Le Cardinal Bartolucci : Je
sais que le pape Benoît XVI a de l'estime pour moi |
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Le 21 janvier 2011
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(E.S.M.)
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Le Cardinal Domenico Bartolucci, qui a servi pendant plus de 40 ans comme
directeur du chœur de la Chapelle Sixtine, dit que bien que la musique
sacrée soit actuellement en crise, il y a des signes d'espoir.
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Le pape Benoît XVI et
le Cardinal Domenico Bartolucci,
Musique Sacrée en crise
Entretien avec l'Ancien directeur du chœur de la Chapelle Sixtine
Par Elena Carmen Villa
Le 21 janvier 2011 - E.
S. M. -
Il fut un enfant prodige, ayant composé sa première messe à 12 ans; sa messe
la plus connue est la "Misa Jubilei", écrite en l'Année Sainte 1950.
Le prélat, maintenant âgé de 93 ans, a été l'un des nouveaux cardinaux créés
par le consistoire du 20 novembre.
ZENIT s'est entretenu avec le cardinal sur ses années en tant que directeur
du chœur, et ses vues sur la musique sacrée en ce moment.
- Comment avez-vous reçu cette nomination?
- Cardinal Bartolucci: Je ne m'y attendais pas. Il est vrai que c'est un
signe de l'amour du pape pour la musique sacrée, un rappel évident, surtout
en ce moment de crise.
Auparavant, la musique était l'âme de la liturgie. Même dans les campagnes -
je suis originaire de Toscane, d'un petit village appelé Borgo San Lorenzo -
tout le monde chantait, sur les places, dans les églises, dans les
processions, et écoutait des groupes de musique.
Aujourd'hui, il y a des jeunes très talentueux, mais la formation musicale
est souvent très insuffisante. Je ne sais pas qui est à blâmer, mais à
l'heure actuelle les stades et les discothèques prévalent, et tout est
réduit au marché.
- Comment avez-vous découvert votre vocation pour la musique?
- Cardinal Bartolucci: Depuis que je suis petit, j'ai grandi avec mon père
qui était un chanteur d'Église passionné.
La musique était très importante au séminaire, même si dans mon cas, les
supérieurs m'en ont éloigné parce qu'ils craignaient que je ne sois distrait
de l'étude du grec et du latin. Et puis je suis venu à Rome et ici, j'ai été
enchanté par la vitalité des chapelles musicales des basiliques.
J'ai été nommé vice-maestro de Saint-Jean de Latran et plus tard maestro de
la Chapelle Musicale de Sainte-Marie-Majeure, comme successeur de Licinio
Refice, en 1955. J'ai été nommé vice-maestro de la chapelle Sixtine avec Don
Lorenzo Perosi. Je suis resté avec lui pendant quatre ans, et après sa mort
en 1956, Pie XII m'a nommé directeur permanent de la Chapelle musicale
pontificale Sixtine.
Malgré cela, quand j'ai eu 80 ans, j'ai été relevé de mon poste. On ne m'en
avait rien dit; je l'ai découvert, lorsque mon successeur a été nommé.
- Comment était cette période, en tant que directeur du Chœur de la
Chapelle Sixtine?
- Cardinal Bartolucci: La Sixtine a eu une grande vitalité jusqu'au Concile.
Je me souviens de très beaux offices, avec le pape Pacelli et avec le Pape
Jean XXIII.
Après la réforme liturgique, notre contribution à la liturgie papale a été
réduite. Nous avons été sauvés par les concerts à travers le monde où le
patrimoine de la chapelle pouvait être maintenu: Nous nous sommes rendus en
Autriche, en Allemagne, en Irlande, en France, en Belgique, en Espagne, aux
Philippines, en Australie, au Canada, aux États-Unis, en Turquie, en Pologne
et au Japon .
- Quel était l'intérêt de Pie XII pour la musique sacrée?
- Cardinal Bartolucci: Le pape Pacelli aimait la musique sacrée et à
l'occasion, pour se détendre, il jouait du violon.
Avec lui, souvent, des offices (concerts) ont eu lieu dans la Chapelle
Sixtine. C'était un personnage extraordinaire, de grande culture et de
grande humanité.
- Et au temps du Pape Jean XXIII?
- Cardinal Bartolucci: La Chapelle Sixtine doit beaucoup à Jean XXIII. Mon
plan de réforme avait été approuvé sous son pontificat, en raison de son
propre intérêt. Avec Perosi [ancien directeur du Chœur] les choses,
malheureusement, à cause de sa maladie, se dégradèrent. Par exemple, la
chapelle n'avait pas une structure fixe de chanteurs, de siège, ni
d'archives.
Grâce à Jean XXIII, nous avons reconstruit presque tout à partir de rien et
nous avons pu créer la Schola puerorum, exclusivement pour les garçons. A
Noël avec les garçons, nous avons chanté devant la crèche dans l'appartement
du pape. C'était très émouvant.
- Pensez-vous que la musique sacrée pourra redevenir ce qu'elle
était?
- Cardinal Bartolucci: Il faudra du temps. Les maîtres d'autrefois ne sont
plus là parce que la nécessité de leur existence n'est plus perçue. Nous
vivons dans l'espérance.
Benoît XVI aime beaucoup le chant grégorien et la polyphonie et veut
récupérer l'usage du latin. Il comprend que sans le latin le répertoire du
passé est destiné à être classé comme archive.
Il est nécessaire de revenir à une liturgie qui laisse place à la musique,
avec un goût pour le beau, et aussi de revenir à un art sacré véritable.
- Que pensez-vous du chant et de l'assemblée lors des célébrations
liturgiques?
- Cardinal Bartolucci: Il est nécessaire d'être prudent et ne pas
généraliser. Je ne suis pas contre le chant de l'assemblée - ce dont
certains m'ont accusé.
Qui plus est, déjà avant le Concile, j'ai écrit des chants de l'assemblée
pour la liturgie, en italien. Ils étaient très répandus dans les paroisses.
Par conséquent, il y a des contextes où une Schola Cantorum est nécessaire
ou en tout cas un chœur, qui peut faire de l'art véritable. Pensons, par
exemple, au répertoire du chant grégorien qui nécessite de véritables
artistes pour être exécuté comme il se doit, ou au grand répertoire
polyphonique.
Dans ces circonstances, l'assemblée participe de plein droit, se nourrit et
écoute, mais ce sont les chanteurs qui mettent leur professionnalisme et
leur compétence au service des autres. Malheureusement, dans ces années de
nouveauté, beaucoup ont pensé que participer signifie "faire n'importe
quoi."
- Qui sont vos auteurs favoris ou vos sources d'inspiration?
- Cardinal Bartolucci: Pour la musique sacrée, les grands patriarches sont
Palestrina et Bach.
Palestrina a été le premier à avoir l'intuition de ce que signifie
l'ajustement parfait de la polyphonie au texte sacré. Ce n'est pas par
hasard que le Concile de Trente se réfère à lui pour établir les canons de
la musique sacrée. Bach est aussi grand, mais reflète davantage l'esprit des
Nordiques.
Dans tous les cas, tous deux montrent que la musique est faite avec les
grands chants de l'Église.
L'Occident a une histoire musicale très riche, qui a été reprise par
beaucoup de cultures orientales. Le besoin existe aujourd'hui de la
redécouvrir et de lui donner le style et l'espace dans le lieu
où la liturgie a été créé.
La pourpre et le chœur (I)
Voici la traduction par "Benoit-et-moi" de la formidable interview de Domenico Bartolucci, parue dans le numéro de Novembre 2010 de
"30 Giorni", après son élévation à la pourpre.
On y découvre une personnalité attachante, d'une grande simplicité, pétrie
d'humour (l'anecdote du clavier en carton avec des touches peintes est un
régal!), un homme qui demeure passionné, même à son âge vénérable (93 ans).
On comprend pourquoi Benoît XVI l'apprécie, et a pour lui de l'amitié, au
point de l'avoir nommé "son" cardinal!
Le Cardinal Bartolucci
1ère partie :
La pourpre et le chœur
"Je crois que ma nomination est un rappel de ce Pape, amoureux de la beauté,
à ne pas laisser perdre définitivement tant de richesse musicale."
Entretien avec le nouveau cardinal Domenico Bartolucci
Paolo Mattei
Lors du
Consistoire du 20 Novembre, Benoît XVI a créé cardinal Mgr Domenico Bartolucci.
Né le 7 mai 1917 à Borgo San Lorenzo, près de Florence, Bartolucci a été
pendant plus de quarante ans, de 1956 à 1997, "Maître perpétuel" de la
Chapelle Musicale Pontificale "Sixtine". Succédant à ce poste à Mgr Lorenzo Perosi, le nouveau cardinal, durant le pontificat de Jean XXIII, a
réorganisé la Chapelle musicale du pape, dont les origines remontent à la
Schola Cantorum romaine de l'époque de saint Grégoire le Grand.
Bartolucci, l'un des interprètes les plus autorisés de Giovanni Pierluigi da
Palestrina - qui fut lui-même chantre de la Chapelle Sixtine - est membre de
l'Académie de Sainte Cécile et compositeur prolifique de musique sacrée.
Nous l'avons rencontré à Rome, où il vit.
Un jeune prodige
- Vous attendiez-vous à cette nomination, éminence?
- Domenico Bartolucci: Je n'y aurais jamais pensé. Quand je l'ai entendu du
cardinal Bertone, j'ai ressenti une forte secousse intérieure. Je sais que
le pape a de l'estime pour moi, mais je crois que ma nomination est un
rappel de la valeur de la musique sacrée dans la liturgie.
- La musique: le fil conducteur de toute votre vie ...
- Je l'ai aimée dès l'enfance. Mon père, un ouvrier, était un chanteur
passionné, il m'emmenait toujours avec lui quand il allait chanter dans la
chorale de la Compania dei Neri, un groupe laïc de Borgo San Lorenzo.
- Et les études?
- Solfège et chant, dès l'école primaire. Puis, vers 10 ans, au séminaire à
Florence, j'ai rencontré le grand Francesco Bagnoli, Maître de Chapelle de
Santa Maria del Fiore.
- Au séminaire, vous avez eu des difficultés avec les autorités ...
- Le règlement était dur. Je ne pouvais pas jouer du piano plus d'une
demi-heure par jour, et pas tous les jours. Puis en 29, je me suis trouvé en
face d'un harmonium lors de la fête de l'Immaculée Conception, à Arcetri, et
, manque de chance, le curé de cette église était aussi mon professeur de
latin et de grec au séminaire: s'il joue aussi bien - a-t-il pensé - , cela
signifie qu'il s'implique trop dans l'exploration de la musique, et trop peu
dans les langues anciennes ... Il a obtenu je sois interdit d'étude de la
musique pour l'année et qu'on m'empêche de jouer.
- Une tragédie ...
- J'étais un type têtu, et j'ai appris à m'organiser. J'ai commencé à "jouer
en silence."
- C'est-à-dire?
- Je me suis construit un clavier en carton, avec des touches dessinées
dessus. Je "jouais" en le cachant sous le bureau. Je m'exerçais de cette
façon.
- Et vous composiez?
- De temps en temps, je réussissais à vérifier sur un vrai piano ce que
j'avais créé dans ma tête en "jouant" sur un faux clavier.
- Qu'écriviez-vous?
- Des louanges à la Sainte-Vierge, des messes à plusieurs voix. Les
supérieurs ne voulaient rien savoir. Ils m'accusaient d'être présomptueux.
J'ai été tenté de quitter le séminaire.
- A ce point...
- C'est mon confesseur, qui m'a convaincu de ne pas abandonner.
- J'imagine que les choses ont commencé ensuite à aller dans le bon sens ...
- Après un peu de temps tout s'est arrangé. A quatorze ans, j'ai commencé
mon service comme organiste à Santa Maria del Fiore. Et j'ai commencé à
composer avec sérénité motets, madrigaux, chants, hymnes, oratorios ... Un
des plus beaux motets, Super flumina Babylonis, je l'ai écrit à dix-sept
ans.
Débuts à Rome
- En quelle année êtes-vous venu à Rome?
- En 1942. Pendant ce temps, en 34, j'ai été ordonné prêtre et j'ai continué
à étudier avec Bagnoli, et aussi avec le Maestro Vito Frazzi, professeur au
Conservatoire de Florence. Là, en 39, j'ai obtenu mon diplôme de
composition.
- Et à Rome, que faisiez-vous?
- Je logeais au Collège Capranica et continuais à étudier à l'Institut
pontifical de musique sacrée et à l'Académie de Sainte Cécile. Je faisais la
navette entre Florence et Rome, parce qu'à l'époque, en même temps, je
dirigeais la chapelle de Santa Maria del Fiore.
- A cette époque, vous étiez également curé de paroisse ...
- En 45, à Montefloscoli, où j'ai été envoyé par l'archevêque Dalla Costa.
Je me souviens que j'ai souvent composé ma musique dans le train. Toujours
en 45, j'ai été nommé vice-maître de la Chapelle Musicale di Saint Jean de
Latran.
L'année «décisive» fut 47.
- Pourquoi?
- J'ai assumé la direction de la chapelle "Liberiana" de Sainte Marie
Majeure.
- Rôle qui fut déjà celui de Pierluigi da Palestrina ...
- Eh oui. J'ai été impressionné par la façon de chanter «romaine» et je l'ai
écrit à mon professeur. Pour la Basilique j'ai composé beaucoup de musique
liturgique, selon l'ancien missel. Antiennes, offertoires, messes, motets,
... Ils ont été exécutés régulièrement jusqu'à la réforme post-conciliaire.
- Une autre année marquante a été 56, Eminence ...
- Eh bien, oui, évidemment, quand, après la mort de Lorenzo Perosi, je suis
devenu directeur perpétuel du Chœur de la Chapelle Sixtine, dont j'avais
été directeur adjoint pendant quatre ans. Je recueillais l'héritage de
l'"école romaine", qui, depuis l'époque de Pierluigi da Palestrina,
conservait la tradition du chant grégorien et la polyphonie.
- Alors commença une longue et féconde période ...
- Je continuais en même temps la charge de Maestro de la Libériana, et donc
j'étais occupé sur deux fronts. Comme directeur de la chapelle Sixtine, on
me commandait constamment de nouvelles musiques pour les liturgies papales.
►
Suite de l'interview du musicien de Benoît XVI, Domenico Bartolucci - 22.01.11
Sources :
Benoit-et-moi
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 21.01.2011 - T/Musique
sacrée
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