Benoît XVI assiste à la deuxième
prédication de Carême |
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Cité du Vatican, le 01 mars 2008 -
(E.S.M.) - Comme le pape Benoît
XVI rappelait la nécessité du jeûne des paroles lors de sa rencontre de
Carême avec le clergé de Rome, le Prédicateur de la Maison Pontificale,
le P. Raniero Cantalamessa en a fait le thème de sa deuxième prédication
de Carême.
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Le P. Raniero
Cantalamessa, O.F.M. Cap.
Le pape Benoît XVI assiste à la deuxième prédication de Carême
Deuxième prédication de Carême prêchée par le P. Raniero Cantalamessa, O.F.M.
Cap.
A 9h vendredi matin, dans la Chapelle « Redemptoris Mater », en présence du
Saint Père Benoît XVI, le Prédicateur de la Maison Pontificale, le P.
Raniero Cantalamessa, O.F.M. Cap., a prêché la seconde prédication de
Carême.
Le thème de la méditation de Carême est le suivant : «
La Parole de Dieu
est vivante et efficace » (hébreux, 4, 12).
Les deux prédications de Carême suivantes auront lieu les vendredi 7 Mars et
14 Mars 2008.
Le Père Cantalamessa et l'humanité « malade de vacarme » : «
Trop de
bavardage cache Dieu »
Dans une humanité "malade de vacarme'', un ''jeûne des mots'' est
nécessaire et l'Église doit aussi éviter le ''bavardage profane'' qui n'a
pas de rapport avec sa mission, ''paroles inutiles'' qui finissent seulement
par remplir les journaux. Le père Raniero Cantalamessa,
prédicateur de la Maison Pontificale l'a affirmé dans sa méditation proposée
en
présence du Pape Benoît XVI. Pour le religieux, il est important en particulier
d'éviter
le risque d'instrumentaliser l'Évangile pour satisfaire celui qui écoute et
dont ''la détermination de conduire les auditeurs au point où il est
possible de leur dire : « Convertissez-vous et croyez ! ».
Selon le père Cantalamessa, ''il est bien alors de proclamer tout à fait la
Parole de Dieu pour qu'elle ne soit pas instrumentalisée à des fins
partisanes et, donc, trahie. Il vaut mieux, en d'autres termes, renoncer à
faire une annonce véritable, en se limitant, tout au plus, à écouter, à
chercher à comprendre et prendre part aux anxiétés et aux souffrances
des personnes, en prêchant plutôt par la présence et par la charité l'Évangile
du Royaume''. ''La parole inutile, dont les hommes devront rendre compte
le jour du jugement, n'est pas - a scandé le prédicateur - toute et
n'importe quelle parole inutile ; c'est la parole inutile, vide, prononcée
par celui qui
devrait par contre prononcer les paroles « énergiques de Dieu ». C'est, en
somme, la parole du faux prophète, qui ne reçoit pas la Parole de Dieu et
toutefois incite les autres à croire qu'il s'agit de la Parole de Dieu ''.
Comme le pape Benoît XVI l'a rappelé en s'adressant au
clergé de Rome, "la nécessité de ce jeûne de paroles, et je crois que,
comme d'habitude, son invitation était adressée à l'Eglise avant d'être
adressée au monde".
Pour le père Cantalamessa, parler ''comme avec les paroles de Dieu ne veut
pas dire répéter matériellement et seulement les paroles prononcées par le
Christ et Dieu dans l'Écriture. Cela veut dire que l'inspiration de base, la
pensée qui « façonne » et soutient tout le reste doit venir de Dieu, pas de
l'homme. L'annonciateur doit être « empreint de Dieu » et parler comme en sa
présence''. Enfin, le prédicateur Pontifical a invité les prêtres, évêques
et cardinaux de la Curie Romaine à prier toujours avant de se consacrer à la
rédaction d'une Homélie, parce que "c'est seulement de cette façon que,
parmi les nombreuses paroles, on peut toucher le cœur et mener plus
d'un auditeur au
confessionnal''
Texte intégral de la prédication
Traduit de l'italien par Gisèle Plantec : ZF08022903
Deuxième prédication de carême
« DE TOUTE PAROLE INUTILE... »
Parler « comme les paroles de Dieu »
1. Du Jésus qui prêche au Christ prêché
Dans la deuxième lettre aux Corinthiens - qui est, par excellence, la lettre
consacrée au ministère de la prédication - saint Paul écrit ces paroles
programmatiques : « Car ce n'est pas nous que nous prêchons, mais le Christ
Jésus, Seigneur ! » (2 Co 4, 5). A ces mêmes fidèles de Corinthe, dans une
lettre précédente, il avait écrit : « Nous proclamons, nous, un Christ
crucifié » (1 Co 1, 23). Lorsque l'Apôtre veut résumer l'ensemble du contenu
de la prédication chrétienne par une seule parole, cette parole est toujours
la personne de Jésus Christ !
Dans ces affirmations Jésus n'est plus vu - comme c'était le cas dans les
Evangiles - en tant qu'annonciateur, mais en tant qu'annoncé. Parallèlement,
nous voyons que l'expression « Evangile de Jésus » acquiert une
signification nouvelle, sans toutefois perdre l'ancienne ; on passe du sens
de « bonne nouvelle apportée par Jésus » (Jésus sujet !), au sens de «
bonne
nouvelle sur Jésus, ou concernant Jésus » (Jésus objet !).
C'est le sens du mot « Evangile » dans le début solennel de la lettre aux
Romains : « Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation, mis à part
pour annoncer l'Evangile de Dieu, que d'avance il avait promis par ses
prophètes dans les saintes Ecritures, concernant son Fils, issu de la lignée
de David selon la chair, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'Esprit
de sainteté, par sa résurrection des morts, Jésus Christ notre Seigneur »
(Rm
1, 1-3).
Dans cette méditation nous nous concentrons sur « la parole de Dieu dans la
mission de l'Eglise ». C'est le thème auquel est consacré le chapitre trois
des
Lineamenta du Synode des évêques, qui en souligne les différents aspects
et domaines de mise en pratique, selon le schéma suivant :
La mission de l'Eglise c'est proclamer le Christ, la Parole de Dieu faite
chair
La parole de Dieu doit être à la disposition de tous en tout temps
La parole de Dieu, grâce de communion entre les chrétiens
La parole de Dieu, lumière pour le dialogue interreligieux :
a. avec le peuple juif
b. avec les peuples d'autres religions
La parole de Dieu ferment des cultures modernes
La parole de Dieu et l'histoire des hommes
Je me limite à traiter un point particulier et très limité qui a cependant,
à mon sens, une influence sur la qualité et l'efficacité de l'annonce de
l'Eglise dans toutes ses expressions.
2. Paroles « inutiles » et paroles « efficaces »
Dans l'Evangile de Matthieu, dans le cadre du discours sur les paroles qui
révèlent le cœur, est rapportée une parole de Jésus qui a fait trembler les
lecteurs de l'Evangile de tous les temps : « Or je vous le dis : de toute
parole sans fondement que les hommes auront proférée, ils rendront compte au
Jour du Jugement » (Mt 12, 36) [ndlr : Le P. Cantalamessa utilisera de
préférence la traduction « inutile » au lieu de « sans fondement » qui est
celle donnée par la Bible de Jérusalem].
Il a toujours été difficile d'expliquer ce qu'entendait Jésus par « parole
inutile ». Un certain éclaircissement nous vient d'un autre passage de
l'évangile de Matthieu (7, 15-20), où revient le thème de l'arbre qui se
reconnaît à ses fruits et où tout le discours semble adressé aux faux
prophètes : « Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés
en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces. C'est à leurs fruits que
vous les reconnaîtrez... ».
Si cette phrase de Jésus a un lien avec ses paroles sur les faux prophètes,
nous pouvons alors peut-être découvrir ce que signifie le mot « inutile ».
Le terme original traduit par « inutile » est argòn, qui signifie « sans
effet » (a privatif plus ergos, œuvre). Certaines traductions modernes, dont
la traduction italienne de la Conférence des évêques italiens, rendent le
terme par « infondée », donc avec une valeur passive : une parole qui n'a
pas de fondement : donc, une calomnie. C'est une manière d'essayer de donner
un sens plus rassurant à la menace de Jésus. Il n'y a rien de
particulièrement inquiétant, en effet, si Jésus dit qu'il faut rendre compte
à Dieu de toute calomnie !
Mais argòn a plutôt un sens actif et signifie : parole qui ne fonde rien,
qui ne produit rien : donc vide, stérile, sans efficacité (1). En ce sens,
l'ancienne traduction de la Vulgate, verbum otiosum, parole « futile,
inutile », était plus juste et c'est du reste, celle qui a été adoptée
aujourd'hui également dans la plupart des traductions.
Il n'est pas difficile de deviner ce que Jésus veut dire, si nous comparons
cet adjectif avec celui qui, dans la Bible, caractérise constamment la
parole de Dieu : l'adjectif energes, efficace, qui agit, qui est toujours
suivi d'un effet (ergos) (l'adjectif duquel dérive le mot « énergique »).
Saint Paul, par exemple, écrit aux Thessaloniciens qu'ayant reçu la parole
de Dieu de la prédication de l'Apôtre, ils l'ont accueillie non pas comme
une parole d'hommes mais, comme ce qu'elle est réellement, c'est-à-dire
comme « parole de Dieu » qui agit (energeitai) en ceux qui croient
(cf. 1 Ts
2, 13). L'opposition entre parole de Dieu et parole des hommes est présentée
ici, de manière implicite, comme l'opposition entre la parole « qui agit »
et la parole « qui n'agit pas », entre la parole efficace et la parole
inefficace et vaine.
Nous trouvons également ce concept de l'efficacité de la parole divine dans
la lettre aux Hébreux : « Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace
(energes)... » (He 4, 12). Mais il s'agit d'un concept très ancien ; dans
Isaïe, Dieu déclare que la parole sortie de sa bouche ne revient jamais vers
lui « sans effet », sans avoir « accompli » ce pour quoi elle a été envoyée
(cf. Is 55, 11).
La parole inutile dont les hommes devront rendre compte le jour du jugement
n'est donc pas toute et n'importe quelle parole inutile ; c'est la parole
inutile, vide, prononcée par celui qui devrait en revanche prononcer les
paroles « énergiques » de Dieu. C'est, en somme, la parole du faux prophète,
qui ne reçoit pas la parole de Dieu mais qui incite les autres à croire
qu'il s'agit de la parole de Dieu. Il se passe exactement le contraire de ce
que disait saint Paul : ayant reçu une parole humaine, on la prend non pour
ce qu'elle est mais pour ce qu'elle n'est pas, c'est-à-dire pour une parole
divine. L'homme devra rendre compte de toute parole inutile sur Dieu ! Voilà
donc le sens du grave avertissement de Jésus.
La parole inutile est la contrefaçon de la parole de Dieu, elle est le
parasite de la parole de Dieu. Elle se reconnaît au fait qu'elle ne produit
pas de fruits car, par définition, elle est stérile, inefficace (dans le
bien). Dieu « veille sur sa parole » (cf. Jr 1, 12), il est jaloux de sa
parole et ne peut permettre que l'homme s'approprie du pouvoir divin qu'elle
renferme.
Le prophète Jérémie nous permet d'entendre, comme à travers un
amplificateur, l'avertissement qui se cache sous cette parole de Jésus. Il
apparaît désormais clairement que c'est bien des faux prophètes dont il
s'agit : « Ainsi parle Yahvé Sabaot : N'écoutez pas les paroles de ces
prophètes qui vous prophétisent ; ils vous dupent, ils débitent les visions
de leur cœur, rien qui vienne de la bouche de Yahvé... Le prophète qui a eu
un songe, qu'il raconte un songe ! Et celui qui tient de moi une parole,
qu'il délivre fidèlement ma parole ! Qu'ont de commun la paille et le
froment ? - oracle de Yahvé - Ma parole n'est-elle pas comme un feu ? -
oracle de Yahvé - N'est-elle pas comme un marteau qui fracasse le roc ?
Aussi vais-je m'en prendre aux prophètes - oracle de Yahvé - qui se dérobent
mutuellement mes paroles. Je vais m'en prendre aux prophètes - oracle de
Yahvé » - (Jr 23, 16.28-31).
3. Qui sont les faux prophètes
Mais nous ne sommes pas là pour disserter sur les faux prophètes dans la
Bible. Comme toujours, c'est de nous que l'on parle dans la Bible et c'est à
nous que l'on parle. Cette parole de Jésus ne juge pas le monde, mais
l'Eglise ; le monde ne sera pas jugé sur ses paroles inutiles (toutes ses
paroles, au sens décrit ci-dessus, sont des paroles inutiles !), mais il
sera jugé, éventuellement, pour ne pas avoir cru en Jésus (cf. Jn 16, 9).
Les hommes qui devront rendre compte de toute parole inutile sont les hommes
d'Eglise ; ce sont nous les prédicateurs de la parole de Dieu.
Les « faux prophètes » ne sont pas seulement ceux qui, de temps en temps,
répandent des hérésies ; ce sont aussi ceux qui « falsifient » la parole de
Dieu. C'est Paul qui utilise ce terme, pris dans le langage courant ;
littéralement, il signifie diluer la Parole, comme le font les aubergistes
malhonnêtes quand ils allongent leur vin avec de l'eau (cf. 2 Co 2, 17 ; 4,
2). Les faux prophètes sont ceux qui ne présentent pas la parole de Dieu
dans sa pureté mais la diluent et la noient dans mille paroles humaines qui
sortent de leur cœur.
Le faux prophète c'est moi également, chaque fois que je ne fais pas
confiance à la « faiblesse », le caractère irrationnel, la pauvreté, la
nudité de la parole, et que je cherche à la revêtir, estimant plus
l'ornement que la parole et passant plus de temps devant l'ornement
qu'autour de la parole, en prière, en adoration et en commençant à la
laisser vivre en moi.
A Cana de Galilée, Jésus transforma l'eau en vin, c'est-à-dire la lettre
morte en Esprit qui vivifie (c'est ainsi que les Pères l'interprètent) ; les
faux prophètes sont ceux qui font tout le contraire, c'est-à-dire qui
transforment le vin pur de la parole de Dieu en eau qui ne provoque aucune
ébriété, en lettre morte, en bavardages inutiles. Au fond, ils ont honte de
l'Evangile (cf. Rm 1, 16) et des paroles de Jésus, car celles-ci sont trop «
dures » pour le monde, ou trop pauvres et nues pour les savants, et alors
ils essaient de les « assaisonner » avec ce que Jérémie appelait « les
visions de leur cœur ».
Saint Paul écrivait à son disciple Timothée : « Efforce-toi de te présenter
à Dieu comme... un fidèle dispensateur de la parole de vérité. Quant aux
discours creux et impies, évite-les. Leurs auteurs feront toujours plus de
progrès dans la voie de l'impiété » (2 Tm 2, 15-16). Les discours impies
sont ceux qui n'ont pas de rapport avec le dessein de Dieu, qui n'ont rien à
voir avec la mission de l'Eglise. Trop de paroles humaines, trop de paroles
inutiles, trop de discours, trop de documents. Dans l'ère de la
communication de masse, l'Eglise risque elle aussi de s'enfoncer dans la «
paille » des paroles inutiles, prononcées pour le simple fait de parler,
écrites parce qu'il y a des revues et des journaux à remplir.
Nous offrons ainsi au monde un excellent prétexte pour demeurer
tranquillement dans son incroyance et dans son péché. S'il écoutait la
parole de Dieu authentique, ce ne serait pas aussi facile pour l'incrédule
de s'en sortir en disant (comme il le fait souvent après avoir entendu nos
prédications) : « Des mots, des mots, des mots ! ». Saint Paul désigne les
paroles de Dieu comme « les armes de notre combat » et dit qu'elles « ont,
au service de Dieu, la puissance de renverser les forteresses. Nous
renversons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la
connaissance de Dieu, et nous faisons toute pensée captive pour l'amener à
obéir au Christ » (2 Co 10, 3-5).
L'humanité est malade de vacarme, disait le philosophe Kierkegaard ; il faut
« proclamer un jeûne », mais un jeûne de paroles ; il faut que quelqu'un
crie, comme le fit un jour Moïse : « Fais silence et écoute, Israël »
(Dt
27, 9). Le Saint-Père nous a rappelé la nécessité de ce jeûne de paroles
lors de sa rencontre de carême avec le
clergé de Rome, et je crois que,
comme d'habitude, son invitation était adressée à l'Eglise avant d'être
adressée au monde.
4. Jésus n'est pas venu nous dire des choses sans importance
Ces paroles de Péguy m'ont toujours impressionné :
Jésus-Christ, mon enfant,
- c'est l'Eglise qui s'adresse à ses enfants -
n'est pas venu pour nous dire des fariboles.
Tu comprends, il n'a pas fait le voyage de venir sur terre...
Pour nous conter des amusettes
Et des blagues...
On n'a pas le temps de s'amuser...
Il n'a pas fait toute cette dépense
Pour venir nous donner
Des devinettes (2)
Le souci de distinguer la parole de Dieu de toute autre parole est tel que,
en envoyant ses apôtres en mission, Jésus leur commande de ne saluer
personne en chemin (cf. Lc 10, 4). J'ai appris à mes dépens que ce
commandement doit parfois être pris à la lettre. S'arrêter pour saluer les
gens et échanger des civilités alors que l'on s'apprête à prêcher, fait
inévitablement perdre la concentration sur la parole à annoncer, et fait
perdre le sens de son altérité par rapport à tout type de discours humain.
C'est la même exigence que l'on ressent (ou que l'on devrait ressentir)
lorsqu'on s'habille pour célébrer la messe.
L'exigence est encore plus forte lorsqu'il s'agit du contenu même de la
prédication. Dans l'Evangile de Marc, Jésus cite la parole d'Isaïe : « Vain
est le culte qu'ils me rendent, les doctrines qu'ils enseignent ne sont que
préceptes humains » (Is 29, 13) ; puis il ajoute, s'adressant aux pharisiens
et aux scribes : « Vous mettez de côté le commandement de Dieu pour vous
attacher à la tradition des hommes...Vous annulez bel et bien le
commandement de Dieu pour observer votre tradition » (Mc 7, 7-13).
Quand on n'arrive pas à proposer la parole de Dieu simple et nue, sans la
faire passer à travers le filtre d'une multitude de distinctions et
précisions, ajouts et explications, en soi également justes mais qui tuent
la parole de Dieu, on fait exactement ce que Jésus reprocha, ce jour-là aux
pharisiens et aux scribes : on « annule » la parole de Dieu ; on la « trahit
», lui faisant perdre une grande partie de sa force de pénétration dans le
cœur des hommes.
La parole de Dieu ne peut pas être utilisée pour faire des discours de
circonstance ou pour recouvrir d'autorité divine des discours tout faits et
entièrement humains. Nous avons vu, à une époque récente, où conduit cette
tendance. L'Evangile a été instrumentalisé pour soutenir toutes sortes de
projets humains : de la lutte des classes à la mort de Dieu.
Quand la prédétermination d'un auditoire par des conditionnements
psychologiques, syndicaux, politiques ou passionnels, est telle, qu'il est
impossible, dès le départ, de ne pas dire ce qu'il attend et de ne pas lui
donner raison sur tout ; quand il n'y a aucun espoir de pouvoir conduire les
auditeurs au point où il est possible de leur dire : « Convertissez-vous et
croyez ! », il est bon alors de ne pas proclamer du tout la parole de Dieu
afin que celle-ci ne soit pas instrumentalisée à des fins partisanes et donc
trahie. Il vaut mieux, en d'autres termes, renoncer à faire une annonce
proprement dite, et se limiter, tout au plus, à écouter, à essayer de
comprendre et à prendre part aux angoisses et aux souffrances des personnes,
en prêchant plutôt l'Evangile du royaume par sa présence et la charité. Dans
l'Evangile, Jésus est très attentif à ne pas se faire instrumentaliser à des
fins politiques et partisanes.
La réalité de l'expérience et donc, la parole humaine, n'est bien sûr pas
exclue de la prédication de l'Eglise, mais elle doit être soumise à la
parole de Dieu, au service de cette parole. De même que, dans l'Eucharistie,
c'est le corps du Christ qui assimile celui qui le mange, et non l'inverse,
dans l'annonce, c'est la parole de Dieu, qui est le principe vital le plus
fort, qui doit soumettre et assimiler la parole humaine, et non l'inverse.
Il faut par conséquent avoir le courage, lorsqu'on traite des problèmes
doctrinaux et disciplinaires de l'Eglise, de partir plus souvent de la
parole de Dieu, spécialement de celle du Nouveau Testament, et de rester
ensuite liés à cette parole, engagés par celle-ci, certains que de cette
manière on est beaucoup plus sûr d'atteindre l'objectif qui est de
découvrir, dans chaque question, quelle est la volonté de Dieu.
On ressent le même besoin dans les communautés religieuses qui risquent,
dans la formation donnée aux jeunes et aux novices, dans les exercices
spirituels et tout le reste de la vie de la communauté, de consacrer plus de
temps aux écrits de leur fondateur (souvent au contenu très pauvre) qu'à la
parole de Dieu.
5. Parler comme les paroles de Dieu
Je me rends compte que ce que je dis peut susciter une grave objection.
Alors la prédication de l'Eglise devra se réduire à une séquence (ou un
bombardement) de citations bibliques, avec une quantité de référence de
chapitres et de versets, à la manière des Témoins de Jéhovah et autres
groupes fondamentalistes ? Certes non. Nous sommes héritiers d'une tradition
différente. Voici ce que j'entends par rester liés à la parole de Dieu.
Toujours dans la deuxième lettre aux Corinthiens, saint Paul écrit : « Nous
ne sommes pas, en effet, comme la plupart, qui frelatent (littéralement :
diluent, falsifient !) la parole de Dieu ; non, c'est en toute pureté, c'est
en envoyés de Dieu que, devant Dieu, nous parlons dans le Christ »
(2 Co 2,
17) et saint Pierre, dans la première lettre, exhorte les chrétiens en
disant : « Si quelqu'un parle, que ce soit comme les paroles de Dieu » (1 P
4, 11). Que veut dire « parler en Jésus Christ », ou parler «
comme les
paroles de Dieu » ? Cela ne veut certes pas dire, répéter matériellement et
uniquement les paroles prononcées par le Christ et par Dieu dans l'Ecriture.
Cela veut dire que l'inspiration de base, la pensée qui « façonne » et
soutient tout le reste doit venir de Dieu, et non de l'homme. L'annonciateur
doit être « mu par Dieu » et parler comme en sa présence.
Il y a deux manières de préparer une prédication ou toute annonce de foi
orale ou écrite. Je peux d'abord m'asseoir à mon bureau et choisir moi-même
la parole à annoncer et le thème à développer, en me basant sur mes
connaissances, mes préférences, etc. puis, une fois le discours préparé, me
mettre à genou pour demander instamment à Dieu de bénir ce que j'ai écrit et
rendre mes paroles efficaces. C'est déjà une bonne chose mais ce n'est pas
la voie prophétique. Il faut plutôt faire le contraire. D'abord se mettre à
genou et demander à Dieu quelle est la parole qu'il veut dire ; ensuite,
s'asseoir à son bureau et utiliser ses connaissances pour donner du corps à
cette parole. Cela change tout car de cette manière, ce n'est pas Dieu qui
doit faire sienne ma parole mais c'est moi qui fait mienne sa parole.
Il faut partir de la certitude de foi que, en toute circonstance, le
Seigneur ressuscité a dans le cœur une parole qu'il souhaite transmettre à
son peuple. C'est celle qui change les choses et c'est celle qu'il faut
découvrir. Et il ne manque pas de la révéler à son ministre, si celui-ci la
lui demande humblement et avec insistance. Au début il s'agit d'un mouvement
presque imperceptible du cœur : une petite lumière qui s'allume dans
l'esprit, une parole de la Bible qui commence à attirer notre attention et
qui éclaire une situation.
C'est véritablement « la plus petite de toutes les graines » mais ensuite,
on se rend compte qu'à l'intérieur, il y avait tout ; il y avait un coup de
tonnerre capable de foudroyer les cèdres du Liban. Ensuite, on se met à son
bureau, on ouvre ses livres, on consulte ses notes, les Pères de l'Eglise,
les maîtres, les poètes.... Mais désormais, c'est tout autre chose. Ce n'est
plus la parole de Dieu au service de notre culture, mais notre culture au
service de la parole de Dieu.
Origène décrit bien le processus qui conduit à cette découverte. Avant de
trouver dans l'Ecriture la nourriture - disait-il - il faut supporter une
certaine « pauvreté des sens ; l'âme est entourée de ténèbres de toutes
parts, elle se heurte à des chemins sans issue. Jusqu'à ce que,
soudainement, après avoir recherché de manière laborieuse et prié, résonne
la voix du Verbe, et immédiatement, quelque chose s'illumine ; celui qu'elle
cherchait vient à sa rencontre ‘sautant sur les montagnes, bondissant sur
les collines' (cf. Ct 2, 8), c'est-à-dire en lui ouvrant l'esprit pour
recevoir sa parole forte et lumineuse » (3). Une grande joie accompagne ce
moment. Celle-ci faisait dire à Jérémie : « Quand tes paroles se
présentaient, je les dévorais : ta parole était mon ravissement et
l'allégresse de mon cœur » (Jr 15, 16).
En général la réponse de Dieu se présente sous forme d'une parole de
l'Ecriture qui révèle cependant à ce moment, sa pertinence extraordinaire
par rapport à la situation et au problème que l'on doit traiter, comme si
elle avait été écrite précisément pour ce cas. Parfois il n'est même pas
nécessaire de citer de manière explicite telle parole biblique ou de la
commenter. Il suffit que celle-ci soit bien présente dans l'esprit de celui
qui parle et imprègne tout ce qu'il dit. Se faisant, il parle, de fait «
comme les paroles de Dieu ». Cette méthode est toujours valable : pour les
grands documents du magistère comme pour la leçon que le maître tient pour
ses novices, pour la conférence savante comme pour l'humble homélie du
dimanche.
Nous avons tous fait l'expérience de ce que peut faire une seule parole de
Dieu à laquelle on croit profondément et qui est vécue d'abord par celui qui
la prononce, et parfois même à son insu ; souvent, on constate que, parmi
les nombreuses paroles, c'est celle-là qui a touché les cœurs et a conduit
plus d'un auditeur au confessionnal.
Après avoir indiqué les conditions de l'annonce chrétienne (parler du
Christ, avec sincérité, comme mus par Dieu et sous son regard), l'Apôtre se
demandait : « Et de cela qui est capable ? » (2 Co 2, 16). Il est évident
que personne n'en est capable. Nous portons ce trésor dans des vases
d'argile (2 Co 4, 7). Mais nous pouvons prier et dire: Seigneur, aie pitié
de ce pauvre vase d'argile qui doit porter le trésor de ta parole ; garde-nous de prononcer des paroles inutiles quand nous parlons de toi ;
fais-nous expérimenter une fois le goût de ta parole afin que nous sachions
la distinguer de toute autre et afin que toute autre parole nous semble
insipide. Répands, comme tu l'as promis, la faim dans le pays « non pas une
faim de pain, non pas une soif d'eau, mais d'entendre la parole de Yahvé »
(Am 8, 11).
(1) Cf. M. Zerwick, Analysis philologica Novi Testamenti Graeci, Romae
1953, ad loc.
(2) Ch. Péguy, Le porche du mystère de la deuxième vertu, in Œuvres
poétiques complètes, Gallimard 1975, pp. 587 s.
(3) Cf. Origène, In Mt Ser. 38 (GCS, 1933, p. 7); In Cant. 3 (GCS, 1925, p.
202).
1e
prédication de Carême ►
Jésus commença à prêcher
Tous
les textes du temps de Carême
►
Table Carême
Sources: Traduit de l'italien par Gisèle Plantec : ZF08022903
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 01.03.2008 -
T/Carême |