Le cœur de la prédication de Benoît XVI est en effet, Jésus |
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CITE DU VATICAN, le 07 Janvier 2007 -
(E.S.M.) - Le cardinal Camillo Ruini a donné un grandiose
enseignement hors programme.
Un enthousiaste cardinal Ruini a donné à ses prêtres une leçon sur le “coeur” de
l’enseignement de Ratzinger. Et il leur dit pourquoi le pape Benoît XVI a voulu écrire un
livre sur Jésus.
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Le cardinal Camillo Ruini, vicaire du pape
pour le diocèse de Rome
Selon le cardinal Ruini, le cœur de l’enseignement du pape Benoît XVI est “la question de la
vérité de la foi chrétienne”.
Dans la rubrique spiritualité: Le vicaire du Christ
expliqué par son vicaire.
Un enthousiaste cardinal Ruini donne à ses prêtres une leçon sur le “coeur” de
l’enseignement de Ratzinger. Et il leur dit pourquoi le pape a voulu écrire un
livre sur Jésus
Le cardinal Camillo Ruini, vicaire du pape pour le
diocèse de Rome, rencontre périodiquement ses prêtres pour présenter et discuter
de projets pastoraux, de questions liturgiques, de la catéchèse, etc. Mais le
jeudi 14 décembre, il a donné une grandiose leçon hors programme. Il les a
convoqués dans l’amphithéâtre de l’Université pontificale du Latran, à huit
clos, pour donner une leçon sur rien de moins que le ”cœur” de l’enseignement de
Benoît XVI. Joseph Ratzinger expliqué par Ruini: une annonce qui a rempli
l’amphithéâtre à craquer. Beaucoup de prêtres sont restés debout; d’autres ont
dû s’asseoir sur les marches. Tous, une copie du texte à la main, ont pu suivre
plus attentivement la leçon, dans un silence impressionnant. À la fin, le
cardinal a ouvert la discussion à l’auditoire et a répondu à une douzaine de
questions.
Selon Ruini, le cœur de l’enseignement de Benoît XVI est “la question de la
vérité de la foi chrétienne”.
Ou, en d’autres mots, “comment proposer la vérité salvifique de Jésus Christ à
la raison dans notre temps”?
Le point de départ est la crise radicale qui traverse le christianisme
d’aujourd’hui, surtout en Europe: un christianisme qui a perdu la certitude
d’être la “vraie religion”.
Les changements qui ont touché la raison et la science ainsi que ceux qui ont
rongé le christianisme lui-même ont fini par séparer la foi de la vérité.
Benoît XVI veut, par contre, rapprocher la raison et la liberté au christianisme
et éclairer l’“étrange pénombre” dans laquelle vit l’homme moderne qui, en plus
de Dieu, ne connaît plus le bien et le mal.
Ruini souligne cependant que le pape fait cela “d’une façon qui n’est pas tout à
fait rationaliste”.
Le cœur de la prédication de Benoît XVI est, en effet, Jésus.
Cela explique pourquoi il s’est mis, justement, à écrire un livre sur Lui, sur
le Jésus “de l’histoire” qui fait un tout avec le Jésus de la foi.
En retrouvant Jésus comme vrai Dieu et vrai homme, l’Occident chrétien pourrait
se rapprocher des autres cultures et religions du monde et leur offrir sa
sincère proposition.
Ratzinger et Ruini disent non à l’inculturation et non à la multi culturalité.
L’approche que selon eux “appartient à la forme originelle du christianisme” est
celle de l’inter culturalité.
L’inter culturalité “sous-entend à la fois une attitude positive envers les
autres cultures et les autres religions et une œuvre de purification et de
‘coupe courageuse’ qui sont indispensables pour n’importe quelle culture qui
veut véritablement rencontrer le Christ”.
En terminant sa leçon, Ruini a reconnu que Ratzinger “ne se fait pas d’illusions
sur l’état de santé actuel de l’Église catholique en particulier et du
christianisme en général”.
Mais il fait face à la grandeur, même “excessive”, de sa tâche avec la certitude
que “celui qui croit n’est jamais seul”.
Le cardinal Ruini a lu sa leçon et a répondu aux questions avec élan et plein
d’optimisme, surprenant l’assistance.
En février prochain, il fêtera ses 76 ans, âge canonique de retraite.
Mais en quittant la salle un de ses prêtres commenta: “Une leçon comme celle-ci
n’est pas un adieu, mais un nouveau point de départ”.
Voici donc la formidable leçon, de la première à la dernière ligne:
Au cœur de l’enseignement de Benoît XVI: Proposer la vérité salvifique de Jésus
Christ à la raison de notre temps
par Camillo Ruini
1. Quelques préliminaires
Une caractéristique du magistère de Benoît XVI est son grand engagement à
l’égard de la question de la vérité de la foi chrétienne dans le contexte
historique actuel et par rapport aux formes de rationalité qui prévalent
aujourd’hui.
En termes théologiques, on peut dire que le pape fait face, dans son style et de
façon innovatrice, à la question centrale de l’apologétique, ou comme on dit de
préférence aujourd’hui, de la théologie fondamentale.
Le but de ce rapport n’est pas, évidemment, d’approfondir ces problématiques,
encore moins d’en faire une présentation complète. Il s’agit seulement de les
introduire, en présentant quelques-unes de principales lignes d’orientation et
clés d’interprétation, à la lumière du magistère de Benoît XVI – en particulier
du discours du 12 septembre 2006
à l'Université de Regensburg et de celui du 19
octobre au congrès de
Verone, en plus de l’encyclique “Deus Caritas
Est” – ainsi
que de son précédent travail de théologien.
Parmi les plus importants de ses livres, je parle essentiellement de
“Introduzione al Cristianesimo” [Introduction au christianisme], édité en Italie
par la ‘Queriniana’ (‘Introduzione’ ci-après), et de deux recueils d’essais –
“Fede Verità Tolleranza. Il cristianesimo e le religioni del mondo” [Foi Vérité
Tolérance. Le christianisme et les religions du monde], publiée par Cantagalli
en 2003 (“Fede” ci-après), et “L’Europa di Benedetto nella crisi delle culture”
[L’Europe de Benoît dans la crise des cultures], publié en 2005 aussi par Cantagalli (“L’Europa” ci-après) –, parce que ces trois livres sont plus
directement liés à notre sujet.
Bien que Benoît XVI ait pris soin de séparer son magistère de pontife de son
travail de théologien – comme il a lui-même affirmé dans la
Préface de son libre
“Gesù di Nazareth” [«
Jésus de Nazareth »], préface qui a déjà été publiée par la
presse et dont la publication est prévue pour le printemps prochain –, une
profonde correspondance et une unité substantielle existent entre son magistère
et sa théologie. Un examen attentif permettrait donc de repérer justement, à
travers l’un et l’autre, les lignes fondamentales. Voilà ce je chercherais de
faire aujourd’hui.
Avant d’adresser la question, il serait utile de faire quelques remarques sur
l’approche théologique de Joseph Ratzinger – Benoît XVI et sur sa façon de
procéder.
Le pape, qui a enseigné la théologie fondamentale et puis la théologie
dogmatique, aborde les problèmes par une pénétration théorique et philosophique
qui se place dans une perspective avant tout d’ordre historique et concrète.
En plus, sa formation étant essentiellement biblique, patristique et liturgique,
il adresse les problématiques d’aujourd’hui à la lumière de celle-ci. Sa
position vis-à-vis ces questions dénote certainement des capacités critiques
aiguës, mais elle est avant tout empreinte de volonté constructive, d’ouverture
et même de sympathie. Si on veut se faire une idée de comment il voit lui-même
sa formation et son travail de théologien, on peut lire son livre
autobiographique “Ma vie, souvenirs” qui est particulièrement intéressant.
Parlons maintenant de notre sujet. Je pense que notre point de départ doit être
la conviction, exprimée par le cardinal Ratzinger, qu’“à la fin du deuxième
millénaire, le christianisme traverse, dans le lieu de sa diffusion originelle,
en Europe justement, dans une crise profonde, basée sur la crise de sa
revendication de vérité” (“Fede”, p. 170).
Cette crise a deux dimensions: la méfiance envers la possibilité, pour l’homme,
de connaître la vérité sur Dieu et sur les affaires divines, et les doutes que
la science moderne, les sciences naturelles et les sciences historiques, a créés
par rapport aux contenus et aux origines du christianisme.
2. La nature originelle du christianisme: l’Être, le Logos et l’Agape
On comprend la gravité et le caractère radical d’une telle crise à la lumière de
ce qu’est la nature même du christianisme.
Il est certainement vrai que ce n’est pas avant tout “une décision éthique ou
une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui
donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive” (“Deus
caritas est”, nº 1), mais c’est aussi vrai que l’option pour le logos, et non
pour le mythe, a caractérisé le christianisme depuis ses débuts.
J. Ratzinger soutient avec force cette affirmation, avant tout sur le plan
historique, depuis sa première thèse universitaire en 1959, à l’Université
de Bonn, intitulée “Le Dieu de la foi et le Dieu des philosophes”, jusqu’au très
récent discours à l’Université de Regensburg.
Sur ces bases, déjà bien avant la naissance du Christ, la critique des mythes
religieux faite par la philosophie grecque – critique qui peut se définir comme
l’illuminisme philosophique de l’Antiquité – a trouvé son équivalent dans la
critique des faux dieux faite par les prophètes d’Israël (en particulier, le
deutéro-Isaïe) au nom du monothéisme yahwistique. Par la suite, la rencontre
entre foi judaïque et philosophie grecque a évolué progressivement s’exprimant
aussi dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, la “Septante”, qui “est
plus qu'une simple traduction” et représente “une avancée importante de
l'histoire de la Révélation” (discours de Regensburg).
Par conséquent, l’affirmation “Au commencement était le Logos”, avec laquelle
s’amorce le prologue de l’Évangile de Jean, constitue “la parole ultime de la
notion biblique de Dieu, la parole par laquelle tous les chemins souvent
difficiles et tortueux de la foi biblique parviennent à leur but et trouvent
leur synthèse” (ibid.).
La patristique s’est orientée dans la même direction comme on voit dans
l’audacieuse et incisive phrase de Tertullien – “Christ a affirmé être la
vérité, pas la coutume” (“Introduzione”, p. 102) – et dans le choix net de saint
Augustin qui, se référant aux trois formes de religion identifiées par l’auteur
païen Varron (Marcus Terentius Varro), place le christianisme résolument dans le
cadre de la “théologie physique”, c’est-à-dire de la rationalité philosophique,
et pas dans celui de la “théologie mythique” des poètes, ou de la “théologie
civile” des États et des politiques.
À différence des religions païennes désormais privées de vérité aux yeux de la
rationalité préchrétienne même, le christianisme se présente donc comme “vraie
religion” et réalise par rapport à elles une grande œuvre de “démythisation”.
Un chemin de ce genre avait déjà commencé au sein du judaïsme, mais il avait
encore la difficulté du lien spécial entre l’unique Dieu créateur universel et
le seul peuple juif, lien dépassé par le christianisme, dans lequel l’unique
Dieu s’offre comme sauveur, sans discrimination, de tous les peuples.
Dans ce sens, la rencontre entre le message biblique et la pensée philosophique
grecque n’a pas été un simple accident, mais est la réalisation historique du
rapport intrinsèque entre la révélation et la rationalité. Et cela est
exactement une des raisons fondamentales de la force de pénétration du
christianisme dans le monde gréco-romain (cf. “Fede”, p.173-180).
Cependant, nous n’avons ainsi qu’une moitié du discours: l’autre moitié est
constituée par la nouveauté radicale et par la diversité profonde de la
révélation biblique par rapport à la rationalité grecque, et cela avant tout par
rapport à l’élément central de la religion, c’est-à-dire Dieu.
J. Ratzinger s’applique vigoureusement à le montrer en examinant les textes
bibliques, du récit du buisson ardent en Exode 3 jusqu’à la formule “Je suis”
que Jésus applique à soi-même dans l’Évangile de Jean, en démontrant que
l’unique Dieu de l’Ancien et du Nouveau Testament est l’Être qui existe de
soi-même et pour l’éternité, celui que les philosophes recherchaient (cf. “Introduzione”,
p. 79-97).
Mais il souligne également que ce Dieu dépasse radicalement ce dont les
philosophes avaient pensé de Lui.
Premièrement, en effet, Dieu est nettement différent de la nature, du monde qu’Il
a créé: seulement ainsi la “physique” et la “métaphysique” parviennent à une
claire différenciation entre elles.
Et surtout ce Dieu n’est pas une réalité qui nous est inaccessible, que nous ne
pouvons pas rencontrer, et vers lequel il est inutile de se tourner en prière
comme pensaient les philosophes.
Au contraire, le Dieu biblique aime l’homme et pour cela entre dans notre
histoire, donne vie à une authentique histoire d’amour avec Israël, son peuple,
et puis, en Jésus Christ, non seulement élargit-il cette histoire d’amour et de
salut à toute l’humanité mais l’amène à l’extrême, au point c’est-à-dire où il
“se retourne contre soi-même”, dans la croix de son propre Fils, dans le but de
relever l’homme, de le sauver et de l’appeler à cette union d’amour avec Lui qui
aboutit dans l’Eucharistie (cf. “Deus caritas est”, nos 9-15, où Benoît XVI
résume avec grande force ce qu’il avait approfondi dès le début de son travail
de théologien).
De cette façon, le Dieu qui est l’Être et le Verbe est aussi et également l’Agape,
l’Amour originel et la mesure de l’amour authentique, qui a justement, par
amour, créé l’univers et l’homme.
Plus précisément, cet amour est complètement désintéressé, libre et gratuit.
Dieu en réalité crée librement l’univers à partir de rien (la distinction entre
Dieu et le monde devient pleine et définitive seulement avec la liberté de la
création) et, librement, par sa miséricorde sans limites, sauve l’humanité
pécheresse.
Ainsi, la foi biblique réconcilie les deux dimensions de la religion qui
auparavant étaient séparées, c’est-à-dire le Dieu éternel, dont parlaient les
philosophes, et le besoin de salut que l’homme porte en soi et que les religions
païennes tentaient de quelque façon de satisfaire.
Le Dieu de la foi chrétienne est donc, oui, l’Être absolu, le Dieu de la
métaphysique, mais est aussi et également le Dieu de l’histoire, le Dieu,
c’est-à-dire, qui entre dans l’histoire et dans le plus intime rapport avec
nous. Selon J. Ratzinger, celle-ci est la seule réponse adéquate à la question
du Dieu de la foi et du Dieu des philosophes (cf. “Fede”, p. 180-182).
Tout cela a des conséquences inévitables et décisives par rapport à l’homme et à
la façon de comprendre la vie, c’est-à-dire à l’éthique. Comme saint Paul avait
explicitement dit: “Quand les païens, qui n'ont point la loi, font naturellement
ce que prescrit la loi, […]; ils montrent que l'œuvre de la loi est écrite dans
leurs cœurs” (Romains 2, 14-15). Dans le même esprit, Paul demande aux croyants
en Christ “que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est
juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui mérite
l'approbation, ce qui est vertueux et digne de louange, soit l'objet de vos
pensées.” (Philippiens, 4,8).
Il y a aussi une claire référence à l’interprétation éthique de la nature que la
morale stoïcienne avait cultivée. Cette interprétation est donc assumée par le
christianisme, mais en même temps elle est dépassée. Quand, à un Dieu seulement
pensé, se substitue la rencontre avec le Dieu vivant, on passe d’une théorie
éthique à une pratique morale communautairement vécue et mise en œuvre dans la
communauté croyante, concrètement à travers la concentration de toute la morale
dans le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.
Et comme ce Dieu crée et se donne en toute liberté, ainsi la foi en Lui ne peut
qu’être un acte libre, que aucune autorité étatique ne peut prohiber ou imposer;
par conséquent, la “distinction entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu [.
. .] appartient à la structure fondamentale du christianisme (cf. Mt 22, 2)”
(“Deus caritas est”, 28).
Voici, dans sa plénitude, la raison du dynamisme missionnaire que le
christianisme a développé dans le monde gréco-romain. Il convainquait parce
qu’il réunissait en soi le lien entre foi et raison et l’orientation de l’action
vers la “caritas”, le tendre soin pour ceux qui souffrent, pour les pauvres et
les faibles, au-delà de toute différence de condition sociale.
Nous pouvons donc conclure que la force qui a fait du christianisme une religion
mondiale et a rendu convaincante sa revendication d’être la “vraie religion” est
dans la synthèse qu’il a su réaliser entre raison, foi et vie (cf. “Fede”,
p.182-184 ; voir aussi le discours à la
Curie romaine du 22 décembre 2005).
3. L’éloignement de la raison et de la liberté du christianisme
Cette synthèse et cette revendication ont tenu pendant de nombreux siècles et de
nombreuses vicissitudes historiques. Elles ont été à la base de successives
phases d’expansion missionnaire du christianisme (cf. discours de
Verone).
À ce point, J. Ratzinger se demande résolument: “Pourquoi cette synthèse
n’est-elle plus convaincante aujourd’hui? Pourquoi la raison et le christianisme
sont-ils, au contraire, considérés aujourd’hui comme en contradiction, voire
même contraires l’un à l’autre? Qu’est-ce qui a changé dans la raison ?
Qu'est-ce qui a changé dans le christianisme?” (“Fede”, p. 184).
Examinons donc, premièrement, les changements qui ont touché la “raison”.
Sommairement, on peut dire que l’unité relationnelle entre rationalité et foi, à
laquelle saint Thomas d’Aquin avait donné une forme systématique, s’est
progressivement déchirée au cours de l’évolution de la pensée moderne, de
Descartes à Vico et Kant, alors que la nouvelle synthèse entre raison et foi
tentée par Hegel n’a pas réellement rendu à la foi sa dignité rationnelle mais a
eu comme effet plutôt de la transformer complètement en raison, l’éliminant
comme foi.
Le pas successif, dont les figures emblématiques sont Marx et Comte, a renversé
la position de Hegel, qui réduisait la matière à l’esprit, en réduisant a
contrario l’esprit à la matière – avec l’exclusion de la possibilité même d’un
Dieu transcendant – et en faisant manquer de nouveau, en principe, une
“métaphysique” différente de la “physique”.
Dans ce contexte, une transformation du concept de vérité s’est produite. Elle a
cessé d’être connaissance de la réalité existante indépendamment de nous et est
devenue connaissance de ce que nous nous-mêmes avons accompli dans l’histoire,
et puis connaissance de ce que nous pouvons réaliser par l’entremise des
sciences empiriques et des technologies (concept “fonctionnel” de la raison et
de la vérité).
Ainsi, la primauté de l’histoire a pris la place de la primauté de la
philosophie (métaphysique) et, à son tour, a été remplacée par celle de la
science et de la technique. On voit assez clairement cette primauté dans la
culture occidentale et, dans la mesure qu’elle croit que la connaissance
scientifique est la seule à être proprement vraie et rationnelle, on doit la
qualifier de “scientisme” (cf. “Introduzione”, p. 27-37; “Fede”, p. 186-187).
Dans ce contexte, la théorie de l’évolution des espèces vivantes proposée par
Darwin a fini par assumer chez beaucoup de scientifiques et de philosophes, et
en grande partie dans la culture d’aujourd’hui, le rôle de vision du monde ou de
“philosophie première”, qui, d'une part, se veut rigoureusement “scientifique”
et, d’autre part, se considère, au moins potentiellement, une explication ou
théorie universelle de toute la réalité, basée sur la sélection naturelle et sur
les mutations dues au hasard, au delà de laquelle les questionnements ultérieurs
sur l’origine et sur la nature des choses ne seraient plus nécessaires, voire
permis.
L’affirmation qu’“aux débuts il y avait le Logos” est ainsi renversée – de façon
qu’à l’origine de tout il y aurait la matière-énergie, le hasard et la nécessité
– quelque chose donc qui en soi ne serait pas rationnelle (cf. “Fede”, p.
187-190).
Certes, tout le monde parmi les non-croyants en Christ ne partage pas ces
positions, car elles sont souvent perçues comme un insupportable dogmatisme, qui
se veut ”scientifique” mais qui néglige les limites intrinsèques de la
connaissance scientifique.
J. Ratzinger observe cependant que, à cause de ce grand changement par lequel,
depuis Kant, la raison humaine n’est plus tenue capable de connaître la réalité
en soi-même, et surtout la réalité transcendantale, l’alternative culturellement
plus accréditée au scientisme semble être aujourd’hui non l’affirmation du Dieu
Verbe, mais plutôt l’idée que “latet omne verum”, chaque vérité est cachée, à
savoir que la vraie réalité de Dieu nous reste complètement inaccessible et ne
peut pas être connue, tandis que les différentes religions ne font que nous
présenter des images de Dieu qui reflètent différents contextes culturels et qui
seraient également “vraies” et “non vraies”.
Ainsi, l’approche au divin propre aux grandes religions ou visions orientales
comme l’hindouisme et le bouddhisme trouve droit de cité dans le monde
occidental (en dépit de toutes les grandes différences entre elles), approche
que, dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, le néoplatonisme avait, à sa
façon, cherché de proposer comme alternative au christianisme (cf. “Fede”, p.
184-186).
Il n’est pas difficile de constater comment des idées pareilles se sont diffusé
parmi nos gens. Un Dieu, ou mieux un ”divin”, entendu ainsi tend à s’identifier
avec la dimension la plus profonde et mystérieuse de l’univers, présente au fond
de toute réalité. Il est donc difficile lui reconnaître un caractère personnel.
La prière même, au lieu d’être un dialogue entre Dieu et l’homme, prend la forme
d’itinéraires spirituels d’auto purification, que aboutissent dans la résorption
et fusion de notre moi dans l’infini originel.
À la fin, la différence entre ces formes de religiosité et l’agnosticisme, voire
même l’athéisme, ces derniers liés à l’approche scientiste, ne semble pas si
radicale (cf. “Fede”, p. 184-186, p. 23-43, 125-134). Puisque la foi chrétienne
dans un Dieu qui est Être, Verbe et Agape s’est concrétisée dans une précise
forme de vie et d’éthique, quelque chose de similaire est arrivé et est en train
d’arriver pour les formes de rationalité que tendent à se substituer au
christianisme et qui, à leur tour, s’expriment dans des orientations éthiques
concrètes.
Si “chaque vérité est cachée” ou si seulement ce qui peut être expérimenté ou
calculé est rationnellement valide, parallèlement, sur le plan pratique, de la
vie et des comportements, la valeur fondamentale devient celle de la
“tolérance”, dans le sens que nul ne doit ou peut considérer ses convictions et
ses choix meilleurs et préférables à celles d’autrui. Voilà l’image apparemment
accomplie de l’illuminisme qui prévaut aujourd’hui et qui se définit
concrètement dans les droits de la liberté, et qui a fait des libertés
individuelles le critère suprême et décisif grâce auquel on peut définir toutes
les autres droits avec comme résultat qu’une discrimination quelconque envers
autrui se voit exclue.
Par conséquent, la conscience morale comme quelque chose qui est objectivement
valide s’affaiblit, surtout sur le plan social et public, parce qu’elle renvoie
à ce qui est bien ou mal en soi-même. Étant donné qu’une morale est en tout cas
nécessaire pour vivre, elle est récupérée de quelque façon en faisant référence
au calcul des conséquences, utiles ou nuisibles, de ses comportements et ayant
toujours comme critère régulateur celui de ne par limiter la liberté d’autrui (cf.
“L’Europa”, p. 35-37).
En terme de contenus, à la conception du monde que rend absolu le modèle
évolutionnaire correspond une éthique qui met au centre la sélection naturelle,
et donc la lutte pour la survie et la victoire du plus fort, tandis que dans la
prospective de ces formes de religiosité qui font référence à un divin que l’on
ne peut pas connaître et qui est tendanciellement impersonnel, la personne
humaine même, avec ses droits inaliénables, sa liberté et responsabilité, perd
sa propre consistance et devient quelque chose de relatif et transitoire, qui
tend à se dissoudre dans un tout sans distinction.
Ainsi, la différence irréductible entre le bien et le mal finit par être
relativisée et devient seulement l’opposition de deux aspects, tous les deux
nécessaires et complémentaires, de l’unique ensemble originel.
* * *
Voyons maintenant, plus rapidement, quels sont les changements au sein du
christianisme lui-même qui ont contribué, à notre époque, au divorce qui s’est
produit entre lui et la raison. Dans le discours de Regensburg, Benoît XVI a mis
l’accent sur le sujet de la “déshellénisation” du christianisme, qui apparaît
déjà une première fois au 16e siècle avec la Réforme protestante, dont le but
était de retourner à la pure foi biblique, la libérant du conditionnement de la
philosophie grecque, c’est-à-dire de la métaphysique. On retrouve la même
intention aussi chez Kant, quoiqu’en forme assez différente.La deuxième vague du
programme de déshellénisation naît de la théologie protestante libérale pendant
les 19e et 20e siècles mais qui a fortement touché aussi la théologie
catholique. Dans la pensée de ses représentants les plus radicaux comme Harnack,
il s’agit de revenir à un Jésus qui n’est rien d’autre qu’un ’homme, le Jésus de
l’histoire, et à son simple message moral, qui constituerait le summum du
développement religieux de l’humanité, le libérant des développements
philosophiques et théologiques successifs, en commençant par la divinité même du
Christ. À la base, il y a la notion moderne que la raison doit se limiter à ce
qui est vérifiable.La troisième vague de déshellénisation se répand aujourd’hui
au regard du problème de la rencontre entre christianisme et les différentes
cultures du monde. Dans ce sens, la synthèse entre christianisme et hellénisme
au sein de l’Église ancienne serait une première inculturation, de laquelle il
faudrait se libérer, en revenant au simple message du Nouveau Testament dans le
but de l’inculturer à nouveau dans les divers contextes socioculturels. Le
résultat serait inévitablement celui de relativiser le lien entre foi et raison
qui s’était établi aux débuts du christianisme, le tenant comme seulement
contingent et donc surmontable.Au fil des siècles, un autre changement encore
plus important a malheureusement eu lieu; le christianisme est devenu en grande
partie une tradition humaine et une religion d’État, contrairement à sa propre
nature (cf. Tertullien: “Christ a affirmé d’être la vérité, pas la coutume”).
Bien que la recherche de la rationalité et de la liberté ait toujours été
présente dans le christianisme, la voix de la raison a été trop apprivoisée.
L’illuminisme a eu le mérite de représenter, souvent en polémique avec l’Église,
les valeurs originelles du christianisme et de redonner à la raison et à la
liberté leur voix. Le sens historique du Concile Vatican II est dans le fait
qu’il a nouvellement mis en évidence, en particulier dans la constitution de l’Église
dans le monde contemporain et dans la déclaration sur la liberté religieuse,
cette profonde correspondance entre christianisme et illuminisme, cherchant une
vraie conciliation entre Église et modernité, qui est le grand patrimoine que
les deux parties doivent protéger (“L’Europa”, p. 57-59; cf. aussi le discours à
la Curie romaine du 22 décembre 2005).
4. Pour un nouvel accord entre raison, liberté et christianisme
Nous arrivons ainsi au vrai objectif de toutes les précédentes réflexions,
c’est-à-dire comment chercher les voies d’un nouvel accord entre raison, liberté
et christianisme, c’est-à-dire, comme le dit le titre de ce rapport, comment
“Proposer la vérité salvifique de Jésus Christ à la raison de notre temps”.
La réponse que J. Ratzinger – Benoît XVI donne à cette question est avant tout
celle d’“élargir les espaces de la rationalité”.
Limiter la raison à ce que l’on peut expérimenter et contrôler est en effet
utile, exact et nécessaire dans le contexte précis des sciences naturelles et
constitue la clé de leur essor incessant. Cependant, si cette limitation est
universalisée et tenue comme absolue et autosuffisante, elle devient
insoutenable, inhumaine et, finalement, contradictoire.
À cause d’elle, l’homme ne pourrait plus s’interroger rationnellement sur les
réalités essentielles de sa vie, sur son origine et sa finalité, sur ses
obligations morales, sur la vie et sur la mort mais devrait laisser ces
problèmes décisifs à un sentiment détaché de la raison.
Dans ce cas, la raison en sort mutilée et l’homme, divisé en soi-même et presque
désintégré, provocant une pathologie autant dans la religion – laquelle,
détachée de la rationalité, dégénère facilement dans la superstition, le
fanatisme et le fondamentalisme – que dans la science, vouait à se retourner
facilement contre l’homme en se détachant de l’éthique et, en pratique, de la
reconnaissance du sujet humain comme celui qui ne peut jamais être réduit à
instrument (cf. “Fede”, p. 99 et 164-166).
Justement, dire que la seule réalité est celle de l’expérimentation et du calcul
signifie réduire fatalement le sujet humain à être le produit de la nature. En
tant que tel, il n’est pas libre et risque d’être traité comme tout autre
animal. On a ainsi un retournement total du point de départ de la culture
moderne basée sur la liberté de l’homme et sur ses revendications.
Pareillement, sur le plan pratique, quand la liberté individuelle, qui ne
discrimine pas et pour laquelle tout est finalement relatif, devient le critère
éthique suprême, elle finit par devenir un nouveau dogmatisme, car elle exclut
toute autre position, permise seulement à condition d’être subordonnée à ce
critère relativiste et pas en contradiction lui.
De telle façon, on censure systématiquement toutes les normes morales du
christianisme et on refuse dès le départ toute tentative de montrer que
celles-ci, ou toute autre norme, ont une validité objective, puisqu’elles sont
fondées sur la réalité même de l’homme. Ainsi, l’expression publique d’un
authentique jugement moral devient inadmissible.
En Occident, une forme de culture qui a délibérément coupé ses racines
historiques s’est développée et constitue la contradiction la plus radicale du
christianisme mais aussi des traditions religieuses et morales de l’humanité (cf.
“L’Europa”, p. 34-55, et le discours de Regensburg).
Afin de montrer comment la limitation de la raison à ce qui peut être
expérimenté et calculé n’a pas seulement des conséquences négatives mais est
intrinsèquement contradictoire, J. Ratzinger met l’accent sur la structure même
de la connaissance scientifique et sur ses prémisses, en particulier sur la
position qui fait de la théorie de l’évolution, du moins potentiellement,
l’explication universelle de toute la réalité.
Une caractéristique fondamentale de la connaissance scientifique est la synergie
entre mathématiques et expérience, c’est-à-dire entre les hypothèses formulées
mathématiquement et leur vérification expérimentale. Cette synergie explique les
résultats formidables et sans cesse croissants que l’on obtient grâce aux
technologies, en action avec la nature et mettant à notre service ses immenses
énergies.
Cela dit, la mathématique est en soi est une création de notre intelligence, le
fruit pur et “abstrait” de notre rationalité. La correspondance – qui ne peut
pas ne pas exister entre mathématiques et structures réelles de l’univers, parce
qu’en cas contraire, les prévisions scientifiques et les technologies ne
fonctionneraient pas – soulève donc une importante question, car l’univers
lui-même est structuré de façon rationnelle et une correspondance profonde
existe entre notre raison subjective et la raison objectivée dans la nature.
On se demande inévitablement dans quelle condition une telle correspondance
est-elle possible et si, sur ces bases, n’y a-t-il pas une intelligence
originelle qui est la source commune de la nature et de notre rationalité.
Ainsi, la réflexion sur le développement des sciences nous ramène au Logos
créateur. La tendance à donner la primauté à l’irrationnel, au hasard et à la
nécessité est renversée, renvoyant notre intelligence et notre liberté à Lui (cf.
les discours de Vérone et de Regensburg, ainsi que “Fede”, p. 188-192).
Bien sûr, une telle question et une telle réflexion, même si elles partent de
l’étude de la structure et des prémisses de la connaissance scientifique,
dépassent cette forme de connaissance et se placent sur le plan de la recherche
philosophique. Elle ne s’oppose pas donc à la théorie de l’évolution à condition
que celle-ci reste dans un contexte scientifique. D’ailleurs, sur le plan
philosophique, le Logos créateur n’est pas l’objet d’une démonstration
apodictique mais reste la “meilleure hypothèse”, une hypothèse qui exige que
l’homme et sa raison renoncent à une position de domination et humblement
prêtent attention ”.
Sur ces bases et en particulier dans l’atmosphère culturelle d’aujourd’hui,
l’homme avec ses seules forces ne peut pas faire complètement sienne cette
“meilleure hypothèse”. Il reste prisonnier d’une “étrange pénombre” et
d’impulsions à vivre en fonction de ses propres intérêts, faisant abstraction de
Dieu et de l’éthique. Seulement la révélation, l’initiative de Dieu qui, dans le
Christ, se manifeste à l’homme et l’appelle à se rapprocher à Lui, nous rend
pleinement capables de dépasser cette pénombre (cf. “L’Europa, p. 115-124 et
59-6 ; le discours de Regensburg).
Justement, la perception d’une telle “étrange pénombre” signifie qu’aujourd’hui
l’attitude la plus répandue chez les non-croyants n’est pas l’athéisme – perçu
autant que la foi en Dieu comme quelque chose qui dépasse les limites de notre
raison – mais l’agnosticisme, qui suspend le jugement par rapport à Dieu car
rationnellement impossible à connaître.
La réponse de J. Ratzinger à ce problème nous amène encore vers la réalité de la
vie. Selon lui, l’agnosticisme ne peut pas être vécu concrètement; c’est un
programme irréalisable pour la vie humaine.
Pour lui, la raison revient au fait que la question de Dieu n’est pas seulement
théorique, mais elle est éminemment pratique et a des conséquences dans tous les
contextes de la vie.
En pratique, je suis obligé à choisir entre deux possibilités, déjà identifiées
par Pascal, c’est-à-dire vivre comme si Dieu n’existait pas ou vivre comme s’il
existait et était la réalité décisive de mon existence. Or, si Dieu existe, il
ne peut pas être une annexe que l’on enlève ou ajoute sans que rien ne change.
Il est, au contraire, l’origine, le sens et la finalité de l’univers et de
l’homme dans ce dernier.
Si j’agis selon la première possibilité, j’adopte de ce fait une position athée
et pas seulement agnostique. Si je suis la deuxième, j’adopte une position
croyante. Quoi qu’il soit, on ne peut pas éluder la question de Dieu (cf.
“L’Europa”, p. 103-114).
C’est intéressant de noter que la grande similarité qui existe, sous ce profil,
entre la question de l’homme et la question de Dieu. À cause de leur importance,
il faut confronter les deux questions avec toute la rigueur et tout la force de
notre intelligence, mais elles restent toujours des questions éminemment
pratiques, inévitablement liées à nos choix concrets de vie.
* * *
À ce point, nous sommes en position de mieux comprendre le type d’approche
théologique, mais aussi pastorale, de Benoît XVI. Le pape prête beaucoup
d’attention au rapport entre foi et raison et à la revendication de vérité du
christianisme.Il le fait toutefois d’une façon qui n’est guère rationaliste. Au
contraire, il croit que les tentatives de la néoscolastique et de toute autre
approche voulant prouver la vérité des prémisses de la foi (les “praeambula
fidei”) par une raison rigoureusement indépendante sont condamnées à l’échec
comme a également échoué la tentative contraire de K. Barth de présenter la foi
comme un paradoxe pur qui peut exister seulement en totale indépendance de la
raison (cf. “Fede”, p. 141-142).Sur ces bases donc, la voie qui porte à Dieu est
Jésus Christ, non seulement parce que c’est seulement en Lui que nous pouvons
connaître le visage de Dieu, son attitude envers nous et le mystère même de sa
vie intime, c’est-à-dire du Dieu unique et absolu qui existe en trois Personnes
totalement “relatives” l’une à l’autre – toutes les implications de ce mystère
pour notre vie et pour la connaissance même de Dieu, de l’homme et du monde
n’ont pas encore été identifiées –, mais aussi parce que seulement dans la croix
du Fils, dans laquelle se montre dans sa forme la plus radicale l’amour
miséricordieux et solidaire de Dieu pour nous, peut-on trouver une réponse,
mystérieuse mais convaincante, au problème du mal et de la souffrance, qui
depuis toujours – mais avec une force nouvelle à notre époque “humaniste” – est
la source du doute le plus grave contre l’existence de Dieu. C’est pourquoi la
prière, l’adoration qui ouvre au don de l’Esprit et rend libres notre cœur et
notre intelligence, est une dimension essentielle non seulement de la vie
chrétienne mais aussi de la connaissance croyante et du travail du théologien (cf.
discours de Vérone; “Introduzione”, p. 135-146; prolusion de 1959 à l’Université
de Bonn).Ce n’est pas par pur goût personnel, donc, que Benoît XVI consacre
“tous ses moments libres” pour faire avancer son livre “Gesù di Nazareth”, dont
on publiera bientôt la première partie et dont on a déjà rendu public des
extraits tirés de la préface et de l’introduction.
La séparation entre le “Christ de la foi” et le “Jésus de l’histoire”, que
l’exégèse basée sur la méthode historique-critique semble avoir accentuée,
constitue pour la foi une situation “dramatique”, parce qu’elle “rend incertain
son authentique point de référence”.
Par conséquent, J. Ratzinger – Benoît XVI a décidé de montrer que le Jésus des
Évangiles et le Jésus de la foi de l’Église sont en réalité le vrai “Jésus
historique”, et il le fait en employant la méthode historique-critique dont il
reconnaît volontiers les nombreux résultats positifs, mais aussi en le dépassant
afin de se placer dans une prospective plus vaste qui permet une interprétation
proprement théologique de l’Écriture, et qui exige donc la foi sans renoncer
pour cela à être solidement historique (voir les extraits de la préface déjà
publiés).
En d’autres termes, il s’agit pour les sciences empiriques comme pour la
critique historique, d’“élargir les espaces de la rationalité”, et d’empêcher
qu’elles se referment sur elles-mêmes et se voient comme autosuffisantes (cf. “Fede”,
p. 136-142 et 194-203; “Introduzione”, p. 149-180).
Ce type d’approche à Jésus Christ renvoie clairement au rôle de l’Église et de
la tradition apostolique dans la transmission de la révélation.
À cet égard, J. Ratzinger non seulement affirme que l’origine de l’Église
remonte à Jésus lui-même et à son intime union avec Lui, fondée dans la Cène et
l’Eucharistie (cf. “Il nuovo popolo di Dio” [Le nouveau peuple de Dieu], publiée
en Italie par 'Queriniana’, p. 83-97), mais il lie intrinsèquement la Révélation
à l’Église et la tradition.
En effet, la révélation est avant tout l’acte par lequel Dieu se manifeste, pas
un résultat objectivé (écrit) de cet acte.
Par conséquent, l’entité qui reçoit la révélation et la comprend fait partie du
concept même de Révélation – c’est l’Église –, étant donné que si personne ne
percevait la Révélation, rien n’aurait été révélé et donc aucune Révélation
n’aurait eu lieu.
C’est pourquoi la révélation précède l’Écriture et se reflète en elle. Elle
n’est pas simplement identique à elle mais est toujours plus grande qu’elle. Une
pure “sola Scriptura” ne peut donc pas exister. Avec
cela, le sens essentiel de la tradition est aussi donné (cf. “La mia vita”, p.
72; 88-93).
C’est aussi la raison profonde du caractère ecclésial de la foi, ou mieux encore
le nœud indissoluble du “moi” et du “nous”, de la dimension personnelle et
ecclésiale, dans l’acte de croire qui se rapporte au “Tu” de Dieu qui se révèle
à nous en Jésus Christ (cf. “Introduzione”, p. 53-64), sans oublier
l’insuffisance d’une exégèse historique-critique.
La voie proposée pour que le christianisme se rende de nouveau convaincant reste
toutefois, aujourd’hui comme au début et tout au long de son histoire, celle “de
vivre cette unité entre vérité et amour dans les conditions propres à notre
époque”. C’est le sens du “grand ‘oui’ que Dieu, en Jésus Christ, a dit à
l'homme et à sa vie, à l'amour humain, à notre liberté et à notre intelligence”
et qui, à travers le témoignage des chrétiens, doit être rendu visible au monde
(discours de Vérone).
Sur ces bases, il devient également possible d'élargir les horizons de notre
rationalité, de l'ouvrir aux grands enjeux du vrai et du bien, de “conjuguer
entre elles la théologie, la philosophie et les sciences, dans le plein respect
de leurs propres méthodes et de leur autonomie réciproque” (ibid.). Ainsi, sur
le plan du vécu et de la pratique, dans le contexte d’aujourd’hui, il est
particulièrement nécessaire de souligner la force libératrice du christianisme,
le lien qui unit foi chrétienne et liberté et, en même temps, faire comprendre
comment la liberté est intrinsèquement liée à l’amour et à la vérité.
L’homme comme tel, en effet, possède certainement une façon d’être “soi-même”,
conscient et libre, mais il est également et essentiellement un être “par”,
“avec” et “pour”, nécessairement ouvert et référé aux autres. Sa liberté est
donc intrinsèquement liée au critère de la réalité – c’est-à-dire la vérité –
une liberté partagée, qui se réalise dans un ensemble de plusieurs libertés,
lesquelles se limitent mais s’appuient réciproquement, libertés que néanmoins
l’on bâtit dans la charité (cf. “Fede”, p. 260-264 et plus en général 245-275).
De ce point de vue, la déclaration sur la liberté religieuse faite par le
Concile Vatican II a représenté un pas en avant décisif, parce qu’elle a reconnu
et accepté un principe essentiel de l’État moderne sans pour autant céder au
relativisme, mais, au contraire, en redécouvrant et en actualisant le patrimoine
le plus profond du christianisme (cf. discours à la Curie Romaine du 22 décembre
2005).
* * *
Dans la situation actuelle de l’Occident, la morale chrétienne semble, en tout
cas, divisée en deux parties.L’une touche aux grands enjeux comme la paix, la
non-violence, la justice pour tous, la sollicitude pour les pauvres du monde et
le respect de la création. Elle est bien acceptée par le public bien qu’elle
risque d’être contaminée par un moralisme de type politique.L’autre est celle
qui fait référence à la vie humaine, à la famille et au mariage. Elle n’est pas
aussi bien acceptée par le public; au contraire, elle constitue une entrave très
grande dans le rapport entre l’Église et les gens.Il nous revient donc, avant
tout, de présenter le christianisme pas comme un simple moralisme, mais comme
amour qui nous est donné par Dieu et qui nous donne la force pour “perdre sa
propre vie”, et aussi pour accueillir et vivre cette loi de vie qu’est le
Décalogue. Ainsi, les deux parties de la morale chrétienne pourront se rejoindre
et se renforcer réciproquement. Ainsi, on comprendra que les “non” de l’Église à
certaines formes faibles et déviées de l’amour sont des “oui” à l’amour
authentique, à la réalité de l’homme telle que Dieu l’a créée (cf. discours aux
évêques suisses du 9 novembre 2006; discours de Vérone; “L’Europa”, p. 32-34).
Le message à l’occasion de la
Journée
Mondiale de la Paix 2007 va dans ce
sens.
Toute l’approche anthropologique et éthique du christianisme, sa façon de
comprendre la vie, la joie, la douleur et la mort, trouve toutefois sa
légitimité et sa consistance seulement dans cette prospective de salut
historique mais surtout eschatologique qui s’est ouvert avec la résurrection du
Christ (cf. discours de Vérone). Sur les thèmes de la morte, de la résurrection
et de l’immortalité, que nous ne pouvons pas aborder ici, J. Ratzinger a
consacré un livre “Escatologia morte et vie eterna” [Titre français: ‘La mort et
l'au-delà’], édité en Italie par ‘Cittadella’ en 1979.
Jusqu’ici, nous nous sommes concentrés sur le rapport entre la foi chrétienne et
la culture sécularisée de l’Occident moderne et “post-moderne”, victime d’une
étrange “haine de soi”, qui va de pair avec son éloignement du christianisme.
J. Ratzinger – Benoît XVI toutefois n’a pas absolument perdu de vue un horizon
plus vaste, celui des rapports avec les autres cultures et les autres religions
du monde, auxquelles il a consacré plutôt une bonne partie de sa réflexion,
surtout dans les dernières années.
Le concept clé auquel il fait recours est celui de rencontre entre cultures ou
d’“interculturalité”, chose qui est différente de l’inculturation, qui semble
supposer une foi culturellement dépouillée et transposée dans d’autres cultures
religieusement indifférentes, et de la multiculturalité, définie comme simple
coexistence – pacifique, espérons-le – entre cultures différentes.
L’interculturalité “appartient à la forme originelle du christianisme” et
comporte à la fois, une attitude positive envers les autres cultures et envers
les religions qui en constituent l’âme et un travail de purification et de
“coupe courageuse” qui sont indispensables à chaque culture, si l’on veut
vraiment rencontrer le Christ et qui deviennent pour elle “maturation et
redressement” (cf. “Fede”, p. 66 et 89; le discours de Vérone et, en
particulier, le dialogue du 19 janvier 2004 entre J. Ratzinger et J. Habermas,
publié dans “Etica, religione e stato liberale” [Éthique, religion et État
libéral], édité en Italie par ‘Morcelliana’, 2005).
Ainsi, le christianisme peut justement aider l’Occident à tisser de nouveaux et
positifs liens avec les autres cultures et religions, liens dont le monde a
extrêmement besoin aujourd’hui mais qui ne peuvent pas se constituer sur la base
d’un sécularisme radical.
Face à la grandeur quelque peu “excessive” de ces tâches, J. Ratzinger – Benoît
XVI n’est certes pas quelqu’un à se faire des illusions sur l’état de la santé
actuel de l’Église catholique et plus en général du christianisme.
Il est cependant sûr, comme il a dit plusieurs fois lors de son voyage en
Bavière, que “qui croit n’est jamais seul”, et aussi que notre foi a toujours
“une possibilité de succès”, parce qu’elle “trouve correspondance dans la nature
de l’homme”, qui a été créé pour rencontrer Dieu (“Fede”, p. 142-143).
Que cette certitude soutienne aussi notre vie et nos efforts de tous les jours.
Texte transcrit et communiqué par Sandro Magister
Sources:
La chiesa.it-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 07.01.2007 - BENOÎT XVI - SPIRITUALITE |