Benoît XVI disciple de Jésus |
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ROME, le 20 Mai 2007 -
(E.S.M.) -
Nous poursuivons notre recherche d'articles éclairés sur le livre du
pape Benoît XVI qui sortira en librairie, en français, le jeudi 24 mai.
Nous vous en proposons deux supplémentaires.
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Le rabbin Jacob Neusner
Benoît XVI et le rabbin, au coeur du dialogue entre le christianisme et le
judaïsme
(Patrice
de Plunkett)
Avec simplicité et clarté, le livre de Benoît XVI prend un à un les
préjugés de l’air du temps et montre leur absence de fondement. Par exemple
l’idée (ressassée par les médias) selon laquelle la foi chrétienne a été
inventée par des goyim qui ne connaissaient rien au judaïsme ; et que, par
conséquent, il n’y a pas de dialogue théologique possible entre les
chrétiens (croyants) et les juifs (croyants) d’aujourd’hui. Dans son
chapitre 4, le livre Jésus de Nazareth montre le contraire.
Il s’appuie sur l’ouvrage remarquable A rabbi talks with Jesus*,
dans lequel le rabbin Jacob Neusner s’approche au plus près de Jésus dans
les évangiles. Le rabbin explique : a) qu’il ne peut adhérer à la personne
et à la pensée de Jésus, b) parce que cette personne et cette pensée,
quoique intrinsèquement juives, le sont d’une façon qui met en question la
communauté d’Israël.
Neusner et Benoît XVI apportent un enrichissement passionnant à la question
du « procès à Jésus » fait par les chefs religieux de Jérusalem au Ier
siècle. On comprend l’immense gravité de ce que ces chefs reprochent à Jésus
sur le plan théologique : le condamner est légitime à leurs yeux, puisqu’il
n'a cessé de parler comme s’il était Dieu ! En fins connaisseurs de la
religion juive antique, le rabbin et le pape montrent que ce message (qui
révolte les chefs religieux) est constamment sous-entendu par les propos les
plus simples de Jésus dans les évangiles.
Donc :
1. Le « Jésus de l’histoire » et le « Christ des chrétiens » sont bien une
seule et même personne. Ceux qui disent le contraire ne le font qu’en
écartant les paroles de Jésus : ce qui revient à écarter le matériel de
l’enquête. Leur démarche se discrédite elle-même.
2. Ce qui unit les juifs religieux et les croyants chrétiens est
tellement crucial que c’est aussi ce qui les divise !
Jésus dans les évangiles se présente comme étant en personne la nouvelle
Torah. Et comme étant lui-même le chabbat : raison pour laquelle le dimanche
de sa résurrection deviendra pour les chrétiens le nouveau « Jour du
Seigneur »** (chose dont Fabrice Hadjadj a exposé les résonances
essentielles dans son intervention à Notre-Dame d’Auteuil, le 13 mai***).
Mais le chabbat est un pilier du judaïsme, et celui-ci a rejeté l’évolution
qu’apportait Jésus.
Entre juifs et chrétiens, la question théologique ne peut donc être esquivée
(comme on essaie de le faire un peu partout aujourd’hui au nom du « dialogue
» ; un dialogue qui n'aborderait pas l'essentiel). Le dialogue ne peut se
faire que dans la vérité des deux côtés. Les chrétiens qui veulent dialoguer
doivent assumer pleinement leur Credo, sinon ils ne parleront pas d'une
chose cruciale : ce qui unit/divise la foi chrétienne et le judaïsme.
P P
notes:
(*) Montréal, 2000.
(**) D’où la p. 134 de Jésus de Nazareth, où Benoît XVI qualifie d’ «
inquiétant » le fait que des catholiques d’aujourd’hui veuillent « écarter
la fonction sociale du dimanche ». J’ai connu des catho de droite partisans
de l’ouverture de tous les commerces le dimanche ; ces gens-là ne voyaient
que « les intérêts de l'entreprise bafoués par le socialo-communisme ». Ils
ne se rendaient pas compte qu’en parlant ainsi, ils rejetaient les deux
Testaments.
(***) L’autre intervenant était le P. Hennique (ND de Paris et pastorale
diocésaine). J’avais l’honneur d’animer le débat.
Le second émane du Journal La Croix de ce jour.
Benoît XVI disciple de Jésus
«Heureux les pauvres...»
Un important chapitre du livre est
consacré au «Sermon sur la montagne », et particulièrement aux Béatitudes
annoncées dans ce cadre par Jésus.
"Voyons maintenant de plus près les différents maillons de la chaîne des
Béatitudes. Il y a tout d'abord l'expression énigmatique sur laquelle on
s'est tant interrogé: 'les pauvres de cœur' ". (...)
Un grand nombre de psaumes expriment la piété des pauvres, qui s'est
approfondie; ils se reconnaissent comme le véritable Israël. Dans la piété
que manifestent ces psaumes, dans leur profond attachement à la bonté de
Dieu, dans la bonté et l'humilité humaines qui ont ainsi été forgés, dans
l'attente vigilante de l'amour salvifique de Dieu, s'est développée
l'ouverture du cœur qui a ouvert toutes grandes les portes au Christ. Marie
et Joseph, Syméon et Anne, Zacharie et Elisabeth, les bergers de Bethléem,
les Douze que le Seigneur a appelés pour constituer le premier cercle des
disciples, tous appartiennent à des milieux qui se distinguent des
pharisiens et des sadducéens, mais aussi de la communauté de Qumrân, malgré
une certaine proximité spirituelle. C'est en eux que commence le Nouveau
Testament, qui se sait en union totale avec la foi d'Israël qui mûrit en vue
d'une pureté toujours plus grande.
Ce sont eux aussi qui ont mûri en silence cette attitude devant Dieu que
Paul développera dans sa théologie de la justification. Devant Dieu, ces
hommes ne se glorifient pas de leurs actes. Devant Dieu, ils ne prétendent
pas être une sorte de partenaire commercial égal en droits, qui exige d'être
rétribué à hauteur de ses actes. Ces hommes savent qu'intérieurement aussi,
ils sont pauvres, qu'ils aiment tout en recevant simplement ce que Dieu leur
donne, et c'est précisément en cela qu'ils vivent en accord intime avec
l'Être et la Parole de Dieu. Quand sainte Thérèse de Lisieux disait qu'un
jour elle paraîtrait devant Dieu les mains vides et qu'elle les lui tendrait
ouvertes, elle décrivait l'esprit de ces pauvres de Dieu: ils arrivent les
mains vides, ces mains-là n'agrippent pas, ne retiennent pas, elles
s'ouvrent et donnent, prêtes à s'abandonner à la bonté de Dieu qui donne.
« La pauvreté dont il est question ici n'est jamais
d'ordre strictement matériel. »
Dans ces conditions, il n'y a pas d'opposition entre Matthieu qui parle des
pauvres de cœur et Luc chez qui le Seigneur s'adresse simplement aux
"pauvres". On a dit qu'à l'origine Luc entendait la pauvreté au sens tout à
fait matériel et concret tandis que Matthieu avait spiritualisé ce concept,
le dépouillant ainsi de son caractère radical. Quiconque lit l'Évangile de
Luc sait parfaitement qu'il nous présente bien les "pauvres de cœur"
! en quelque sorte le groupe sociologique qui a constitué le point de départ
de l'itinéraire terrestre et du message de Jésus. Et il est clair, à
l'inverse, que Matthieu se situe encore dans la tradition de la piété des
psaumes et donc dans la vision du véritable Israël dont les psaumes étaient
l'expression.
La pauvreté dont il est question ici n'est jamais d'ordre strictement
matériel. La pauvreté purement matérielle ne sauve pas, même s'il est
certain que les défavorisés de ce monde peuvent tout particulièrement
compter sur la bonté divine. Mais le cœur de ceux qui ne possèdent rien peut
être endurci, vicié, mauvais, intérieurement possédé par l’envie de
posséder, oublieux de Dieu et avide de s’approprier le bien d’autrui.
D’autre part, la pauvreté dont il est question n’est pas non plus une
attitude purement spirituelle. Certes, l’attitude radicale qui nous a été et
qui nous est encore donnée en exemple dans la vie de tant de chrétiens
authentiques, depuis Antoine, le père des moines, jusqu’à François d’Assise
et les pauvres exemplaires de notre siècle, n’est pas une mission assignée à
tous.
Mais pour être la communauté des pauvres de Jésus, l’Église a sans cesse
besoin des grandes figures du renoncement ; elle a besoin des communautés
qui les suivent, qui vivent la pauvreté et la simplicité, et qui nous
montrent par là la vérité des Béatitudes, afin de tous nous secouer et nous
réveiller, pour comprendre que posséder des biens, c’est simplement servir,
pour s’opposer à la culture de l’avoir par une culture de la liberté
intérieure, et pour créer ainsi les conditions de la justice sociale.
Le Sermon sur la montagne en tant que tel n’est pas, il est vrai, un
programme social. Mais la justice sociale ne peut croître que là où la
grande orientation qu’il nous donne reste vive dans nos convictions et dans
notre façon d’agir, là où la foi procure la force de se déposséder soi-même
et de se sentir responsable de son prochain comme de la société.
Et l’Église tout entière doit rester consciente du fait qu’elle doit être
reconnaissable aux yeux de tous comme la communauté des pauvres de Dieu.
Tout comme l’Ancien Testament s’est ouvert au renouveau apporté par la
Nouvelle Alliance à partir des pauvres de Dieu, tout renouveau de l’Église
ne peut venir que de ceux chez qui sont vivantes une humilité résolue et une
bonté toujours prête à servir autrui. » (p. 96-99)
"Ne nous soumets pas à la tentation"
Autre chapitre déterminant, celui où le pape commente le Notre Père, avec
notamment l'avant-dernière demande de cette "prière du Seigneur"
«La formulation de cette demande semble choquante aux yeux de beaucoup de
gens. Dieu ne nous soumet quand même pas à la tentation. Saint Jacques nous
dit en effet : “Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : ‘Ma
tentation vient de Dieu.’ Dieu en effet ne peut être tenté de faire le mal,
et lui-même ne tente personne” (Jc 1, 13).
Nous pourrons avancer d’un pas si nous nous rappelons le mot de l’Évangile :
“Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le
démon” (Mt 4, 1). La tentation
vient du diable, mais la mission messianique de Jésus exige qu’il surmonte
les grandes tentations qui ont conduit et qui conduisent encore l’humanité
loin de Dieu.
Il doit, nous l’avons vu, faire lui-même l’expérience de ces tentations
jusqu’à la mort sur la croix et ainsi ouvrir pour nous le chemin du salut.
Ce n’est pas seulement après la mort, mais en elle et durant toute sa vie,
qu’il doit d’une certaine façon “descendre aux enfers”, dans le lieu de nos
tentations et de nos défaites, pour nous prendre par la main et nous tirer
vers le haut.
La Lettre aux Hébreux a particulièrement insisté sur cet aspect en y voyant
une étape essentielle du chemin de Jésus : “Ayant souffert jusqu’au bout
l’épreuve de sa Passion, il peut porter secours à ceux qui subissent
l’épreuve” (He 2, 18). “En
effet, le grand prêtre que nous avons n’est pas incapable, lui, de partager
nos faiblesses ; en toutes choses, il a connu l’épreuve comme nous, et il
n’a pas péché” (He 4, 15).
Un regard sur le Livre de Job, où se dessine déjà à maints égards le mystère
du Christ, peut nous aider à y voir plus clair. Satan se moque des hommes
pour ainsi se moquer de Dieu. La créature que Dieu a faite à son image est
une créature misérable. Tout ce qui semble bon en elle n’est que façade. En
réalité, l’homme, c’est-à-dire chacun de nous, ne se soucie toujours que de
son bien-être. Tel est le diagnostic de Satan que l’Apocalypse désigne comme
“l’accusateur de nos frères”, “lui qui les accusait jour et nuit devant
notre Dieu” (Ap 12, 10).
Blasphémer l’homme et la créature revient en dernière instance à blasphémer
Dieu et à justifier le refus de lui.
Satan se sert de Job, le juste, afin de prouver sa thèse : si on lui prend
tout, il va rapidement laisser tomber aussi sa piété. Ainsi, Dieu laisse
Satan libre de procéder à cette expérimentation, mais, certes, dans des
limites bien définies. Dieu ne laisse pas tomber l’homme, mais il permet
qu’il soit mis à l’épreuve. Très discrètement, implicitement, apparaît ici
déjà le mystère de la satisfaction vicaire qui prendra toute son ampleur en
Isaïe 53.
Les souffrances de Job servent à la justification de l’homme. À travers sa
foi éprouvée par les souffrances, il rétablit l’honneur de l’homme. Ainsi,
les souffrances de Job sont par avance des souffrances en communion avec le
Christ, qui rétablit notre honneur à tous devant Dieu et qui nous montre le
chemin, nous permettant, dans l’obscurité la plus profonde, de ne pas perdre
la foi en Dieu.
"Le Livre de Job peut aussi nous aider à distinguer
entre mise à l’épreuve et tentation".
Le Livre de Job peut aussi nous aider à distinguer entre mise à l’épreuve et
tentation. Pour mûrir, pour passer vraiment de plus en plus d’une piété
superficielle à une profonde union avec la volonté de Dieu, l’homme a besoin
d’être mis à l’épreuve. Tout comme le jus du raisin doit fermenter pour
devenir du bon vin, l’homme a besoin de purifications, de transformations,
dangereuses pour lui, où il peut chuter, mais qui sont pourtant les chemins
indispensables pour se rejoindre lui-même et pour rejoindre Dieu.
L’amour est toujours un processus de purifications, de renoncements, de
transformations douloureuses de nous-mêmes, et ainsi le chemin de la
maturation. Si François Xavier a pu dire en prière à Dieu : “Je t’aime, non
pas parce que tu as à donner le paradis ou l’enfer, mais simplement parce
que tu es celui que tu es, mon Roi et mon Dieu”, il fallait certainement un
long chemin de purifications intérieures pour arriver à cette ultime liberté
– un chemin de maturation où la tentation et le danger de la chute
guettaient – et pourtant un chemin nécessaire.
Dès lors, nous pouvons interpréter la sixième demande du Notre Père de façon
un peu plus concrète. Par elle, nous disons à Dieu : “Je sais que j’ai
besoin d’épreuves, afin que ma nature se purifie. Si tu décides de me
soumettre à ces épreuves, si – comme pour Job – tu laisses un peu d’espace
au mal, alors je t’en prie, n’oublie pas que ma force est limitée. Ne me
crois pas capable de trop de choses.
Ne trace pas trop larges les limites dans lesquelles je peux être tenté, et
sois proche de moi avec ta main protectrice, lorsque l’épreuve devient trop
dure pour moi.” C’est dans ce sens que saint Cyprien a interprété la
demande. Il dit : “Lorsque nous demandons ‘Ne nous soumets pas à la
tentation’, nous exprimons notre conscience que l’ennemi ne peut rien contre
nous, si Dieu ne l’a pas d’abord permis. Ainsi nous devons mettre entre les
mains de Dieu nos craintes, nos espérances, nos résolutions, puisque le
démon ne peut nous tenter qu’autant que Dieu lui en donne le pouvoir.”
En prenant la mesure de la forme psychologique de la tentation, il développe
deux raisons différentes pour lesquelles Dieu accorde un pouvoir limité au
mal. Tout d’abord pour nous punir de nos fautes, pour tempérer notre
orgueil, afin que nous redécouvrions la pauvreté de notre foi, de notre
espérance et de notre amour, et pour nous empêcher de nous imaginer que nous
pourrions être grands par nos propres moyens. Pensons au pharisien qui
parlait à Dieu de ses propres œuvres et qui croyait pouvoir se passer de la
grâce.
Malheureusement, Cyprien ne développe pas plus longuement ce que signifie
l’autre forme d’épreuve, la tentation que Dieu nous impose “ad gloriam”,
pour sa gloire. Mais ne devrions-nous pas considérer ici que Dieu a imposé
une charge particulièrement lourde de tentations aux personnes qui lui sont
les plus proches, aux grands saints, à commencer par Antoine dans le désert
jusqu’à Thérèse de Lisieux dans l’univers pieux de son carmel ?
Ils se tiennent en quelque sorte dans l’imitation de Job, comme une apologie
de l’homme qui est en même temps une défense de Dieu. Plus encore, ils se
tiennent d’une façon toute spéciale dans la communion avec Jésus-Christ, qui
a vécu nos tentations dans la souffrance. Ils sont appelés à surmonter, pour
ainsi dire, dans leur corps, dans leur âme, les tentations d’une époque, de
les porter pour nous, les âmes ordinaires, jusqu’au bout et de nous aider à
aller vers celui qui a pris sur lui notre fardeau à tous.
Lorsque nous disons la sixième demande du Notre Père, nous devons nous
montrer prêts à prendre sur nous le fardeau de l’épreuve, qui est à la
mesure de nos forces. D’autre part, nous demandons aussi que Dieu ne nous
impose pas plus que nous ne pouvons supporter, qu’il ne nous laisse pas
sortir de ses mains.
Nous formulons cette demande dans la certitude confiante, pour laquelle
saint Paul nous a dit : “Et Dieu est fidèle : il ne permettra pas que vous
soyez éprouvés au-delà de ce qui est possible pour vous. Mais, avec
l’épreuve, il vous donnera le moyen d’en sortir et la possibilité de la
supporter” (1 Co 10, 13). »
(p. 184-188)
Jésus selon saint Jean
Le quatrième évangile fait l'objet d'une attention privilégiée de Joseph
Ratzinger /Benoît XVI, qui y discerne un portrait spécifique du Christ.
«A travers ces passages, l’évangéliste nous fournit lui-même les indices
déterminants quant à la composition de son évangile et quant à la vision
dont il est issu. Il repose sur le souvenir du disciple qui est alors un “se
souvenir ensemble” dans le “nous” communautaire de l’Église. Ce souvenir est
une compréhension guidée par le Saint-Esprit.
En se souvenant, le croyant entre dans la dimension profonde de ce qui est
advenu et il voit ce qui tout d’abord n’était pas visible de l’extérieur.
Mais par là, il ne s’éloigne pas de la réalité, il la comprend plus
profondément et il voit ainsi la vérité qui se cache dans le fait. Dans le
souvenir de l’Église, advient ce que le Seigneur avait prédit aux siens au
Cénacle : “Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers
la vérité tout entière” (Jn 16, 13).
Ce que Jean dit dans son Évangile concernant le fait de se souvenir, qui
devient compréhension et chemin vers “la vérité tout entière”, est très
proche de ce que Luc rapporte à propos du souvenir de la mère de Jésus. En
trois points du récit de l’enfance, Luc nous décrit le déroulement du
“souvenir”. Tout d’abord dans le récit de l’Annonciation, par l’archange
Gabriel, de la conception de Jésus, Luc nous dit que Marie fut très troublée
par la salutation et qu’elle engagea un “dialogue” intérieur, se demandant
ce que cela pouvait signifier.
Les passages les plus importants se trouvent dans le récit sur l’adoration
des bergers, où l’évangéliste nous dit : “Marie, cependant, retenait tous
ces événements et les méditait dans son cœur”
(Lc 2, 19). À la fin du récit sur
Jésus à l’âge de 12 ans, on lit encore : “Sa mère gardait dans son cœur tous
ces événements” (Lc 2, 51). La
mémoire de Marie retient d’abord les événements dans le souvenir, mais elle
est plus que cela. Elle est une fréquentation intérieure de l’événement.
Ainsi, elle pénètre dans la dimension intérieure en voyant les choses dans
leur contexte et en apprenant à les comprendre.
C’est justement sur ce type de “souvenir” que repose l’Évangile de Jean qui
approfondit plus encore la notion de mémoire en tant que mémoire du “nous”
des disciples, mémoire de l’Église. Ce souvenir n’est pas seulement un
processus psychologique ou intellectuel, c’est un événement pneumatique. Le
souvenir de l’Église n’est justement pas quelque chose d’uniquement privé,
il transcende la sphère de l’intelligence et du savoir humains. On est guidé
par le Saint-Esprit qui nous montre le contexte de l’Écriture, le lien entre
la Parole et la réalité, nous conduisant dans “la vérité tout entière”.
Au fond, on trouve ici aussi des énoncés essentiels concernant la notion
d’inspiration. L’Évangile provient de l’effort de remémoration humain et il
présuppose la communauté de ceux qui se souviennent, dans ce cas très
concrètement l’école johannique et auparavant la communauté des disciples.
Mais comme l’auteur pense et écrit avec la mémoire de l’Église, le “nous”
auquel il appartient est ouvert au-delà de l’individuel, il est, au plus
profond, conduit par l’Esprit de Dieu qui est l’Esprit de Vérité. En ce
sens, l’Évangile ouvre lui-même un chemin de compréhension, qui reste
toujours lié à cette parole, mais qui peut et doit, de génération en
génération, conduire toujours de nouveau dans les profondeurs de la vérité
tout entière.
Cela signifie que l’Évangile de Jean, en tant qu’“Évangile pneumatique”, ne
fournit certainement pas une sorte de transcription sténographique des
paroles et des activités de Jésus, mais que, en vertu de la compréhension
née du souvenir, il nous accompagne, au-delà de l’aspect extérieur, jusque
dans la profondeur des paroles et des événements, profondeur qui vient de
Dieu et qui conduit vers Dieu. L’Évangile en tant que tel est une
“remémoration” de ce genre, et cela signifie qu’il s’en tient à la réalité
effective, et qu’il n’est pas une épopée sur Jésus, ni une violence faite
aux événements historiques.
Il nous montre plutôt réellement la personne de Jésus, comment il était et,
précisément de cette manière, il nous montre Celui qui non seulement était,
mais qui est ; Celui qui peut toujours dire au présent : “Je suis.” “Avant
qu’Abraham ait existé, moi, JE SUIS” (Jn
8, 58). L’Évangile nous montre le vrai Jésus, et nous pouvons
l’utiliser en toute confiance comme source sur Jésus. »
(p. 259-261)
Ce que Jésus dit de lui-même
Ce premier tome de "Jésus de Nazareth" s'achève sur une méditation des
"titres" christologiques que les Évangiles ont mis dans la bouche de Jésus
«Jetons un regard en arrière. Nous avons trouvé trois expressions dans
lesquelles Jésus à la fois voile et dévoile son propre mystère : “Fils de
l’homme”, “Fils”, “Je suis.” Ces trois expressions manifestent son profond
enracinement dans la Parole de Dieu, la Bible d’Israël, l’Ancien Testament.
Mais c’est en lui seulement que ces trois expressions prennent tout leur
sens, comme si elles l’avaient pour ainsi dire attendu.
Ces trois expressions révèlent l’originalité de Jésus, sa nouveauté, sa
caractéristique exclusive, à laquelle il n’y a pas de dérivé ultérieur.
Aussi ces trois expressions ne sont-elles possibles que dans sa bouche. Au
centre, on trouve le mot de la prière, le mot “Fils”, auquel correspond le
mot de l’interpellation Abba-Père. Aucune des trois expressions ne pouvait
donc devenir, en l’état, un langage de profession de foi de la “communauté”,
de l’Église naissante.
L’Église naissante a placé le contenu de ces trois expressions centrées sur
“le Fils” dans la locution “Fils de Dieu”, la détachant ainsi définitivement
de ses origines mythologiques et politiques. Sur la base de la théologie de
l’élection d’Israël elle acquiert maintenant une signification tout à fait
nouvelle, qui avait été préfigurée dans les discours où Jésus parlait en
tant que Fils et “Je suis”.
Il a fallu bien des processus complexes et laborieux de distinction et de
lutte pour clarifier complètement cette nouvelle signification et la
préserver des interprétations mythologiques et polythéistes aussi bien que
politiques. Pour ce faire, le premier concile de Nicée
(325) a recouru à l’adjectif
“consubstantiel” (homoousios). Loin d’helléniser la foi, de la charger du
poids d’une philosophie qui lui serait étrangère, ce mot a justement retenu
l’incomparable nouveauté, l’incomparable différence apparue dans les
dialogues de Jésus avec son Père. Dans le symbole de Nicée, l’Église ne
cesse d’affirmer ce que Pierre disait à Jésus : “Tu es le Messie, le Fils du
Dieu vivant” (Mt 16, 16). »
(p. 382-383)
Jésus de Nazareth, de
Joseph Ratzinger/Benoît XVI. Tome 1 : Du baptême dans le Jourdain à la
Transfiguration. Édition française sous la direction de Mgr François Duthel.
Traduit de l'allemand par Dieter Hornig, Marie-Ange Roy et Dominique Tassel.
Flammarion, 428 p., 22,50 Euros.
Repères:
Extraits de
la préface du livre
« Jésus de Nazareth » Joseph Ratzinger - Benoît XVI
►
Préface du livre « Jésus de Nazareth »
L'introduction
►
Benoît XVI nous livre un premier regard sur le secret de
Jésus
Les éditions Rizzoli,
chargées par la Librairie éditrice du Vatican des droits d'édition
universels de l'ouvrage, précise aujourd'hui qu'il s'agit de la première des
deux parties d'une œuvre retraçant la vie publique du Christ, de son baptême
au Jourdain à la Transfiguration ►
"Jésus de Nazareth"
Les deux derniers titres:
En lisant le livre de Benoît XVI, « Jésus de
Nazareth » - 17.05.07
"Jésus de Nazareth"de Benoît XVI en vente en
France - 16.05.07
Sources:
www.vatican.va
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 20.05.2007 - BENOÎT XVI -
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