Première prédication de carême, en
présence du pape Benoît XVI |
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Cité du Vatican, le 22 février 2008 -
(E.S.M.) -
Ce matin, dans la chapelle "Redemptoris Mater" au Vatican, le père Raniero
Cantalamessa, OFM Cap., prédicateur de la Maison Pontificale, a prononcé la
première prédication de carême, en présence du Saint-Père Benoît XVI. Le thème des
méditations de cette année est: "La Parole de Dieu est vivante et efficace"
(Hb 4,12).
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Le père Cantalamessa
dans la chapelle Redemptoris Mater
Première prédication de carême, en présence du pape Benoît XVI
"La Parole de Dieu est vivante et efficace"
(Hb 4,12).
Ce matin, dans la chapelle "Redemptoris Mater" au Vatican, le père Raniero
Cantalamessa, OFM Cap., prédicateur de la Maison Pontificale, a prononcé la
première prédication de carême, en présence du Saint-Père Benoît XVI. Le thème des
méditations de cette année est: "La Parole de Dieu est vivante et efficace"
(Hb 4,12).
"En préparation du Synode des évêques sur la Parole de Dieu
(5-26 octobre
2008), et en prenant en compte les "Lineamenta"
(ou première ébauche sur le
thème synodal) - dit un communiqué - une réflexion sera proposée sur l'annonce
de l'Évangile dans la vie du Christ (Jésus "qui prêche") et dans la mission
de l'Église (le Christ "prêché"), sur la Parole de Dieu comme moyen de
sanctification personnelle (lectio divina) et sur la relation entre l'Esprit
et la Parole (lecture spirituelle de la Bible)".
La parole de Dieu dans la vie du Christ
"Jésus commença à prêcher"
En vue du Synode des évêques d'Octobre prochain, j'ai pensé consacrer la
prédication quadrégésimal de cette année au thème de la Parole de Dieu. Nous
méditerons successivement sur l’annonce de l'évangile dans la vie du Christ,
c'est-à-dire sur le Jésus "qui prêche", sur l’annonce dans la mission de
l'Église, c'est-à-dire sur le Christ « prêché », sur la parole de Dieu
comme moyen de sanctification personnelle, de la lectio divina, et
sur le rapport entre l'Esprit et la parole, dans la pratique de la lecture
spirituelle de la Bible.
Nous commençons cette prédication le jour où l'Église célèbre la fête
de la
chaire de Saint Pierre
et ceci n'est pas sans rapport avec notre
thème. Cela nous offre d'abord l’occasion de rendre hommage par notre
affection et notre dévotion envers celui qui est assis aujourd'hui sur la
chaire de Pierre, le Saint Père Benoît XVI. Cela nous rappelle ensuite ce
que l'apôtre Pierre lui-même écrit dans sa Seconde Lettre, c'est-à-dire, «
qu'aucune prophétie de l'Écriture ne peut être un objet d'interprétation
particulière, (2 P 1, 20) et que donc chaque interprétation de la Parole de
Dieu doit être conforme à la tradition vivante de l'Église, dont
l’interprétation authentique est confiée au magistère apostolique et, de
manière particulière, au magistère pétrinien.
Il est beau, dans une circonstance comme celle-ci et dans le contexte du
dialogue œcuménique actuel, de rappeler un texte bien connu de saint Irénée
: comme ce serait trop long d'énumérer la succession de toutes les
Églises, nous prendrons la très grande et ancienne Église, connue de tous, l'Église fondée et
établie à Rome par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul… Chaque
Église doit nécessairement être d’accord avec cette Église, en raison de ses
origines les plus influentes (propter potentiorem principalitatem),
c'est-à-dire les fidèles qui viennent de partout - dans laquelle a toujours
été conservée pour tous les hommes, la Tradition qui vient des apôtres »
[S. Irénée, Adv. Haer. III, 2.]. Avec cet esprit, non sans peur et tremblement, je m'apprête à présenter
mes réflexions sur le thème de la Parole de Dieu, en présence du successeur
de Pierre, l'évêque de l'Église de Rome.
1. La prédication dans la vie de Jésus
Après le récit du baptême de Jésus, l'évangéliste Marc poursuit sa
narration en disant : "Jésus alla dans la Galilée, prêchant l'Évangile de
Dieu et disait : Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est proche ;
convertissez vous et croyez à l'Évangile" (Mc 1, 14 s.).
Matthieu, de son coté, écrit : "alors Jésus commença à prêcher et à dire :
Convertissez vous, car le Royaume des cieux est proche" (Mt
4, 17). Par ces paroles, commence « l’Évangile » , entendu comme
la bonne nouvelle « de » Jésus - c'est-à-dire apportée par Jésus et dont
Jésus est le sujet -, distinguée de la bonne nouvelle « sur » Jésus de la
prédication apostolique suivante, dans laquelle Jésus est l’objet.
Il s'agit d'un évènement qui occupe une place bien précise dans le temps et
dans l'espace : il se produit « en Galilée », « après que Jean fut arrêté ».
Le verbe employé par l’évangéliste « commença à prêcher
» met en relief
qu’il s'agit d'un « début », de quelque chose de nouveau non seulement dans
la vie de Jésus, mais dans l'histoire même du salut. La Lettre aux Hébreux
exprime ainsi la nouveauté : "Après avoir, à maintes reprises et sous
maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours
qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de
toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles."
(He 1.1-2). Un temps particulier de salut
commence, un nouveau kairos, qui s'étend pendant environ deux ans
et demi, (depuis l'automne 27, jusqu'au printemps 30).
Jésus attribuait à son activité une telle importance, à dire d'avoir été
envoyé par le Père et consacré par l'onction de l'Esprit précisément pour
cela, c'est-à-dire pour annoncer aux pauvres la bonne nouvelle
(Lc 4, 18). A une occasion, pendant que certains voulaient le
retenir, il sollicite les apôtres à partir, en leur disant : Allons
ailleurs, dans les bourgades voisines, afin que j'y prêche aussi; car c'est
pour cela que je suis sorti (Mc 1.38).
La prédication fait partie des soi-disant "mystères de la vie du Christ".
Avec le mot "mystère", on entend, dans ce contexte, un évènement de la vie
de Jésus porteur d'un sens salvifique particulier, qui comme tel, est
célébré par l'Église dans sa liturgie (Cf. S. Augustin,
Lettres, 55, 1.2). S'il n'existe pas une fête liturgique spécifique
de la prédication de Jésus, c'est parce qu'elle est rappelée dans chaque
liturgie de l'Église. La "liturgie de la Parole" dans la Messe n'est rien
d'autre que l'actualisation liturgique de Jésus qui prêche. Le texte du
Concile Vatican II dit : "le Christ est présent dans sa Parole, puisqu'il
parle lorsque dans l'Église on lit l'Écriture Sainte" (Sacrosanctum_Concilium
7).
Comme, dans l'histoire, après avoir prêché le Royaume de Dieu, Jésus alla à
Jérusalem pour s'offrir en sacrifice au Père, ainsi, dans la liturgie, après
avoir à nouveau proclamé sa Parole, Il renouvelle l'offre de lui-même au
Père à travers l'action eucharistique. Lorsque, à la fin de la préface, nous
disons : "Bénis soi celui qui vient au nom du Seigneur : Hosanna au plus
haut des cieux", nous nous reportons en pensée à cet instant où Jésus entre
à Jérusalem pour célébrer sa Pâques ; là, le temps de la prédication se
termine et commence le temps de la passion.
La prédication de Jésus est donc un "mystère" parce qu'il ne contient pas
seulement la révélation d'une doctrine, mais explique le mystère même de la
personne du Christ ; c'est essentiel pour comprendre soit ce qui précède -
un mystère de l'incarnation -, soit ce qui suit : le mystère pascal. Sans la
Parole de Jésus, ce seraient des évènements muets. Jean-Paul II a eu
une heureuse intuition d'insérer la prédication du Royaume parmi les
"mystères lumineux" ajoutés par lui aux mystères joyeux, douloureux et
glorieux du Rosaire, à côté du baptême du Christ, des noces de Cana, de la
Transfiguration et l’institution de l’Eucharistie.
2. La prédication du Christ se poursuit dans l'Église
L'auteur de la Lettre aux Hébreux écrivait longtemps après la mort de Jésus,
et donc longtemps après que Jésus ait cessé de parler ; et pourtant il dit
que Dieu nous a parlé par le Fils « en ces jours qui sont les derniers ». Il
considère par conséquent les jours durant lesquels il vit comme faisant
partie des « jours de Jésus ». Par conséquent, un peu plus loin, citant la
parole du psaume : « Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez
pas vos cœurs », il l'applique aux chrétiens en disant : « Prenez garde,
frères, qu'il n'y ait peut-être en quelqu'un d'entre vous un cœur mauvais,
assez incrédule pour se détacher du Dieu vivant. Mais encouragez-vous
mutuellement chaque jour, tant que vaut cet aujourd'hui » (cf. He 3, 7 s.).
Dieu parle donc aujourd'hui aussi dans l'Église et il parle « par le Fils ».
« Dieu - lit-on dans Dei Verbum - qui a parlé jadis, s'entretient sans arrêt
avec l'Epouse de son Fils bien-aimé, et... l'Esprit-Saint, par qui la voix
vivante de l'Evangile retentit dans l'Église et par l'Église dans le monde,
introduit les croyants dans tout ce qui est vérité, et fait résider chez eux
en abondance la parole du Christ » (Dei Verbum,
8).
Mais comment et où pouvons-nous écouter « sa voix » ? La révélation divine
est terminée ; d'une certaine manière, il n'y a plus de paroles de Dieu. Et
voici que nous découvrons une autre affinité entre Parole et Eucharistie.
L'Eucharistie est présente dans toute l'histoire du salut : dans l'Ancien
Testament, comme figure (l'agneau pascal, le sacrifice de Melchisédech, la
manne), dans le Nouveau Testament, comme événement (la mort et la
résurrection du Christ), dans l'Église, comme sacrement (la messe).
Le sacrifice du Christ est terminé ; il s'est conclu sur la croix. Dans un
certain sens, donc, il n'y a plus de sacrifices du Christ ; et pourtant nous
savons qu'il y a encore un sacrifice et c'est l'unique sacrifice de la Croix
qui est présent et qui agit dans le sacrifice eucharistique ; l'événement se
poursuit dans le sacrement, l'histoire dans la liturgie. Une chose analogue
se produit avec la parole du Christ : celle-ci a cessé d'être en tant
qu'événement, mais elle continue d'exister en tant que sacrement.
Dans la Bible, la parole de Dieu (dabar), souvent sous la forme particulière
qu'elle assume chez les prophètes, constitue toujours un événement ; c'est
une parole-événement, c'est-à-dire une parole qui crée une situation, qui
réalise toujours une chose nouvelle dans l'histoire. L'expression récurrente
« la parole de Yahvé fut adressée à... » pourrait être traduite par : « La
parole de Yavhé se concrétisa en la personne de... » (Ezéchiel, Aggée,
Zacharie, etc.).
Ce type de parole-événement se poursuit jusqu'à Jean Baptiste ; dans Luc on
lit en effet : « L'an quinze du principat de Tibère César, ...la parole de
Dieu fut adressée à (factum est verbum Domini super) Jean, fils de Zacharie,
dans le désert » (Lc 3, 1 ss.). Puis cette formule disparaît complètement de
la Bible et elle est remplacée par une autre. Ce n'est plus « Factum est verbum Domini
», mais : « Verbum caro factum est » : le Verbe s'est fait
chair (Jn 1, 14). A présent, l'événement est une personne ! On ne voit nulle
part la phrase : « La parole de Dieu fut adressée à Jésus ! », car il est la
Parole. Aux réalisations provisoires de la parole de Dieu chez les prophètes
succède maintenant la réalisation pleine et définitive.
En nous donnant le Fils - écrit saint Jean de la Croix dans une page célèbre
- Dieu nous a tout dit en une seule fois et il n'a plus rien à révéler.
N'ayant plus rien à dire, Dieu est devenu, d'une certaine manière, muet
(Cf. S. Jean de la Croix, Montée au montCarmel II, 22,
4-5).
Mais il faut bien comprendre : Dieu est devenu muet dans le sens où il ne
dit pas de choses nouvelles par rapport à ce qu'il a dit en Jésus, mais pas
dans le sens qu'il ne parle plus ; il redit sans cesse ce qu'il a dit une
fois en Jésus !
Il n'y a plus de paroles-événement dans l'Église ; la parole de Dieu ne
descendra plus sur une personne comme elle descendit jadis sur Samuel, sur
Jérémie ou sur Jean Baptiste ; mais il y a des paroles-sacrement. Les
paroles-sacrement sont les paroles de Dieu qui « se sont réalisées » une
fois pour toutes et qui ont été consignées dans la Bible, qui redeviennent «
réalité active » chaque fois que l'Église les proclame avec autorité et que
l'Esprit qui les a inspirées les rallume dans le cœur de ceux qui les
écoutent. « ...c'est de mon bien qu'il recevra et il vous le dévoilera »,
dit Jésus de l'esprit Saint (Jn 16, 14).
3. La parole, sacrement que l'on entend
Quand on parle de la Parole en tant que « sacrement », on prend ce terme non
pas au sens technique et strict des « sept sacrements », mais au sens plus
large où l'on parle du Christ comme du « sacrement primordial du Père » et
de l'Église comme du « sacrement universel de salut » (Cf.
Lumen Gentium). En se basant sur
la définition que saint Augustin donne du sacrement : « une parole que l'on
voit » (verbum visibile) (S. Augustin, Traités sur l'évangile
de Jean, 80.3), on a l'habitude de définir, par opposition, la
parole, comme « un sacrement que l'on entend » (sacramentum audibile).
Dans tout sacrement on distingue un signe visible et la réalité invisible
qui est la grâce. La parole que nous lisons dans la Bible n'est, en soi,
qu'un signe matériel (comme l'eau et le pain), un ensemble de syllabes
mortes, tout au plus une parole du vocabulaire humain comme les autres ;
mais grâce à l'intervention de la foi et l'illumination de l'Esprit Saint, à
travers ce signe, nous entrons mystérieusement en contact avec la vérité et
la volonté vivantes de Dieu, et nous écoutons la voix même du Christ.
« Le corps de Jésus Christ, écrit Bossuet, n'est pas plus réellement dans le
sacrement adorable que la vérité de Jésus Christ est dans la prédication
évangélique. Dans le mystère de l'Eucharistie, les espèces que vous voyez
sont des signes, mais ce qui est contenu en elles est le corps même du
Christ ; dans les Saintes Écritures, les paroles que vous écoutez sont des
signes, mais la pensée qu'elles vous transmettent est la vérité même du Fils
de Dieu ».
La sacramentalité de la parole de Dieu se révèle dans le fait que parfois
celle-ci agit manifestement au-delà de la compréhension de la personne, qui
peut être limitée et imparfaite, elle agit presque par elle-même, ex opere
operato, comme on dit en théologie.
Quand le prophète Elisée dit à Naaman le Syrien, qui était venu le voir pour
être guéri de la lèpre, de se laver sept fois dans le Jourdain, celui-ci
répondit, indigné : « Est-ce que les fleuves de Damas, l'Abana et le Parpar,
ne valent pas mieux que toutes les eaux d'Israël ? Ne pourrais-je pas m'y
baigner pour être purifié ? » (2 R 5, 12). Naaman avait raison : les fleuves
de Syrie étaient sans aucun doute meilleurs et plus riches en eau ; et
pourtant, il fut guéri en se baignant dans le Jourdain et sa peau devint
comme celle d'un jeune homme, ce qui ne se serait jamais produit s'il
s'était baigné dans les grands fleuves de son pays.
Ainsi en est-il de la parole de Dieu contenue dans les Écritures. Parmi les
nations, et même dans l'Église, il y a eu et il y aura des livres meilleurs
que certains livres de la Bible, plus raffinés sur le plan littéraire et
plus édifiants sur le plan religieux (il suffit de penser à L'imitation de
Jésus Christ), et pourtant aucun de ces livres n'agit comme agit le plus
modeste des livres inspirés. Dans la parole des Écritures, il y a quelque
chose qui agit au-delà de toute explication humaine ; il existe une
disproportion évidente entre le signe et la réalité qu'il produit, qui fait
précisément penser à la manière d'agir des sacrements.
Les « eaux d'Israël », qui sont les Écritures inspirées par Dieu, continuent
aujourd'hui de guérir de la lèpre du péché. A la fin de la lecture de
l'Evangile, au cours de la messe, l'Église invite le ministre à embrasser le
livre et à dire : « Que cet Évangile efface nos péchés » (per evangelica
dicta deleantur nostra delicta). Les Ecritures elles-mêmes attestent du
pouvoir de guérison de la parole de Dieu : « Et de fait, ce n'est ni herbe
ni émollient qui leur rendit la santé, mais ta parole, Seigneur, elle qui
guérit tout ! » (Sg 16, 12).
L'expérience le confirme. J'ai entendu une personne témoigner lors d'une
émission télévisée à laquelle je participais. C'était un homme souffrant
d'alcoolisme au dernier degré ; il ne pouvait pas rester plus de deux heures
sans boire ; sa famille était au bord du désespoir. Il fut invité, avec sa
femme, à une rencontre sur la parole de Dieu au cours de laquelle on lut un
passage des Écritures. Une phrase le saisit comme du feu et il sentit qu'il
était guéri. Par la suite, chaque fois qu'il était tenté de boire, il
courrait ouvrir la Bible à cet endroit et par le seul fait de relire les
paroles, il sentait la force revenir en lui, jusqu'à ce qu'il fut
complètement guéri. Lorsqu'il voulut dire quelle était cette phrase,
l'émotion lui fit perdre la voix. C'était la parole du Cantique des
Cantiques : « Tes amours sont plus délicieuses que le vin »
(Ct 1, 2). Ces
paroles toutes simples, qui n'avaient apparemment rien à voir avec son cas,
avaient accompli le miracle. On lit un épisode analogue dans « Récits d'un
pèlerin russe ». Mais le cas le plus célèbre est celui d'Augustin. En lisant
les paroles de saint Paul aux Romains 13, 11 ss. « Laissons là les œuvres de
ténèbres... Comme il sied en plein jour, conduisons-nous avec dignité :
...pas de luxure ni de débauche », il sentit « une lumière de sérénité
» lui
envahir le cœur et comprit qu'il était guéri de l'esclavage de la
chair (S. Augustin, Confessions).
4. La liturgie de la parole
Il y a un domaine et un moment dans la vie de l'Église où Jésus parle
aujourd'hui de manière plus solennelle et plus sûre : la liturgie de la
parole au cours de la messe. Dans les premiers temps de l'Église, la
liturgie de la parole était séparée de la liturgie eucharistique. Les
disciples, lit-on dans les Actes des Apôtres, « jour après jour, d'un seul
cœur, fréquentaient assidûment le Temple » où ils écoutaient la lecture de
la Bible, récitaient les psaumes et les prières avec les autres juifs ;
faisaient ce qui se fait lors de la liturgie de la parole ; puis se
réunissaient à part, dans leurs maisons, pour « rompre le pain »,
c'est-à-dire pour célébrer l'Eucharistie (cf. Ac 2, 43).
Très vite cependant, cette pratique devint impossible aussi bien à cause de
l'hostilité de la communauté juive à leur égard, que parce que les Écritures
avaient désormais acquis un sens nouveau, entièrement orienté vers le
Christ. C'est ainsi que l'écoute des Écritures fut également transférée du
temple et de la synagogue aux lieux de culte chrétiens, devenant l'actuelle
liturgie de la parole qui précède la prière eucharistique.
Au IIe siècle, saint Justin fait une description de la célébration
eucharistique dans laquelle sont désormais présents tous les éléments
essentiels de la future messe. Non seulement la liturgie de la parole en est
une partie intégrante mais aux lectures de l'Ancien Testament ont désormais
été ajoutées celles que le saint appelle « les mémoires des apôtres »,
c'est-à-dire les Évangiles et les Lettres, c'est-à-dire le Nouveau
Testament.
Écoutées au cours de la liturgie, les lectures bibliques acquièrent un sens
nouveau et plus fort que lorsqu'elles sont lues dans d'autres contextes.
Elles n'ont pas tant le but de mieux connaître la Bible comme lorsqu'on la
lit à la maison ou dans une école biblique, mais celui de reconnaître celui
qui est présent dans l'action de rompre le pain, et d'éclairer chaque fois
un aspect particulier du mystère qu'ils s'apprêtent à vivre. Cela apparaît
de manière programmatique dans l'épisode des deux disciples d'Emmaüs : c'est
en écoutant l'explication des Écritures que le cœur des disciples commença à
s'ouvrir, si bien qu'ils furent capables de le reconnaître au moment où il
rompait le pain.
Un exemple parmi tant d'autres : les lectures du XXIXe dimanche du temps
ordinaire du cycle B. La première lecture est un passage sur le serviteur
souffrant qui prend sur lui les fautes du peuple (Is 53, 2-11) ; la deuxième
lecture parle du Christ grand prêtre éprouvé en tout comme nous, excepté le
péché ; le passage de l'Évangile parle du Fils de l'homme venu donner sa vie
en rançon pour une multitude. Ensemble, ces trois passages soulignent un
aspect fondamental du mystère que l'on s'apprête à célébrer et à recevoir
dans la liturgie eucharistique.
Au cours de la messe, les paroles et les épisodes de la Bible ne sont pas
seulement racontés, mais revécus ; la mémoire devient réalité et présence.
Ce qui se produisit « alors », se produit « maintenant », « aujourd'hui » (hodie)
comme aime à le dire la liturgie. Nous ne sommes pas seulement des auditeurs
de la parole, mais des interlocuteurs et des acteurs dans cette parole.
C'est à nous, ici présents, que la parole est adressée ; nous sommes appelés
à prendre la place des personnages évoqués.
Ici encore, quelques exemples nous aideront à comprendre. Dans la première
lecture, on lit l'épisode de Dieu qui parle à Moïse depuis le buisson ardent
: au cours de la messe, nous sommes là, devant le vrai buisson ardent. On
lit qu'Isaïe reçoit sur ses lèvres le vrai charbon ardent qui le purifie
pour la mission : nous sommes prêts à recevoir sur nos lèvres la vrai
charbon ardent,, celui qui a apporté le feu sur la terre. Ézéchiel est
invité à manger le rouleau des oracles prophétiques et nous nous apprêtons à
manger celui qui est la parole même faite chair et pain..
Les choses deviennent plus claires encore si nous passons de l'Ancien au
Nouveau Testament, de la première lecture au passage de l'Évangile. La femme
qui souffrait d'hémorragies est certaine d'être guérie si elle réussit à
toucher un pan du manteau de Jésus : que dire de nous qui sommes sur le
point de toucher bien plus que le pan de son manteau ? Un jour j'écoutais
l'épisode de Zachée, dans l'Évangile, et je fus frappé de voir combien il
était « actuel ». J'étais Zachée, c'était moi ; les paroles m'étaient
adressées à moi : « Il me faut aujourd'hui demeurer chez toi » ; c'était de
moi que l'on pouvait dire : « Il est allé loger chez un homme pécheur ! » et
c'était à moi, après l'avoir reçu dans la communion que Jésus disait : «
Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison ».
C'est ce qui se passe pour chaque épisode de l'Évangile. Comment ne pas
s'identifier au cours de la messe, au paralytique auquel Jésus dit : « Mon
enfant, tes péchés sont remis » puis « lève-toi... et va-t'en chez toi
»,
avec Siméon qui serre l'Enfant Jésus dans ses bras, avec Thomas qui touche
ses plaies en tremblant ? Dans la célébration des jours de la semaine,
l'Évangile d'aujourd'hui, vendredi de la deuxième semaine de carême, est la
parabole des vignerons homicides (Mt 21, 33-45) : « Finalement il leur
envoya son fils, en se disant : Ils respecteront mon fils ! » Je me souviens
de l'effet qu'eut cette parole sur moi un jour où je l'écoutais de manière
plutôt distraite. Ce même Fils allait m'être donné dans la communion :
étais-je préparé à le recevoir avec le respect que le Père du ciel attendait
?
Non seulement les faits, mais aussi les paroles écoutées pendant la messe
acquièrent un sens nouveau et plus fort. Un jour d'été, alors que je
célébrais la messe dans un petit monastère de clôture, le passage de
l'Évangile était Matthieu 12. Je n'oublierai jamais l'effet de ces paroles
de Jésus sur moi : « Et il y a ici plus que Jonas. Et il y a ici plus que
Salomon ! » C'était comme si je les entendais pour la première fois. Je
comprenais que ces deux adverbes « maintenant » et « ici »
[ndlr Zenit : Dans la
traduction française de ce passage, seul l'adverbe « ici » a été traduit,
l'italien dit en revanche : « Maintenant et ici... »] signifiaient vraiment
maintenant et ici, c'est-à-dire à ce moment et en ce lieu, pas seulement au
temps où Jésus était sur terre, il y a plusieurs siècles. Depuis ce jour,
ces paroles me sont devenues chères et familières d'une manière nouvelle.
Souvent, pendant la messe, au moment où je m'agenouille et me relève après
la consécration, je répète en moi-même : « Et il y a ici plus que Jonas...
Et il y a ici plus que Salomon ! »
« Vous qui avez l'habitude de prendre part aux mystères divins, disait
Origène aux chrétiens de son époque, quand vous recevez le corps du
Seigneur, vous le conservez avec une infinie prudence et vénération, afin
que pas même une miette ne tombe, afin que rien ne se perde du don consacré.
Vous êtes convaincus, à juste titre, que c'est une faute d'en laisser tomber
des fragments par négligence. Si vous êtes aussi prudents pour conserver son
corps - et il est juste que vous le soyez - sachez que négliger la parole de
Dieu n'est pas une faute moins importante que celle de négliger son corps »
(Origène, In Exod. hom. XIII, 3).
Parmi les nombreuses paroles de Dieu que nous écoutons chaque jour à la
messe ou dans la liturgie des heures, il y en a presque toujours une qui
nous est adressée en particulier. Elle peut à elle seule remplir notre
journée tout entière et illuminer notre prière. Il s'agit de ne pas la
laisser tomber dans le vide. Diverses sculptures et bas-reliefs antiques
d'Orient présentent le scribe en train de recueillir la voix du souverain
qui dicte ou parle : on le voit extrêmement attentif : les jambes écartées,
le buste droit, les yeux écarquillés, les oreilles tendues. C'est l'attitude
qui est attribuée au Serviteur du Seigneur dans Isaïe : « Il éveille chaque
matin, il éveille mon oreille pour que j'écoute comme un disciple »
(Is 50,
4). C'est l'attitude que nous devrions avoir quand la parole de Dieu est
proclamée.
Accueillons donc, comme si elle nous était adressée, l'exhortation contenue
dans le Prologue de la Règle de saint Benoît : « Les yeux ouverts à la
lumière divine, écoutons avec des oreilles attentives et pleines
d'émerveillement, la voix divine qui chaque jour s'adresse à nous et crie :
Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs, et
encore : Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux
Églises. » (Ps 94, 8 ; Ap 3, 13) (Règles
monastiques d ’occident, Qiqajon, Communauté de Bose, 1989, p. 53).
Les prochaines prédications auront lieu les vendredi 29 février et 7 et 14 mars.
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Table Carême
Sources: http://www.cantalamessa.org/it -
(traduction
ZF08022203)
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.02.2008 -
T/Carême - T/Méditation - T/Synode |