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Benoît XVI : Nous ne pouvons pas nous cacher
qu'il ait pu défaillir
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Le 10 février 2023 -
(E.S.M.)
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Nous nous trouvons toujours plongés, à nouveau dans l'aujourd'hui
abyssal de la souffrance, explique Benoît XVI. Mais toujours, la Résurrection et le
rassasiement des pauvres se réalisent déjà « aujourd'hui ». Dans une
telle perspective, rien de l'horreur de la Passion de Jésus n'est
supprimé. Au contraire, elle est plus grande, parce qu'elle n'est
pas seulement individuelle, mais elle porte réellement en elle notre
tribulation à tous.
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Le tirage au sort
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Benoît : Que pouvons-nous dire devant ce constat ?
Le cri d'abandon de Jésus
Matthieu et Marc nous racontent de manière concordante
que, à la neuvième heure, Jésus s'exclama en un grand cri: « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? » (Mt 27,46 ; Mc 15,34). Ils transmettent
le cri de Jésus en un mélange de langues hébraïque et araméenne et le
traduisent ensuite en grec. Cette prière de Jésus n'a jamais cessé de
susciter le questionnement et la réflexion des chrétiens: comment le Fils de
Dieu pouvait-il être abandonné de Dieu ? Que signifie ce cri ? Rudolf
Bultmann, par exemple, fait remarquer à ce sujet : l'exécution de Jésus
s'est produite « à cause d'une interprétation erronée de son œuvre vue comme
celle d'un agitateur politique. Il s'agirait alors - selon un point de vue
historique - d'un destin privé de sens. Si, ou plutôt comment, Jésus a pu y
trouver un sens, nous ne pouvons le savoir. Nous ne pouvons pas nous cacher
qu'il ait pu défaillir » (Das Verhâltnis, p. 12).
Que pouvons-nous
dire devant ce constat ?
Tout d'abord, il nous faut considérer le fait que, selon le
récit des deux évangélistes, ceux qui étaient là n'ont pas compris
l'exclamation de Jésus, mais l'ont interprétée comme un appel lancé vers
Élie. À travers des études érudites, on a essayé de reconstituer
l'exclamation de Jésus de telle manière que justement elle puisse, d'une
part, être comprise - de manière erronée - comme un cri vers Élie et que,
d'autre part, elle représente le cri d'abandon du Psaume 22 (cf. Rudolf
Pesch, Markusevangelium II, p. 495). Quoi qu'il en soit : seule la
communauté croyante a reconnu dans l'exclamation de Jésus, non pas comprise
et mal interprétée par ceux qui se tenaient là, le début du Psaume 22 et, de
ce fait, a pu la comprendre comme un cri véritablement messianique.
Ce n'est pas n'importe quel cri d'abandon. Jésus récite le
grand Psaume de l'Israël souffrant et prend ainsi sur lui tous les tourments
non seulement d'Israël mais de tous les hommes qui, en ce monde, souffrent
parce que Dieu leur est caché. Il présente devant le cœur de Dieu même, le
cri d'angoisse du monde tourmenté par l'absence de Dieu. Il s'identifie avec
l'Israël souffrant, avec l'humanité qui souffre à cause de la « nuit de Dieu
», il prend sur lui son cri, sa détresse, toute son impuissance, et ainsi,
en même temps, il les transforme.
Le Psaume 22 - comme nous l'avons vu — est présent tout au
long du récit de la Passion et va au-delà. L'humiliation publique, le mépris
et le hochement de tête des railleurs, les souffrances, la soif terrible, la
perforation des mains et des pieds, le tirage au sort des vêtements - toute
la Passion dans ce Psaume est comme racontée à l'avance. Et pourtant, tandis
que Jésus prononce les premières paroles de ce Psaume, est déjà présent, en
fin de compte, l'ensemble de cette magnifique prière - et aussi la certitude
de l'exaucement qui se manifestera dans la Résurrection, dans la
constitution de la « grande assemblée » et dans le rassasiement de la faim
des pauvres (cf. v. 25s.). Le cri dans l'extrême tourment est, en même
temps, certitude de la réponse divine, certitude du salut - non seulement
pour Jésus lui-même, mais pour les « multitudes ».
Dans la théologie plus récente, bien des tentatives approfondies ont été
menées pour scruter, à partir de ce cri d'angoisse de Jésus, les profondeurs
de son âme et comprendre le mystère de sa personne dans ce tourment extrême.
Tous ces efforts, en fin de compte, sont marqués par une approche trop
limitée et individualiste.
Je pense que les Pères de l'Église, dans leur manière de comprendre la façon
de prier de Jésus, ont été beaucoup plus proches de la réalité. Déjà, parmi
les priants de l'Ancien Testament, les paroles des Psaumes ne sont pas
celles d'un seul individu fermé sur lui-même. Ce sont certes des paroles
très personnelles, qui se sont formées dans le combat avec Dieu, mais des
paroles auxquelles, en même temps, sont toutefois associés dans la prière
tous les justes qui souffrent, tout Israël, et même l'humanité tout entière
qui lutte, et c'est pourquoi ces Psaumes enveloppent toujours le passé, le
présent et l'avenir. Ils sont dans le présent de la souffrance et,
cependant, ils portent déjà en eux le don de l'exaucement, de la
transformation.
Cette figure fondamentale qui, selon les plus récentes recherches, est
qualifiée de « personnalité corporative », les Pères l'ont accueillie et
approfondie à partir de leur foi au Christ: dans les Psaumes - nous dit
Augustin - c'est le Christ qui prie à la fois comme Chef et comme Corps (cf.
par ex. En. in PS., 60,1s. ; 61,4; 85,1.5). Il prie en tant que « Tête » -
comme Celui qui nous rassemble tous en un sujet commun et nous accueille
tous en lui. Et il prie en tant que « Corps », ce qui signifie que les
combats de nous tous, nos voix mêmes, nos tribulations et notre espérance
sont présents. Nous sommes nous-mêmes les priants de ce Psaume, mais
maintenant c'est d'une manière nouvelle, dans la communion au Christ. Et, à
partir de lui, passé, présent et avenir sont toujours unis.
Nous nous trouvons toujours plongés, à nouveau dans l'aujourd'hui abyssal de
la souffrance. Mais toujours, la Résurrection et le rassasiement des pauvres
se réalisent déjà « aujourd'hui ».
Dans une telle perspective, rien de
l'horreur de la Passion de Jésus n'est supprimé. Au contraire, elle est plus
grande, parce qu'elle n'est pas seulement individuelle, mais elle porte
réellement en elle notre tribulation à tous. En même temps, la souffrance de
Jésus est cependant une passion messianique - un souffrir en communion avec
nous et pour nous; un être-avec qui vient de l'amour et qui ainsi porte déjà
en soi la rédemption, la victoire de l'amour.
Le tirage au sort des vêtements
Les évangélistes nous racontent que les quatre soldats
chargés de l'exécution capitale de Jésus se partagèrent ses vêtements en les
tirant au sort. Cela correspondait à la coutume romaine, selon laquelle les
vêtements du supplicié revenaient au peloton d'exécution. Jean cite
explicitement le Psaume 22,19, en le rapportant par ces mots : « Ils se sont
partagé mes habits, et mon vêtement, ils l'ont tiré au sort » (19,24).
Suivant le parallélisme typique de la poésie hébraïque, selon
lequel un seul acte est exprimé en deux temps, Jean distingue deux actions:
d'abord les soldats firent quatre parts des vêtements de Jésus et les
partagèrent entre eux. Puis, ils prirent aussi la « tunique. Or, la tunique
était sans couture, tissée d'une pièce à partir du haut; ils se dirent donc
entre eux : "Ne la déchirons pas, mais tirons au sort qui l'aura" » (cf.
19,23s.).
Ce détail concernant la tunique (chitori) sans couture est
rapporté avec beaucoup de précision, parce que Jean a évidemment voulu, de
cette manière, rappeler quelque chose de plus qu'un détail banal. Certains
exégètes se réfèrent, dans ce contexte, à une information de Flavius
Josèphe, selon laquelle la tunique (chitori) du grand prêtre était tissée
avec un unique fil continu (cf. Ant. lud. III, 7,4). Et donc, à travers
cette remarque discrète de Pévangéliste, on peut sans doute reconnaître une
allusion à la dignité de grand prêtre de Jésus, une dignité que Jean, d'un
point de vue théologique, avait amplement présentée dans la Prière
sacerdotale de Jésus. Celui qui meurt ici n'est pas seulement le vrai Roi
d'Israël. Il est aussi le Grand Prêtre qui, précisément en cette heure de
son extrême déshonneur, accomplit son ministère sacerdotal.
En réfléchissant sur ce texte, les Pères ont mis en relief un
accent différent : ils voient dans la tunique sans couture, que les soldats
eux-mêmes ne veulent pas diviser en parts, une image de l'unité infrangible
de l'Église. La tunique sans couture est l'expression de l'unité que le
Grand Prêtre Jésus avait demandée pour les siens au soir de la veille de sa
Passion. De fait, dans la Prière sacerdotale sont inséparablement reliés le
sacerdoce de Jésus et l'unité des siens. Au pied de la Croix, nous percevons
une fois de plus en profondeur le message que Jésus a mis sous nos yeux et a
inscrit dans nos cœurs dans sa prière avant de sortir pour aller à la
rencontre de la mort.
« J'ai soif»
Au moment du crucifiement, on avait offert à Jésus, comme
c'était l'habitude, une boisson narcotique pour atténuer les douleurs
insoutenables. Jésus refusa cette boisson - il voulait supporter sa
souffrance de manière pleinement consciente (cf. Mc 15,23). Au point
culminant de la Passion, sous le soleil brûlant de midi, cloué sur la Croix,
Jésus cria: « J'ai soif» (Jn 19,28). Selon la coutume, on lui offrit le vin
acidulé très répandu parmi les pauvres, que l'on pouvait qualifier aussi de
vinaigre et qui était considéré comme une boisson désaltérante.
Nous retrouvons ici cette même compénétration de parole
biblique et d'événement sur laquelle nous avons réfléchi au début de ce
chapitre. D'un côté, la scène est d'un grand réalisme - la soif du Crucifié
et la boisson acidulée que les soldats, en ces circonstances, avaient
l'habitude de donner. D'un autre côté, s'impose immédiatement à nous comme
en filigrane le Psaume 69, applicable à la Passion, où se lamente celui qui
est assoiffé : « Dans ma soif, ils m'abreuvaient de vinaigre » (v. 22).
Jésus est le Juste souffrant. En lui s'accomplit la passion du Juste, mise
en lumière par l'Écriture dans les grandes expériences des priants qui
souffrent.
Mais comment ne pas penser aussi au chant de la vigne du
chapitre 5 du prophète Isaïe, chant sur lequel nous avons déjà réfléchi à
propos du discours sur la vigne (cf. première partie, p. 281-282) ? Dans ce
chant, c'est Dieu qui présentait sa lamentation à Israël. Sur une colline
fertile, Dieu avait planté une vigne et il lui avait procuré les meilleurs
soins. « II attendait de beaux raisins : elle donna des raisins sauvages » (Is
5,2). La vigne d'Israël n'offre pas à Dieu le noble fruit de la justice, qui
a son fondement dans l'amour. Elle ne produit que les grains aigres de
l'homme qui ne se préoccupe que de lui-même. Elle produit du vinaigre au
lieu de vin. La lamentation de Dieu, que nous entendons dans le chant
prophétique, devient concrète en cette heure où est offert du vinaigre au
Rédempteur assoiffé.
De même que le chant d'Isaïe illustre, au-delà du moment
historique, la souffrance de Dieu pour son peuple, de même également la
scène qui se déroule au pied de la Croix s'étend au-delà du moment de la
mort de Jésus. Non seulement Israël, mais aussi l'Église,
nous aussi, nous
répondons à l'amour prévenant de Dieu en ne cessant de lui offrir du
vinaigre - d'un cœur aigre qui ne veut pas percevoir l'amour de Dieu. « J'ai
soif» : ce cri de Jésus est lancé à chacun de nous.
***
Il est difficile de ne pas rapprocher ce passage de l'homélie de S.S. le
pape Benoit XVI, prononcé lors de la messe d’ouverture du synode sr
l'Eucharistie le 02 10
2005 : Dans
son homélie aux évêques, le pape Benoît XVI avait eu des paroles très dures sur l'hypocrisie;
Le pape avait entre autres exprimé: "Bannir Dieu de la vie n’est pas
tolérance, mais hypocrisie". Benoît XVI évoquait le "vin" de la présence
aimante de Dieu, payé du prix de la mort de son fils, et laissé à l’humanité
comme un don "indestructible", et à travers lui,
dans "l’Eucharistie",
plutôt que dans "le vinaigre" de l’autosuffisance, du conflit, de l’indifférence,
de qui est tenté de réduire Dieu à une "simple expression dévote". Lire la suite
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 10.02.2023
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