Mission Asie. La nouvelle frontière de la
Compagnie de Jésus |
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Le 23 janvier 2008 -
(E.S.M.) - Le nouveau général des jésuites a
vécu pendant plusieurs dizaines d'années au Japon. Dans un article de "Concilium",
il résume ainsi son projet : évangéliser l’Orient "par la seule force de
Dieu", par Sandro Magister.
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Le père
Adolfo Nicolás -
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Mission Asie. La nouvelle frontière de la Compagnie de Jésus
Il y a un élément de continuité entre le père Adolfo Nicolás (photo), élu
nouveau préposé général de la Compagnie de Jésus il y a quatre jours, et
celui qui l’a précédé de 1965 à 1983, le père Pedro Arrupe.
L’un et l’autre sont nés en Espagne et ont œuvré pendant de nombreuses
années au
Japon.
Le père Giuseppe Pittau, qui assuré la régence de la Compagnie de Jésus
pendant la maladie d’Arrupe, a lui aussi travaillé longtemps à Tokyo, où il
a été recteur de la Sophia University, fondée en 1913 par les jésuites.
Le nouveau général Adolfo Nicolás, 71 ans, a vécu en Extrême-Orient depuis
1964, principalement à Tokyo. Il y a été professeur de théologie à la Sophia
University, provincial des jésuites du Japon et dernièrement, de 2004 à
2007, modérateur de la conférence des jésuites de l’Asie de l’Est et
d’Océanie. Outre l’espagnol, l’italien, l’anglais et le français, il parle
couramment le japonais.
Le lien qui unit les successeurs actuels de saint Ignace de Loyola à
l’Extrême-Orient est fidèle aux origines de la Compagnie et à saint
François-Xavier, le premier grand évangélisateur de ces terres. Mais il
marque aussi la volonté d’être présents sur une frontière décisive pour
l’Église d’aujourd’hui, celle de la mission en Asie.
Des cinq continents, l’Asie est actuellement le moins christianisé. Mais il
n’en a pas toujours été ainsi. Dès les origines, l’Orient – de la Perse à la
Chine en passant par l’Inde – a été l’un des grands axes de l’expansion du
christianisme. Dès les origines, le christianisme n’a pas été un phénomène
européen exporté par la suite en tant que tel vers d’autres civilisations,
mais une foi entremêlée à de nombreuses cultures.
Bien qu’il ait réaffirmé à maintes reprises le rattachement originel de la
foi biblique à la sagesse grecque, Benoît XVI a souvent insisté sur cette
"pluralité culturelle" du christianisme des débuts.
La dernière fois, c’était lors de l’audience générale du mercredi 28
novembre 2007. Au début de sa catéchèse, consacrée ce jour-là à un Père de
l’Église syrien, saint Ephrem, le pape Benoît XVI a laissé son texte écrit
de côté pour improviser:
"Chers frères et sœurs, selon l'opinion commune d'aujourd'hui, le
christianisme serait une religion européenne, qui aurait ensuite exporté la
culture de ce continent dans d'autres pays. Mais la réalité est beaucoup
plus complexe, car la racine de la religion chrétienne se trouve dans
l'ancien Testament et donc à Jérusalem et dans le monde sémitique. Le
christianisme se nourrit toujours à cette racine de l'Ancien Testament. Son
expansion au cours des premiers siècles a eu lieu aussi bien vers l'Occident
– vers le monde gréco-latin, où il a ensuite inspiré la culture européenne –
que vers l'Orient, jusqu'à la Perse, à l'Inde, contribuant ainsi à susciter
une culture spécifique, en langues sémitiques, avec une identité propre.
Pour montrer cette multiplicité culturelle de l'unique foi chrétienne des
débuts, j'ai parlé dans la catéchèse de mercredi dernier d'un représentant
de cet autre christianisme, Aphraate le Sage persan, presque inconnu chez
nous. Dans cette même optique, je voudrais aujourd'hui parler de saint
Ephrem le Syrien...". (Mercredi
28 novembre 2007)
Quelle est, sur ce sujet, la vision du nouveau général des Jésuites, Adolfo Nicolás ?
Pour le comprendre, il faut relire un article qu’il a publié dans le numéro
3 de 2005 de la revue internationale de théologie "Concilium". Une revue
dont les positions ne concordent pas toujours avec la doctrine officielle en
ce qui concerne le rapport entre le christianisme et les autres religions et
cultures.
Dans cet article, en effet, le père Nicolás explique que l’Église a le
devoir de reconnaître "la richesse religieuse des autres religions et le
salut réel et efficace qu’elles ont apporté à des milliers de générations":
une thèse qui ferait froncer les sourcils à certains prélats de la
congrégation pour la doctrine de la foi.
Mais l’intérêt principal de cet article du père Nicolás n’est pas à chercher
dans les réponses qu’il donne mais dans les questions qu’il pose. Des
questions généralement ouvertes, qu’il invite à aborder avec "un esprit de
service désintéressé, sans conditions, parce que Dieu seul est la force",
comme il l’a dit dans sa première homélie en tant que général des jésuites,
dans l’église du Gesù, à Rome, le dimanche 20 janvier.
Dans cet esprit, le père Nicolás se dit prêt à affronter aussi les échecs
apparents. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les jésuites étaient
convaincus que le Japon était un terrain fertile pour une grande expansion
missionnaire. C’est pourquoi ils y ont envoyé des personnes de premier plan.
Mais de moisson de conversions à la foi catholique, point.
Le Japon n’est pas la seule frontière critique pour le christianisme en
Asie. Il fait cependant l’objet d’une attention croissante de la part de
l’Église de Rome. Exemple: la béatification, le 24 novembre 2008 à Nagasaki,
du jésuite Pierre Kibe Kasui et de ses 187 compagnons martyrisés entre 1603
et 1639.
Voici donc un extrait de l’article publié dans le n°3 de l’année 2005 de la
revue "Concilium" par le jésuite hispano-japonais qui est aujourd’hui le
nouveau général de la Compagnie fondée par saint Ignace:
Christianisme en crise: l’Asie
par Adolfo Nicolás
[…] La crise du christianisme en Asie n’est pas nouvelle. […] Elle a
commencé au moment même où les premiers missionnaires européens ont mis le
pied en Asie. […] Si l’on se concentre uniquement sur les temps modernes,
François Xavier a fait naître une crise pour le christianisme lorsqu’il a
ouvert un dialogue avec les bonzes bouddhistes au Japon. Par la suite, elle
a été encore approfondie par Valignagno. Ricci, Ruggieri, de Nobili et tant
d’autres, qui voulaient vraiment impliquer la culture, la religiosité et la
communauté locale, tous ont fait naître une crise qui a parfois dépassé la
situation locale et touché l’Église toute entière. [...]
Dans ce genre de crise, nous ne sommes plus juges, nous sommes jugés. Non
pas parce que les autres cherchent à nous juger, mais parce qu’en leur
présence, nos propres mots reviennent pour nous juger. L’autre nous juge en
écoutant notre message et en confirmant sa profondeur, sa capacité à nous
inviter à changer. L’autre nous juge en prenant nos paroles au sérieux et en
devenant un témoin de notre vie. L’autre nous juge en nous forçant à garder
vivantes les questions les plus profondes, en empêchant les mots
d’embrouiller la réalité. Quand l’autre est accueilli avec amour et respecté
dans son intégralité, nous ne pouvons pas éviter de nous sentir incités à
nous demander à quel point nous sommes d’authentiques chrétiens et
d’authentiques disciples. [...]
La crise s’atténue à chaque fois que nous sommes bénis par l’existence de
personnes saintes comme Mère Teresa ou de nombreux autres chrétiens qui
donnent leur vie pour le bien des autres. Mais d’autres religions comptent
également des milliers de personnes – connues ou inconnues – qui vivent une
vie de compassion et de service. [...]
En Asie, nous sommes dans une situation de crise parce que notre message
n’est pas rendu visible par notre vie. L’Évangile de la miséricorde et de la
réconciliation est nié par notre incapacité à nous réconcilier [...]. La
joie et la simplicité du pardon et du service ont fait place à un système
compliqué de contrôles et de règlements qui éloignent l’Évangile des
personnes. Dans les Églises occidentales ou plus anciennes, on a la
possibilité d’expliquer comment et pourquoi certaines de ces anomalies se
sont développées. Mais, dans une conversation à cœur ouvert avec des
personnes d’autres religions en Asie, ces mêmes explications provoquent
seulement l’étonnement et la déception.
Le domaine naturel de cette crise est le domaine pastoral. A notre plus
grande honte et à notre consternation, les normes et les obligations
semblent occuper beaucoup plus de place dans les prédications et les
directives des pasteurs que la joie, l’espérance et la liberté.
L’apprentissage des doctrines (souvent totalement incompréhensibles et
rarement intéressantes) prend plus de place que la communion, le service ou
l’hospitalité. [...]
Le travail pastoral est une invitation permanente à faire le vide pour être
"réceptifs" vis-à-vis d’autrui, avec ses préoccupations, ses joies, ses
questions, ses découragements ou ses espérances. La relation entre service
et vide intérieur est pertinente à tel point que saint Paul n’hésite pas à
l’appliquer à Jésus Christ dans de nombreuses lettres. C’est aussi une
relation qui a tout son sens dans la tradition de l’Asie bouddhiste. C’est
pourquoi, lorsqu’en Asie, nous choisissons de devenir un pasteur à succès,
plutôt qu’un pasteur qui fait le vide intérieur et se donne lui-même, nous
perdons quelque chose de notre nature dans le Christ. Nous sommes en crise.
La crise est tout aussi profonde en ce qui concerne la théologie. Les
religions d’Asie – en particulier le bouddhisme – constituent un défi
permanent pour chaque terme théologique que nous utilisons. Elles remettent
en question la "clarté" supposée de nombre de nos affirmations et de nos
explications. Fondamentalement parce que c’est une clarté sans transparence,
qui explique mieux les concepts et les définitions que la vie, dans toutes
ses douleurs et toutes ses joies. Le sens critique envers le langage
religieux n’est pas spécifiquement asiatique. Dans un de ses écrits sur la
foi chrétienne, le cardinal Ratzinger affirmait, il y a quelques années, que
"toutes les affirmations théologiques n’ont qu’une valeur approximative" ou
quelque chose d’analogue. Cette affirmation sage et inspirée trouverait dans
les religions d’Asie son approbation la plus profonde et son interprétation
la plus radicale.
En même temps, les penseurs asiatiques, imprégnés de leurs propres
traditions religieuses, continuent à s’étonner de l’ambiguïté et de la
légèreté avec laquelle nous utilisons des termes aussi centraux et
importants tels que "salut", "foi", "libération", etc. Un certain type de
théologie s’est imposé dans nos séminaires, bien éloigné de la vie des gens
en Orient et en Occident. Un éloignement qui redouble quand la théologie est
utilisée en Asie comme s’il s’agissait du "sens commun catholique". C’est un
langage en tension, en conflit, en désaccord avec d’autres langages,
d’autres images, d’autres perceptions, d’autres symbole et d’autres
expressions religieuses qui ont donné une direction, un sens et une
espérance à des millions de personnes. En voulant rester fidèle à la
méthodologie des questions académiques occidentales, cette théologie n’a pas
su intégrer des connaissances sérieuses et des formes de sagesse religieuse
plus porteuses de liberté, impossibles à systématiser, de manières de faire
le vide radicalement, de non-dualisme et de transcendance. [...]
Les vrais maîtres spirituels de tous les temps sont plus enclins à montrer
les voies qui mènent à Dieu qu’à répondre à des questions concernant Dieu.
L’Asie a produit une richesse incroyable de ces "voies". La recherche de la
sagesse ou de la divinité est très concrète, et les maîtres continuent à
guider les personnes dans leur voyage spirituel. C’est dans ce contexte que
nous autres chrétiens devons penser et reconsidérer nos pratiques, depuis
les simples prières jusqu’aux célébrations sacramentelles.
Quelle est la "voie" chrétienne dans les pays d’Asie ? La crise de nos
pratiques spirituelles, données comme bien établies, devrait être une
invitation à redécouvrir leur inspiration authentique […]. L’Église doit
revenir à sa position d’humilité sur le plan du salut. Comme toutes les
médiations humaines, elle est sujette à la loi de la croissance et de la
décadence, du péché et de la grâce, de la mort et de la résurrection. Faire
comme s’il en allait autrement, c’est se tromper soi-même, c’est renier la
croix et la condition de serviteur que Jésus a assumée pour toutes ces
personnes (et ces institutions) qui veulent le suivre jusqu’à la fin. En
Asie, l’église a souvent été pauvre, persécutée en de nombreux endroits et
pendant de longues périodes, elle est restée sans aucun pouvoir et presque
invisible dans beaucoup de pays... Beaucoup d’évêques et d’autres figures
religieuses en Asie étaient heureux de cette existence humble de l’Église.
Voilà l’image de l’Église du Christ qui a le plus de sens en Asie: une
Église qui s’adapte à la pauvreté des masses et à l’accueil – sans
discrimination – de l’espérance.
Cependant, ce n’est pas l’image que nous, "ecclésiastiques", communiquons le
plus clairement. Il y a une soif de visibilité, d’influence, de différentes
formes de pouvoir (y compris, tout spécialement, le pouvoir "spirituel"), de
succès visible, qui déprécie la joie d’accompagner le Christ dans la
pauvreté et l’humilité. L’Église a été très réticente à ouvrir ses propres
portes et à changer ses propres structures pour obéir à l’Esprit du Christ
qui lui a parlé lors du Concile Vatican II. C’est pourquoi l’Église apparaît
souvent incohérente en Asie et elle provoque parfois l’étonnement et la
déception. Si nous étions conscients de la crise que nous traversons
actuellement, nous reconsidérerions notre style, notre langage et nos
célébrations, dans la recherche d’une plus grande harmonie.
L’Asie n’arrivera jamais à comprendre comment une Église "humble" peut
négliger aussi facilement les "autres voies de salut" ou les juger
"inférieures à la nôtre". L’Asie, avec ses saints et ses mystiques, ses
témoins et ses fidèles héroïques, ne comprendra jamais comment une Église
née de l’Évangile et guidé par l’Esprit de Jésus-Christ peut pratiquement
ignorer la richesse religieuse des autres religions et le salut réel et
efficace qu’elles ont apporté à des milliers de générations. [...]
Nous devons reprendre le voyage pascal par lequel on fait le vide en
soi-même; c’est notre seule possibilité de rencontrer le Christ souffrant
dans le pauvre d’Asie, dans les victimes de millénaires de tremblements de
terre, de tsunamis, d’oppression et d’injustice. Le vide à faire en
nous-mêmes va jusqu’à nos concepts, à nos théologies, aux institutions, aux
mondes théoriques ou de dévotion. Aloysius Pieris parle d’un nouveau baptême
dans la religiosité asiatique et de la croix de la pauvreté asiatique. [...]
Exactement comme Jésus qui "de riche est devenu pauvre afin que nous
puissions participer à sa richesse".
Plus tôt nous accueillerons la crise et nous progresserons en compagnie de
l’"Esprit créateur", mieux ce sera.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
La revue internationale de théologie, en sept
langues, qui a publié l’article du père Adolfo Nicolás :
►
Concilium
L’université fondée à Tokyo par les jésuites :
►
Sophia University
Le site Internet officiel, en quatre langues, de la
35e congrégation générale de la Compagnie de Jésus, qui poursuit ses travaux
après avoir élu le nouveau préposé général le 19 janvier : ►
CG 35
Les faits qui ont précédé l’élection du nouveau
général des jésuites ►
Dernier appel pour la Compagnie de Jésus. A l'obéissance (11.1.2008)
A propos de la béatification de 188 martyrs
japonais qui aura bientôt lieu
►
Benoît XVI reconnaît martyrs 188 prêtres, religieux et laïcs japonais
Sources:
La chiesa.it
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 23.01.2008 - BENOÎT XVI
- T/Église |