une garantie uniquement pour le prévenu, dont le respect est un droit légal. Il doit également protéger la foi, qui elle aussi est un bien légal important. Un droit canon correctement constitué doit donc comporter une double garantie : la protection légale du prévenu et la protection légale du bien qui est en jeu. Quand on énonce aujourd’hui cette vision précise et qu’on en vient à la question de la protection de la foi en tant que bien légal, on a généralement affaire à des gens qui font la sourde oreille. La foi, au sens général du droit, ne semble plus avoir le rang de bien à protéger. C’est une situation préoccupante, qui doit être considérée et prise au sérieux par les pasteurs de l’Église.

Je voudrais maintenant ajouter aux brèves remarques sur la situation de la formation des prêtres, au moment où la crise a éclaté publiquement, quelques précisions sur les évolutions du droit canon en la matière. En principe, la Congrégation pour le clergé est responsable des délits commis par les prêtres. Mais puisque, à cette époque, le « garantisme » dominait largement la situation, j’ai convenu avec le pape Jean-Paul II qu’il serait approprié de confier la compétence sur ces délits à la Congrégation pour la doctrine de la foi, sous l’intitulé Delicta Maiora contra fidem. Cette attribution donnait aussi la possibilité d’infliger la peine maximale, c’est-à-dire l’exclusion du clergé, qui n’aurait pas pu être imposée sur d’autres bases légales. Ce n’était aucunement un stratagème pour être en mesure d’attribuer la sanction maximale, mais une conséquence de l’importance de la foi pour l’Église. En fait, il est essentiel de percevoir que ces fautes commises par des clercs, au final, abîment la foi : ce n’est que lorsque la foi ne détermine plus le comportement des hommes que de tels délits sont possibles. Toutefois, la sévérité de la sanction présuppose également que des preuves claires de l’infraction soient établies, cet aspect du « garantisme » restant en vigueur. En d’autres termes, afin d’être en mesure d‘imposer légalement la peine maximale, une véritable procédure pénale est nécessaire. Mais c’est ainsi que les diocèses et le Saint-Siège se sont retrouvés submergés. Nous avons mis en place une forme minimale de procès pénal et laissé au Saint-Siège la possibilité de reprendre lui-même le processus quand le diocèse ou l’administration métropolitaine n’est pas en mesure de le faire. En tout cas, le procès doit être examiné par la Congrégation pour la doctrine de la foi afin de garantir les droits de l’inculpé. Enfin, à la Feria IV (c’est-à-dire l’Assemblée des membres de la Congrégation), nous avons créé une instance d’appel afin d’avoir également la possibilité d’un recours contre le procès. Parce que tout cela dépassait les capacités de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et que les retards se sont accumulés, qu’il fallait empêcher en raison de la nature du sujet, le pape François a entrepris de nouvelles réformes.

III.

1. Que devons-nous faire ? Devons-nous créer une autre Église pour remettre les choses correctement en place ? Eh bien, cette expérience a déjà été tentée et a déjà échoué. Seule l’obéissance et l’amour envers notre Seigneur Jésus-Christ peuvent nous indiquer le droit chemin. Alors essayons tout d’abord de comprendre de nouveau et de l’intérieur, ce que le Seigneur attendait et attend toujours de nous.

Tout d’abord, je dirais que si nous voulons vraiment résumer très brièvement le contenu de la foi tel qu’il est exposé dans la Bible, nous devons dire que le Seigneur a entamé avec nous une histoire d’amour dans laquelle il veut récapituler toute la création. Faire contrepoids au mal qui nous menace, nous et le monde entier, ne peut au final que consister à adhérer à cet amour. C’est le véritable contrepoids vis-à-vis du mal. La puissance du mal résulte de notre refus d’aimer Dieu. Celui qui se confie à l’amour de Dieu est racheté. Nous ne pouvons être rachetés si nous sommes incapables d’aimer Dieu. Apprendre à aimer Dieu est donc la voie de la rédemption des hommes.

Essayons maintenant de déployer un peu plus ce contenu essentiel de la Révélation divine. Nous pouvons dire alors que le premier don fondamental que la foi nous offre réside dans l‘assurance que Dieu existe. Un monde sans Dieu ne peut être qu’un monde sans signification. Car d’où vient tout ce qui est ? En tout cas, il n’a pas de fondement spirituel. Il est là tout simplement et n’a ni aucun but ni aucun sens. Il n’y a alors aucune norme en matière de bien et de mal. Ne peut donc prévaloir que ce qui est le plus fort. La puissance est alors le seul principe. La vérité ne compte pas, elle n’existe même pas réellement. Seulement quand les choses ont un fondement spirituel, quand elles sont voulues et pensées, quand il existe un Dieu créateur, un Dieu qui est bon et veut le bien – alors la vie de l’homme peut aussi avoir un sens.

Que Dieu existe en tant que créateur et mesure de toutes choses est d’abord un besoin primordial. Mais un Dieu qui ne s’exprimerait pas du tout, ne se ferait pas connaître, resterait une hypothèse et ne pourrait donc pas régir la forme de nos vies. Afin que Dieu soit véritablement Dieu dans la création consciente, nous devons nous attendre à ce qu’il s’exprime sous une forme quelconque. Il l’a fait de multiples manières, mais surtout dans l’appel qui a été lancé à Abraham et qui a donné à ceux qui étaient à la recherche de Dieu l’orientation qui mène au-delà de toute attente : Dieu lui-même devient une créature, parle comme un homme, et s’adresse à nous, êtres humains.

Ainsi, la phrase « Dieu est » se transforme en message de la Bonne nouvelle, précisément parce qu’il est plus que la connaissance, parce qu’il crée et est l’amour. Amener les hommes à en prendre de nouveau conscience est la tâche première et fondamentale qui nous est confiée par le Seigneur.

Une société où Dieu est absent – une société qui ne le connaît pas et le traite comme s’il était inexistant est une société qui perd sa mesure. C’est à notre époque qu’a été inventé le slogan de la mort de Dieu. Lorsque Dieu meurt dans une société, elle devient libre, nous a-t-on assurés. En vérité, la mort de Dieu dans une société signifie aussi la fin de sa liberté, car elle perd son sens, ce sens qui lui donnait son orientation. Et parce que disparaît aussi le compas qui nous montre la direction en nous apprenant à faire la distinction entre le bien et le mal. La société occidentale est une société dans laquelle Dieu est absent de l’espace public et n’a plus rien à lui dire. Et c’est pourquoi c’est une société où la mesure de l’humanité se perd de plus en plus. Sur certains points, il apparaît manifeste que le mal et ce qui détruit l’homme est devenu une évidence. Il en est de même pour la pédophilie. Récemment encore théorisée comme tout à fait appropriée, elle s’est propagée de plus en plus. Et maintenant nous constatons, avec une vive émotion, que des choses arrivent à nos enfants et à nos jeunes qui menacent de les détruire. Que cela puisse se passer au sein de l’Église et parmi les prêtres doit nous ébranler tout particulièrement. Pourquoi la pédophilie a-t-elle atteint un tel niveau ? En dernière analyse, l’explication réside dans l’absence de Dieu. Nous-mêmes, chrétiens et prêtres, ne parlons pas volontiers de Dieu, parce que ce discours ne semble pas concret. Après le séisme de la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne, nous avions explicitement placé notre Constitution sous la responsabilité de Dieu en tant que principe directeur. Un demi-siècle plus tard, il n’était plus possible d’inclure la responsabilité devant Dieu comme critère de référence dans la Constitution européenne. Dieu est considéré comme la préoccupation partisane d’un petit groupe et ne peut plus constituer un critère de référence pour l’ensemble de la communauté. Cette décision est le reflet de la situation de l’Occident, où Dieu est devenu l’affaire privée d’une minorité.

La première tâche qui doit résulter du séisme moral que nous vivons actuellement, consiste à recommencer à s’efforcer de vivre de Dieu et de lui consacrer notre vie. Avant toutes choses, nous devons nous-mêmes réapprendre à reconnaître Dieu comme le fondement de notre vie et à ne pas le mettre de côté comme un terme quelconque, irréel et vide de sens. Je n’oublierai jamais la mise en garde que m’adressa un jour le grand théologien Hans Urs von Balthazar dans une de ses lettres : « Ne présupposez pas le Dieu trine, père, fils et Saint-Esprit, proposez-les ! » De fait, même en théologie, Dieu est souvent considéré comme une évidence, mais concrètement, on ne traite pas de lui. Le sujet Dieu semble si irréel, si éloigné des choses qui nous préoccupent. Et pourtant tout devient différent si au lieu de présupposer Dieu, on le propose. Autrement dit, il ne faut pas le laisser à l’arrière-plan, mais le reconnaître comme l’élément central de notre pensée, de notre discours et de notre action.

2. Dieu s’est fait homme pour nous. L’homme sa créature est si proche de son cœur qu’il s’est uni à lui, entrant ainsi concrètement dans l’histoire humaine. Il nous parle, il vit avec nous, il souffre avec nous et pour nous, il a lui-même endossé la mort. De tout cela nous parlons de manière approfondie en théologie, avec des mots et des pensées savantes. Mais c’est justement là que réside le danger : en devenant des maîtres de la foi au lieu d’être renouvelés et gouvernés par elle.

Considérons cela en partant d’un point capital, la célébration de la sainte Eucharistie. La façon dont nous traitons l’Eucharistie ne peut que susciter de l’inquiétude. Le concile Vatican II s’est à juste titre préoccupé de replacer ce sacrement de la présence du corps et du sang du Christ, de sa personne, de sa souffrance, de sa mort et de sa résurrection au centre de la vie chrétienne et de la vie ecclésiale. Et en partie, c’est ce qui s’est vraiment produit et, sincèrement, nous en rendons grâce au Seigneur.

Pourtant, c’est une autre attitude qui prévaut : ce n’est pas la pleine révérence envers la présence de la mort et de la résurrection du Christ qui domine, mais une façon de la contourner qui détruit la grandeur du mystère. La baisse de la participation à la célébration eucharistique dominicale montre combien nous, chrétiens d’aujourd’hui, apprécions peu la grandeur du don que constitue sa présence réelle. L’Eucharistie est réduite à un geste cérémoniel quand il est tenu pour acquis que la courtoisie exige qu’elle soit offerte à tous lors des fêtes de famille ou en diverses occasions comme les mariages et les obsèques, pour des raisons de parenté.

L’évidence avec laquelle, en maints endroits, les personnes présentes reçoivent tout simplement le Saint-Sacrement montre que dans la communion n’est perçu qu’un geste cérémoniel. Donc, quand nous pensons à ce qu’il faut faire, il devient clair que nous n’avons pas besoin d’une autre Église que nous aurions imaginée. Ce qui est bien plus nécessaire, c’est le renouveau de la foi en la réalité de Jésus-Christ qui nous est donnée dans le sacrement.

Lors des discussions avec les victimes d’actes pédophiles, j’ai été amené à prendre de plus en plus conscience de ce besoin impératif. Une jeune femme qui avait été servante d’autel m’a raconté que l’aumônier, son supérieur hiérarchique dans le cadre de cette tâche, amorçait toujours les sévices sexuels qu’il lui faisait subir en disant : « Ceci est mon corps qui sera livré pour toi ». Que cette jeune-femme ne puisse plus entendre les mots de la prière eucharistique sans ressentir dans sa chair le supplice de l’abus subi est une évidence. Oui, nous devons instamment implorer le pardon du Seigneur et, surtout, nous devons l’invoquer et lui demander de nous enseigner à nouveau la grandeur de sa souffrance et de son sacrifice. Et nous devons faire notre possible pour protéger le don de la sainte Eucharistie de tout abus.

3. Et là est, en définitive, le mystère de l’Église. La phrase par laquelle Romano Guardini, il y a près de 100 ans, exprimait l’espérance joyeuse qui avait été instillée en lui et en beaucoup d’autres à cette époque reste inoubliable : « Un événement d’une importance inédite a commencé : l’Église se réveille dans les âmes ». Il voulait, ainsi, dire que l’Église n’était plus simplement vécue et perçue comme un dispositif extérieur à nos vies, comme une sorte d’autorité, mais qu’elle commençait à être perçue comme étant présente dans les cœurs, non comme quelque chose de simplement extérieur, mais comme quelque chose qui nous touche à l’intérieur de nous-mêmes. Environ un demi-siècle plus tard, en reconsidérant ce processus et en regardant ce qui s’était passé, j’ai ressenti l’envie d’inverser la phrase : « l’Église meurt dans les âmes ». En effet, l’Église d’aujourd’hui est largement considérée comme une sorte d’appareil politique. On ne parle pratiquement plus d’elle qu’en termes de catégories politiques, et cela s’applique jusqu’aux évêques, qui expriment en grande partie leur vision de l’Église de demain d’un point de vue essentiellement politique. La crise provoquée par les nombreux cas d’abus commis par des prêtres nous incite presque à voir l’Église comme quelque chose de lamentable que nous devons maintenant reprendre rigoureusement en mains et refaçonner. Mais une Église conçue par nous-mêmes ne peut constituer une espérance.

Jésus lui-même a comparé l’Église à un filet de pêche dans lequel se trouvent de bons et de mauvais poissons, que Dieu lui-même à la fin sépare. Il y a aussi la parabole de l’Église considérée comme un champ où pousse le bon grain semé par Dieu lui-même, mais aussi les mauvaises herbes qu’« un ennemi » a aussi secrètement semées. En fait, les mauvaises herbes qui poussent dans le champ de Dieu, c’est-à-dire l’Église, ne sont que trop visibles, et les mauvais poissons qui se trouvent dans le filet montrent tout autant leur force. Néanmoins, le champ reste le champ de Dieu et le filet reste le filet de pêche de Dieu. Et en tout temps, il n’y a pas seulement de mauvaises herbes et de mauvais poissons, mais aussi la semence de Dieu et de bons poissons. Proclamer pareillement les deux avec vigueur ne relève pas d’une fausse apologétique, il s’agit, et c’est indispensable, de servir la vérité.

À ce propos, il est nécessaire de se référer à un texte important dans l’Apocalypse de Jean. Le diable est identifié comme l’accusateur de nos frères, qui les accusait jour et nuit devant Dieu (Ap 12, 10). L’Apocalypse reprend ainsi une réflexion qui se situe au centre du cadre narratif du livre de Job (Job 1 et 2, 10 ; 42, 7-16). Il y est dit que le diable essaie de déprécier, devant Dieu, la droiture de Job, au prétexte qu’elle n’est qu’extérieure. C’est précisément ce que dit l’Apocalypse : le diable veut prouver qu’il n’y a pas d’homme juste ; que la droiture des hommes n’est qu’une manifestation extérieure. Si l’on pouvait s’approcher un peu plus près, le vernis de la droiture ternirait bien vite. Le récit commence par une dispute entre Dieu et le diable, au cours de laquelle Dieu qualifie Job d’homme vraiment juste. Des exemples vont être passés en revue pour savoir qui a tort ou raison. Enlevez-lui ce qu’il possède et vous verrez qu’il ne reste rien de sa piété, fait valoir le diable. Dieu lui permet d’essayer, et Job se tire favorablement de la situation. Maintenant, le diable le pousse un peu plus loin sur, et dit : « Peau pour peau ! L’homme donne tout ce qu’il a pour sauver sa vie. Mais étends la main, touche à ses os et à sa chair, je parie qu’il te maudira en face ! » (Job 2, 4). Alors Dieu accorde au diable une seconde tentative. Il est également autorisé à toucher la peau de Job. Seul le tuer lui est refusé. Il est clair, pour les chrétiens, que Job, qui se dresse devant Dieu comme un exemple pour toute l’humanité, est Jésus-Christ. Dans l’Apocalypse, le drame de l’humanité nous est présenté dans toute son amplitude. Le Dieu créateur est confronté au diable, qui dénigre toute l’humanité et toute la création. Il dit non seulement à Dieu, mais surtout au peuple : Regardez ce que ce Dieu a fait. Une belle création, soi-disant. En réalité, elle est, dans son intégralité, totalement misérable et répugnante. Le dénigrement de la création est en réalité le dénigrement de Dieu. Il veut prouver que Dieu lui-même n’est pas bon et nous détourner de lui.

L’actualité de ce que nous dit l’Apocalypse est ici évidente. Aujourd’hui, l’accusation à l’encontre de Dieu vise avant tout à nous présenter son Église sous un jour extrêmement mauvais et donc à nous en détourner. L’idée que nous pourrions-nous mêmes créer une Église meilleure est en fait une proposition du diable au moyen de laquelle il veut nous détourner du Dieu vivant à travers une logique mensongère à laquelle nous succombons trop facilement. Non, même aujourd’hui, l’Église n’est pas seulement composée de mauvais poissons et de mauvaises herbes. L’Église de Dieu existe encore aujourd’hui, et c’est aussi l’instrument par lequel Dieu nous sauve. Il est très important d’opposer aux mensonges et aux demi-vérités du diable toute la vérité : oui, le péché existe dans l’Église et le mal aussi. Mais même aujourd’hui, la sainte Église existe, et elle est indestructible. Il y a également aujourd’hui beaucoup de gens qui humblement croient, souffrent et aiment et en qui le vrai Dieu, le Dieu aimant, se montre à nous. Dieu a aussi ses témoins (« martyrs ») dans le monde d’aujourd’hui. Nous devons juste être éveillés pour les voir et les entendre.

Le mot « martyr » est tiré du droit procédural. Dans le procès contre le diable, Jésus-Christ est le premier et le véritable témoin de Dieu, le premier martyr qui sera dès lors suivi par d’autres, innombrables. L’Église d’aujourd’hui est plus que jamais une Église des martyrs et donc témoin du Dieu vivant. Quand nous regardons autour de nous et écoutons avec un cœur attentif, partout aujourd’hui, surtout parmi les gens ordinaires, mais aussi dans les hauts rangs de l’Église, nous trouvons des témoins qui, par leur vie et leurs souffrances, se tiennent auprès de Dieu. C’est une paresse du cœur que de ne pas vouloir le percevoir. L’une des grandes tâches essentielles de notre proclamation de l’Évangile est, dans la mesure du possible, d’établir des lieux de vie de la foi et, avant tout, de les trouver et de les reconnaître.

Je vis dans une maison, au sein d’une petite communauté de gens qui découvrent continuellement, et au quotidien, de tels témoins du Dieu vivant et m’en font part joyeusement. Voir et trouver l’Église vivante est une tâche merveilleuse qui nous rend forts et nous permet constamment de nous réjouir dans la foi.

En conclusion de ces réflexions, je tiens à remercier le pape François pour tout ce qu’il fait, afin de nous montrer encore et encore la lumière de Dieu, qui même aujourd’hui n’a pas disparu. Merci, Saint-Père !

Benoît XVI


(1) « La Gazette du clergé », un mensuel destiné au clergé dans la plupart des diocèses de Bavière, en Allemagne.

(2) La « Sexkoffer » est une « valise », contenant du matériel d’éducation sexuelle utilisé dans les écoles autrichiennes et éditée à la fin des années 1980 par le gouvernement autrichien.

(3) Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la fin des années 1980, les gares allemandes étaient équipées de salles de cinéma pour les voyageurs entre deux trains. Y étaient diffusés les actualités, des films de série B ou à caractère érotique.

(4) cf. D. Mieth, Kölner Erklärung, LThK, VI3, 196. Autour de la Déclaration de Cologne (DC 1989, n. 1979, p. 240-245).

(5) Pape Jean-Paul II, Lettre encyclique splendeur de la vérité - veritatis splendor, 6 août 1993 ; DC 1993, n. 2081, p. 901-944.

 
La lettre de Benoît XVI sur le rapport de Munich
Benoît XVI se défend
 

Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -  E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 20.02.2023

 
 

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