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Les deux maîtres-mots que Benoit XVI laisse en
héritage : Foi et raison
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Le 05 janvier 2023 -
(E.S.M.)
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En ces jours de deuil du Saint
Père Benoît XVI, nous vous proposons ci-dessous
une anthologie de quelques-uns de ses discours essentiels, ceux qui
condensent sa vision de la mission de l’Église dans le monde
d’aujourd’hui, en dialogue constant entre foi et raison.
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Benoît XVI
Les deux maîtres-mots que Benoit XVI laisse en héritage : Foi et raison
Le 05 janvier 2023 - E.
S. M. - En ces jours de deuil du
Saint Père Benoît XVI, nous vous proposons ci-dessous
une anthologie de quelques-uns de ses discours essentiels, ceux qui
condensent sa vision de la mission de l’Église dans le monde
d’aujourd’hui, en dialogue constant entre foi et raison.
Vous trouverez un lien vers le texte
intégral de chaque discours dont nous reproduisons les passages les
plus marquants.
Le premier discours est celui avant Noël
du 22 décembre 2005 à la Curie romaine, dans lequel le Pape Benoît
XVI a éclairci sa clé d’interprétation du Concile Vatican II : non
pas en tant que rupture avec le passé et nouveau départ mais plutôt
en tant qu’“herméneutique de la réforme, du renouvellement dans la
continuité de l’unique sujet-Église”. Principalement dans le but de
prendre la défense du décret conciliaire sur la liberté religieuse,
le plus contesté par les traditionnalistes.
Le second est celui qu’il a prononcé le
12 décembre 2006 à l’Université de Ratisbonne et dans lequel il
présente comme essentielle à la foi chrétienne la rencontre entre le
message biblique et la pensée grecque, une rencontre plusieurs fois
contestée au cours de l’histoire, et qui est pourtant selon lui
essentielle, encore aujourd’hui, pour la mission de l’Église.
Le troisième discours, celui du 22
décembre 2006 à la Curie romaine, est repris ici comme corollaire du
précédent, pour la réponse implicite fournie par Benoît XVI aux
violentes réactions qui ont enflammé le monde musulman à la suite
d’un passage de son discours de Ratisbonne. L’espoir du Pape, c’est
que l’islam aussi passe à travers le crible de la raison des
Lumières, comme cela s’est déjà produit – fastidieusement mais avec
succès – pour le christianisme.
Le quatrième est celui du 12 septembre
2006 au Collège des bernardins de Paris. C’est celui dans lequel
Benoît XVI le Pape Benoît XVI montre que le fondement de la
civilisation de l’Europe et de l’Occident réside dans le “quaerere
Deum”, la recherche de Dieu des moines du Moyen Âge, avec tout ce
que cette dernière a produit dans le domaine de l’exégèse biblique,
de la théologie, de la liturgie, des arts, de la littérature, de la
société.
Le cinquième est celui du 22 septembre
2011 au Reichstag, le parlement de Berlin. Dans celui-ci, Benoît XVI
met en garde contre les risques de la dictature dominante du
positivisme juridique, qui mine précisément cette rencontre décisive
entre Jérusalem, Athènes et Rome, entre la foi en Dieu d’Israël, la
raison philosophique des Grecs et la pensée juridique romaine, qui a
édifié la civilisation occidentale.
On constate entre tous ces discours une
extraordinaire cohérence. Mais on voit également à quel point ils
sont incontournables et exigeants pour l’Église qui les reçoit en
héritage.
► À la Curie romaine, le 22 décembre 2005
Le Concile Vatican II, reconnaissant et
faisant sien à travers le Décret sur la liberté religieuse un
principe essentiel de l’Etat moderne, a repris à nouveau le
patrimoine plus profond de l’Eglise. Celle-ci peut être consciente
de se trouver ainsi en pleine syntonie avec l’enseignement de Jésus
lui-même (cf. Mt 22, 21), comme également avec l’Eglise des martyrs,
avec les martyrs de tous les temps.
L’Eglise antique, de façon naturelle, a
prié pour les empereurs et pour les responsables politiques, en
considérant cela comme son devoir (cf. 1 Tm 2, 2); mais, tandis
qu’elle priait pour les empereurs, elle a en revanche refusé de les
adorer, et, à travers cela, a rejeté clairement la religion d’Etat.
Les martyrs de l’Eglise primitive sont morts pour leur foi dans le
Dieu qui s’était révélé en Jésus Christ, et précisément ainsi, sont
morts également pour la liberté de conscience et pour la liberté de
professer sa foi, – une profession qui ne peut être imposée par
aucun Etat, mais qui ne peut en revanche être adoptée que par la
grâce de Dieu, dans la liberté de la conscience. […]
Le Concile Vatican II, avec la nouvelle
définition de la relation entre la foi de l’Eglise et certains
éléments essentiels de la pensée moderne, a revisité ou également
corrigé certaines décisions historiques, mais dans cette apparente
discontinuité, il a en revanche maintenu et approfondi sa nature
intime et sa véritable identité. […]
Mais à notre époque, l’Eglise demeure un
« signe de contradiction » (Lc 2, 34). […] Le Concile ne pouvait
avoir l’intention d’abolir cette contradiction de l’Evangile à
l’égard des dangers et des erreurs de l’homme. En revanche, son
intention était certainement d’écarter les contradictions erronées
ou superflues, pour présenter à notre monde l’exigence de l’Evangile
dans toute sa grandeur et sa pureté. Le pas accompli par le Concile
vers l’époque moderne, qui de façon assez imprécise a été présenté
comme une « ouverture au monde », appartient en définitive au
problème éternel du rapport entre foi et raison.
► À l’Université de Ratisbonne, le 12
septembre 2006
et
La polémique de Ratisbonne
Est-ce seulement grec de penser qu’agir
de façon contraire à la raison est en contradiction avec la nature
de Dieu, ou cela vaut-il toujours et en soi ? Je pense que, sur ce
point, la concordance parfaite, entre ce qui est grec, dans le
meilleur sens du terme, et la foi en Dieu, fondée sur la Bible,
devient manifeste. En référence au premier verset de la Genèse,
premier verset de toute la Bible, Jean a ouvert le prologue de son
évangile par ces mots : « Au commencement était le ‘logos’ ». […] La
rencontre du message biblique et de la pensée grecque n’était pas le
fait du hasard. […] Fondamentalement, il s’agit d’une rencontre
entre la foi et la raison, entre l’authentique philosophie des
Lumières et la religion. […]
La revendication de déshellénisation du
christianisme, qui, depuis le début de l’époque moderne, domine de
façon croissante le débat théologique, s’oppose à la thèse selon
laquelle l’héritage grec, purifié de façon critique, appartient à la
foi chrétienne. […]
Au regard de la rencontre avec la
pluralité des cultures, on dit volontiers aujourd’hui que la
synthèse avec l’hellénisme, qui s’est opérée dans l’Église antique,
était une première inculturation du christianisme qu’il ne faudrait
pas imposer aux autres cultures. Il faut leur reconnaître le droit
de remonter en deçà de cette inculturation vers le simple message du
Nouveau Testament, pour l’inculturer à nouveau dans leurs espaces
respectifs. Cette thèse n’est pas simplement erronée mais encore
grossière et inexacte. Car le Nouveau Testament est écrit en grec et
porte en lui-même le contact avec l’esprit grec, qui avait mûri
précédemment dans l’évolution de l’Ancien Testament. Certes, il
existe des strates dans le processus d’évolution de l’Église antique
qu’il n’est pas besoin de faire entrer dans toutes les cultures.
Mais les décisions fondamentales, qui concernent précisément le lien
de la foi avec la recherche de la raison humaine, font partie de la
foi elle-même et constituent des développements qui sont conformes à
sa nature. […]
C’est ainsi seulement que nous devenons
capables d’un véritable dialogue des cultures et des religions, dont
nous avons un besoin si urgent. […] Pour la philosophie et, d’une
autre façon, pour la théologie, écouter les grandes expériences et
les grandes intuitions des traditions religieuses de l’humanité,
mais spécialement de la foi chrétienne, est une source de
connaissance à laquelle se refuser serait une réduction de notre
faculté d’entendre et de trouver des réponses. […] Depuis longtemps,
l’Occident est menacé par cette aversion pour les interrogations
fondamentales de la raison et il ne pourrait qu’en subir un grand
dommage. Le courage de s’ouvrir à l’ampleur de la raison et non de
nier sa grandeur – tel est le programme qu’une théologie se sachant
engagée envers la foi biblique doit assumer dans le débat présent.
Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le Logos, est en
contradiction avec la nature de Dieu.
► À propos de l’islam, le 22 décembre
2006
Le monde musulman se trouve aujourd’hui
avec une grande urgence face à une tâche très semblable à celle qui
fut imposée aux chrétiens à partir du siècle des Lumières et à
laquelle le Concile Vatican II a apporté des solutions concrètes
pour l’Eglise catholique au terme d’une longue et difficile
recherche. […]
D’une part, nous devons nous opposer à la
dictature de la raison positiviste, qui exclut Dieu de la vie de la
communauté et de l’organisation publique, privant ainsi l’homme de
ses critères spécifiques de mesure. D’autre part, il est nécessaire
d’accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des
Lumières, les droits de l’homme et en particulier la liberté de la
foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels
également pour l’authenticité de la religion.
Au Collège des Bernardins de Paris, le 12
septembre 2008
Sous de nombreux aspects, la situation
actuelle est différente de celle que Paul a rencontrée à Athènes,
mais, tout en étant différente, elle est aussi, en de nombreux
points, très analogue. Nos villes ne sont plus remplies d’autels et
d’images représentant de multiples divinités. Pour beaucoup, Dieu
est vraiment devenu le grand Inconnu.
Malgré tout, comme jadis où derrière les
nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la
question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence
de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le
concerne. “Quaerere Deum” – chercher Dieu et se laisser trouver par
Lui : cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé.
Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine
subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu,
serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses
possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont
les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la
culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à
L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture
véritable.
► Au Reichstag de Berlin, le 22 septembre
2011
Comment reconnaît-on ce qui est juste?
Dans l’histoire, les règlements juridiques ont presque toujours été
motivés de façon religieuse: sur la base d’une référence à la
divinité on décide ce qui parmi les hommes est juste. Contrairement
aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à
l’État et à la société un droit révélé, ni un règlement juridique
découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et
à la raison comme vraies sources du droit – il a renvoyé à
l’harmonie entre raison objective et subjective, une harmonie qui
toutefois suppose le fait d’être toutes deux les sphères fondées
dans la Raison créatrice de Dieu.
Avec cela les théologiens chrétiens se
sont associés à un mouvement philosophique et juridique qui s’était
formé depuis le IIème siècle av. JC. Dans la première moitié du
deuxième siècle préchrétien, il y eut une rencontre entre le droit
naturel social développé par les philosophes stoïciens et des
maîtres influents du droit romain. Dans ce contact est née la
culture juridique occidentale, qui a été et est encore d’une
importance déterminante pour la culture juridique de l’humanité. De
ce lien préchrétien entre droit et philosophie part le chemin qui
conduit, à travers le Moyen-âge chrétien, au développement juridique
des Lumières jusqu’à la Déclaration des Droits de l’homme. […]
Mais un dramatique changement de la
situation est arrivé au cours du dernier demi siècle. L’idée du
droit naturel est considérée aujourd’hui comme une doctrine
catholique plutôt singulière, sur laquelle il ne vaudrait pas la
peine de discuter en dehors du milieu catholique, de sorte qu’on a
presque honte d’en mentionner même seulement le terme. […] Ce qui
n’est pas vérifiable ou falsifiable ne rentre pas dans le domaine de
la raison au sens strict. C’est pourquoi l’ethos et la religion
doivent être assignés au domaine du subjectif et tombent hors du
domaine de la raison au sens strict du mot. Là où la domination
exclusive de la raison positiviste est en vigueur – et cela est en
grande partie le cas dans notre conscience publique – les sources
classiques de connaissance de l’ethos et du droit sont mises hors
jeu. […] La raison positiviste, qui se présente de façon
exclusiviste et n’est pas en mesure de percevoir quelque chose
au-delà de ce qui est fonctionnel, ressemble à des édifices de béton
armé sans fenêtres, où nous nous donnons le climat et la lumière
tout seuls et nous ne voulons plus recevoir ces deux choses du vaste
monde de Dieu.
Toutefois nous ne pouvons pas nous
imaginer que dans ce monde auto-construit nous puisons en secret
également aux «ressources» de Dieu, que nous transformons en ce que
nous produisons. Il faut ouvrir à nouveau tout grand les fenêtres,
nous devons voir de nouveau l’étendue du monde, le ciel et la terre
et apprendre à utiliser tout cela de façon juste.
Mais comment cela se réalise-t-il?
Comment trouvons-nous l’entrée dans l’étendue, dans l’ensemble?
Comment la raison peut-elle retrouver sa grandeur sans glisser dans
l’irrationnel? Comment la nature peut-elle apparaître de nouveau
dans sa vraie profondeur, dans ses exigences et avec ses
indications? Je rappelle un processus de la récente histoire
politique. […] L’importance de l’écologie est désormais indiscutée.
Nous devons écouter le langage de la nature et y répondre avec
cohérence. Je voudrais cependant aborder avec force un point qui
aujourd’hui comme hier est –me semble-t-il- largement négligé: il
existe aussi une écologie de l’homme. L’homme aussi possède une
nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté.
L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi. L’homme
ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi
nature, et sa volonté est juste quand il respecte la nature,
l’écoute et quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est, et qu’il
accepte qu’il ne s’est pas créé de soi. C’est justement ainsi et
seulement ainsi que se réalise la véritable liberté humaine. […]
Est-ce vraiment privé de sens de réfléchir pour savoir si la raison
objective qui se manifeste dans la nature ne suppose pas une Raison
créatrice, un “Creator Spiritus”?
À ce point le patrimoine culturel de
l’Europe devrait nous venir en aide. Sur la base de la conviction de
l’existence d’un Dieu créateur se sont développées l’idée des droits
de l’homme, l’idée d’égalité de tous les hommes devant la loi, la
connaissance de l’inviolabilité de la dignité humaine en chaque
personne et la conscience de la responsabilité des hommes pour leur
agir. Ces connaissances de la raison constituent notre mémoire
culturelle. L’ignorer ou la considérer comme simple passé serait une
amputation de notre culture dans son ensemble et la priverait de son
intégralité. La culture de l’Europe est née de la rencontre entre
Jérusalem, Athènes et Rome – de la rencontre entre la foi au Dieu
d’Israël, la raison philosophique des Grecs et la pensée juridique
de Rome. Cette triple rencontre forme l’identité profonde de
l’Europe. Dans la conscience de la responsabilité de l’homme devant
Dieu et dans la reconnaissance de la dignité inviolable de l’homme,
de tout homme, cette rencontre a fixé des critères du droit, et les
défendre est notre tâche en ce moment historique.
Un article de
Sandro Magister, vaticaniste à
L’Espresso.
Sources : diakonos-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 05.01.2023
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