Benoît XVI plaide pour la distinction
entre le politique et le religieux |
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Le 07 octobre 2008 -
(E.S.M.) -
La rencontre à l'Élysée entre le président Sarkozy et le pape Benoît XVI
a été l'occasion pour les deux hommes de prononcer deux discours
importants sur le thème des rapports entre l'Église et l'État. Analyse
des deux discours, par Christophe Geffroy
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Le pape Benoît XVI
et le président Sarkozy-
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Benoît XVI plaide pour la distinction entre le politique et le religieux
Deux visions de la laïcité
Le 07 octobre 2008 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
- Le pape
Benoît XVI a reçu vendredi dernier au Vatican les membres du Conseil
d'administration de l'association laïque américaine des Chevaliers de
Colomb, à Rome en ce moment dans le cadre de l'Année Saint-Paul. Trois ans avant d'être élu président, Nicolas Sarkozy avait
publié un livre d'entretiens, La République, les religions, l'espérance (1),
qui devait montrer son intérêt pour la religion, pour toutes les religions.
L'ouvrage était critiquable à bien des égards, il révélait un total
relativisme par rapport aux religions et une vision très irénique, voire
naïve de l'islam. Mais enfin, il avait le mérite de poser la question
religieuse dans le débat politique sans a priori négatif sur le fait
religieux lui-même. Dans notre régime républicain où laïcité rime trop
souvent avec laïcisme - c'est-à-dire le ferme rejet de
Dieu et de la religion de toute dimension publique -, le fait
méritait d'être signalé. Et on ne peut nier à Nicolas Sarkozy une certaine
constance sur ce sujet, puisque depuis son élection, deux discours
importants confirment sa volonté d'apaiser les relations entre l'État et
l'Église catholique : son
allocution au Palais du Latran
le 20 décembre 2007 et
son allocution à l'Élysée adressée au pape Benoît XVI le 12 septembre
dernier.
Au Latran, le président français avait reconnu fièrement le passé catholique
de la France et ses profondes racines chrétiennes - « c'est par le
baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l'Église »,
avait-il affirmé d'emblée. Il avait regretté « les
souffrances » subies par les catholiques lors de l'instauration
de la laïcité, tout en voyant dans le régime actuel « une liberté »,
pour la religion comme pour toute foi, « une chance » et même «
une condition de la paix civile ». « La laïcité, plaidait-il,
n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes
». Aussi faut-il les assumer tout en défendant la laïcité « enfin
parvenue à maturité ». Celle-ci, le président la qualifiait de «
laïcité positive », puisqu'elle « ne considère pas que les religions
sont un danger, mais plutôt un atout ». C'est l'intérêt même de la
République d'avoir des religions qui donnent « un sens à l'existence
» et qui permettent à « la morale laïque » de s'adosser « à une
espérance qui comble l'aspiration à l'infini »; « la France a besoin
de catholiques convaincus qui ne craignent pas d'affirmer ce qu'ils sont et
ce en quoi ils croient », concluait Nicolas Sarkozy.
Neuf mois plus tard, son discours à Benoît XVI reprend les mêmes thèmes et,
après avoir reconnu que la contribution du christianisme « à l'histoire
de France, à l'histoire du monde, à la civilisation, n'est ni contestable,
ni contestée », le président français a expliqué que « la laïcité
positive offre à nos consciences la possibilité d'échanger [...] sur
le sens que nous voulons donner à nos existences » (?). Puis, l'homme du
« travailler plus pour gagner plus », affirme que «
la croissance économique n'a pas de sens si elle est
sa propre finalité. Consommer pour consommer, croître pour croître, n'a
aucun sens ». Ces références à la doctrine sociale de l'Église,
comme au bien commun, sont pour le moins rarissimes chez un président de la
République. Ainsi les questions de bioéthique, qui « engagent notre
conception de l'homme et de la vie [...] ne peuvent rester l'affaire des
seuls experts ». Enfin, Nicolas Sarkozy a été jusqu'à fustiger le
relativisme: « à l'heure où le relativisme exerce une séduction
croissante, où la possibilité même de connaître et de partager une certaine
part de vérité est mise en doute, [...] cette option absolue pour la
dignité humaine et son ancrage dans la raison doivent être tenus pour un
trésor des plus précieux ».
La réponse de Benoît XVI
En réponse, Benoît XVI a prononcé un
discours assez bref, mais d'une grande densité et d'une cohérence qui
mettait en lumière les contradictions du propos présidentiel. Benoît XVI a
reconnu que « l'Église en France jouit actuellement d'un régime de
liberté », avec une situation qui s'est enfin normalisée depuis
l'institutionnalisation d'une instance de dialogue en 2002 avec une «
bonne volonté
(qui) est réciproque ».
Le pape reprend donc l'expression de « laïcité positive » pour
ajouter aussitôt « qu'une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur
l'importance de la laïcité est devenue nécessaire ». Autrement dit, la
situation actuelle n'est pas encore satisfaisante. Il demande que l'on
insiste sur « la distinction entre le politique et
le religieux, afin de garantir aussi bien la liberté religieuse des citoyens
que la responsabilité de l'État envers eux, et d'autre part, de prendre une
conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la
formation des consciences et de la contribution qu'elle peut apporter, avec
d'autres instances, à la création d'un consensus éthique fondamental dans la
société. »
Le pape a ensuite exprimé ses principales préoccupations dans «
le monde d'aujourd'hui qui offre peu d'aspirations
spirituelles et peu de certitudes matérielles ». Les jeunes,
principalement, victimes de l'éclatement de la famille et de la perte de
repères, tandis que d'autres « expérimentent les limites d'un
communautarisme religieux ». C'est pourquoi il est nécessaire de leur
offrir « un bon cadre éducatif ». Les écarts de pauvreté qui
augmentent poussent Benoît XVI à rappeler que « c'est à l'État qu'il
revient de légiférer pour éradiquer les injustices ». Évoquant les
droits de l'homme, il a martelé que ceux-ci n'ont de sens que si l'on
considère la personne « depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle
», et qu'il ne fallait pas oublier les droits « relatifs à son éducation
libre, à sa vie familiale, à son travail, sans oublier naturellement ses
droits religieux ». Enfin, à propos de la construction européenne, il
s'est arrêté sur la valeur de la nation : « il est important de
promouvoir une unité qui ne peut pas et ne veut pas être une uniformité,
mais qui est capable de garantir le respect des différences nationales et
des diverses traditions culturelles qui constituent une richesse dans la
symphonie européenne ». Thème qu'il a repris lors de sa rencontre avec
les évêques de France à Lourdes le 14 septembre, en citant le célèbre
discours de Jean-Paul II du 2 juin 1980 à l'Unesco qui faisait l'apologie de
la nation et de la sauvegarde de son identité culturelle.
Les divergences
Les propos de Nicolas Sarkozy sur la laïcité marquent incontestablement un
tournant positif : la religion, Dieu même, étaient des tabous dans tout
discours qui se voulait « républicain », et voici qu'un président en parle
sans hostilité, mieux en reconnaissant sa juste place au religieux. Pourtant
la juxtaposition des allocutions du chef de l'État et du Saint-Père montre
assez clairement les limites et les incohérences du premier. Son discours à
Riyad, le 14 janvier 2008, va nous aider à le comprendre. Passons sur
l'aspect quelque peu démagogique sur l'islam
(avec quelques erreurs en prime)
face aux autorités saoudiennes; ce qui nous intéresse ici, c'est son
affirmation plusieurs fois réitérée qu'en tant que chef d'un État laïc, il
n'avait pas à exprimer de « préférence pour une croyance plutôt que pour
une autre »: « je dois les respecter toutes », disait-il ? Dans
l'esprit de notre président, toutes les religions se rejoignent sur
l'essentiel, sont également respectables, elles « partagent les grandes
valeurs de tolérance », c'est-à-dire « les valeurs d'intégrité morale
dans la parole et l'action, la tolérance, la solidarité, l'égalité, la
dignité [...], la famille ». Quand il évoque leurs crimes ou le
fanatisme qu'on y trouve, il les mêle indistinctement comme si toutes
étaient touchées de la même façon, tout en affirmant que ces crimes n'ont,
en réalité, « rien à voir » avec la religion en tant que telle. Ce
propos relève à la fois d'un indifférentisme total en matière religieuse et
de la méthode Coué : aujourd'hui, la violence religieuse dans le monde ne
provient jamais du christianisme, mais essentiellement de l'islam et de
l'hindouisme. Affirmer comme le fait Nicolas Sarkozy que « l'intégrisme,
c'est la négation de l'Islam », c'est méconnaître la part de violence
inscrite dans le Coran qu'on ne trouve nulle part dans les Évangiles et qui
explique le terrorisme islamiste. Autre exemple: on peut sourire à la
lecture des « valeurs universelles » des religions selon notre
président, lorsqu'il nomme « l'égalité » qui, comme chacun le sait,
s'applique particulièrement à l'hindouisme et à son système de castes!
Enfin, toute croyance ou toute religion est-elle respectable par le seul
fait d'exister ? Serait-il légitime d'accepter les religions sud-américaines
qui pratiquaient des sacrifices humains ? Le « politiquement correct » est
si fort en ces matières, qu'il est interdit de faire des distinctions
élémentaires sans être accusé de « discrimination ».
En réalité, peut-être sans même s'en rendre compte, Nicolas Sarkozy
développe une idée de la laïcité dont les principales valeurs ne sont
nullement celles de « toutes les grandes religions », mais bel et bien
celles du christianisme ou issues de lui et qu'il extrapole aux autres
grandes religions. Pour paraphraser Pierre-André Taguieff, il tient un
discours « christocentré »! Mais s'il retient des valeurs principalement
chrétiennes, il le fait en les déconnectant de toute transcendance: elles
perdent de ce fait leur source et leur pouvoir de s'imposer à tous.
Face à cela, le pape rappelle sereinement que c'est le Christ lui-même qui a
offert le principe de la distinction des pouvoirs sur lequel repose la saine
laïcité. Que celle-ci ne peut se passer « d'un consensus éthique fondamental
dans la société ». De nombreuse fois, Benoît XVI a expliqué qu'il n'y avait
que la loi naturelle qui pouvait établir ce consensus, comme cela a été le
cas durant deux millénaires de civilisation judéo-chrétienne. Il mentionne
au passage que les droits de l'homme n'ont de sens qu'appuyés sur une juste
vision de la dignité de la personne qui suppose le respect de la vie «
depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle ». Sans cet arrimage à
une anthropologie qui intègre toute la dimension de l'homme - donc y compris
sa dimension spirituelle avec ce qu'elle implique concrètement comme
reconnaissance de la transcendance -, les belles intentions du président de
la République auront bien du mal à se traduire concrètement: selon quels
critères arrêter les « progrès » de la bioéthique ? Qui décidera des limites
? Comment répondre aux revendications de minorités qui bouleversent les
mœurs et détruisent la famille sans un recours à une anthropologie objective
qui s'impose à tous ? Nicolas Sarkozy a beau fustiger le relativisme, sa
vision de la laïcité relève d'une philosophie fondamentalement relativiste
et alimente le travers qu'il voudrait combattre. Là est l'incohérence
principale de son discours.
Pour sortir de ce cercle vicieux, il faudrait avoir le courage de dire que
tout ne se vaut pas
(y compris toutes les religions au regard de nos valeurs
fondamentales), que tous les comportements, outre
leurs aspects moraux propres à la personne, n'ont pas les mêmes incidences
au regard du bien commun. Mais justement, reconnaître le bien commun, comme
le président l'a fait dans son discours à Benoît XVI, suppose qu'il existe
un... bien - ce que la démocratie moderne tend à ne plus reconnaître - et
donc à mettre les moyens en œuvre pour le favoriser. Pour passer de la «
laïcité positive » de Nicolas Sarkozy - qui est déjà un progrès par rapport
à une laïcité souvent proche du laïcisme - à une saine laïcité, il faudrait,
tout en s'inscrivant, comme le président l'a affirmé, dans la tradition de
notre civilisation qui reconnaît la liberté religieuse pour tous - autre
valeur héritée du christianisme encore peu répandue dans certaines autres
grandes religions -, accepter notre principe fondateur
qui soumet la volonté de l'homme à une norme morale transcendante inscrite
dans la nature même de l'homme et accessible à la raison, la loi naturelle,
qui a régi toute la civilisation judéo-chrétienne.
Christophe Geffroy
(1) Entretiens avec Thibaud Collin et le P. Philippe
Verdin, Cerf, 2004.
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Sources : la
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07.10.2008 -
T/France
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