Le grand discours de Benoît XVI à
Paris aux Bernardins, du grand art ! |
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Rome, le 16 octobre 2008 -
(E.S.M.)
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La reconstitution réalisée par Verdon est passionnante mais, pour bien la
comprendre, il faut aussi se référer à son arrière-plan.
Qui est le grand discours lu par Benoît XVI à Paris, au Collège des
Bernardins, le 12 septembre dernier: "Chercher Dieu et se laisser trouver par Lui"
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Le grand discours de Benoît XVI à
Paris aux Bernardins, du grand art !
L'art de lire les Écritures. Un cours pour les analphabètes d'aujourd’hui
Le 16 octobre 2008 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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La liturgie doit de nouveau façonner la lecture et la compréhension de la
Bible. Comme au temps du monachisme médiéval, créateur de la civilisation
moderne. Timothy Verdon explique pourquoi, alors que le synode des évêques
est arrivé à mi-parcours
A peu près à mi-parcours de ses travaux, le
synode des évêques consacré à "La parole de Dieu dans la vie et dans la
mission de l’Église" a aussi demandé une consultation à la sociologie.
Cette consultation a eu lieu non pas dans la salle du synode, mais à
proximité, dans la salle de presse du Saint-Siège. C’est là que, mardi 14
octobre, le professeur Luca Diotallevi, de l'Université Roma III, a présenté
les résultats d’une grande enquête menée par GFK-Eurisko dans douze pays du
monde: États-Unis, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne, France, Espagne,
Italie, Pologne, Russie, Hong-Kong, Philippines, Argentine.
Le premier résultat est que les adultes de ces pays disent, à une large
majorité, qu’ils ont fait l’expérience de Dieu, un Dieu qui "veille sur leur
vie et les protège".
De plus, une majorité aussi large déclare qu’elle prie.
La foi en Dieu n’est
donc pas en régression. Au contraire, dans des pays comme la Russie et Hong-Kong, elle semble connaître une vigoureuse reprise.
Face à cette large et constante demande de sens religieux, la réponse des
Églises et des communautés chrétiennes apparaît faible. En effet, ayant pris
la Bible comme instrument de mesure pour cette réponse, l’enquête montre
qu’un petit nombre des personnes interrogées en ont lu au moins un passage
au cours des douze derniers mois.
En Europe surtout, le contact avec la Bible a lieu presque uniquement à
l’église, au moment de l'homélie. Dans deux pays seulement, la Bible est lue
par une large majorité de la population: les États-Unis et les Philippines.
Bien que peu lue et peu connue, la Bible bénéficie d’une image très
positive. A une large majorité, les personnes interviewées trouvent son
contenu "réel", "intéressant", "vrai". Mais, en même temps, "difficile", ce
qui met de nouveau en cause les responsabilités des Églises.
Voici comment le professeur Diotallevi a résumé, en termes sociologiques, la
leçon tirée de l'enquête :
"Le niveau de consommation de rites religieux a une énorme marge de
croissance, mais l'offre religieuse est bien loin d’avoir satisfait toute la
demande potentielle déjà présente".
* * *
Bien entendu, on peut aussi interpréter l'actuel analphabétisme biblique
autrement que ne le fait la sociologie.
C’est ce qu’a fait, par exemple, Timothy Verdon dans un article magistral
paru dans "L'Osservatore Romano" de dimanche 12 octobre.
Historien de l’art, Verdon dirige à Florence le service diocésain de la
catéchèse par l’art et participe au synode des évêques en tant qu’expert.
Dans cet article, il explique, aux points de vue artistique, liturgique et
théologique, la perte de sens que les Saintes Écritures ont subie aux
époques moderne et contemporaine.
La reconstitution réalisée par Verdon est passionnante mais, pour bien la
comprendre, il faut aussi se référer à son arrière-plan.
Qui est le grand
discours lu par Benoît XVI à Paris, au Collège des
Bernardins, le 12 septembre dernier : "Chercher Dieu et se laisser trouver par Lui"
Voici donc l'article de Verdon paru dans "L'Osservatore Romano" du 12
octobre 2008 :
A la recherche du symbole perdu. L’analphabétisme biblique actuel
par Timothy Verdon
Alors que le synode des évêques médite sur la Parole de Dieu dans la vie et
dans la mission de l’Église, il peut être utile de réfléchir à ce que l’on
pourrait appeler "l’analphabétisme biblique actuel", c’est-à-dire à la perte
presque totale des instincts et techniques qui ont formé au fil des siècles
l’approche chrétienne des écritures saintes.
Pour mesurer la gravité de cette situation, il suffit d’observer les livres
enluminés que les monastères ont produits au Moyen Age pour la liturgie.
L’homme moderne qui découvre de tels trésors dans le cadre d’une exposition
ou d’un texte d’histoire de l’art ne conçoit peut-être même pas la distance
qui nous sépare aujourd’hui du monde qui les a produits: entre notre
expérience du livre et celle qu’en avait le Moyen Age, il existe en effet
des différences si fondamentales que nous risquons de ne pas les percevoir.
A l’ère d’Internet, le concept de "livre" commence déjà à nous échapper et,
à la lumière d’études bibliques et liturgiques modernes, l’idée
traditionnelle de "livre sacré" n’a plus le même poids que jadis.
Concrètement, il est presque impossible aujourd’hui de concevoir l’autorité
sacrale que pouvait avoir un texte biblique ou liturgique au Moyen Age.
Il en est de même pour les miniatures qui ornent les textes. Notre époque,
saturée d’images aux couleurs brillantes dans les revues, dans les journaux,
à la télévision - photos instantanées, prises en direct, images produites
par ordinateur - n’arrive pas à saisir la surprise, la délicieuse fraîcheur
de miniatures aux couleurs limpides, étincelantes d’or, qu’entourent les
colonnes serrées du texte d’un manuscrit. Nous ne savons pas non plus
retrouver le rapport intellectuel et affectif qui subsiste entre l’image
fixe et un texte ancien que l’on connaissait, que l’on aimait, auquel on
croyait.
Pourtant, pendant plus de mille ans d’histoire de l’Europe, les livres ont
toujours été perçus précisément dans le contexte d’une foi intensément
vécue, profondément méditée, nourrie par des textes si anciens qu’ils
semblaient "éternels": des textes qui plaçaient le lecteur à la frontière
entre sa propre situation et des réalités universelles, le contexte liminal
que nous pouvons simplement définir par le mot "prière". Les livres
liturgiques servaient en effet à la prière en communauté et les Bibles à la
"lectio divina" qui, à son tour, était nourrie et en quelque sorte façonnée
par la liturgie et la dévotion.
Par liturgie, nous entendons ici l’ensemble des rites ecclésiaux avec, au
centre, la liturgie eucharistique ou messe. Les textes de la messe, qui
changent en fonction des fêtes ou des périodes de l’année, imposent en effet
une sorte de "lectio divina" communautaire, une souplesse dans
l’interprétation de l’événement ou du personnage célébré, que l’on doit
qualifier de contemplative. Tout est constamment ramené au centre mystique
de la foi chrétienne - le sacrifice de soi que Jésus a accompli en mourant
sur la croix - et à la vie nouvelle de sa résurrection. Même pendant la nuit
de Noël, les textes de la messe obligent à lier la joie d’une naissance au
fait dramatique de la mort sur la croix; le petit corps dans la mangeoire,
le corps de l’homme adulte crucifié, le "Corpus Christi" réellement présent
dans le pain eucharistique et le "Corps Mystique" que forme la communauté
réunie par la prière ne font plus qu’un. Voilà pourquoi, sur la fresque de
la basilique d’Assise représentant saint François qui dépose l’Enfant dans
la mangeoire de la crèche de Greccio, cette mangeoire est placée sous une
grande croix et à côté de l’autel.
Cette façon de voir - et de comprendre - les rapports de causalité entre des
événements historiques, métahistoriques et surnaturels, est différente de la
nôtre: c’était une façon de voir - et de comprendre - qui influençait la
manière de lire et donc aussi d’imaginer et de représenter les contenus des
textes.
Prenons l’exemple de l’illustration reproduite ci-dessus: une superbe
lettrine peinte du bréviaire du XIVe siècle qui se trouve à la bibliothèque
municipale Queriniana de Brescia. C’est le "B" du premier mot du psaume 1 en
latin de la Vulgate: "Beatus vir qui non abiit in consilio impiorum",
heureux l'homme qui ne va pas au conseil des impies. Les pères de l’Eglise
lisaient le début de ce psaume en pensant au Christ. Ainsi, le miniaturiste
du "B" utilise les vides dans cette initiale pour évoquer toute la vie du
Christ, avec des scènes de l’annonciation, de la nativité, de la crucifixion
et de la sépulture. En plaçant les mots "Beatus vir" dans l’initiale et au
bord en dessous de ces scènes, l’artiste anonyme associe la "béatitude" du
rapport de l’homme avec Dieu - le sujet du psaume - avec Jésus-Christ.
L’ancien mode de lecture avait en outre une dimension de parabole que nous
risquons de perdre, à l’heure des études bibliques "scientifiques".
L’antienne du "Benedictus" pour les louanges de la solennité de l’Épiphanie,
par exemple, relie de manière tout à fait suggestive les trois événements
bibliques qui, dans leur suite chronologique, constituent ensemble la
première manifestation du Christ au monde: l’arrivée des mages apportant
leurs présents au nouveau-né Jésus (Matthieu 2, 1-12); le baptême de Jésus à
trente ans dans le Jourdain (Matthieu 3, 13-17; Marc 1, 9-11; Luc 3, 21-22);
l’eau changée en vin aux noces de Cana (Jean 2, 1-12). Mais l’auteur anonyme
de l’antienne inverse la chronologie et place les noces avant le baptême, en
disant : "Aujourd’hui, l’Époux céleste s’unit à son Église que le Christ lave
de son péché dans le Jourdain". Ayant ainsi évoqué le mariage de Dieu et
avec son peuple conformément à la promesse des prophètes, mais aussi
l’obligation pour "l’époux" de purifier son "épouse", en la lavant (cf.
Éphésiens, 5, 25-27), l’auteur introduit alors les Mages, qu’il fait arriver
avec leurs présents comme des invités à la fête nuptiale dont les convives
se réjouiront de l’eau transformée en vin – premier miracle du Christ, à
Cana: "Hodie caelesti Sponso juncta est Ecclesia, quoniam in Iordane lavit
eius crimina: currunt cum munere Magi ad regales nuptias, et ex acqua facto
vino laetantur conviviae, alleluia!". Ce qui signifie: "Aujourd’hui, l’Église
s’est unie à l’Époux céleste, qui l’a lavée de ses péchés dans le Jourdain.
Les Mages accourent avec leurs présents aux noces royales dont les convives
se réjouissent de la transformation de l’eau en vin. Alléluia!".
Le premier et le dernier mot de l’antienne – "hodie" et "alléluia" – font
comprendre ce mode de lecture. Ici, les textes du Nouveau Testament ont été
interprétés à la lumière de la liturgie. Une liturgie où le sens du temps
change, si bien que des événements passés et qui se suivent même entre eux
sont vécus de manière extatique dans l’unique "aujourd’hui" de Dieu. Cela a
pour effet de transformer des superpositions historiques impossibles en
mystères simultanés et entremêlés. Chaque événement éclaire tous les autres,
dans l’unique projet du Père révélé par la vie-mort-résurrection du Christ:
voilà la "forma mentis" sous-jacente à d’innombrables images chrétiennes,
depuis les catacombes jusqu’au XXIe siècle.
L'initiale enluminée et l'antienne de l'Épiphanie sont toutes deux le fruit
de l'imagination monastique et cette origine est d’une importance
fondamentale. Le monachisme est en soi une œuvre d'art: il rend visible et
tangible une intensité particulière de la vie chrétienne, parce que le moine
veut être, comme le Christ, icône ou image de la beauté de Dieu.
Le monastère est le lieu où, avec l’aide de confrères qui ont la même vision
intérieure, l'œuvre peut être tranquillement menée à bien, dans une sorte de
laboratoire de l'âme.
La plus répandue des formulations occidentales de la vie monastique, la "Regula
monachorum" de saint Benoît de Nursie, se réfère explicitement à cette
analogie quand elle compare le monastère à un atelier d’artisan et présente
la vie des moines toute entière comme un processus de création
(Regula 4,
75-78). Cette affirmation fait aussi écho à une tradition plus ancienne
selon laquelle la vie de tout croyant est embellie "par l'or des bonnes
actions et les mosaïques de la foi persévérante". Les moines diffèrent des
autres chrétiens, au moins dans la pensée de saint Benoît, par la profondeur
de leur engagement: ils investissent toutes leurs énergies humaines dans
leur projet spirituel et leurs "outils" sont les préceptes moraux de la vie
chrétienne, "instrumenta artis spiritalis"
(Regula 4, 75).
Même si ces phrases sont clairement métaphoriques, rien d’étonnant à ce que
la métaphore se soit transformée en une réalité et que les monastères soient
devenus des centres de développement des arts, ce que prévoyait d’ailleurs
saint Benoît (cf. le chapitre 57 de la règle, sur "Les artisans au
monastère"). Un climat de créativité dans un domaine d’activité suscite une
même créativité dans d’autres secteurs. De plus la vie monastique favorise
la production d'art sacré parce que, excluant les distractions profanes,
elle permet à l'artiste de s’immerger dans les Écritures et les actions
sacramentelles qui donnent couleur et forme à sa foi, en lui garantissant de
plus un "public" dévot et préparé.
Dans l’histoire du christianisme, les fruits culturels du monachisme ne se
limitent pas aux moines. En effet le silence et la vie retirée des
monastères n’ont pas éloigné la masse des fidèles, ils l'ont attirée.
L’histoire monastique confirme l’attrait que les moines ont toujours suscité
dans de larges groupes sociaux. Bien avant qu’Alcuin n’enseignât ou
qu’Anselme n’écrivît, les habitants d’Alexandrie d'Égypte allaient écouter
saint Antoine l’Ermite dans le désert et les Romains envoyaient leurs fils
chez saint Benoît. Même quand l'âge d'or de la culture monastique a commencé
à décliner, à partir des XIIIe et XIVe siècles, l'idéal d’une solitude
pleine de prière est resté comme un exemple pour les ordres religieux actifs
de la fin du Moyen Age et pour les laïcs à qui ils prêchaient.
On peut dire sans exagération que les conquêtes formelles des moines - leur
art et leur architecture, leurs pratiques en matière de liturgie et de
dévotion, leurs structures d’organisation et leurs méthodes éducatives,
agricoles et commerciales - ont imprégné la conscience culturelle de
l'Europe. Plus encore, la vie monastique elle-même, considérée comme choix
social créatif et libre, s’est profondément gravée dans l'imaginaire des
chrétiens, au point que certaines des aspirations les plus fondamentales de
notre civilisation ne sont compréhensibles qu’à la lumière de l’"entreprise"
monastique.
Dans tout cela, il est important de noter le double rôle de l'imagination.
La vie monastique demande un effort d'imagination à ceux qui la choisissent
en devenant moines; elle en demande aussi un à ceux qui ne deviennent pas
moines, c’est-à-dire à la société chrétienne en général. Celui ou celle qui
renonce aux biens légitimes de la vie et se retire pour chercher Dieu dans
le silence et la prière a besoin d’une forte capacité d’"imagination"
sociale et morale pour continuer à croire à "ces choses que l’œil n’a point
vues, que l’oreille n’a point entendues, mais que Dieu a préparées pour ceux
qui l’aiment" (1 Corinthiens 2, 9) : ce passage est d’ailleurs cité dans la
règle de saint Benoît (4, 77). C’est surtout dans les rapports parfois
problématiques avec les confrères que l’imagination, en plus de la foi,
permet au moine de sentir que "chaque fois que vous avez fait cela à l’un de
ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait"
(Matthieu,
25, 40; cf. Regula 36, 3).
Par un effort identique d'imagination, ceux qui n’entrent pas au monastère
ont choisi, à travers les siècles, de voir dans les moines des "sages" et
des "prophètes" plutôt que de dangereux dissidents en marge de la société.
Les chrétiens - de ceux qui, par milliers, sont allés écouter la parole
d’Antoine l’abbé dans le désert égyptien à ceux qui, par centaines de
milliers, lisent aujourd’hui Thomas Merton - ont toujours cru que la
solitude des moines n’implique pas le mépris pour autrui et que leur silence
peut faire jaillir une sagesse au service de l’homme.
Cette confiance, émouvante dans sa simplicité, fait entrevoir la plus
importante fonction du monachisme dans l’imaginaire des chrétiens, celle de
"symbole" qui sanctifie ce qui s’en approche. Ceux qui viennent en visite
dans un monastère ont, comme les moines eux-mêmes, l’impression que, dans le
recueillement contemplatif du cloître, les lieux et les objets prennent
quelque chose des intentions et du dévouement des habitants de ces lieux.
Les objets, même humbles, sont soudain perçus comme des signes qui révèlent
la solidarité entre l'homme et le sacré, les barreaux d’une échelle qui va
de la terre au ciel. C’est dans cet esprit que saint Benoît dit que même les
outils ordinaires du monastère doivent être traités comme si c’étaient des
vases sacrés pour la liturgie (Regula 31, 10).
C’est une façon de voir sacramentelle, dans laquelle la surface des choses
devient transparente pour révéler une perspective infinie et donne de
l’efficacité aux images. Une représentation de la Dernière Cène dans le
réfectoire d’un couvent, comme celle que Léonard de Vinci a peinte à Santa
Maria delle Grazie, à Milan, n’est pas seulement décorative, c’est aussi un
objet fonctionnel qui communique et nourrit la foi dont elle est née. Les
choix opérationnels dans la genèse formelle de l'œuvre, qui relèvent
normalement du domaine de l’histoire de l'art, sont ici associés à d’autres
choix qui ne sont pas esthétiques, mais existentiels.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
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Sources : Source
: Sandro Magister
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 16.10.2008 -
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