Benoît XVI évoque l’amour humain comme « la plus belle chose de la vie »
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VENDREDI, 17 MARS. Deuxième entretien quadragésimal. Il n’est pas rare, avoue le pape Benoît XVI, de reprocher au christianisme du passé d’avoir été l’adversaire de la corporéité. La façon d’exalter le corps aujourd’hui est trompeuse … Ce n’est vraiment pas le «
grand oui de l’homme à son corps
» (5), le thème de ce deuxième entretien quadragésimal.
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Benoît XVI évoque l’amour humain comme « la plus belle chose de la vie »
Grand oui de l’homme à son corps
On pourra trouver le texte intégral de la lettre encyclique du pape Benoît XVI sur
"Deus Caritas Est".
Les chiffres renvoient à la numérotation de la lettre
.
Au pied de l’autel, la question a été posée : «
Voulez-vous prendre pour époux…pour épouse… pour le meilleur comme pour le pire
? » Le grand jour, le jour inoubliable, jour du grand « OUI » ! La question a-t-elle encore un sens aujourd’hui dans un monde où tant d’unions capitulent devant les assauts de la vie? Serait-ce le fait que le « OUI »
ne concerne pas toute la personne de l’autre, mais
surtout le corps, et
ignore le cœur et l’âme
? Ou serait-ce que l’on épouse le nom et la fortune comme cela se faisait au Moyen-Âge, aussi étranger que l’on pouvait être de tout ce qui semblait charnel. L’une ou l’autre réponse vont à l’encontre de l'union totale tant désirée par la nature, et prive l’autre d’un dû auquel lui donne droit le « Oui » échangé ce jour-là devant Dieu. Manque d’éducation ou de liberté, expériences qui dénaturent la donne ?
Dans sa lettre encyclique sur « Dieu est amour », le pape Benoît XVI évoque l’amour humain comme «
la plus belle chose de la vie
» (3). Il écrivait « Dans le monde avant le Christ, l’«éros » était célébré comme une force divine, comme une communion avec le divin » (4) « Il n’est pas rare, avoue le pape, de reprocher au christianisme du passé d’avoir été l’adversaire de la corporéité. La façon d’exalter le corps aujourd’hui est trompeuse … Ce n’est vraiment pas le «
grand oui de l’homme à son corps
» (5), le thème de ce deuxième entretien quadragésimal.
(Vous trouverez le premier:
Lecture de l'évangile selon Benoît XVI
)
Pour nous entraîner dans le dynamisme, l’ivresse, l’extase de l’amour, et entrer dans les vues de ce « Dieu qui est amour », l’Église, par la voix de son Pasteur, prend appui sur l’amour humain, « l’amour entre homme et femme dans lequel le corps et l’âme concourent inséparablement et dans lequel s’épanouit pour l’être humain une promesse de bonheur irrésistible » (2) « C’est l’homme, la personne qui aime comme créature unifiée, dont font partie le corps et l’âme » (5) Ce « grand OUI de l’homme à son corps » s’avère d’une importance primordiale si nous voulons vivre un tant soit peu le mystère d’amour dont Dieu a voulu être à la fois l’archétype et la grâce.
L’exemple vient de haut. Pour nous aimer et accomplir la volonté de son Père, Jésus lui-même a dit ce « grand oui à son corps » : il s’est fait chair et c’est avec tout ce qu’il était comme homme,
corps et âme
, qu’il a voulu restaurer l’humanité en sa condition originelle. C’est donc en s’appuyant sur la vie du couple, l’amour entre homme et femme , redisons-le une fois encore, aussi étonnant que cela paraisse, que le pape a voulu nous parler et nous aider à communier à l’amour divin. Prenant appui sur l’expérience de l’amour humain, Benoît XVI ne fait rien de moins que de suivre l’enseignement des prophètes qui, pour traiter de cet amour divin, surent s’inspirer de l’amour humain. Le plus beau parmi ces témoignages demeurent certes celui du prophète Osée : « Je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. Je ferai du val d’Akor (vallée de la désespérance) une porte d’espérance. Là, Gomer, l’infidèle épouse, elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au jour où elle montait du pays d’Égypte… Je te fiancerai à moi pour toujours, dans la tendresse et la miséricorde, je te fiancerai dans la fidélité et tu connaîtras Yahvé. » (Os.2,16-22) Tu connaîtras Yahvé. L’apôtre Jean écrira à la fin du premier siècle de l’ère chrétienne : « Celui qui aime, celui-là connaît Dieu parce que Dieu est amour » (1 Jn. 4). On comprend dès lors pourquoi Benoît XVI parle du « lien intrinsèque de cet Amour divin avec toute la réalité de l’amour humain » (1).
Au risque même de redire ce qui nous semble d’une réelle importance, faisons retour sur le premier entretien. Dans sa lettre « Dieu est amour, écrite avec le désir de parler de l’amour dont Dieu nous comble et que nous devons communiquer aux autres » (1), le pape benoît XVI débute par certaines mises au point. Elles étaient devenues nécessaires parce que le mot « amour » est un des plus utilisés et des plus galvaudés.» (2) D’où le souci de corriger notre conception de l’amour. En premier lieu, rappelons que l’amour de l’homme et de la femme qui « s’impose à l’être humain » (3) définit une expérience essentielle de l’amour : « L’amour entre homme et femme dans lequel le corps et l’âme –
le corps et l’âme
- concourent inséparablement et dans lequel s’épanouit pour l’être humain une promesse de bonheur qui semble irrésistible, apparaît comme l’archétype de l’amour par excellence et sa grâce. » (2) L’amour humain, modèle par excellence de l’amour.
Une juste conception de l’amour est de la plus haute importance parce qu’il constitue le centre de la foi chrétienne, l’image chrétienne de Dieu ainsi que de l’homme et son chemin
.(1) L’apôtre Jean nous offre en effet une formule synthétique de l’existence chrétienne. « Nous avons reconnu et nous avons cru que l’amour de Dieu est parmi nous ». Nous avons reconnu et nous avons cru… Ainsi le chrétien exprime le choix fondamental de sa vie. « À l’origine de l’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un horizon tout nouveau et par là son orientation décisive.» (1) Quelle importance ne devons-nous pas apporter à ces mots ! Citant l’apôtre Jean, le pape Benoît XVI rappelle que : « Ce n’est pas nous qui avons aimé, mais Dieu qui nous a aimés le premier ». (1 Jn. 4,10) Il veut nous rappeler ici que l’amour n’est plus seulement un commandement, mais la réponse au don de l’amour par lequel Dieu vient à notre rencontre. » (1)
« Le grand « OUI » du corps » constituera cette réponse. Mais comment définir maintenant cette réponse avec ses exigences et sa vérité ? Dire « OUI » comme à l’autel ne paraît peut être pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Il n’est pas question exclusivement d’instinct ou de sexe. (5) On voit par expérience ce que cela peut donner ! Ce « oui » doit venir de l’être tout entier et s’adresser à l’autre dans son intégralité. Il ne s’agit point de donner au conjoint «
le plaisir d’un instant, mais un certain avant-goût du sommet de l’existence, de la béatitude vers laquelle tend tout notre être.
» (4) Ces mots du pape valent d’être relus et médités. Et Benoît XVI d’ajouter : « cela n’a pas toujours été le fait du christianisme, » longtemps imprégné de la pensée manichéiste, qui considérait la chair comme mauvaise en soi. « Si l’homme aspire à être seulement esprit et qu’il veut refuser la chair comme étant un héritage simplement animal, alors l’esprit et le corps perdent leur dignité » (5)
Le cardinal Ratzinger devenu pasteur de l’Église universelle, ajoute cette réflexion qui me semble la plus honnête qui soit et souffle comme un vent de franchise de la fenêtre des appartements pontificaux au Vatican : « Il n’est pas rare aujourd’hui de reprocher au christianisme du passé d’avoir été l’adversaire de la corporéité ; de fait il y a toujours eu des tendances en ce sens. Mais la façon d’exalter le corps à laquelle nous assistons aujourd’hui est trompeuse. L’éros rabaissé simplement au « sexe» devient une marchandise, une simple « chose » que l’on peut acheter et vendre ; plus encore, l’homme devient une marchandise. En réalité, cela n’est pas vraiment le grand « OUI » de l’homme à son corps. Au contraire, l’homme considère maintenant le corps et la sexualité comme la part seulement matérielle de lui-même, qu’il utilise et exploite de manière calculée. Une part d’ailleurs, qu’il ne considère pas comme un espace de liberté, mais comme quelque chose que lui, à sa manière, tente de rendre à la fois plaisant et inoffensif. En réalité, nous nous trouvons devant la dégradation du corps humain qui n’est plus dans le tout de la liberté de notre existence, qui n’est plus l’expression vivante de la totalité de notre être, mais qui se trouve comme cantonné au domaine purement biologique. L’apparente exaltation du corps peut bien vite se transformer en haine envers la corporéité. » (5) Benoît XVI n’accuse pas, mais tente de mettre en garde contre une des grandes erreurs de l’humanité de tous les temps concernant la valeur des valeurs, l’amour.
En vérité, pour la foi chrétienne, on ne le redira jamais assez, « l’homme est un être dans lequel
l’esprit et la chair s’interpénétrèrent l’un l’autre
et font ainsi tous deux l’expérience d’une nouvelle noblesse. Oui, assure Benoît XVI, « l’éros »
veut nous élever en extase vers le divin
,
nous conduire au-delà de nous-même
, et c’est précisément pourquoi est requis un chemin de montée, de renoncements, de purifications et de guérisons. » (5) Il y a donc espoir et non moins promesse pour nous tous qui devons vivre en plénitude l’amour humain en quelque condition que ce soit !
Comment représenter alors concrètement ce chemin de montée et de purification ? Comment vivre l’amour, pour que se réalise pleinement sa promesse humaine de bonheur et d’extase divine ? (6) Dans le Cantique des Cantiques, un des livres de l’A.T. parmi les plus connus des âmes mystiques, collection de chants d’amour à l’origine, un mot est utilisé pour exprimer l’amour et exalter l’amour conjugal. Ce n’est plus le terme « éros » si noble soit-il, mais le mot : « agapè ». Ce terme exprime l’expérience d’amour devenu
véritable découverte de l’autre parce qu’il a dépassé le caractère égoïste qui dominait jusque là dans l’«éros ». L’amour « agapè » devient maintenant
soin de l’autre et pour l’autre. L’amour ne se cherche plus lui-même – l’immersion dans l’ivresse du bonheur – il cherche au contraire le bien de l’être aimé : il devient ainsi renoncement, prêt au sacrifice, il le recherche même (6)
« Ainsi se développe vers des degrés plus élevés, vers ses purifications profondes, l’amour qui cherche son caractère définitif, et cela dans le sens d’un caractère exclusif - « cette personne seulement » - et dans le sens d’un « pour toujours ». L’amour véritable comprend la totalité de l’existence dans toutes ses dimensions y compris celle du temps. Il ne pourrait en être autrement, puisque sa promesse vise à l’éternité. Oui, l’amour est « extase », mais extase non pas dans le sens d’un moment d’ivresse, mais extase comme chemin, comme exode permanent allant du « je » refermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément vers la découverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu » (6)
Résumons.
Nos réflexions sur l’essence de l’amour nous ont conduits à la foi biblique. Au point de départ, la question s’est posée de savoir si les différents sens du mot amour, parfois opposés, ne sous-entendraient pas une certaine unité profonde ou si, au contraire, ils ne devraient pas, rester indépendants, l’un à côté de l’autre. Avant tout cependant, est apparue la question de savoir si le message sur l’amour qui nous est annoncé dans la bible et la Tradition de l’Église avait quelque chose à voir avec l’expérience humaine commune de l’amour ou s’il ne s’opposait pas plutôt à elle. À ce propos nous avons rencontré deux termes fondamentaux : « éros » désignant l’amour « mondain», et « agapè », expression d’un amour fondé sur la foi et modelé par elle. On décrit fréquemment ces deux conceptions comme un amour de concupiscence et un amour de bienveillance. (7). Ces distinctions ont souvent été radicalisées au point de les mettre en opposition l’une et l’autre. L’ « agapè », amour de bienveillance, serait typiquement chrétien. À l’inverse, la culture non chrétienne, surtout la culture grecque, serait marquée au coin de l’amour possessif et sensuel, l’amour de concupiscence, l’« éros ». Si on voulait pousser à l’extrême cette antithèse, l’essence du christianisme réduit à l’amour de bienveillance, serait alors coupée des relations vitales et fondamentales de l’existence humaine et constituerait un monde en soi, à considérer peut-être comme admirable, mais fortement détaché de la complexité de l’existence humaine. Ne mettre en valeur que ce trait d’une existence toute donnée aux autres nous amènerait à une réflexion souvent utilisée : « plus admirable qu’imitable ». Voila le relent que laisse en bouche tant de vies de saints.
En réalité « éros », amour ascendant et concupiscence, et « agapè », amour descendant et bienveillance, ne doivent et ne peuvent être séparés complètement l’un de l’autre. Mieux encore, ces deux aspects de l’amour trouvent leur juste unité dans l’unique réalité de l’amour, ils réalisent la véritable nature de l’amour en général. L’amour « éros », lorsqu’il s’approche de l’autre, se posera toujours moins de questions sur lui-même, et cherchera au contraire toujours plus le bonheur de l’autre, il se préoccupera de l’autre, il se donnera et il désirera « être pour » l’autre. C’est ainsi que l’ « agapè », amour de bienveillance s’insère en lui. Sinon, l’éros déchoit et perd aussi sa nature même. Ajoutons à cela, que l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’ « agapè », l’amour oblatif, Il ne peut toujours donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don. (7) Gustave Thibon écrivait : « Un amour qui ne voudrait que donner n’est pas plus humain qu’un amour qui ne voudrait que recevoir ».
Au fond, l’amour est une réalité unique, mais avec des dimensions différentes ; tour à tour, l’une et l’autre dimension peut émerger de façon plus importante. Là où cependant les deux dimensions se détachent complètement l’une de l’autre, apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de l’amour. D’une manière synthétique, nous avons vu aussi que la foi biblique ne construit pas un monde parallèle, un monde exposé au phénomène humain originaire qui est l’amour ; elle accepte tout l’homme, intervenant dans sa recherche d’amour pour la purifier et lui ouvrir en même temps de nouvelles dimensions. Cette nouveauté de la foi biblique se manifeste surtout en deux points, qui méritent d’être soulignées :l’image de Dieu et l’image de l’homme. (8)
Le prochain entretien portera sur l’EXTASE VERS LE DIVIN. Nous tenterons alors de contempler la beauté de l’amour chez Dieu, et de quelle façon l’ « éros » et l’ « agapè », cet amour de concupiscence ou ascendant et de bienveillance ou descendant décrivent l’ampleur infinie de l’amour dont Dieu nous comble et tente de nous tracer sur la base de l’amour humain un chemin d’ivresse et de bonheur irrésistible.
Jacques Sylvestre o.p. animateur.
Les chiffres renvoient à la numérotation de la l'Encyclique.
Pour lire ou enregistrer l'Encyclique du pape Benoît XVI:
"Deus Caritas Est"
Eucharistie, Sacrement de la Miséricorde.
17.03.2006 - INTERNATIONAL
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