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Benoît XVI : Le Dieu de la foi et le Dieu
des philosophes
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Le 08 mai 2023 -
E.S.M.
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La religion antique a d'ailleurs été ruinée à cause de cet
abîme entre le Dieu de la foi et le Dieu des philosophes, à cause de
la totale disjonction entre la raison et la piété. Parce que l'on
n'avait pas réussi à unir les deux, mais séparé toujours davantage
la raison et la piété, le Dieu de la foi et le Dieu des philosophes,
la ruine de la religion antique était devenue inévitable.
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Benoît XVI : Le Dieu de la foi et le Dieu des philosophes
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I.
L'OPTION DE L'ÉGLISE PRIMITIVE POUR LA PHILOSOPHIE
Le choix dont témoigne l'image biblique de Dieu a dû être
répété aux origines du christianisme et de l'Église ; au fond, il doit être
renouvelé dans chaque situation spirituelle ; il demeure toujours à la fois
une exigence et un don. La prédication et la foi chrétiennes primitives se
retrouvaient dans un monde saturé de dieux, affrontées à nouveau au problème
qui s'était posé à Israël à ses débuts, et dans ses luttes avec les grandes
puissances pendant et après l'exil. Il s'agissait à nouveau de définir le
Dieu confessé par la foi chrétienne. Le choix du christianisme, il est vrai,
pouvait se rattacher à la longue lutte qui l'avait précédé, notamment à la
dernière phase dont témoigne le Deutéro-Isaïe et la littérature
sapientielle; il pouvait profiter du progrès réalisé par la traduction
grecque de l'Ancien Testament, et finalement des écrits du Nouveau
Testament, spécialement de l'Évangile de Jean. A la suite de cette longue
histoire, la chrétienté primitive a opéré son choix et son travail de
purification de façon décidée et audacieuse, en se prononçant
pour le Dieu des philosophes
contre les dieux des religions.
Aux païens qui demandaient : « A qui correspond le Dieu des chrétiens ? à
Zeus peut-être, ou à Hermès ou à Dionysos ou à quel autre ? » le chrétien
répondait : « A aucun de tous ceux-là ! A aucun de ces dieux que vous priez.
Notre Dieu est précisément celui que vous n'invoquez
pas, l'Être Suprême dont parlent vos philosophes. » L'Église
primitive a catégoriquement repoussé toutes les religions antiques, les
considérant toutes comme imposture et fantasmagorie. « Le Dieu que nous
vénérons, disait-elle, c'est l'Être même que les philosophes ont reconnu
comme le principe de tout être, comme le Dieu supérieur à toutes les
puissances ; c'est Lui seul notre Dieu.
» Un tel choix et une telle option représentent un processus qui n'est ni
moins providentiel ni moins décisif pour l'avenir que ne l'a été le choix de
«.El » et de « jah » contre Moloch et Baal, et
l'évolution ultérieure des deux, devenus « Elohim » et « Yahvé », vers
l'idée d'être. Le choix ainsi opéré signifiait l'option pour le logos
contre toute espèce de mythos, la démythologisation définitive du
monde et de la religion. Ce choix pour le logos contre le mythos
a-t-il été la bonne voie ? Pour répondre, nous devons
retenir tout ce que nous avons dit jusqu'à présent sur l'évolution interne
de la pensée biblique au sujet de Dieu. Les derniers pas avaient, en fait,
déjà orienté en ce sens, dans le monde hellénistique, la pensée chrétienne.
Il faut noter aussi que le monde antique lui-même connaissait parfaitement
le dilemme entre le Dieu de la foi et le Dieu des philosophes. Entre les
dieux mythiques des religions et la connaissance philosophique de Dieu
s'était développée au cours de l'histoire une tension toujours accrue,
manifestée dans la critique des mythes par les philosophes, de Xénophane à
Platon. Ce dernier tenta même de supprimer le mythe homérique
classique pour le remplacer par un mythe nouveau, conforme au logos.
La recherche actuelle découvre de plus en plus l'existence d'un étonnant
parallélisme réel et temporel, entre la critique philosophique des mythes en
Grèce et la critique prophétique des dieux en Israël. Les deux, il est vrai,
partent de présupposés totalement différents et poursuivent des buts
divergents. Mais le mouvement opposant le logos au mythos, tel
qu'il s'est produit dans l'esprit grec au temps du rationalisme
philosophique, pour aboutir finalement à la chute des dieux, présente un
étroit parallélisme avec le mouvement entrepris par les prophètes et la
littérature sapientielle pour démythologiser les puissances divines en
faveur du Dieu unique. Les deux mouvements, malgré toutes les divergences,
coïncident dans une même tendance vers le logos. Le
rationalisme
philosophique et la contemplation « physique » de l'être ont évincé de plus
en plus l'apparence mythique, sans supprimer toutefois la forme religieuse
du culte des dieux. La religion antique a d'ailleurs
été ruinée à cause de cet abîme entre le Dieu de la foi et le Dieu des
philosophes, à cause de la totale disjonction entre la raison et la piété.
Parce que l'on n'avait pas réussi à unir les deux, mais séparé toujours
davantage la raison et la piété, le Dieu de la foi et le Dieu des
philosophes, la ruine de la religion antique était devenue inévitable.
La religion chrétienne devrait s'attendre à un sort identique, si elle se
laissait entraîner à une semblable coupure par rapport à la raison et à un
repli pareil dans le religieux pur. C'est l'attitude que prône
Schleiermacher ; et nous la trouvons aussi en un certain sens, assez
paradoxalement, chez Karl Barth, le grand critique et adversaire de
Schleiermacher.
La destinée opposée du mythe et
de l'Évangile dans le monde antique, la fin du mythe et la victoire de
l'Évangile sont à expliquer essentiellement, au point de vue de l'histoire
de la pensée, à partir du rapport antinomique établi dans les deux cas entre
religion et philosophie, entre foi et raison. Le paradoxe de la
philosophie antique consiste, sous le rapport de l'histoire des religions,
dans le fait d'avoir détruit le culte au niveau de la pensée, et essayé en
même temps de le légitimer au niveau de la religion ; en d'autres termes :
elle n'était pas révolutionnaire en matière de religion mais tout au plus
réformiste ; pour elle, la religion était une question de règle de vie et
non une question de vérité. Paul, à la suite de la littérature sapientielle,
a décrit très exactement ce processus, avec le langage de la prédication
prophétique et des discours de sagesse de l'Ancien Testament, dans la lettre
aux Romains (1, 18-31). Déjà le livre de la Sagesse (Sg 13-15)
évoque ce destin fatal de la religion antique, ainsi que le paradoxe
inhérent à la dissociation entre la vérité et la
piété. Les idées largement développées là, Paul les résume en
quelques versets, où il décrit le sort de la religion antique dans ce cadre
de la séparation du logos et du mythos : « car ce qu'on peut
connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu en effet le leur a
manifesté... mais bien qu'ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un
Dieu ni gloire ni actions de grâces...
ils ont changé la gloire de Dieu incorruptible contre une représentation,
simple image d'hommes corruptibles, d'oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles »
(Rm 1, 19-23).
La religion ne suit pas le chemin du logos, elle reste
attaché au mythos, dont pourtant elle a perçu la vacuité. A partir de
ce moment-là, sa chute devient inévitable. En se coupant de la vérité la
religion finit par n'être plus considérée que comme une simple institutio
vitæ,
comme un simple cadre de vie, un certain style de vie. A l'encontre
de cette situation, la position chrétienne a été vigoureusement décrite par
Tertullien dans cette expression superbe et audacieuse : «
Le Christ s'est désigné comme la Vérité et non pas
comme la Coutume 15.
» C'est là, à mon sens, une très grande affirmation de la théologie des
Pères. La lutte de l'Église primitive et la tâche permanente qui incombe à
la foi chrétienne, si elle veut rester elle-même, s'y trouvent résumées avec
une densité extraordinaire. A l'idolâtrie de la consuetudo romana,
des traditions de la ville de Rome qui avait fait de ses coutumes la norme
ultime de la conduite, s'oppose le droit exclusif de la vérité.
Le christianisme s'est rangé de façon décisive du côté
de celle-ci, et par le fait même il s'est détourné d'une conception de la
religion réduite à n'être qu'un système de cérémonies, susceptible à la
rigueur de recevoir un certain sens au prix d'un effort d'interprétation.
Ajoutons encore une remarque pour préciser ce qui précède.
L'antiquité était arrivée à concilier rationnellement le dilemme de sa
religion, de sa coupure d'avec la vérité reconnue par la philosophie, grâce
à l'idée d'une triple théologie : physique, politique et mythique. Elle
avait justifié la disjonction entre le mythos et le logos par
la considération de la sensibilité populaire et du bien de l'État, la
théologie mythique s'accordant avec une théologie politique. Autrement dit,
elle avait opposé vérité et coutume, utilité et vérité. Les défenseurs de la
philosophie néo-platonicienne ont fait un pas de plus. Ils donnaient du
mythe une interprétation ontologique, en l'expliquant comme une théologie
symbolique et en essayant de l'utiliser, au moyen d'une exégèse, comme voie
d'accès à la vérité. Or ce qui ne peut survivre que grâce à une
interprétation, en fait, a déjà cessé de vivre. Naturellement, l'esprit
humain se porte vers la vérité elle-même et non pas vers ce qui, par les
détours d'une méthode d'interprétation, est présenté comme étant compatible
avec la vérité, mais il n'a plus aucune espèce de vérité.
Il est frappant de voir à quel point
ces deux procédés sont d'actualité. A un moment où la vérité du fait
chrétien semble se dissoudre et disparaître, on voit se dessiner à nouveau,
dans la lutte du christianisme pour son existence, les deux méthodes
précisément par lesquelles le polythéisme antique, sans y réussir, a essayé
de faire face à son agonie. D'une part, on abandonne la sphère de la
vérité rationnelle pour se cantonner dans un domaine de pure religiosité, de
pure foi, de pure révélation. Cet abandon, qu'on le veuille ou non,
ressemble étrangement à celui du logos par la religion antique, à la
fuite devant la vérité vers la simple coutume, devant la physis vers la
politique. D'autre part, précise
Benoît XVI,
il
y a ce que j'appellerais en bref un christianisme d'interprétation. Grâce à
la méthode d'interprétation, on supprime le scandale chrétien, en le
dépouillant de son caractère choquant. Mais, de la sorte, on substitue à sa
réalité une simple phraséologie ; on prend un détour inutile pour dire la
vérité simple, que, par une exégèse compliquée, on donne comme le sens
véritable.
A l'encontre, l'option chrétienne primitive est radicalement
différente. La foi chrétienne - nous l'avons vu - a opté contre les dieux
des religions pour le Dieu des philosophes, c'est-à-dire contre le mythos
de la seule coutume pour la vérité de l'être lui-même. D'où le reproche
d'athéisme adressé aux premiers chrétiens. L'Église primitive, en effet,
refusait tout l'univers de l'antique religio, le déclarant
inacceptable et le rejetant comme de vaines coutumes contraires à la vérité.
Quant au Dieu des philosophes qui avait trouvé grâce, l'antiquité lui
attribuait peu d'importance au point de vue religieux ; on le considérait
comme une réalité académique, étrangère à la religion.
Le laisser subsister, ne reconnaître que lui seul, apparaissait comme
irréligion, négation de la religion et athéisme. Le soupçon d'athéisme
contre lequel le christianisme primitif eut à se défendre, met en évidence
son orientation spirituelle, son option contre la religio et la
coutume dépourvue de vérité, pour la seule vérité de l'être.
Note :
15. Dominus noster Christus veritatem se, non consuetudinem
cognominavit : « De virginibus velandis I, 1, » dans» Corpus
chrlstianorum seu nova Patrum collectio (CChr), II, 1209.
A suivre :
Benoît XVI : Transformation du Dieu des Philosophes
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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(E.S.M.) 08.05.2023
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