S'opposer à la culture de l'avoir par une culture de la liberté intérieure |
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Le 19 novembre 2007 -
(E.S.M.) - La pauvreté dont il est question
ici n'est jamais d'ordre strictement matériel. La pauvreté purement
matérielle ne sauve pas, même s'il est certain que les défavorisés de ce
monde peuvent tout particulièrement compter sur la bonté divine. Mais le
cœur de ceux qui ne possèdent rien peut être endurci, vicié, mauvais,
intérieurement possédé par l'envie de posséder, oublieux de Dieu et
avide de s'approprier le bien d'autrui.
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Saint
François d'Assise en prière -
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S'opposer à la culture de l'avoir par une culture de
la liberté intérieure
Quatrième chapitre - Le Sermon sur
la montagne (p. 85 à 150)
1) De quoi s'agit-il ?
Benoît XVI
2)
Le renversement
des valeurs
:
Benoît
XVI
3) (suite)
Les pauvres de cœur :
Voyons maintenant de plus près les différents maillons de la chaîne des
Béatitudes. Il y a tout d'abord l'expression énigmatique sur laquelle on
s'est tant interrogé : « les pauvres de cœur
». Cette expression, exprime Benoît XVI, apparaît
dans les rouleaux de
Qumrân, où elle constitue la définition des membres de
la communauté par eux-mêmes. Ses membres se nomment aussi eux-mêmes « les
pauvres de la grâce », « les pauvres de ta rédemption » ou simplement « les
pauvres» (Joachim Gnilka, Jésus von Nazareth. Botschaft und Geschichte, op. cit.,
I, p. 189). En se qualifiant elle-même ainsi, la communauté de Qumrân exprime
sa conscience d'être le véritable Israël, et elle reprend là effectivement
des traditions profondément ancrées dans la foi d'Israël. À l'époque de la
conquête de la Judée par les Babyloniens, 90 % des habitants de la région
faisaient partie de la classe pauvre ; après l'exil, la politique fiscale
des Perses provoqua à nouveau une situation dramatique de pauvreté. La
conception ancienne selon laquelle tout va bien pour le juste alors que la
pauvreté résulte d'une mauvaise vie (rapport entre agir et qualité de vie)
n'était désormais plus tenable. Voici que, dans sa pauvreté même, Israël se
reconnaît comme proche de Dieu, reconnaît que les pauvres, dans leur
humilité même, sont chers au cœur de Dieu, à l'inverse des riches, qui, dans
leur orgueil, ne comptent que sur eux-mêmes.
Un grand nombre de psaumes expriment la piété des pauvres, qui s'est
approfondie ; ils se reconnaissent comme le véritable Israël. Dans la piété
que manifestent ces psaumes, dans leur profond attachement à la bonté de
Dieu, dans la bonté et l'humilité humaines qui ont ainsi été forgés, dans
l'attente vigilante de l'amour salvifique de
Dieu, s'est développée l'ouverture du cœur qui a ouvert toutes grandes les
portes au Christ. Marie et Joseph, Siméon et Anne, Zacharie et Elisabeth,
les bergers de Bethléem, les Douze que le Seigneur a appelés pour
constituer le premier cercle des disciples, tous appartiennent à des milieux
qui se distinguent des pharisiens et des sadducéens, mais aussi de la
communauté de Qumrân, malgré une certaine proximité spirituelle. C'est en
eux que commence le Nouveau Testament, qui se sait en union totale avec la
foi d'Israël qui mûrit en vue d'une pureté toujours plus grande. Ce sont eux
aussi qui ont mûri en silence cette attitude devant Dieu que Paul
développera dans sa théologie de la justification. Devant Dieu, ces hommes
ne se glorifient pas de leurs actes. Devant Dieu, souligne Benoît
XVI, ils ne prétendent pas être
une sorte de partenaire commercial égal en droits, qui exige d'être rétribué
à hauteur de ses actes. Ces hommes savent qu'intérieurement aussi, ils sont
pauvres, qu'ils aiment tout en recevant simplement ce que Dieu leur donne,
et c'est précisément en cela qu'ils vivent en accord intime avec l'être et
la Parole de Dieu. Quand sainte Thérèse de Lisieux disait qu'un jour elle
paraîtrait devant Dieu les mains vides et qu'elle les lui tendrait ouvertes,
elle décrivait l'esprit de ces pauvres de Dieu : ils arrivent les mains
vides, ces mains-là n'agrippent pas, ne retiennent pas, elles s'ouvrent et
donnent, prêtes à s'abandonner à la bonté de Dieu qui donne.
Dans ces conditions, il n'y a pas d'opposition entre Matthieu qui parle des
pauvres de cœur et Luc chez qui le Seigneur s'adresse simplement aux «
pauvres ». On a dit qu'à l'origine Luc entendait la pauvreté au sens tout à
fait matériel et concret tandis que Matthieu avait spiritualisé ce concept,
le dépouillant ainsi de son caractère radical.
Quiconque lit l'Évangile de Luc sait parfaitement qu'il nous présente bien
les « pauvres de cœur », en quelque sorte le groupe sociologique qui a
constitué le point de départ de l'itinéraire terrestre et du message de
Jésus. Et il est clair à l'inverse que Matthieu se situe encore dans la
tradition de la piété des psaumes et donc dans la vision du véritable Israël
dont les psaumes étaient l'expression.
La pauvreté dont il est question ici n'est jamais d'ordre strictement
matériel. La pauvreté purement matérielle ne sauve pas, même s'il est
certain que les défavorisés de ce monde peuvent tout particulièrement
compter sur la bonté divine. Mais le cœur de ceux qui ne possèdent rien peut
être endurci, vicié, mauvais, intérieurement possédé par l'envie de
posséder, oublieux de Dieu et avide de s'approprier le bien d'autrui.
D'autre part, précise Benoît XVI, la pauvreté dont il est question n'est pas non plus une
attitude purement spirituelle. Certes, l'attitude radicale qui nous a été et
qui nous est encore donnée en exemple dans la vie de tant de chrétiens
authentiques, depuis Antoine, le père des moines, jusqu'à François d'Assise
et les pauvres exemplaires de notre siècle, n'est pas une mission assignée à
tous. Mais pour être la communauté des pauvres de Jésus, l'Église a sans
cesse besoin des grandes figures du renoncement ; elle a besoin des
communautés qui les suivent, qui vivent la pauvreté et la simplicité, et qui
nous montrent par là la vérité des Béatitudes, afin de tous nous secouer et
nous réveiller, pour comprendre que posséder des biens,
c'est simplement
servir, pour s'opposer à la culture de l'avoir par une culture de la liberté
intérieure, et pour créer ainsi les conditions de la justice sociale.
Le Sermon sur la montagne en tant que tel n'est pas, il est vrai, un
programme social. Mais la justice sociale ne peut croître que là où la
grande orientation qu'il nous
donne reste vive dans nos convictions et dans notre façon d'agir, là où la
foi procure la force de se déposséder soi-même et de se sentir responsable
de son prochain comme de la société. Et l'Église tout entière doit rester
consciente du fait qu'elle doit être reconnaissable aux yeux de tous comme
la communauté des pauvres de Dieu. Tout comme l'Ancien Testament s'est
ouvert au renouveau apporté par la Nouvelle Alliance à partir des pauvres de
Dieu, tout renouveau de l'Église ne peut venir que de ceux chez qui sont
vivantes une humilité résolue et une bonté toujours prête à servir autrui.
Mais nous n'avons considéré jusqu'ici que la première partie de la première
Béatitude « Heureux les pauvres de cœur » ; chez Matthieu et chez Luc, la
promesse qui leur est destinée est la même : « Le Royaume de Dieu est à vous
» (Lc 6, 20), «
Le Royaume des cieux est à eux »
(Mt 5, 3). Le Royaume de
Dieu, catégorie fondamentale du message de Jésus, fait ici son entrée dans
les Béatitudes, et un tel contexte est important pour bien comprendre cette
notion très controversée. Nous l'avons déjà vu lorsque nous avons examiné de
plus près la signification de l'expression « Royaume de Dieu », et nous
devrons nous en souvenir aussi dans nos réflexions suivantes.
(voir le
chapitre trois)
Mais peut-être est-il bon, avant de poursuivre notre méditation sur le
texte, de revenir un instant sur la figure de l'histoire de la foi dont
l'existence humaine illustre avec une intensité extrême cette Béatitude :
François d'Assise. Les saints sont les interprètes authentiques de l'Écriture
Sainte. Le sens d'une expression se révèle avant tout grâce aux hommes
qu'elle a saisis tout entiers et qui l'ont vécue de tout leur être.
L'interprétation de l'Écriture ne peut être une affaire purement académique
ni reléguée dans le
domaine exclusivement historique. L'Écriture recèle toujours en puissance un
avenir qui se révèle seulement lorsque l'on vit et souffre sa parole jusqu'au
bout. La promesse inscrite dans la première Béatitude, François d'Assise en
a été saisi de la façon la plus radicale, jusqu'à se dépouiller de ses
vêtements avant d'en recevoir d'autres de la main de l'évêque, le
représentant de la bonté paternelle de Dieu qui habille les lis des champs
mieux que n'était habillé le roi Salomon (cf. Mt 6, 28-30). Cette extrême
humilité était à ses yeux avant tout liberté de servir, liberté de suivre sa
mission, confiance absolue en Dieu qui prend soin des fleurs des champs,
mais aussi de ses enfants sur terre. Elle était un correctif apporté à l'Église
de cette époque qui, sous l'emprise d'un système féodal, avait perdu la
liberté et le dynamisme de son élan missionnaire. Elle signifiait
l'ouverture de son moi le plus intime au Christ, auquel les stigmates le
rendaient semblable en tout point, de sorte que réellement, ce n'est plus
lui-même qui vivait, mais que, étant né à nouveau, il existait désormais
tout entier par le Christ et dans le Christ. Il ne voulait d'ailleurs pas
fonder un ordre, mais simplement rassembler à nouveau le peuple de Dieu pour
qu'il écoute la parole au lieu de se dérober à travers de savants
commentaires au sérieux de l'appel de Dieu. Mais en créant le tiers ordre,
il a fini par accepter de distinguer entre l'engagement radical et la
nécessité de vivre dans le monde. Tiers ordre, cela signifie accepter en
toute humilité la mission de la vocation séculière et ses exigences là où
chacun est appelé à le faire, tout en continuant à se laisser guider par la
communion intime et profonde avec le Christ telle que François d'Assise l'a
vécue avant nous. « Que ceux qui font des achats [soient] comme s'ils ne
possédaient rien » (1 Co 7, 30). Apprendre à vivre cette tension intérieure
comme étant peut-être une exigence
plus difficile encore, et être capable de la vivre réellement, de façon sans
cesse renouvelée, en s'appuyant sur ceux qui ont choisi de suivre le Christ
de manière radicale, tel est le sens des tiers ordres, qui nous révèlent ce
que cette Béatitude peut signifier pour tous. Surtout, l'exemple de François
d'Assise nous montre clairement ce que signifie le « Royaume de Dieu ».
François était totalement lié à l'Église et, en même temps, des personnes
telles que lui rapprochent l'Église de son but futur qui est déjà présent :
Le Royaume de Dieu est tout proche...
à suivre... : 4)
Les doux posséderont la terre
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"Jésus de Nazareth"
Sources: www.vatican.va
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Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 19.11.2007 - BENOÎT XVI
- T/J.N. |