3e prédication de Carême en présence
du pape Benoît XVI |
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Cité du Vatican, le 08 mars 2008 -
(E.S.M.)
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A 9h vendredi matin, dans la Chapelle « Redemptoris Mater », en présence du
Saint Père Benoît XVI, le Prédicateur de la Maison Pontificale, P. Raniero
Cantalamessa, O.F.M. Cap., a tenu sa troisième Prédication de Carême.
La dernière prédication de Carême aura lieu le vendredi 14 Mars 2008.
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Le père Cantalamessa -
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3e prédication de Carême en présence du pape Benoît XVI
Troisième prédication de Carême
A 9h vendredi matin, dans la Chapelle « Redemptoris Mater », en présence du
Saint Père Benoît XVI, le Prédicateur de la Maison Pontificale, P. Raniero
Cantalamessa, O.F.M. Cap., a tenu sa troisième Prédication de Carême.
Le thème des méditations de Carême est le suivant : « La Parole de Dieu
est vivante et efficace » (Hb, 4, 12).
La dernière prédication de Carême aura lieu le vendredi 14 Mars 2008.
« ACCUEILLEZ LA PAROLE »
La parole de Dieu comme chemin de sanctification personnelle
1. La lectio divina
Dans cette méditation nous allons réfléchir sur la parole de Dieu comme
chemin de sanctification personnelle. Les
Lineamenta
rédigés en préparation au Synode des évêques (octobre 2008) traitent ce
sujet dans un paragraphe du chapitre II consacré à « la parole de Dieu dans
la vie du croyant ».
Il s'agit d'un thème particulièrement cher à la tradition spirituelle de
l'Eglise. « La parole de Dieu - disait saint Ambroise - est la substance
vitale de notre âme ; elle la nourrit, l'entretient et la gouverne ; rien en
dehors de la parole de Dieu, ne peut faire vivre l'âme de l'homme »
(1). « Une si grande force, une si grande
puissance se trouve dans la Parole de Dieu, qu'elle se présente comme le
soutien et la vigueur de l'Eglise, et, pour les fils de l'Eglise, comme la
solidité de la foi, la nourriture de l'âme, la source pure et intarissable
de la vie spirituelle », ajoute la Constitution
Dei Verbum (2).
« Il est nécessaire, en particulier, que l'écoute de la Parole devienne une
rencontre vitale, selon l'antique et toujours actuelle tradition de la
lectio divina permettant de puiser dans le texte biblique la parole vivante
qui interpelle, qui oriente, qui façonne l'existence », écrivait Jean-Paul
II dans la
Novo
Millennio ineunte (3). Le
Saint-Père Benoît XVI s'est également exprimé sur ce thème, à l'occasion du
Congrès international sur l'Ecriture sainte dans la vie de l'Eglise : « La
lecture assidue de l'Ecriture Sainte, accompagnée par la prière réalise le
dialogue intime dans lequel, en lisant, on écoute Dieu qui parle et, en
priant, on Lui répond avec une ouverture du cœur confiante »
(4).
A travers les réflexions qui suivent je m'insère dans cette riche tradition
en partant de ce que l'Ecriture elle-même nous dit sur ce point. Dans la
lettre de saint Jacques nous lisons ce texte sur la parole de Dieu :
Il a voulu nous enfanter par une parole de vérité, pour que nous soyons
comme les prémices de ses créatures. Sachez-le, mes frères bien-aimés : que
chacun soit prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère ; car la
colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu. Rejetez donc toute
malpropreté, tout reste de malice, et recevez avec docilité la Parole qui a
été implantée en vous et qui peut sauver vos âmes. Mettez la Parole en
pratique. Ne soyez pas seulement des auditeurs qui s'abusent eux-mêmes ! Qui
écoute la Parole sans la mettre en pratique ressemble à un homme qui observe
sa physionomie dans un miroir. Il s'observe, part, et oublie comment il
était. Celui, au contraire, qui se penche sur la Loi parfaite de liberté et
s'y tient attaché, non pas en auditeur oublieux, mais pour la mettre
activement en pratique, celui-là trouve son bonheur en la pratiquant.
(Jc 1, 18-25).
2. Accueillir la parole
Du texte de saint Jacques nous tirons un schéma de lectio divina en
trois étapes ou opérations successives : accueillir la parole, méditer la
parole, mettre la parole en pratique.
La première étape est donc l'écoute de la Parole : « Recevez avec docilité
la Parole qui a été implantée en vous ». Cette première étape embrasse
toutes les formes et les moyens avec lesquels le chrétien entre en contact
avec la parole de Dieu : écoute de la parole dans la liturgie, désormais
facilitée par l'utilisation des langues vernaculaires et du sage choix des
textes distribués tout au long de l'année ; puis les écoles bibliques, les
livres et, irremplaçable, la lecture personnelle de la Bible chez soi. Pour
ceux qui sont appelés à enseigner aux autres, à tout cela s'ajoute l'étude
systématique de la Bible : exégèse, critique de texte, théologie biblique,
étude des langues originales.
Au cours de cette phase, il faut éviter deux dangers. Le premier est celui
de s'arrêter à cette première étape et de transformer la lecture personnelle
de la parole de Dieu en une lecture « impersonnelle ». Ce danger est très
réel aujourd'hui, surtout dans les lieux de formation universitaire.
Saint Jacques dit que lire la parole de Dieu équivaut à se regarder dans un
miroir ; mais, observe Kierkegaard, celui qui se limite à étudier les
sources, les variantes, les genres littéraires de la Bible, sans rien faire
d'autre, ressemble à celui qui passe son temps à regarder le miroir, à en
examiner soigneusement la forme, la matière, le style, l'époque, sans jamais
se regarder dans le miroir. Pour lui, le miroir ne joue pas son rôle. La
parole de Dieu a été donnée pour que nous la mettions en pratique et non
pour que nous nous exercions à faire l'exégèse de ses points obscurs. Il y a
une « inflation d'herméneutique » et, ce qui est pire encore, on croit que
la chose la plus sérieuse, concernant la Bible, est l'herméneutique, non la
pratique (5).
L'étude critique de la parole de Dieu est indispensable et l'on n'est jamais
suffisamment reconnaissant à l'égard de ceux qui passent leur vie à aplanir
la route en vue d'une à une compréhension toujours meilleure du texte sacré,
mais le sens des Ecritures ne se limite pas à cela ; c'est nécessaire mais
pas suffisant.
L'autre danger est le fondamentalisme : le fait de prendre tout ce qu'on lit
dans la Bible au pied de la lettre, sans aucune médiation herméneutique. Ce
deuxième danger est beaucoup moins inoffensif qu'il n'en a l'air à première
vue et le débat actuel sur le « créationisme » et l' « évolutionisme » en
est la preuve dramatique.
Ceux qui défendent la lecture littérale de la Genèse (le monde créé il y a
quelques milliers d'années, en six jours, tel qu'il est aujourd'hui) nuisent
énormément à la foi. « Les jeunes qui ont grandi dans des familles et des
Eglises qui insistent sur cette forme de créationisme - a écrit Francis
Collins, scientifique, croyant et directeur du projet qui a conduit à la
découverte du génome humain, découvrent tôt ou tard l'écrasante preuve
scientifique en faveur d'un univers beaucoup plus ancien, et la connexion
entre toutes les créatures vivantes à travers le processus d'évolution et de
sélection naturelle. Ils se retrouvent devant un choix terrible et inutile !
Il ne faut pas s'étonner si beaucoup de ces jeunes tournent le dos à la foi,
en affirmant ne pas pouvoir croire en un Dieu qui leur demande de rejeter ce
que la science leur enseigne avec une telle évidence au sujet de l'univers
naturel » (6).
L'hypercriticisme et le fondamentalisme sont deux excès qui ne sont opposés
qu'en apparence : ils ont en commun le fait de s'arrêter à la lettre, en
négligeant l'Esprit.
3. Contempler la parole
La deuxième étape suggérée par saint Jacques consiste à « se pencher » sur
la parole, à rester longtemps devant le miroir, en résumé, à méditer ou
contempler la parole. Les Pères utilisaient à ce propos l'image de « mâcher
» ou de « ruminer ». « La lecture - écrit Guigues II, le théoricien de la
lectio divina, offre à la bouche une nourriture substantielle, la
méditation la mâche et la broie » (7).
« Quand on rappelle à la mémoire ce que l'on a entendu et qu'on y repense
doucement en son cœur, on devient semblable à celui qui rumine », dit saint
Augustin (8).
L'âme qui se regarde dans le miroir de la parole découvre « comment elle est
», elle apprend à se connaître, elle découvre sa difformité par rapport à
l'image de Dieu et à l'image du Christ. « Je ne cherche pas ma gloire »,
disait Jésus (Jn 8, 50) : voilà, le miroir est
devant toi et tu vois immédiatement combien tu es loin de Jésus ; « Heureux
ceux qui ont une âme de pauvre » : le miroir est à nouveau devant toi et tu
te découvres encore attaché à beaucoup de choses et rempli de choses
superflues ; « La charité est patiente... » et tu t'aperçois combien tu es
impatient, envieux, intéressé.
Plus que « scruter les Ecritures » (cf. Jn 5, 39),
il s'agit de se laisser scruter par les Ecritures. La parole de Dieu, dit la
lettre aux Hébreux, « pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de
l'esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments
et les pensées du cœur » (He 4, 12-13). La
meilleure prière pour commencer la contemplation de la parole est de répéter
avec le psalmiste :
« Sonde-moi, ô Dieu, connais mon cœur, scrute-moi, connais mon souci ; vois
que mon chemin ne soit fatal, conduis-moi sur le chemin d'éternité » (Ps
139).
Mais dans le miroir de la parole, nous ne voyons pas que nous-mêmes ; nous
voyons le visage de Dieu ; ou plutôt, nous voyons le cœur de Dieu. Les
Ecritures, dit saint Grégoire le Grand, sont « une lettre de Dieu
tout-puissant à sa créature ; on y apprend à connaître le cœur de Dieu à
travers les paroles de Dieu » (9). Le dicton de Jésus « c'est du trop-plein
du cœur que la bouche parle » (Mt 12, 34), vaut
aussi pour Dieu ; Dieu nous a parlé dans les Ecritures de ce qui remplit son
cœur, et ce qui remplit son cœur, c'est l'amour.
La contemplation de la parole nous procure ainsi les deux connaissances les
plus importantes pour avancer sur le chemin de la vraie sagesse : la
connaissance de soi et la connaissance de Dieu. « Que je me connaisse et que
je te connaisse, noverim me, noverim te, disait saint Augustin à Dieu ; que
je me connaisse pour m'humilier et que je te connaisse pour t'aimer ».
La lettre à l'Eglise de Laodicée dans l'Apocalypse est un exemple
extraordinaire de cette double connaissance, de soi et de Dieu, que l'on
obtient de la parole de Dieu. Il est utile de la méditer de temps en temps,
surtout en cette période de carême (cf. Ap 3, 14-20).
Le ressuscité met à nu avant tout la situation réelle du fidèle typique de
cette communauté : « Je connais ta conduite : tu n'es ni froid ni chaud -
que n'es-tu l'un ou l'autre ! - Ainsi, puisque te voilà tiède, ni chaud ni
froid, je vais te vomir de ma bouche ». Le contraste entre ce que ce fidèle
pense de lui-même et ce que Dieu pense de lui est impressionnant : « Tu
t'imagines : me voilà riche, je me suis enrichi et je n'ai besoin de rien ;
mais tu ne le vois donc pas : c'est toi qui es malheureux, pitoyable,
pauvre, aveugle et nu ! »
Une page d'une dureté inhabituelle mais qui est immédiatement transformée
par l'une des descriptions sans aucun doute les plus touchantes de l'amour
de Dieu : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend
ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui
et lui près de moi ». Une image qui révèle sa signification réaliste et pas
seulement métaphorique si elle est lue, comme le suggère le texte, en
pensant au repas eucharistique.
Cette page de l'Apocalypse peut nous servir pour vérifier l'état personnel
de notre âme mais aussi pour mettre à nu la situation spirituelle d'une
grande partie de la société moderne devant Dieu. C'est comme une photo à
rayons infrarouges prise par un satellite artificiel, qui révèlent un
panorama complètement différent du panorama habituel, que l'on observe à la
lumière naturelle.
Notre monde se sent lui aussi fort de ses conquêtes scientifiques et
technologiques (comme les Laodicéens l'étaient de leurs fortunes
commerciales), il est satisfait, riche, n'a besoin de personne, ni même de
Dieu. Il faut que quelqu'un lui fasse connaître le vrai diagnostic de son
état : « mais tu ne le vois donc pas : c'est toi qui es malheureux,
pitoyable, pauvre, aveugle et nu ». Il a besoin que quelqu'un lui crie,
comme fait l'enfant dans la fable de Andersen . « Le roi est nu ! » mais par
amour et avec amour, comme le fait le Ressuscité avec les Laodicéens.
La parole de Dieu assure à toute âme qui le désire, une direction
spirituelle fondamentale et en soi, infaillible. Il y a une direction
spirituelle, en quelque sorte ordinaire et quotidienne qui consiste à
découvrir ce que Dieu veut dans les différentes situations que l'homme
rencontre en général dans sa vie. Cette direction est assurée par la
méditation de la parole de Dieu accompagnée par l'onction intérieure de
l'Esprit qui traduit la parole en bonne « inspiration » et la bonne
inspiration en résolution pratique. C'est ce qu'exprime le verset du psaume
si cher à ceux qui aiment la parole : « Une lampe sur mes pas, ta parole,
une lumière sur ma route (Ps 119, 105).
Un jour, je pêchais une mission en Australie. Le dernier jour, un émigré
italien qui travaillait là-bas vint me trouver. Il me dit : « Mon père, j'ai
un sérieux problème : j'ai un fils de 11 ans qui n'est pas encore baptisé.
Le fait est que ma femme est devenue témoin de Jéhovah et ne veut pas
entendre parler de baptême dans l'Eglise catholique. Si je le baptise, il y
aura une crise, si je ne le baptise pas, je ne me sens pas tranquille parce
que lorsque nous nous sommes mariés nous étions tous deux catholiques et
nous avons promis d'éduquer nos enfants dans la foi. Que dois-je faire ? »
Je lui répondis : « Laisse-moi réfléchir cette nuit, reviens demain matin et
nous verrons ce qu'il faut faire ». Le lendemain, le même homme vint à ma
rencontre, visiblement rasséréné et me dit : « Mon père, j'ai trouvé la
solution. Quand je suis rentré à la maison hier soir, j'ai prié un peu, puis
j'ai ouvert la Bible, au hasard. Je suis tombé sur le passage où Abraham
conduit son fils Isaac pour être immolé et j'ai vu que lorsque Abraham
conduit son fils Isaac pour l'immolation, il ne dit rien à sa femme ».
C'était un discernement parfait sur le plan de l'exégèse. Je baptisai
moi-même l'enfant et ce fut un moment de grande joie pour tous.
Ouvrir la Bible au hasard est une chose délicate qu'il faut pratiquer avec
discernement, dans un climat de foi et pas avant d'avoir longuement prié. On
ne peut toutefois ignorer qu'à ces conditions, cette pratique a souvent
porté des fruits extraordinaires et qu'elle a également été adoptée par les
saints. A propos de saint François d'Assise on peut lire, dans les écrits
originaux, qu'il découvrit le style de vie auquel Dieu l'appelait, en
ouvrant trois fois au hasard « après avoir prié avec ferveur », le livre des
évangiles « disposés à mettre en pratique le premier conseil qui leur serait
offert » (10). Saint Augustin
interpréta la parole « Tolle lege », prends et lis, qu'il entendit d'une
maison voisine, comme un ordre divin d'ouvrir le livre des lettres de saint
Paul et de lire le premier verset qui lui serait tombé sous les yeux
(11).
Il y a des âmes qui sont devenues saintes avec la parole de Dieu pour seul
directeur spirituel. « Dans l'Evangile, a écrit sainte Thérèse de Lisieux,
je trouve tout ce qui est nécessaire à ma pauvre petite âme. J'y découvre
toujours de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux... Je
comprends et je sais par expérience ‘Que le royaume de Dieu est au-dedans de
nous' (Lc 17,21) Jésus n'a point besoin de
livres ni de docteurs pour instruire les âmes ; Lui, le Docteur des
docteurs, il enseigne sans bruit de paroles... »
(12). C'est à travers la parole de Dieu, en lisant l'un après
l'autre les chapitres 12 et 13 de la première lettre aux Corinthiens que la
sainte découvrit sa vocation profonde et s'exclama, jubilante, que dans le
corps mystique du Christ elle serait l'amour.
La Bible nous offre une image plastique qui résume tout ce que nous avons
dit sur la méditation de la parole : celle du livre mangé qu'on lit dans
Ezéchiel : « Je regardai, et voici qu'une main était tendue vers moi, tenant
un volume roulé. Il le déploya devant moi : il était écrit au recto et au
verso ; il y était écrit : ‘Lamentations, gémissements et plaintes'. Il me
dit : ‘Fils d'homme, ce qui t'est présenté, mange-le ; mange ce volume et va
parler à la maison d'Israël'. J'ouvris la bouche et il me fit manger ce
volume, puis il me dit : ‘Fils d'homme, nourris-toi et rassasie-toi de ce
volume que je te donne'. Je le mangeai et, dans ma bouche, il fut doux comme
du miel » (Ez 2, 9-3, 3 ; cf. également Ap 12, 10).
Il y a une différence énorme entre le livre simplement lu ou étudié et le
livre avalé. Dans le deuxième cas, la parole devient vraiment, comme le
disait saint Ambroise, « la substance de notre âme », ce qui façonne les
pensées, modèle le langage, détermine les actions, crée l'homme « spirituel
». La parole avalée est une parole « assimilée » par l'homme, même s'il
s'agit d'une assimilation passive (comme dans le cas de l'Eucharistie),
c'est-à-dire d'« être assimilé » par la parole, dominé et vaincu par la
parole, qui est le principe vital plus fort.
Dans la contemplation de la parole nous avons un modèle très doux, Marie ;
elle conservait avec soin toutes ces choses (littéralement, ces paroles),
les méditant en son cœur (Lc 2, 19). En elle,
la métaphore du livre avalé est devenue une réalité également physique. La
parole lui a littéralement « rempli les entrailles ».
4. Faire la parole
Nous arrivons ainsi à la troisième phase du chemin proposé par l'apôtre
Jacques, celle sur laquelle l'apôtre insiste le plus : « Mettez la Parole en
pratique... Qui écoute la Parole sans la mettre en pratique... Celui, au
contraire, qui... [la met] activement en pratique, celui-là trouve son
bonheur en la pratiquant ». C'est aussi ce qui tient le plus à cœur à Jésus
: « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la
mettent en pratique » (Lc 8, 21). Sans ce «
faire la parole », tout reste une illusion, une construction sur le sable.
On ne peut même pas dire avoir compris la parole car, comme écrit saint
Grégoire le Grand, on ne comprend vraiment la parole que lorsqu'on commence
à la mettre en pratique (13).
Cette troisième étape consiste, concrètement, à obéir à la parole. Traduit
littéralement, le terme grec utilisé dans le Nouveau Testament pour désigner
l'obéissance (hypakouein), signifie « donner écoute », dans le sens
d'exécuter ce que l'on a écouté. « Mon peuple n'a pas écouté ma voix, Israël
ne s'est pas rendu à moi », déplore Dieu dans la Bible (Ps
81, 12).
Lorsqu'on se met à chercher, dans le Nouveau Testament, en quoi consiste le
devoir de l'obéissance, on fait une découverte surprenante : l'obéissance
est presque toujours vue comme une obéissance à la parole de Dieu. Saint
Paul parle d'obéissance à l'enseignement (Rm 6, 17),
d'obéissance à l'Evangile (Rm 10, 16 ; 2 Tess 1, 8),
d'obéissance à la vérité (Ga 5, 7),
d'obéissance au Christ (2 Co 10, 5). Nous
trouvons également ce même langage ailleurs : les Actes des apôtres parlent
d'obéissance à la foi
(Ac 6, 7), la première lettre de Pierre parle
d'obéissance au Christ (1 P 1, 2)
et d'obéissance à la vérité (1 P 1, 22).
L'obéissance de Jésus lui-même s'exerce surtout à travers l'obéissance aux
paroles écrites. Dans l'épisode des tentations dans le désert, l'obéissance
de Jésus consiste à rappeler les paroles de Dieu et à y rester fidèle : « Il
est écrit ! » Son obéissance s'exerce, en particulier, sur les paroles qui
sont écrites à son sujet et pour lui « dans la loi, les prophètes et les
psaumes » et que lui, en tant qu'homme, découvre à mesure qu'il avance dans
la compréhension et l'accomplissement de sa mission. Lorsqu'on essaie de
s'opposer à son arrestation, Jésus dit : « Comment alors s'accompliraient
les Ecritures d'après lesquelles il doit en être ainsi ? »
(Mt 26, 54). La vie de Jésus est comme guidée par
une traînée lumineuse que les autres ne voient pas et qui est formée par les
paroles écrites pour lui ; il déduit des Ecritures le « il faut » (dei) qui
régit toute sa vie.
Sous l'action présente de l'Esprit, les paroles de Dieu deviennent
l'expression de la volonté vivante de Dieu pour nous, à un moment donné. Un
petit exemple nous aidera à comprendre. Je m'aperçus un jour que, dans la
communauté, quelqu'un avait pris par erreur un objet que j'utilisais. Je
m'apprêtais à le faire remarquer et à demander qu'il me soit rendu, quand je
tombai par hasard (mais peut-être n'était-ce pas vraiment par hasard) sur la
parole de Jésus qui dit : « A quiconque te demande, donne, et à qui t'enlève
ton bien ne le réclame pas » (Lc 6, 30). Je
compris que cette parole ne s'appliquait pas de manière universelle et dans
tous les cas, mais qu'elle s'appliquait certainement à moi à ce moment-là.
Il s'agissait d'obéir à la parole.
L'obéissance à la parole de Dieu est une obéissance que nous pouvons
toujours mettre en pratique. On n'obéit que de temps en temps, trois ou
quatre fois en tout dans la vie, à des ordres et des autorités visibles,
s'il s'agit d'une obéissance sérieuse ; mais on peut être amené à obéir à la
parole de Dieu à tout moment. C'est aussi une obéissance que nous pouvons
tous pratiquer, les supérieurs comme ceux qui en dépendent, le clergé comme
les laïcs. Les laïcs n'ont pas, dans l'Eglise, un supérieur à qui obéir - au
moins pas au sens où l'ont les religieux et les membres du clergé - mais ils
ont en revanche un « Seigneur » à qui obéir » ! Ils ont sa parole !
Concluons notre méditation en faisant nôtre la prière que saint Augustin
élevait à Dieu dans ses Confessions, pour obtenir la compréhension de la
parole de Dieu :
« Que vos Ecritures soient mes chastes délices. Que je n'y trouve ni à
m'égarer, ni à égarer les autres...voyez mon âme, entendez ses cris du fond
de l'abîme... Faites-moi largesse de temps pour méditer les secrets de votre
loi; ne la fermez pas à ceux qui frappent... Oh! votre parole est ma joie;
votre voix m'est plus douce que le charme des voluptés. Donnez-moi ce que
j'aime... ne dédaignez pas votre pauvre plante que la soif dévore...Je
frappe à la porte de vos paroles saintes, et que la grâce m'ouvre leur
sanctuaire... Je vous en conjure par Notre Seigneur Jésus Christ, votre
Fils... en qui sont cachés tous les trésors de ‘la sagesse et de la science'
(Co 2, 3). C'est lui que je cherche dans vos
livres saints »
(14).
NOTES
(1) Saint Ambroise, Exp. Ps. 118, 7,7 (PL 15, 1350).
(2)
Dei Verbum, 21.
(3) Jean-Paul II,
Novo
Millennio ineunte, 39
(4) Discours de Benoît XVI, 16 septembre 2005
(5) S. Kierkegaard, Per l'esame di se stessi. La Lettera di Giacomo, 1,22,
in Opere, a cura di C. Fabro, Firenze 1972, pp. 909 ss.
(6) F. Collins, The language of God, Free Press 2006, pp. 177 s.
(7) Guigo II, Lettera sulla vita contemplativa (Scala claustralium), 3, in
Un itinerario di contemplazione. Antologia di autori certosini, Edizioni
Paoline, 1986, p.22.
(8) S. Agostino, Enarr. in Ps. 46, 1 (CCL 38, 529).
(9) S. Gregorio Magno, Registr. Epist. IV, 31 (PL 77, 706).
(10) Celano, Vita Seconda, X, 15
(11) S. Agostino, Confessioni, 8, 12.
(12) Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, Manuscrits (A Folio 83 Verso).
(13) S. Gregorio Magno, Su Ezechiele, I, 10, 31 (CCL 142, p. 159).
(14) Saint Augustin, Confessions XI, 2, 3-4.
Traduit de l'italien par Gisèle Plantec
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1e prédication de Carême -
Jésus commença à prêcher
►
2e prédication de
Carême -
Parler « comme les paroles de Dieu »
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Table Carême
Sources :
http://www.cantalamessa.org/fr/prediche.php/ZF08030701
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 08.03.2008 -
T/Carême |