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Benoît XVI souhaite le retour du chant grégorien
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Samedi 9 décembre 2006 -
(E.S.M.) - "Un renouveau authentique de la musique sacrée
ne peut que suivre le chemin de la grande tradition du passé, celle
du chant grégorien et de la polyphonie sacrée ", voilà ce qu’a
affirmé Benoît XVI
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Maître Domenico Bartolucci
Benoît XVI souhaite le retour du chant grégorien
Une interview exclusive de maître Domenico Bartolucci
Qui a étranglé le chant grégorien et la polyphonie classique - Et pourquoi.
Et comment faire pour les faire revenir à la vie. Benoît XVI ? « Un Napoléon
sans généraux ».
Le vaticanologue Sandro Magister sur son site http://www.chiesa.espressonline.it/
nous présente l'interview de Domenico Bartolucci, maître de chapelle émérite
de la Sixtine. Evincé de son poste il a fait un retour triomphal sous
l'impulsion de Benoît XVI en juin dernier en donnant un concert dans la
fameuse chapelle. Loin d'être uniquement un geste de Benoît XVI pour
récompenser un artiste talentueux, cet évènement est le symbole du début
d'un renouveau de la musique sacrée traditionnelle de l'Eglise : le chant
grégorien et la polyphonie palestrinienne.
Voici la traduction de cet
excellent article.
Dans la même veine, on pourra se référer avec profit au discours de Mgr
Valentino Miserachs Grau, directeur de l'Institut Pontifical de Musique
Sacrée, qui est un véritable appel au retour du chant grégorien dans
l'Eglise, ici.
Une interview exclusive de maître Domenico Bartolucci.
Qui a étranglé le chant grégorien et la polyphonie classique - Et pourquoi.
Et comment faire pour les faire revenir à la vie. Benoît XVI ? « Un Napoléon
sans généraux ».
Par Sandro Magister.
Le concert dirigé en juin 2006 à la chapelle Sixtine
par maître Domenico Bartolucci, en l’honneur de Benoît XVI et en sa
présence, a certainement marqué un tournant dans la polémique concernant le
rôle que la musique a et aura dans la liturgie catholique. Mais pour
l’instant, ce tournant reste symbolique. La nouvelle direction a été
indiquée avec autorité : « Un renouveau authentique de la musique sacrée ne
peut que suivre le chemin de la grande tradition du passé, celle du chant
grégorien et de la polyphonie sacrée », voilà ce qu’a affirmé Benoît XVI.
Que le pape soit un grand amateur de liturgie et donc de musique sacrée est
connu de tous, a rappelé Bartolucci lors de la salutation qu’il a adressée
en introduction de son concert. Mais le but paraît encore éloigné.
Bartolucci, dans les années 1990 fut un témoin en première ligne des
infortunes qui se sont abattues sur la musique sacrée lors des 50 dernières
années. En tant qu’interprète de talent du chant grégorien et de la
polyphonie de Giovanni Pierluigi da Palestrina, il a été en même temps le
témoin de leur annihilation presque totale. Au moment où la curie de
Jean-Paul II avait planifié et obtenir la démission de Bartolucci en tant
que directeur du chœur papal à la Chapelle Sixtine, seul Joseph Ratzinger,
alors cardinal, était de son côté. Dorénavant, avec l’élection de Joseph
Ratzinger comme pape, il y a une réelle possibilité de voir se renverser
cette tendance dramatique, et que le chant grégorien et la polyphonie soient
remis à leur place centrale dans l’Eglise.
Mais ni Benoît XVI ni Bartolucci ne sont naïfs au point de ne pas
s’apercevoir de la difficulté extrême de ce projet. Pour l’Eglise, afin de
tirer davantage de son trésor de la grande musique sacrée, il y a en fait un
besoin pour un gigantesque effort de rééducation liturgique avant même
d’aborder la question musicale. C’est bien ce que Bartolucci rend évident
dans son interview de l’Espresso n° 29 (2006), reproduit entièrement ci
dessous :Voici ce qu’il y dit, parmi d’autres choses : « Je suis un
optimiste par nature, mais je juge la situation actuelle de façon réaliste,
et je considère qu’un Napoléon sans généraux ne peut pas faire grand chose.»
Que Benoît XVI soit, dans ce domaine, « un Napoléon sans généraux » s’est vu
par exemple, lors de la veillée et de la messe qu’il a présidé et célébré à
Valence les 8 et 9 juillet derniers, organisés par le conseil pontifical
pour la Famille et la la Conférence épiscopale espagnole. La veillée a
servilement suivi les canons des shows télévisés, avec des présentateurs,
des invités, des humoristes des chanteurs et des danseurs. Et les chants de
la messe ont reproduit le style « populaire » qui a envahi les célébrations
durant le pontificat de Jean-Paul II. Un style décrit comme a-cérémoniel et
évalué par Bartolucci dans l’interview qui suit.
Voici donc l’interview in extenso, menée et transcrite par l’expert en
musique classique de l’hebdomadaire « l’Espresso », Riccardo Lenzi :
Quand le chantre était quelque chose d’un prêtre.
Une interview de Domenico Bartolucci
Q. Maître Bartolucci, pas moins de 6 papes ont assisté à vos concerts. Chez
lequel d’entre eux avez-vous constaté la plus grande expertise musicale ?
R. Chez le dernier d’entre eux, Benoît XVI. Il joue du piano, il a une
compréhension profonde de Mozart, il aime la liturgie de l’Eglise, et donc
il accorde une grande importance à la musique. Pie XII était lui aussi un
grand amateur de musique, et il jouait souvent du violon. La Chapelle
Sixtine doit beaucoup à Jean XXIII. En 1959 il m’a donné la permission de
restaurer la Sixtine qui malheureusement était en bien mauvais état, en
partie à cause de la maladie de son directeur précédent, Lorenzo Perosi. Le
chœur n’avait même plus de membres stables, d’archives musicales, ou même de
bureau. Un bureau fut donc obtenu, les falsettos furent démissionnés, la
composition du chœur et la rémunération de ses membres fut fixée, et
finalement, il fut possible de former le choeur d’enfants. Puis arriva Paul
VI, mais il était sourd, et je ne sais pas quelle appréciation il avait de
la musique.
Q : Perosi fut il vraiement le restaurateur de l’oratorio italien ?
R. Perosi était un musicien authentique, un homme profondément consumé par
la musique. Il a eu la chance de diriger la Sixtine à l’époque du motu
proprio sur la musique sacrée, qui avait pour objectif de purifier cette
dernière des oripeaux de théâtre dont elle était alors imbue. Il aurait pu
donner une nouvelle impulsion à la musique de l’Eglise, mais
malheureusement, il n’avait pas une compréhension adéquate de la polyphonie
palestrinienne et des traditions de la Sixtine. Il confia même la direction
du chant grégorien à son adjoint ! Ses compositions liturgiques furent
fréquemment influencées par un style Cécilien trop superficiel, loin de la
fusion parfaite entre texte et musique.
Q. Perosi imitait Puccini…
R. Mais Puccini était quelqu’un d’intelligent. Et ses fugues sont bien
supérieures à celles de Perosi.
Q. Perosi fut il dans un certain sens le commenceur de la vulgarisation
actuelle de la musique sacrée ?
R. Pas exactement. Aujourd’hui, la mode dans les églises, c’est les chansons
inspirées par la musique pop et les grattements de guitare, mais la faute en
revient aux pseudo intellectuels qui ont mis en œuvre la déliquescence de la
liturgie, et donc de la musique, en jetant par dessus bord et en méprisant
l’héritage du passé avec l’idée qu’il savaient mieux que les gens ce qu’il
leur fallait. Si l’art musical ne revient pas à son niveau de grandeur, au
lieu de rester au niveau d’une adaptation ou d’un sous produit, cela n’a
aucun sens de demander quel est la fonction de la musique dans l’Eglise. Je
suis contre les guitares, mais je suis aussi contre la superficialité du
mouvement cécilien en musique, c’est plus ou moins la même chose. Notre
slogan doit être celui ci : revenons au chant grégorien et à la polyphonie
dans la tradition de Palestrina, et continuons dans cette voie !
Q. Quelles sont les initiatives que Benoît XVI pourrait prendre pour
réaliser son plan dans un monde de discothèques et de iPods ?
R. Le grand répertoire de la musique sacrée dont nous avons hérité du passé
est fait de Messes, d’offertoires, de répons : auparavant, aucune de ces
choses n’existait dans la liturgie sans musique. Aujourd’hui, il n’y a pas
de place pour ce répertoire dans la nouvelle liturgie, ce qui est lamentable
– et cela ne sert à rien de faire comme si cela ne l’était pas. C’est comme
si on avait demandé à Michel Ange de peindre le jugement dernier sur un
timbre poste ! Dites-moi, s'il vous plaît, comment vous faites aujourd’hui
pour chanter un Credo, ou même un Gloria… Nous avons d’abord besoin au moins
pour les solennités et les fêtes, d’une liturgie qui donne à la musique sa
véritable place et s’exprime dans la langue universelle de l’Eglise, le
latin. A la Sixtine, après la réforme liturgique, j’ai réussi à maintenir le
répertoire traditionnel de la Chapelle seulement lors de concerts. Imaginez
: la Missa Papa Marcelli de Palestrina n’a pas été chantée à Saint Pierre
depuis Jean XXIII ! On nous a aimablement permis de l’exécuter lors de la
commémoration de Palestrina, mais ils ne voulaient pas du Credo, mais je
n’ai pas cédé et noua avons pu exécuter toute l’œuvre.
Q. Pensez-vous que l’assemblée des fidèles devrait participer en chantant le
grégorien lors des célébrations liturgiques ?
R. Il faut faire des distinctions, pour l’exécution du chant grégorien : une
partie du répertoire, comme les Introïts ou les offertoires, demandent un
très bon niveau et ne peuvent être interprétés réellement que par des réels
artistes. Il y a une autre partie du répertoire qui peut être interprété par
le peuple. Je pense à la « Messe des anges », la musique de procession, les
hymnes. C’était très impressionnant d’entendre une assemblée chanter un Te
Deum, un Magnificat, les litanies, une musique que les gens s’était
appropriés, mais aujourd’hui, il ne reste que peu de choses de tout cela. Et
bien pire, le chant grégorien a été tordu par les théories rythmiques et
esthétiques des Bénédictins de Solesmes. Le chant grégorien est né à une
époque de violences, et il devrait être viril et fort, et pas amolli et
rendu confortable comme de nos jours.
Q. Pensez-vous que les traditions du passé sont en train de disparaître ?
R. Cela paraît évident : s’il n’y a pas de continuité qui leur permettent de
rester en vie, elles sont destinées à l’oubli, et la liturgie actuelle ne
permet certainement pas de les favoriser. Je suis un optimiste de nature,
mais je juge la situation actuelle avec réalisme, et je pense qu’un Napoléon
sans généraux ne peut pas faire grand chose. Aujourd’hui, le slogan, c’est
allez vers les gens, regardez les dans les yeux, mais ce ne sont rien
d’autre que des parole vaines ! En faisant ça, on ne fait que se célébrer
soi même et le mystère et la beauté de Dieu nous sont cachés. En réalité,
nous assistons au déclin de l’Occident. Un évêque africain m’a dit u jour :
« Nous espérons que le Concile ne sortira pas le latin de la liturgie, ou
alors mon pays qui est une tour de Babel de dialecte implosera. »
Q. Est-ce que Jean-Paul II sur ces questions a avancé ?
R. Malgré de nombreux appels, la crise liturgique s’est enracinée plus
profondément pendant son pontificat. Quelquefois, ce furent les célébrations
papales elles mêmes qui contribuèrent à cette nouvelle tendance avec des
danses et des tambours. Une fois je suis parti, en annonçant « rappelez moi
lorsque le show sera terminé ». Vous comprenez bien que si ces exemples
viennent de Saint Pierre, les appels et les plaintes ne servent à rien. J’ai
toujours désapprouvé ces choses. Et même si ils m’ont viré, essentiellement
parce que j’ai dépassé 80 ans, je ne regrette rien.
Q. Qu’est ce que cela vous a fait de chanter à nouveau dans la Chapelle
Sixtine ?
R. L’endroit et le chœur forment une unité, exactement comme la musique et
la liturgie forment une unité. La musique n’était pas un ornement, elle
permettait au texte liturgique de prendre vie, et le chantre était quelque
chose d’un prêtre.
Q. Mais est-ce possible, aujourd’hui, de composer en style grégorien ?
R. Pour une chose, nous aurions besoin de retrouver cet esprit de solidité.
Mais l’Eglise a fait l’inverse, en favorisant des mélodies simplistes,
inspirées de musique pop, qui sont faciles à l’oreille. Elle croyait
contenter les gens, et c’est la voie qu’elle a prise. Mais ce n’est pas de
l’art. Le grand art, c’est la densité.
Q. Vous ne dites pas qu’aucun compositeur aujourd’hui ne serait capable de
faire revivre une telle tradition ?
R. Ce n’est pas une question de capacité. L’atmosphère n’est tout simplement
pas présente. La faute n’en revient pas aux musiciens mais à ce qu’on leur
demande.Q. Et pourtant les moines de Santo Domingo de Silos ont vendu des
millions de CD de Chant grégorien. Il y a aussi la Troisième Symphonie d’Henryk
Gorecki avec ses références médiévales.
R. C’est un phénomène consumériste, qui n’a que peu d’intérêt pour moi.
Q. Mais il y a des compositeurs de référence qui ont mis la foi au centre,
comme Pärt ou Penderecki...R. Ils n’ont aucun sens de la liturgie. Mozart
lui aussi était grand, mais j’ai du mal à imaginer sa musique dans une
cathédrale. Alors que le chant grégorien et Palestrina s’intègrent sans
couture dans la liturgie.
Q. En effet aucune lettre de Mozart ne correspond à des sentiments
religieux. Pourtant le « Et Incarnatus Est » de sa messe en Do mineur, cette
phrase de Soprano avec les instruments à vent nous explique parfaitement le
mystère de l’incarnation.
R. N’oubliez pas que le père de Mozart était maître de chapelle. Et donc,
même sans le vouloir, il respirait profondément l’air de l’Eglise. Il y a
toujours quelque chose de très concret, spécialement dans l’enfance d’un
homme, qui explique une telle profondeur spirituelle. Pensez à Verdi, qui
comme enfant, eut un prêtre comme premier professeur, et qui jouait de
l’orgue à la messe.
Q. Vous sentez-vous un peu seul, sans héritiers ?
R. Il n’y a plus personne. Je crois que je suis le dernier maître de
chapelle.
Q. Mais à Leipzig, à l’Eglise Saint-Thomas, c’est le seizième Kantor depuis
Bach.
R. En Allemagne, en région protestante, les enfants du compositeur des
Concerti brandebourgeois conservent jalousement leur identité. Verdi disait
justement que les Allemands sont les enfants légitimes de Bach, tandis que
les Italiens sont la descendance dégénérée de Palestrina.
Q. En parlant de Verdi, la grande musique sacrée n’est pas toujours
compatible avec la liturgie.
R. C’est certain. Le Requiem de Verdi ne peut pas être considéré comme une
Messe utilisable pour la liturgie, mais pensez à la puissance d’où est
sortie le sens du texte. Beethoven, lui aussi : écoutez l’ouverture du
Credo. C’est entièrement différent du mouvement cécilien. Ce sont les chef
d’œuvres de ma musique sacrée qui ont leur place dans les concerts.(…)
Q. D’après Ratzinger, il y a la musique comme phénomène de masse, musique
pop, dont la valeur est mesurée par des critères commerciaux. Et il y a la
musique culturelle, cérébrale, qui est destinée à une petite élite.
R. C’est la musique des modernes, depuis Schönberg, mais la musique sacrée
doit suivre l’esprit du chant grégorien et respecter la liturgie. Le
chantre, dans l’église, n’est pas là en tant qu’artiste, mais comme un
prédicateur, ou comme quelqu’un qui prêche en chantant.
Q. Est ce que vous enviez les Eglises orientales ou pas du tout ?
R. ils n’ont rien changé du tout, et ils ont bien fait. L’Eglise catholique
a renoncé à elle même et à son maquillage, un peu comme ses femmes qui ont
recours à la chirurgie plastique : elles deviennent méconnaissables, et
quelquefois, il y a des conséquences graves.
Q. Est-ce votre père qui vous a amené à la musique ?
R. Il était ouvrier à la fabrique de briques de Borgo San Lorenzo, dans la
province de Florence. Il aimait chanter à l’église. Il aimait la romanze de
Verdi et de Donizetti. Mais à cette époque, tout le monde chantait : les
vignerons en habillant les vignes, les cordonniers en travaillant sur une
semelle. Il y avait des ensembles sur la piazza, pendant les vacances, les
chefs d’orchestre venaient de Florence, et le théâtre avaient deux saisons
d’opéra par an. Tout ça, c’est fini.
Q. En Italie, les autorités ont supprimé les financements pour les
orchestres et les théâtres.
R. Ils ont eu bien raison. Ces organisations avaient trop de personnel qui
étaient des poids morts. Regardez par exemple les bureaux administratifs. Au
début, il n’y avait que quatre ou cinq personnes, maintenant il y en a vingt
ou vingt-cinq.
Q. En quoi Palestrina, Lasso, ou victoria peuvent ils être considérés comme
pertinents ?R. Par leur densité musicale. Palestrina est le père fondateur ;
il est le premier à avoir compris ce que signifie faire de la musique ; il a
eu l’intuition de la nécessité de la composition en contrepoint liée au
texte, loin de la complexité et des règles de la composition flamande.
Q. Pour le philosophe Schopenhauer, la musique est le sommet de tous les
arts, l’objectivisation immédiate de la volonté. Pour les Catholiques, elle
peut être définie comme l’expression directe de Dieu, comme la Parole ?
R. La musique c’est l’Art avec un grand A. La sculpture a le marbre, et
l’architecture un édifice. Vous ne voyez la musique qu’avec les yeux de
l’esprit, elle entre au dedans de vous. Et l’Eglise a le mérite de l’avoir
cultivée dans les manécanteries, de lui avoir donné sa grammaire et sa
syntaxe. La musique, c’est l’âme du mot qui devient art. Elle vous dispose
entièrement à découvrir et à accueillir la beauté de Dieu. Pour cette
raison, maintenant plus que jamais, l’Eglise doit apprendre à la retrouver.
Repères:
Benoît XVI invite à conserver avec soin l’héritage de la musique sacrée
Paroles au terme du concert de la Fondation "Domenico Bartolucci"
Sources: Schola st Maur -
E.S.M.
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 09.12.2006 - BENOÎT XVI |